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<hr />
<p>Jean-Daniel Ruch a travaillé pour l’ONU, l’OSCE et le gouvernement suisse entre 1988 et 2023. Parmi ses nombreuses missions, il a été envoyé spécial de la Suisse pour le Moyen-Orient (2008-2012) et ambassadeur de Suisse en Serbie (2012-2016), en Israël (2016-2021) et en Turquie (2021-2023). Cet article reflète son opinion et non pas nécessairement la politique étrangère de la Suisse.</p>
<hr />
<p>Les Etats-Unis se sont abstenus mais n’ont pas mis leur veto à la résolution. Le secrétaire d’Etat de l’époque, John Kerry, est considéré comme son architecte. Il a passé des années à travailler sans relâche avec le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne pour progresser vers la résolution de ce conflit interminable qui a été un fardeau pour tout gouvernement américain pendant les trente-cinq dernières années au moins. George H. Bush est le dernier président américain à avoir exercé une pression sérieuse sur Israël, au tout début des années 1990. Au lendemain de la première guerre du Golfe, il a menacé de ne pas accorder de garanties de prêt à Israël si celui-ci refusait de participer à un processus multilatéral, connu sous le nom de conférence de Madrid, visant à résoudre ce conflit. Depuis lors, l’idée de sanctionner Israël pour ses violations du droit international est un anathème pour tous les gouvernements américains et la plupart des gouvernements européens.</p>
<p>Peu après l’adoption de la résolution 2334, l’administration Trump est arrivée au pouvoir à Washington. Sous l’influence du gendre du nouveau Président, Jared Kushner, et de son ambassadeur en Israël, David Friedman, lui-même fervent partisan des colonies en Cisjordanie, Trump a pris des mesures audacieuses, mais futiles. Il a déplacé l’ambassade américaine à Jérusalem pour plaire au gouvernement de Netanyahou. Il a ensuite proposé un plan de paix qui s’éloigne considérablement du principe reconnu de paix basée sur les frontières de 1967. Comme la plupart des observateurs l’avaient prévu, les Palestiniens ont catégoriquement rejeté la proposition de Trump et le processus s’est enlisé une fois de plus, tandis que le gouvernement Netanyahou accélérait la colonisation de la Cisjordanie, accompagnée qui plus est d’une montée des violences des colons à l’encontre des Palestiniens.</p>
<p>L’administration Biden n’avait manifestement pas l’intention d’investir beaucoup de capital politique au Moyen Orient. L’Ukraine et la Chine étaient les principales priorités de la politique étrangère au départ. Biden n’a annulé aucune des décisions prises par Trump. Il n’a pas rapatrié l’ambassade américaine à Tel-Aviv. Il n’a pas rouvert le consulat général des Etats-Unis auprès de l’Autorité palestinienne, qui est devenu une section de l’ambassade américaine basée à Jérusalem. La situation sur le terrain est cependant restée relativement calme, malgré un nouvel échange de roquettes entre Gaza et Israël pendant 11 jours en mai 2021. L’impression générale était qu’un <em>modus vivendi</em> avait été trouvé, conduisant à une trêve fragile, avec le soutien financier du Qatar. En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne n’était pas une menace pour le projet israélien. Et la troisième parcelle des territoires occupés, Jérusalem-Est, est de toute façon sous le contrôle total d’Israël. La fausse impression que cette chorégraphie pourrait se maintenir très longtemps était dominante. La question israélo-palestinienne avait disparu de l’ordre du jour international. Puis est arrivé le 7 octobre. Les attaques choquantes de ce jour-là et la riposte destructrice d’Israël, au-delà des conséquences humaines et humanitaires dramatiques, ont eu un impact psychologique et politique intense.</p>
<p>Il n’est pas question ici d’analyser les causes, les crimes et les conséquences de ce qui s’est passé à ce moment-là et dans les mois qui ont suivi. Mais, étonnamment, la question palestinienne est revenue au premier plan des préoccupations mondiales, au même titre que l’agression russe contre l’Ukraine. Très vite, tous les acteurs internationaux majeurs ont réaffirmé leur engagement en faveur d’une solution à deux Etats. Mais cette solution est-elle encore possible après toutes ces années de négligence internationale?</p>
<h3>Non, le contexte régional et l’entreprise de colonisation ont rendu la solution à deux États impossible - Le point de vue du pessimiste</h3>
<p>Les plus de 700'000 colons, mais aussi le contexte stratégique, politique et psychologique semble être un obstacle insurmontable à toute solution de paix.</p>
<p>Selon des chiffres fiables, près de 450'000 colons vivent en Cisjordanie et près de 250'000 à Jérusalem:</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1716200084_is1.png" class="img-responsive img-fluid center " width="505" height="727" /></p>
<p>Quelques dizaines de milliers d’autres vivent sur le plateau du Golan, formellement un territoire syrien annexé en 1981. Jérusalem-Est a été annexée dans les faits en 1980. Ces territoires, ainsi que Gaza, sont considérés comme des territoires occupés en vertu du droit international. Les annexions et les colonies sont illégales en droit international. Le transfert de la population israélienne vers les territoires occupés est interdit par la quatrième convention de Genève et peut constituer un crime de guerre selon le statut de Rome de la Cour pénale internationale. L’Etat d’Israël a joué un rôle décisif dans la colonisation. Il a encouragé le transfert de sa population en confisquant des terres, en construisant des infrastructures et en offrant des incitations fiscales aux citoyens israéliens pour qu’ils établissent leur résidence dans les territoires occupés. La proportion de colons «économiques» – c’est-à-dire de personnes qui se sont installées dans les colonies illégales de Jérusalem-Est ou de Cisjordanie pour des raisons financières ou d’autres raisons pragmatiques – diminue par rapport aux colons «idéologiques». La plupart de ces derniers considèrent que ces terres leur appartiennent pour des motifs religieux ou historiques. Certains prétendent qu’elles ont été données par Dieu au peuple juif. La présence de sanctuaires juifs, comme le Caveau des Patriarches à Hébron, est pour eux une preuve suffisante qu’ils ont le droit d’occuper ces lieux. Ils parlent de territoires «libérés». Certains accepteraient de les désigner comme des territoires «contestés».</p>
<p>Quant aux Palestiniens, ils s’en tiennent à une interprétation stricte du droit international, selon laquelle tous les territoires occupés par Israël après la guerre des 6 jours de 1967 doivent faire partie d’un futur Etat palestinien. Cela signifie que plus de 700'000 colons devraient se retirer. Comment y parvenir? En 2005, le gouvernement israélien du Premier ministre Ariel Sharon a retiré 8'000 colons de 21 colonies de Gaza. Cet événement est devenu un drame national. Il est difficile d’imaginer comment près de 100 fois plus de personnes pourraient être expulsées de force de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Qui s’en chargerait? A mesure que la proportion de colons augmente dans la population totale pour atteindre un peu moins de 10%, il en va de même pour ce qui est de la présence des colons dans l’armée et la police israéliennes. Et ce sont ces deux institutions qui seraient évidemment chargées d’évacuer les colons. Dès lors, cela devient difficilement concevable.</p>
<p>En outre, une partie, petite mais efficace, des colons devient de plus en plus organisée et violente. Cette tendance se poursuit depuis une dizaine d’années. Betselem, une ONG israélienne renommée de défense des droits de l’homme, a calculé que 2 millions de dunums de terres occupées ont été accaparés par Israël, ce qui correspond presque à la taille de l’Etat du Luxembourg. L’ONG fait également état d’une augmentation constante des incidents violents commis par les colons, y compris des meurtres de Palestiniens. Ceux-ci ont encore bondi après le 7 octobre. De leur côté, l’armée et les autres forces de sécurité ne se sont pas montrées disposées à mettre un frein à la violence des colons, bien au contraire. De nombreux rapports montrent que le personnel de sécurité se contente de regarder les colons harceler les Palestiniens, voire pire.</p>
<p>La montée de la violence des colons est le miroir d’un paysage politique israélien qui a glissé vers l’extrême droite. On entend par là une attitude de défiance totale à l’égard de tout retrait des territoires occupés et un refus absolu d’envisager l’octroi d’un Etat aux Palestiniens. Cette attitude extrême est également ancrée dans la crainte existentielle de nombreux Israéliens d’être un jour dépassés en nombre par les Palestiniens. La rhétorique et les actions de nombreux dirigeants palestiniens, arabes ou musulmans, comme le régime iranien, confortent les Juifs israéliens dans leur conviction que, sans un contrôle sécuritaire total sur les Palestiniens et une supériorité militaire stratégique sur les Etats voisins, ce serait l’existence même d’Israël qui serait menacée. </p>
<p>Pour l’instant, sur le territoire contrôlé par Israël, de la mer Méditerranée à la mer Morte, vivent à peu près le même nombre de Juifs et de non-Juifs, principalement des personnes qui s’identifient comme Palestiniens, en majorité musulmans, mais comportant aussi une petite minorité chrétienne encore influente. Le 7 octobre a provoqué un choc psychologique. Pour une partie encore plus importante de la population juive israélienne, il est devenu évident que vivre aux côtés d’un Etat palestinien équivaudrait à partager son lit avec le diable. Les sondages effectués au cours du premier trimestre 2024 indiquent un soutien presque total à l’éradication du Hamas, quel que soit le coût en vies palestiniennes innocentes. L’empathie pour les victimes civiles palestiniennes est pratiquement inexistante. Tout compromis avec le Hamas ou les Palestiniens en général serait perçu comme une humiliation et une défaite menaçant l’existence même de l’Etat d’Israël. La détermination de l’opinion publique israélienne pourrait être renforcée par les sondages effectués auprès de la population palestinienne, qui montrent un soutien constant de plus de 70% à l’action entreprise par le Hamas le 7 octobre. </p>
<p>Se retirer ne serait-ce que d’un pouce de la Cisjordanie ne serait pas seulement perçu comme une concession inacceptable à la terreur. Ce serait également faire un cadeau majeur au pays qui a été constamment présenté comme l’ennemi juré d’Israël depuis au moins le retour au pouvoir de Netanyahou en 2009: l’Iran. Il est devenu soudainement évident pour tout le monde que, à la suite d’un certain nombre d’erreurs stratégiques commises par les Etats-Unis et Israël au cours des vingt dernières années, l’Iran encercle aujourd’hui Israël sur au moins cinq fronts: le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen et Gaza. L’agression de Bush junior contre l’Irak a été l’erreur stratégique la plus lourde de conséquences commise par le principal allié d’Israël. Elle a permis au régime islamique de Téhéran de construire un pont terrestre jusqu’à la frontière même d’Israël, au Liban. Le JCPOA, l’accord nucléaire conclu par l’administration Obama en 2015, aurait pu offrir une opportunité de normaliser progressivement les relations entre les Etats-Unis et l’Iran, ce qui aurait pu être utilisé pour alléger la menace que le Hezbollah libanais fait planer sur Israël. Mais Donald Trump s’est retiré de l’accord, avec le plein soutien du Premier ministre israélien. L’Iran a alors poursuivi sa manœuvre d’encerclement autour d’Israël, qui apparaît aujourd’hui être l’otage de la dynamique Washington-Téhéran.</p>
<p>Par conséquent, pour des raisons pratiques – les colons –, politiques, psychologiques et stratégiques, il semble hautement improbable qu’Israël soit prêt à envisager dans un avenir proche les douloureux compromis qu’impliquerait nécessairement une solution à deux Etats. </p>
<p>Du côté palestinien, les obstacles devraient être beaucoup moins nombreux. Le droit international, à savoir une solution basée sur les frontières de 1967, est très à l’avantage des Palestiniens. Le Hamas n’a cependant pas abandonné son intention de de créer un Etat palestinien «du fleuve à la mer», ce qui équivaut à éliminer l’Etat d’Israël. En 2017, le mouvement islamiste a pourtant publié un nouveau document dans lequel il affirmait être prêt à envisager la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967 dans le cadre d’une trêve ou d’une <i>hudna</i> à long terme, ce qui constitua un signe de compromis largement ignoré. Cette position a été réaffirmée en avril 2024 à l’occasion d’une rencontre entre le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, et le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan. Il a même été rapporté que le Hamas supprimerait sa branche armée si un Etat palestinien était établi dans les frontières de 1967. Mais le Hamas n’est pas seul dans cette bataille. Il fait partie de ce que l’on appelle «l’axe de la résistance». Ce groupe de coordination anti-israélien, dirigé par les Gardiens de la révolution iraniens, associe le régime syrien, le Hamas et d’autres milices palestiniennes comme le Jihad islamique, le Hezbollah libanais, les milices irakiennes et les Houthis yéménites. Ils ont le sentiment d’être du côté des vainqueurs de cette guerre et ne sont donc pas sous pression pour faire des compromis. La situation est donc bloquée des deux côtés. </p>
<h3>Oui, la solution à deux Etats est toujours possible - Le point de vue de l’optimiste</h3>
<p>En 2022, Shaul Arieli, ancien colonel israélien reconnu comme le meilleur expert des colonies et des colons, a publié une étude approfondie sur le sujet. Il conclut que l’idée selon laquelle les colonies de Jérusalem-Est et de Cisjordanie ont rendu impossible la solution à deux Etats est une apparence trompeuse qui ne résiste pas à une analyse détaillée. Parmi ses principales conclusions, il a constaté que:</p>
<ul>
<li>Grâce à des échanges territoriaux dans une proportion de 1 pour 1, près de 80% des colons vivraient à l’intérieur des frontières d’Israël à la suite d’un accord de paix.</li>
<li>Parmi les 20% restant dans ce qui serait alors un Etat palestinien, une grande majorité serait prête à envisager une réinstallation en Israël à condition que des compensations soient offertes.</li>
<li>Au sein de ce même groupe, seule une infime proportion serait prête à recourir à des actes de résistance illégaux ou violents, tandis que la grande majorité n’envisagerait qu’une opposition légale.</li>
<li>Une immense majorité des colons est consciente du risque de devoir un jour se réinstaller à l’intérieur de la frontière israélienne.</li>
</ul>
<p>En outre, l’étude montre que les trois objectifs définis par les gouvernements israéliens qui ont planifié l’entreprise de colonisation (plan Allon, 1967; plan Sharon, 1977) n’ont pas été atteints, à savoir:</p>
<ol>
<li>Encercler toute entité politique arabe avec des territoires israéliens, en délimitant une frontière reflétant les priorités israéliennes.</li>
<li>Empêcher la création d’un Etat palestinien indépendant avec une contiguïté territoriale en assurant une présence israélienne substantielle, en particulier le long de la crête montagneuse centrale.</li>
<li>Annexer à l’Etat d’Israël la totalité ou une partie importante des territoires occupés, sans remettre en cause la vision sioniste d’un Etat démocratique à majorité juive. </li>
</ol>
<p>Aujourd’hui, les colons juifs ne représentent que 14% de la population de la Cisjordanie (territoire appelé Judée et Samarie par les Israéliens). Comme indiqué plus haut, près de 80% de ce groupe se retrouverait en Israël à la suite d’un échange de territoires où la même surface de terre serait échangée entre l’Etat israélien et l’Etat palestinien selon la proposition suivante:</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1716200117_is2.png" class="img-responsive img-fluid center " width="553" height="795" /></p>
<p>Parmi les 20% qui resteraient à évacuer, soit environ 100’000 personnes, ou 20 à 25’000 ménages, seule une infime partie est prête à lutter contre une solution à deux Etats par des moyens illégaux, alors que la plupart d’entre eux accepteraient de se réinstaller moyennant des compensations.</p>
<p>Le bon sens voudrait que la féroce explosion de violence qui s’est produite le 7 octobre et ses conséquences aient créé des barrières psychologiques et politiques encore plus élevées empêchant toute reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens. Toutefois, ce n’est peut-être pas le cas. Même si l’opinion publique israélienne soutient dans sa grande majorité la destruction du Hamas quel qu’en soit le coût humain, une prise de conscience brutale a eu lieu. La conscience que la question palestinienne ne peut plus être ignorée et s’est imposée dans la société. La gestion éternelle du conflit n’est pas une option souhaitable pour un nombre croissant de Juifs israéliens. Les sondages du premier trimestre 2024 indiquent qu’après le choc initial, une tendance se dessine en faveur de la solution à deux Etats. Au sein de la population palestinienne, elle s’élève à 45%, en augmentation. En Israël, 35% de la population juive exprime son soutien, soit 40% de l’ensemble de la population. Il est intéressant de noter que lorsque cette option est combinée à une normalisation avec l’Arabie Saoudite, ce chiffre grimpe à 52%.</p>
<p>Dans ce climat, le désir de séparation est beaucoup plus fort aujourd’hui qu’avant le 7 octobre. Par conséquent, les Israéliens pourraient être davantage disposés à payer le prix de l’évacuation des colonies. Plus de 100'000 Israéliens ont quitté leurs maisons dans le nord de la Galilée et dans les environs de Gaza après l’attaque du 7 octobre et les attaques du Hezbollah sur le nord d’Israël. La relocalisation n’est plus considérée comme inacceptable. Du côté palestinien, il y a également plus de voix aujourd’hui qui osent accuser le Hamas d’être responsable du désastre humanitaire qui a résulté des représailles israéliennes. </p>
<p>Cela dit, pour sortir de cette tragédie, il faudra un <em>leadership</em> politique. On imagine mal Benjamin Netanyahu s’asseoir avec Mahmoud Abbas – sans parler d’Ismail Haniyeh ou de Yahya Sinwar – pour discuter de la fin du conflit. Du côté palestinien, on peut s’attendre à ce que le Hamas soit sérieusement affaibli, tant politiquement que militairement, à l’issue du conflit. Il y aura une chance unique de rafraîchir la direction palestinienne au sein d’un gouvernement unique. Cela n’a que trop tardé. Depuis 2007, la division entre Gaza et la Cisjordanie constitue un obstacle majeur à tout effort sérieux en faveur de la paix. Du côté israélien, les manifestations massives et les sondages montrent qu’il y a de fortes chances que Netanyahou soit démis de ses fonctions peu après la fin de cette guerre. Certains experts soupçonnent que c’est l’une des raisons pour lesquelles Israël a constamment essayé de provoquer l’Iran dans une escalade régionale. Les personnes les mieux placées pour succéder au Premier ministre qui est resté le plus longtemps en poste dans l’histoire d’Israël seraient toutes mieux préparées à trouver un arrangement avec les Palestiniens. Bien sûr, il reste une infime possibilité que les faucons israéliens, Smotrich et Ben Gvir, conservent des positions de pouvoir. Leur politique ne peut que conduire à de nouvelles effusions de sang. C’est là que la communauté internationale devrait jouer un rôle décisif. </p>
<p>Comme indiqué plus haut, tous les grands acteurs internationaux, y compris les Etats-Unis, la Chine, la Russie et les puissances européennes, ont souligné qu’il n’y avait pas d’alternative à la solution à deux Etats. Aux Etats-Unis en particulier, l’actuel Premier ministre d’Israël et ses politiques sont de moins en moins compris. C’est également le cas dans plusieurs pays européens, en particulier l’Espagne et l’Irlande. Pendant très longtemps, les pays occidentaux ont été réticents à exercer une réelle pression sur Israël. Cette tolérance diminue rapidement.</p>
<h3>Un point de vue réaliste</h3>
<p>Le bon sens dit que pour ramener la paix au Moyen Orient, trois facteurs doivent être réunis: un Premier ministre israélien suffisamment fort pour faire des compromis; un dirigeant palestinien capable d’unir les différentes factions palestiniennes; un président américain prêt à utiliser son capital politique pour amener les deux communautés à conclure un accord. La guerre a causé d’immenses traumatismes et souffrances au sein des populations israélienne et palestinienne. Un retour au <em>statu quo ante</em> est peu probable. Pire: il s’agirait d’une nouvelle occasion manquée dont les conséquences pourraient être encore plus tragiques.</p>
<p>Il a été démontré plus haut qu’une solution à deux Etats reste techniquement possible. Sur le plan psychologique, les deux sociétés, comme le révèlent les sondages, semblent comprendre qu’il est nécessaire, pour leur simple survie, de dépasser le conflit. Les Palestiniens ont des raisons de craindre que les politiques israéliennes ne réduisent encore l’espace dans lequel ils peuvent vivre. Les Juifs israéliens ont tout autant de raisons de craindre d’être un jour submergés par leurs voisins. L’Iran n’est-il pas présent, directement ou par l’intermédiaire de ses alliés, sur cinq de ses frontières? Les représailles iraniennes contre le territoire israélien à la mi-avril, à la suite de l’attaque israélienne contre le consulat iranien à Damas dix jours auparavant, donnent un avant-goût du coût d’une escalade régionale. Israël et ses alliés auraient dû dépenser plus d’un milliard de dollars pour se protéger contre les missiles et les drones iraniens. Une escalade régionale peut-elle être évitée si un processus politique significatif n’est pas mis sur les rails? Quelles sont les alternatives à la solution à deux Etats? Un nettoyage ethnique dans un sens ou dans l’autre? Une guerre régionale impliquant les Etats-Unis et l’Iran, qui bénéficierait très probablement d’un soutien important de la part de la Russie? L’ampleur des destructions serait impensable et ne peut être dans l’intérêt de personne.</p>
<p>D’un autre côté, de nombreux travaux préparatoires ont été réalisés pour mettre au point la solution à deux Etats. Les paramètres Clinton (2000), mais aussi les résultats des pourparlers Olmert-Abbas (2008), restent des bases solides pour un accord. Mais le plan le plus détaillé est probablement le fruit du travail d’experts israéliens et palestiniens qui faisaient partie des deux équipes de négociation dans les années Clinton. Ils ont conçu un modèle d’accord de 500 pages, souvent connu sous le nom d’Initiative de Genève. Il ressort de ce document et d’autres qu’une paix est non seulement possible, mais qu’elle est aussi beaucoup moins coûteuse que n’importe quelle autre option. Il y aurait des échanges de terres dans une proportion de 1 pour 1 afin de ramener le plus grand nombre possible de colons à l’intérieur des frontières israéliennes. La Palestine serait un Etat démilitarisé et une solide coordination sécuritaire sous supervision internationale serait établie entre les deux Etats. D’autre part, la Palestine bénéficierait d’une continuité territoriale grâce à un corridor terrestre reliant la Cisjordanie et Gaza. Jérusalem-Est serait la capitale de la Palestine et un régime spécial serait convenu pour le Mont du Temple/Haram al-Sharif. L’épineuse question des réfugiés palestiniens serait résolue principalement par des compensations financières. Israël ne serait pas submergé par des millions de réfugiés palestiniens, comme le menacent parfois ceux qui ne sont pas intéressés par un compromis.</p>
<p>D’autres solutions sont à l’étude, comme une confédération ou un Etat binational. Aucune d’entre elles n’éviterait toutefois de devoir traiter les questions épineuses mentionnées ci-dessus. Mais si, techniquement, la solution à deux Etats reste possible, il n’est pas certain que les grandes puissances soient en mesure d’assurer l’investissement politique colossal qu’elle nécessiterait pour éliminer les extrémistes qui, de part et d’autre, veulent prolonger le conflit.</p>
<p>C’est probablement le plus grand défi à relever: affaiblir les extrêmes. Du côté israélien, les forces qui s’opposent à la solution à deux Etats doivent être isolées politiquement. Les colons impliqués dans les violences contre les Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem doivent être punis pour leurs crimes. Les pays occidentaux doivent être fidèles à leurs principes et insister sur le fait que sans la fin de l’impunité, il y aura des conséquences. Désamorcer les fauteurs de troubles du côté palestinien peut s’avérer plus délicat. Le Hamas et d’autres factions violentes peuvent être affaiblis, mais ils ne disparaîtront probablement pas. Il n’y a pas de voie claire vers un nouveau système de gouvernance régissant à la fois la Cisjordanie et Gaza – et Jérusalem-Est en temps voulu. Est-ce qu’imposer un gouvernement choisi par les Etats arabes, avec l’accord des Etats-Unis et d’Israël, serait une bonne approche? D’un autre côté, des élections pourraient ramener le Hamas, qui reste plus populaire que le Fatah d’Abbas, en position de vainqueur, comme en 2006. Israël et l’Occident seraient-ils prêts cette fois à faire ce qu’ils ont refusé de faire il y a près de vingt ans, à savoir reconnaître comme légitime un gouvernement dirigé par le mouvement islamiste? Cela nécessiterait une révolution dans leurs politiques.</p>
<p>En fin de compte, la dynamique régionale jouera un rôle crucial. Sur la base des accords dits d’Abraham et de la normalisation des relations entre Téhéran et Ryad obtenue à Pékin en 2023, un cercle vertueux pourrait être encouragé entre Israël, les différentes factions palestiniennes et les puissances régionales. L’initiative de paix arabe, proposée par le roi saoudien en 2002, reste d’actualité. Elle propose la paix avec tous les pays arabes en échange de la fin de l’occupation. Tout au long de la guerre de Gaza, Washington et Téhéran se sont efforcés d’éviter une escalade régionale. Même l’attaque iranienne contre le territoire israélien, le 14 avril 2024, a été soigneusement calibrée avec l’intention déclarée d’éviter une escalade incontrôlable. Cela pourrait-il être le prélude à la reprise d’une approche plus constructive de la part des principaux acteurs?</p>
<p>Pour museler les extrêmes tout en offrant des incitations aux autres, il faudrait aussi que, après une longue, très longue période, Washington, Pékin et Moscou acceptent de travailler ensemble – ou du moins de ne pas perturber les efforts de l’une des autres puissances. Sont-ils prêts à coopérer sur le Moyen-Orient malgré leur concurrence mondiale, l’Ukraine et Taiwan? Il devrait être clair pour tout le monde que les avantages d’une coopération en vue d’une solution à deux Etats l’emportent largement sur les coûts. Cette solution ouvrirait une nouvelle ère qui profiterait à tous les habitants de la région et, en fin de compte, au monde entier.</p>
<p>En résumé, la solution à deux Etats reste souhaitable et est techniquement réalisable. Cependant, les obstacles psychologiques et politiques sont énormes. Et la volonté politique de consentir les investissements courageux et risqués nécessaires à l’ouverture d’une véritable perspective de paix n’est nulle part aussi massive qu’elle devrait l’être.</p>',
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<hr />
<p>Jean-Daniel Ruch a travaillé pour l’ONU, l’OSCE et le gouvernement suisse entre 1988 et 2023. Parmi ses nombreuses missions, il a été envoyé spécial de la Suisse pour le Moyen-Orient (2008-2012) et ambassadeur de Suisse en Serbie (2012-2016), en Israël (2016-2021) et en Turquie (2021-2023). Cet article reflète son opinion et non pas nécessairement la politique étrangère de la Suisse.</p>
<hr />
<p>Les Etats-Unis se sont abstenus mais n’ont pas mis leur veto à la résolution. Le secrétaire d’Etat de l’époque, John Kerry, est considéré comme son architecte. Il a passé des années à travailler sans relâche avec le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne pour progresser vers la résolution de ce conflit interminable qui a été un fardeau pour tout gouvernement américain pendant les trente-cinq dernières années au moins. George H. Bush est le dernier président américain à avoir exercé une pression sérieuse sur Israël, au tout début des années 1990. Au lendemain de la première guerre du Golfe, il a menacé de ne pas accorder de garanties de prêt à Israël si celui-ci refusait de participer à un processus multilatéral, connu sous le nom de conférence de Madrid, visant à résoudre ce conflit. Depuis lors, l’idée de sanctionner Israël pour ses violations du droit international est un anathème pour tous les gouvernements américains et la plupart des gouvernements européens.</p>
<p>Peu après l’adoption de la résolution 2334, l’administration Trump est arrivée au pouvoir à Washington. Sous l’influence du gendre du nouveau Président, Jared Kushner, et de son ambassadeur en Israël, David Friedman, lui-même fervent partisan des colonies en Cisjordanie, Trump a pris des mesures audacieuses, mais futiles. Il a déplacé l’ambassade américaine à Jérusalem pour plaire au gouvernement de Netanyahou. Il a ensuite proposé un plan de paix qui s’éloigne considérablement du principe reconnu de paix basée sur les frontières de 1967. Comme la plupart des observateurs l’avaient prévu, les Palestiniens ont catégoriquement rejeté la proposition de Trump et le processus s’est enlisé une fois de plus, tandis que le gouvernement Netanyahou accélérait la colonisation de la Cisjordanie, accompagnée qui plus est d’une montée des violences des colons à l’encontre des Palestiniens.</p>
<p>L’administration Biden n’avait manifestement pas l’intention d’investir beaucoup de capital politique au Moyen Orient. L’Ukraine et la Chine étaient les principales priorités de la politique étrangère au départ. Biden n’a annulé aucune des décisions prises par Trump. Il n’a pas rapatrié l’ambassade américaine à Tel-Aviv. Il n’a pas rouvert le consulat général des Etats-Unis auprès de l’Autorité palestinienne, qui est devenu une section de l’ambassade américaine basée à Jérusalem. La situation sur le terrain est cependant restée relativement calme, malgré un nouvel échange de roquettes entre Gaza et Israël pendant 11 jours en mai 2021. L’impression générale était qu’un <em>modus vivendi</em> avait été trouvé, conduisant à une trêve fragile, avec le soutien financier du Qatar. En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne n’était pas une menace pour le projet israélien. Et la troisième parcelle des territoires occupés, Jérusalem-Est, est de toute façon sous le contrôle total d’Israël. La fausse impression que cette chorégraphie pourrait se maintenir très longtemps était dominante. La question israélo-palestinienne avait disparu de l’ordre du jour international. Puis est arrivé le 7 octobre. Les attaques choquantes de ce jour-là et la riposte destructrice d’Israël, au-delà des conséquences humaines et humanitaires dramatiques, ont eu un impact psychologique et politique intense.</p>
<p>Il n’est pas question ici d’analyser les causes, les crimes et les conséquences de ce qui s’est passé à ce moment-là et dans les mois qui ont suivi. Mais, étonnamment, la question palestinienne est revenue au premier plan des préoccupations mondiales, au même titre que l’agression russe contre l’Ukraine. Très vite, tous les acteurs internationaux majeurs ont réaffirmé leur engagement en faveur d’une solution à deux Etats. Mais cette solution est-elle encore possible après toutes ces années de négligence internationale?</p>
<h3>Non, le contexte régional et l’entreprise de colonisation ont rendu la solution à deux États impossible - Le point de vue du pessimiste</h3>
<p>Les plus de 700'000 colons, mais aussi le contexte stratégique, politique et psychologique semble être un obstacle insurmontable à toute solution de paix.</p>
<p>Selon des chiffres fiables, près de 450'000 colons vivent en Cisjordanie et près de 250'000 à Jérusalem:</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1716200084_is1.png" class="img-responsive img-fluid center " width="505" height="727" /></p>
<p>Quelques dizaines de milliers d’autres vivent sur le plateau du Golan, formellement un territoire syrien annexé en 1981. Jérusalem-Est a été annexée dans les faits en 1980. Ces territoires, ainsi que Gaza, sont considérés comme des territoires occupés en vertu du droit international. Les annexions et les colonies sont illégales en droit international. Le transfert de la population israélienne vers les territoires occupés est interdit par la quatrième convention de Genève et peut constituer un crime de guerre selon le statut de Rome de la Cour pénale internationale. L’Etat d’Israël a joué un rôle décisif dans la colonisation. Il a encouragé le transfert de sa population en confisquant des terres, en construisant des infrastructures et en offrant des incitations fiscales aux citoyens israéliens pour qu’ils établissent leur résidence dans les territoires occupés. La proportion de colons «économiques» – c’est-à-dire de personnes qui se sont installées dans les colonies illégales de Jérusalem-Est ou de Cisjordanie pour des raisons financières ou d’autres raisons pragmatiques – diminue par rapport aux colons «idéologiques». La plupart de ces derniers considèrent que ces terres leur appartiennent pour des motifs religieux ou historiques. Certains prétendent qu’elles ont été données par Dieu au peuple juif. La présence de sanctuaires juifs, comme le Caveau des Patriarches à Hébron, est pour eux une preuve suffisante qu’ils ont le droit d’occuper ces lieux. Ils parlent de territoires «libérés». Certains accepteraient de les désigner comme des territoires «contestés».</p>
<p>Quant aux Palestiniens, ils s’en tiennent à une interprétation stricte du droit international, selon laquelle tous les territoires occupés par Israël après la guerre des 6 jours de 1967 doivent faire partie d’un futur Etat palestinien. Cela signifie que plus de 700'000 colons devraient se retirer. Comment y parvenir? En 2005, le gouvernement israélien du Premier ministre Ariel Sharon a retiré 8'000 colons de 21 colonies de Gaza. Cet événement est devenu un drame national. Il est difficile d’imaginer comment près de 100 fois plus de personnes pourraient être expulsées de force de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Qui s’en chargerait? A mesure que la proportion de colons augmente dans la population totale pour atteindre un peu moins de 10%, il en va de même pour ce qui est de la présence des colons dans l’armée et la police israéliennes. Et ce sont ces deux institutions qui seraient évidemment chargées d’évacuer les colons. Dès lors, cela devient difficilement concevable.</p>
<p>En outre, une partie, petite mais efficace, des colons devient de plus en plus organisée et violente. Cette tendance se poursuit depuis une dizaine d’années. Betselem, une ONG israélienne renommée de défense des droits de l’homme, a calculé que 2 millions de dunums de terres occupées ont été accaparés par Israël, ce qui correspond presque à la taille de l’Etat du Luxembourg. L’ONG fait également état d’une augmentation constante des incidents violents commis par les colons, y compris des meurtres de Palestiniens. Ceux-ci ont encore bondi après le 7 octobre. De leur côté, l’armée et les autres forces de sécurité ne se sont pas montrées disposées à mettre un frein à la violence des colons, bien au contraire. De nombreux rapports montrent que le personnel de sécurité se contente de regarder les colons harceler les Palestiniens, voire pire.</p>
<p>La montée de la violence des colons est le miroir d’un paysage politique israélien qui a glissé vers l’extrême droite. On entend par là une attitude de défiance totale à l’égard de tout retrait des territoires occupés et un refus absolu d’envisager l’octroi d’un Etat aux Palestiniens. Cette attitude extrême est également ancrée dans la crainte existentielle de nombreux Israéliens d’être un jour dépassés en nombre par les Palestiniens. La rhétorique et les actions de nombreux dirigeants palestiniens, arabes ou musulmans, comme le régime iranien, confortent les Juifs israéliens dans leur conviction que, sans un contrôle sécuritaire total sur les Palestiniens et une supériorité militaire stratégique sur les Etats voisins, ce serait l’existence même d’Israël qui serait menacée. </p>
<p>Pour l’instant, sur le territoire contrôlé par Israël, de la mer Méditerranée à la mer Morte, vivent à peu près le même nombre de Juifs et de non-Juifs, principalement des personnes qui s’identifient comme Palestiniens, en majorité musulmans, mais comportant aussi une petite minorité chrétienne encore influente. Le 7 octobre a provoqué un choc psychologique. Pour une partie encore plus importante de la population juive israélienne, il est devenu évident que vivre aux côtés d’un Etat palestinien équivaudrait à partager son lit avec le diable. Les sondages effectués au cours du premier trimestre 2024 indiquent un soutien presque total à l’éradication du Hamas, quel que soit le coût en vies palestiniennes innocentes. L’empathie pour les victimes civiles palestiniennes est pratiquement inexistante. Tout compromis avec le Hamas ou les Palestiniens en général serait perçu comme une humiliation et une défaite menaçant l’existence même de l’Etat d’Israël. La détermination de l’opinion publique israélienne pourrait être renforcée par les sondages effectués auprès de la population palestinienne, qui montrent un soutien constant de plus de 70% à l’action entreprise par le Hamas le 7 octobre. </p>
<p>Se retirer ne serait-ce que d’un pouce de la Cisjordanie ne serait pas seulement perçu comme une concession inacceptable à la terreur. Ce serait également faire un cadeau majeur au pays qui a été constamment présenté comme l’ennemi juré d’Israël depuis au moins le retour au pouvoir de Netanyahou en 2009: l’Iran. Il est devenu soudainement évident pour tout le monde que, à la suite d’un certain nombre d’erreurs stratégiques commises par les Etats-Unis et Israël au cours des vingt dernières années, l’Iran encercle aujourd’hui Israël sur au moins cinq fronts: le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen et Gaza. L’agression de Bush junior contre l’Irak a été l’erreur stratégique la plus lourde de conséquences commise par le principal allié d’Israël. Elle a permis au régime islamique de Téhéran de construire un pont terrestre jusqu’à la frontière même d’Israël, au Liban. Le JCPOA, l’accord nucléaire conclu par l’administration Obama en 2015, aurait pu offrir une opportunité de normaliser progressivement les relations entre les Etats-Unis et l’Iran, ce qui aurait pu être utilisé pour alléger la menace que le Hezbollah libanais fait planer sur Israël. Mais Donald Trump s’est retiré de l’accord, avec le plein soutien du Premier ministre israélien. L’Iran a alors poursuivi sa manœuvre d’encerclement autour d’Israël, qui apparaît aujourd’hui être l’otage de la dynamique Washington-Téhéran.</p>
<p>Par conséquent, pour des raisons pratiques – les colons –, politiques, psychologiques et stratégiques, il semble hautement improbable qu’Israël soit prêt à envisager dans un avenir proche les douloureux compromis qu’impliquerait nécessairement une solution à deux Etats. </p>
<p>Du côté palestinien, les obstacles devraient être beaucoup moins nombreux. Le droit international, à savoir une solution basée sur les frontières de 1967, est très à l’avantage des Palestiniens. Le Hamas n’a cependant pas abandonné son intention de de créer un Etat palestinien «du fleuve à la mer», ce qui équivaut à éliminer l’Etat d’Israël. En 2017, le mouvement islamiste a pourtant publié un nouveau document dans lequel il affirmait être prêt à envisager la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967 dans le cadre d’une trêve ou d’une <i>hudna</i> à long terme, ce qui constitua un signe de compromis largement ignoré. Cette position a été réaffirmée en avril 2024 à l’occasion d’une rencontre entre le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, et le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan. Il a même été rapporté que le Hamas supprimerait sa branche armée si un Etat palestinien était établi dans les frontières de 1967. Mais le Hamas n’est pas seul dans cette bataille. Il fait partie de ce que l’on appelle «l’axe de la résistance». Ce groupe de coordination anti-israélien, dirigé par les Gardiens de la révolution iraniens, associe le régime syrien, le Hamas et d’autres milices palestiniennes comme le Jihad islamique, le Hezbollah libanais, les milices irakiennes et les Houthis yéménites. Ils ont le sentiment d’être du côté des vainqueurs de cette guerre et ne sont donc pas sous pression pour faire des compromis. La situation est donc bloquée des deux côtés. </p>
<h3>Oui, la solution à deux Etats est toujours possible - Le point de vue de l’optimiste</h3>
<p>En 2022, Shaul Arieli, ancien colonel israélien reconnu comme le meilleur expert des colonies et des colons, a publié une étude approfondie sur le sujet. Il conclut que l’idée selon laquelle les colonies de Jérusalem-Est et de Cisjordanie ont rendu impossible la solution à deux Etats est une apparence trompeuse qui ne résiste pas à une analyse détaillée. Parmi ses principales conclusions, il a constaté que:</p>
<ul>
<li>Grâce à des échanges territoriaux dans une proportion de 1 pour 1, près de 80% des colons vivraient à l’intérieur des frontières d’Israël à la suite d’un accord de paix.</li>
<li>Parmi les 20% restant dans ce qui serait alors un Etat palestinien, une grande majorité serait prête à envisager une réinstallation en Israël à condition que des compensations soient offertes.</li>
<li>Au sein de ce même groupe, seule une infime proportion serait prête à recourir à des actes de résistance illégaux ou violents, tandis que la grande majorité n’envisagerait qu’une opposition légale.</li>
<li>Une immense majorité des colons est consciente du risque de devoir un jour se réinstaller à l’intérieur de la frontière israélienne.</li>
</ul>
<p>En outre, l’étude montre que les trois objectifs définis par les gouvernements israéliens qui ont planifié l’entreprise de colonisation (plan Allon, 1967; plan Sharon, 1977) n’ont pas été atteints, à savoir:</p>
<ol>
<li>Encercler toute entité politique arabe avec des territoires israéliens, en délimitant une frontière reflétant les priorités israéliennes.</li>
<li>Empêcher la création d’un Etat palestinien indépendant avec une contiguïté territoriale en assurant une présence israélienne substantielle, en particulier le long de la crête montagneuse centrale.</li>
<li>Annexer à l’Etat d’Israël la totalité ou une partie importante des territoires occupés, sans remettre en cause la vision sioniste d’un Etat démocratique à majorité juive. </li>
</ol>
<p>Aujourd’hui, les colons juifs ne représentent que 14% de la population de la Cisjordanie (territoire appelé Judée et Samarie par les Israéliens). Comme indiqué plus haut, près de 80% de ce groupe se retrouverait en Israël à la suite d’un échange de territoires où la même surface de terre serait échangée entre l’Etat israélien et l’Etat palestinien selon la proposition suivante:</p>
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<p>Parmi les 20% qui resteraient à évacuer, soit environ 100’000 personnes, ou 20 à 25’000 ménages, seule une infime partie est prête à lutter contre une solution à deux Etats par des moyens illégaux, alors que la plupart d’entre eux accepteraient de se réinstaller moyennant des compensations.</p>
<p>Le bon sens voudrait que la féroce explosion de violence qui s’est produite le 7 octobre et ses conséquences aient créé des barrières psychologiques et politiques encore plus élevées empêchant toute reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens. Toutefois, ce n’est peut-être pas le cas. Même si l’opinion publique israélienne soutient dans sa grande majorité la destruction du Hamas quel qu’en soit le coût humain, une prise de conscience brutale a eu lieu. La conscience que la question palestinienne ne peut plus être ignorée et s’est imposée dans la société. La gestion éternelle du conflit n’est pas une option souhaitable pour un nombre croissant de Juifs israéliens. Les sondages du premier trimestre 2024 indiquent qu’après le choc initial, une tendance se dessine en faveur de la solution à deux Etats. Au sein de la population palestinienne, elle s’élève à 45%, en augmentation. En Israël, 35% de la population juive exprime son soutien, soit 40% de l’ensemble de la population. Il est intéressant de noter que lorsque cette option est combinée à une normalisation avec l’Arabie Saoudite, ce chiffre grimpe à 52%.</p>
<p>Dans ce climat, le désir de séparation est beaucoup plus fort aujourd’hui qu’avant le 7 octobre. Par conséquent, les Israéliens pourraient être davantage disposés à payer le prix de l’évacuation des colonies. Plus de 100'000 Israéliens ont quitté leurs maisons dans le nord de la Galilée et dans les environs de Gaza après l’attaque du 7 octobre et les attaques du Hezbollah sur le nord d’Israël. La relocalisation n’est plus considérée comme inacceptable. Du côté palestinien, il y a également plus de voix aujourd’hui qui osent accuser le Hamas d’être responsable du désastre humanitaire qui a résulté des représailles israéliennes. </p>
<p>Cela dit, pour sortir de cette tragédie, il faudra un <em>leadership</em> politique. On imagine mal Benjamin Netanyahu s’asseoir avec Mahmoud Abbas – sans parler d’Ismail Haniyeh ou de Yahya Sinwar – pour discuter de la fin du conflit. Du côté palestinien, on peut s’attendre à ce que le Hamas soit sérieusement affaibli, tant politiquement que militairement, à l’issue du conflit. Il y aura une chance unique de rafraîchir la direction palestinienne au sein d’un gouvernement unique. Cela n’a que trop tardé. Depuis 2007, la division entre Gaza et la Cisjordanie constitue un obstacle majeur à tout effort sérieux en faveur de la paix. Du côté israélien, les manifestations massives et les sondages montrent qu’il y a de fortes chances que Netanyahou soit démis de ses fonctions peu après la fin de cette guerre. Certains experts soupçonnent que c’est l’une des raisons pour lesquelles Israël a constamment essayé de provoquer l’Iran dans une escalade régionale. Les personnes les mieux placées pour succéder au Premier ministre qui est resté le plus longtemps en poste dans l’histoire d’Israël seraient toutes mieux préparées à trouver un arrangement avec les Palestiniens. Bien sûr, il reste une infime possibilité que les faucons israéliens, Smotrich et Ben Gvir, conservent des positions de pouvoir. Leur politique ne peut que conduire à de nouvelles effusions de sang. C’est là que la communauté internationale devrait jouer un rôle décisif. </p>
<p>Comme indiqué plus haut, tous les grands acteurs internationaux, y compris les Etats-Unis, la Chine, la Russie et les puissances européennes, ont souligné qu’il n’y avait pas d’alternative à la solution à deux Etats. Aux Etats-Unis en particulier, l’actuel Premier ministre d’Israël et ses politiques sont de moins en moins compris. C’est également le cas dans plusieurs pays européens, en particulier l’Espagne et l’Irlande. Pendant très longtemps, les pays occidentaux ont été réticents à exercer une réelle pression sur Israël. Cette tolérance diminue rapidement.</p>
<h3>Un point de vue réaliste</h3>
<p>Le bon sens dit que pour ramener la paix au Moyen Orient, trois facteurs doivent être réunis: un Premier ministre israélien suffisamment fort pour faire des compromis; un dirigeant palestinien capable d’unir les différentes factions palestiniennes; un président américain prêt à utiliser son capital politique pour amener les deux communautés à conclure un accord. La guerre a causé d’immenses traumatismes et souffrances au sein des populations israélienne et palestinienne. Un retour au <em>statu quo ante</em> est peu probable. Pire: il s’agirait d’une nouvelle occasion manquée dont les conséquences pourraient être encore plus tragiques.</p>
<p>Il a été démontré plus haut qu’une solution à deux Etats reste techniquement possible. Sur le plan psychologique, les deux sociétés, comme le révèlent les sondages, semblent comprendre qu’il est nécessaire, pour leur simple survie, de dépasser le conflit. Les Palestiniens ont des raisons de craindre que les politiques israéliennes ne réduisent encore l’espace dans lequel ils peuvent vivre. Les Juifs israéliens ont tout autant de raisons de craindre d’être un jour submergés par leurs voisins. L’Iran n’est-il pas présent, directement ou par l’intermédiaire de ses alliés, sur cinq de ses frontières? Les représailles iraniennes contre le territoire israélien à la mi-avril, à la suite de l’attaque israélienne contre le consulat iranien à Damas dix jours auparavant, donnent un avant-goût du coût d’une escalade régionale. Israël et ses alliés auraient dû dépenser plus d’un milliard de dollars pour se protéger contre les missiles et les drones iraniens. Une escalade régionale peut-elle être évitée si un processus politique significatif n’est pas mis sur les rails? Quelles sont les alternatives à la solution à deux Etats? Un nettoyage ethnique dans un sens ou dans l’autre? Une guerre régionale impliquant les Etats-Unis et l’Iran, qui bénéficierait très probablement d’un soutien important de la part de la Russie? L’ampleur des destructions serait impensable et ne peut être dans l’intérêt de personne.</p>
<p>D’un autre côté, de nombreux travaux préparatoires ont été réalisés pour mettre au point la solution à deux Etats. Les paramètres Clinton (2000), mais aussi les résultats des pourparlers Olmert-Abbas (2008), restent des bases solides pour un accord. Mais le plan le plus détaillé est probablement le fruit du travail d’experts israéliens et palestiniens qui faisaient partie des deux équipes de négociation dans les années Clinton. Ils ont conçu un modèle d’accord de 500 pages, souvent connu sous le nom d’Initiative de Genève. Il ressort de ce document et d’autres qu’une paix est non seulement possible, mais qu’elle est aussi beaucoup moins coûteuse que n’importe quelle autre option. Il y aurait des échanges de terres dans une proportion de 1 pour 1 afin de ramener le plus grand nombre possible de colons à l’intérieur des frontières israéliennes. La Palestine serait un Etat démilitarisé et une solide coordination sécuritaire sous supervision internationale serait établie entre les deux Etats. D’autre part, la Palestine bénéficierait d’une continuité territoriale grâce à un corridor terrestre reliant la Cisjordanie et Gaza. Jérusalem-Est serait la capitale de la Palestine et un régime spécial serait convenu pour le Mont du Temple/Haram al-Sharif. L’épineuse question des réfugiés palestiniens serait résolue principalement par des compensations financières. Israël ne serait pas submergé par des millions de réfugiés palestiniens, comme le menacent parfois ceux qui ne sont pas intéressés par un compromis.</p>
<p>D’autres solutions sont à l’étude, comme une confédération ou un Etat binational. Aucune d’entre elles n’éviterait toutefois de devoir traiter les questions épineuses mentionnées ci-dessus. Mais si, techniquement, la solution à deux Etats reste possible, il n’est pas certain que les grandes puissances soient en mesure d’assurer l’investissement politique colossal qu’elle nécessiterait pour éliminer les extrémistes qui, de part et d’autre, veulent prolonger le conflit.</p>
<p>C’est probablement le plus grand défi à relever: affaiblir les extrêmes. Du côté israélien, les forces qui s’opposent à la solution à deux Etats doivent être isolées politiquement. Les colons impliqués dans les violences contre les Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem doivent être punis pour leurs crimes. Les pays occidentaux doivent être fidèles à leurs principes et insister sur le fait que sans la fin de l’impunité, il y aura des conséquences. Désamorcer les fauteurs de troubles du côté palestinien peut s’avérer plus délicat. Le Hamas et d’autres factions violentes peuvent être affaiblis, mais ils ne disparaîtront probablement pas. Il n’y a pas de voie claire vers un nouveau système de gouvernance régissant à la fois la Cisjordanie et Gaza – et Jérusalem-Est en temps voulu. Est-ce qu’imposer un gouvernement choisi par les Etats arabes, avec l’accord des Etats-Unis et d’Israël, serait une bonne approche? D’un autre côté, des élections pourraient ramener le Hamas, qui reste plus populaire que le Fatah d’Abbas, en position de vainqueur, comme en 2006. Israël et l’Occident seraient-ils prêts cette fois à faire ce qu’ils ont refusé de faire il y a près de vingt ans, à savoir reconnaître comme légitime un gouvernement dirigé par le mouvement islamiste? Cela nécessiterait une révolution dans leurs politiques.</p>
<p>En fin de compte, la dynamique régionale jouera un rôle crucial. Sur la base des accords dits d’Abraham et de la normalisation des relations entre Téhéran et Ryad obtenue à Pékin en 2023, un cercle vertueux pourrait être encouragé entre Israël, les différentes factions palestiniennes et les puissances régionales. L’initiative de paix arabe, proposée par le roi saoudien en 2002, reste d’actualité. Elle propose la paix avec tous les pays arabes en échange de la fin de l’occupation. Tout au long de la guerre de Gaza, Washington et Téhéran se sont efforcés d’éviter une escalade régionale. Même l’attaque iranienne contre le territoire israélien, le 14 avril 2024, a été soigneusement calibrée avec l’intention déclarée d’éviter une escalade incontrôlable. Cela pourrait-il être le prélude à la reprise d’une approche plus constructive de la part des principaux acteurs?</p>
<p>Pour museler les extrêmes tout en offrant des incitations aux autres, il faudrait aussi que, après une longue, très longue période, Washington, Pékin et Moscou acceptent de travailler ensemble – ou du moins de ne pas perturber les efforts de l’une des autres puissances. Sont-ils prêts à coopérer sur le Moyen-Orient malgré leur concurrence mondiale, l’Ukraine et Taiwan? Il devrait être clair pour tout le monde que les avantages d’une coopération en vue d’une solution à deux Etats l’emportent largement sur les coûts. Cette solution ouvrirait une nouvelle ère qui profiterait à tous les habitants de la région et, en fin de compte, au monde entier.</p>
<p>En résumé, la solution à deux Etats reste souhaitable et est techniquement réalisable. Cependant, les obstacles psychologiques et politiques sont énormes. Et la volonté politique de consentir les investissements courageux et risqués nécessaires à l’ouverture d’une véritable perspective de paix n’est nulle part aussi massive qu’elle devrait l’être.</p>',
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'subtitle' => 'Catherine et Pierre forment un couple épanoui. Tout allait bien entre eux jusqu’au jour où Catherine a soupçonné une transformation inquiétante chez son mari. Ce récit de l’auteur lausannois Pierre Ronpipal est publié en trois épisodes, les 13, 20 et 27 décembre.',
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'content' => '<h4>Un récit de Pierre Ronpipal</h4>
<hr />
<p>Dans dix jours c’est Noël mais ce qui tous les ans est une réjouissance pour moi pourrait bien cette année devenir un cauchemar. A cause de mon mari.</p>
<p>Pierre m’est fidèle, j’en suis certaine, même s’il a eu, comme moi, quelques aventures extraconjugales. Il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p>
<p>Mais Pierre a changé.</p>
<p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p>
<p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p>
<p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. Ce que j’ai découvert est effrayant…</p>
<p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p>
<hr />
<h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="149" height="206" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /><span>et de<br /></span><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="154" height="207" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a></h4>',
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<div><hr />
<p>A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1<sup>er</sup> décembre, se sont soldées par un <a href="https://www.rts.ch/info/sciences-tech/environnement/2024/article/echec-des-negociations-du-traite-sur-le-plastique-a-la-session-busan-28713049.html">échec</a>. Les négociations devraient reprendre à une date ultérieure.</p>
<p>En réalité, les négociations sont surtout sont le théâtre de récits concurrents qui s’affrontent. En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p>
<ul>
<li>
<p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p>
</li>
<li>
<p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. Au lieu de cela, ils accusent des <a href="https://psmag.com/environment/the-epa-blames-six-asian-nations-that-the-u-s-exports-plastic-waste-to-for-ocean-pollution/">systèmes de recyclage inadéquats et une mauvaise gestion des déchets</a>.</p>
</li>
</ul>
<p>L’attention portée au recyclage des plastiques et à la gestion des déchets touche en réalité des millions de personnes en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.</p>
<p>Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.</p>
<p>Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.</p>
<h3>Qui sont les ramasseurs informels de déchets?</h3>
<p>Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344924001824#sec0021">grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale</a>. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p>
<p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p>
<p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p>
<ul>
<li>
<p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p>
</li>
<li>
<p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p>
</li>
</ul>
<p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p>
<h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3>
<p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p>
<p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p>
<p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p>
<p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p>
<p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p>
<p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p>
<h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3>
<p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p>
<figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a>
<figcaption><span></span></figcaption>
</figure>
<p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p>
<p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p>
<p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p>
<p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p>
<p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p>
<p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p>
<p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p>
<p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. Ils restent toujours relégués aux mêmes tâches manuelles et difficiles, même si leurs conditions de travail en ressortent légèrement améliorées.</p>
<h3>L’industrie du plastique maintient le <em>statu quo</em></h3>
<p>Malgré les bonnes intentions de départ, des termes tels que «économie circulaire inclusive» sont donc trop souvent utilisés à des fins de <em>green washing</em> et même de <em>justice washing</em>, tandis que les travailleurs continuent à endurer des conditions difficiles. Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p>
<p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p>
<p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p>
<p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p>
<p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p>
<h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3>
<p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p>
<p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p>
<p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p>
<p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p>
<p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p>
<hr />
<h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4>
<h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4>
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<hr />
<p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. L'UE et les Etats membres de l'UE financent les 20 % restants.</p>
<p>Avec un budget annuel de 20 millions d'euros et plus de 150 journalistes sur tous les continents, l'<a href="https://www.occrp.org/en">OCCRP</a> − en partie en collaboration avec le <a href="https://www.icij.org/">Réseau international des journalistes d'investigation</a> ICIJ − a lancé les plus grands projets internationaux de journalisme d'investigation de ces dernières années. Parmi eux, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Panama_Papers"><em>The Panama Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pandora_Papers"><em>Pandora Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Suisse_Secrets"><em>Suisse Secrets</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/narcofiles-the-new-criminal-order"><em>Narco Files</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/the-pegasus-project/about-the-project"><em>Pegasus Project</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Cyprus_Confidential"><em>Cyprus Confidential </em></a>et la série <a href="https://de.wikipedia.org/wiki/Die_Geldw%C3%A4scherei"><em>Laundromat</em></a>, qui a révélé les systèmes de blanchiment d'argent des élites dirigeantes en Azerbaïdjan et en Russie.</p>
<h3><strong>Non sans conditions</strong></h3>
<p>Les agences gouvernementales américaines ne financent pas l'OCCRP sans contrepartie: l'<a href="https://www.usaid.gov/"> U.S. Agency for International Development</a> dispose d'un droit de veto sur la nomination des dirigeants de l'OCCRP. De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p>
<p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p>
<p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p>
<p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p>
<p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p>
<p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p>
<p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p>
<h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3>
<p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». Confronté aux dernières découvertes, il a finalement reconnu l'importance du financement de Washington: «C'est le plus grand bailleur de fonds de l'OCCRP, oui, et ce depuis presque le début de notre histoire. [...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p>
<p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p>
<h3><strong>Conditions posées</strong></h3>
<p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p>
<p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p>
<p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p>
<p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p>
<p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p>
<h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3>
<p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p>
<p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p>
<p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p>
<p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p>
<h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3>
<p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p>
<p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. Des faits presque incroyables sur le travail de relations publiques du Pentagone.</p>
<p><strong>20 avril 2008</strong> <a href="https://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/gekaufte-meinung-pentagon-beschaeftigt-pr-armee-fuer-us-tv-a-548519.html">Le Pentagone emploie une armée de RP pour la télévision américaine</a>. Avec une gigantesque troupe de RP, le gouvernement Bush a trompé l'opinion publique américaine pendant des années.</p>',
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<p>Envoyez-nous un mail à [email protected] avec votre adresse postale et votre choix d’abonnement (1 an, 6 mois, 3 mois ou 1 mois).</p>
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en amérique du nord, pour "résoudre" la question amérindienne, les colons européens ont eu recours au nettoyage ethnique et à des moyens démocidaires (massacres de grande ampleur, épidémies utilisées contre les amérindiens, génocide des bisons pour détruire la base économique de populations amérindiennes) et ethnocidaires (déculturation).
au moyen-orient, pour "résoudre" la question palestinienne, les colons juifs sionistes ont eu recours en 1948-49 au nettoyage ethnique de 750'000 palestiniens, mais les judéofascistes sionistes actuels non seulement rêvent d'achever le nettoyage ethnique commencé en 1948, mais sont aussi hantés par les "solutions" les plus extrêmes.
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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@willoft 24.05.2024 | 05h34
«Excellent même si je ne vois pas comment on a pu créer un futur état en 3 parties, sinon avec le but et dès 1947, d'avaler le tout.
Sur les mêmes arguments israéliens, les États-Unis peuvent rendre leurs terres aux amérindiens.»
@XG 24.05.2024 | 09h38
«Article excellent qui ouvre des perspectives et rend un peu d'espoir, pour autant que tous y mettent de la bonne volonté, ce qui ne semble pas encore être le cas aujourd'hui. Mais tout peut changer très vite, une fois que Netanyahu sera parti pour de bon cette fois et que Mahmoud Abbas aura été remplacé aussi. »
@Pibeck 24.05.2024 | 14h52
«Je crois plus en un Etat binational laïque. Il mettrait fin à cette absurdité d’un « Etat juif ET démocratique » . Les deux parties doivent apprendre à vivre ensemble comme en Afrique du sud, en Suisse, l’Alsace, la Belgique. Est-ce plus difficile que le plan à deux Etats présenté dans cet eccellent article de J.-D. Ruch dont je me réjouis de lire le livre « Crimes et Tremblements » (ed. Favre ».»
@Christophe Mottiez 27.05.2024 | 18h07
«article très intéressant, mais dommage que la solution d'un seul état confédéral ou multiculturel ne soit pas davantage développée.
en prolongement du commentaire de @willoft 24.05.2024 | 05h34:
en amérique du nord, pour "résoudre" la question amérindienne, les colons européens ont eu recours au nettoyage ethnique et à des moyens démocidaires (massacres de grande ampleur, épidémies utilisées contre les amérindiens, génocide des bisons pour détruire la base économique de populations amérindiennes) et ethnocidaires (déculturation).
au moyen-orient, pour "résoudre" la question palestinienne, les colons juifs sionistes ont eu recours en 1948-49 au nettoyage ethnique de 750'000 palestiniens, mais les judéofascistes sionistes actuels non seulement rêvent d'achever le nettoyage ethnique commencé en 1948, mais sont aussi hantés par les "solutions" les plus extrêmes.
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