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Analyse / Assassiné en 1987, Thomas Sankara, «le Che» africain, n'est pas mort


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Le mois dernier à Niamey, la junte au pouvoir remplaçait un monument colonial par une plaque à l’effigie du capitaine Thomas Sankara. Anti-impérialiste, écologiste et féministe convaincu, l’ancien président du Burkina Faso continue de fasciner. Son discours historique du 4 octobre 1984 à la tribune des Nations-Unies électrise toujours la jeunesse africaine et inspire une nouvelle génération de leaders africains. Au point qu’il est impossible de comprendre l’Afrique de l’Ouest aujourd’hui sans se référer à l’idéologie sankariste.



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«A bas l’impérialisme, à bas le néocolonialisme, à bas le racisme, à bas le fantochisme!», s’insurgeait le capitaine Thomas Sankara, leader de la Révolution démocratique et populaire du Burkina Faso dans les années 1980 et partisan d’une transformation radicale de la société africaine. Des slogans qui sont aussi ceux des nouveaux leaders africains qui, ces dernières années, ont pris le pouvoir par la force au Mali, au Burkina Faso et au Niger, renversant des gouvernements devenus impopulaires en raison de leur incapacité à lutter contre la menace djihadiste et de leur coopération trop étroite avec la France.

Une France à laquelle ces pays s’efforcent désormais de tourner le dos: après avoir expulsé les troupes françaises de la région et réduit les relations diplomatiques avec Paris, des rues et des monuments évoquant l’ancienne puissance coloniale sont renommés, comme ce fut le cas le mois dernier dans la capitale nigérienne. Le monument dédié aux victimes des deux guerres mondiales a ainsi été rebaptisé «Bubandey Batama» («à nos morts» en langue djerma) en hommage aux victimes de la colonisation; la place de la Francophonie est devenue la place de l’Alliance-des-Etats-du-Sahel; et l’avenue Charles de Gaulle est désormais celle de Djibo Bakary, figure de la lutte pour l’indépendance du pays dans les années 50.

Un capital de sympathie hors du commun

On pourrait s’étonner, toutefois, de voir la place Parfait-Louis Monteil, du nom d’un officier et explorateur français de la fin du XIXème siècle, prendre le nom d’un ancien président, celui d’un Etat voisin de surcroît. Preuve que Thomas Sankara, qui accéda au pouvoir en 1983 grâce à un coup d’Etat militaire en Haute-Volta – qu’il rebaptisa Burkina Faso («le pays des hommes intègres» en langues dioula et moré) – est aujourd’hui l’icône de tout un continent. Du petit peuple surtout, de la jeunesse en particulier qui, près de 40 ans après sa mort, continue de porter avec fierté des t-shirts à son effigie.

Certes, Thomas Sankara était un homme charismatique et accessible, qui participait aux courses locales de cyclisme, jouait au foot avec ses collègues et sortait volontiers sa guitare. Opposé au culte de la personnalité, il avait refusé que son portrait soit affiché dans les lieux publics. Autant de traits personnels qui le distinguent de nombreux hommes d'Etat africains, mais qui ne suffisent pas à expliquer un tel engouement.

Car ce sont bien ses idéaux qui, 40 ans plus tard, continuent de séduire de nombreux Africains.

Anti-impérialiste, communiste, écologiste, féministe, panafricaniste et bien décidé à prendre en main le destin de son pays, le «Che Guevara africain», comme on le surnomme parfois, a surtout su redonner de l’espoir à un continent accablé. Et de la dignité à son pays, huitième plus pauvre du monde, en refusant toute aide internationale, laquelle «instille dans nos esprits des réflexes de mendiants et d’assistés», affirmait-il.

Pas d’argent, mais des idées

Mieux encore: en quatre ans, il réussit à prouver que l’Afrique est capable de mener seule son développement économique: ainsi, persuadé qu’un pays composé de 80% de paysans est en mesure de nourrir sa population, il mène le Burkina Faso, alors ravagé par la famine, à l’auto-suffisance alimentaire. Sous sa présidence, le taux de scolarisation passe de 6% à 22%, tandis que des centaines de milliers de logements, des barrages et cent kilomètres de voies ferrées voient le jour. Deux millions d’enfants sont vaccinés et, pour reboiser le désert, dix millions d’arbres plantés. La lutte contre la désertification étant, selon lui, un acte anti-impérialiste, il demandera en outre aux grandes puissances de prendre leurs responsabilités en affectant 1% de l’argent de la recherche spatiale à la préservation des forêts. En 1985 déjà!

Par ailleurs, convaincu que le développement du pays passe par l’émancipation des femmes, il interdit l’excision, crée la semaine nationale de la femme et instaure la journée hebdomadaire du marché masculin lors de laquelle seuls les hommes sont autorisés à faire les emplettes. Une révolution compte tenu des mentalités. Il nomme également trois femmes ministres, une première!

Le mythe Sankara

Outre ses actions, son implacable réquisitoire onusien de 1984 contre les grandes puissances, passé à la postérité, marque l’acte fondateur du mythe Sankara. Pendant près d’une heure, devant les plus grands représentants de la planète, le tout jeune et nouveau président du Burkina Faso y avait livré sa vision des enjeux géopolitiques mondiaux, abordant des thèmes – conflit israélo-palestinien, préservation de l’environnement, famine dans le monde, etc. –  qui restent d’une surprenante actualité. «Un texte encore plus fort que le I have a dream de Martin Luther King et qui devrait être enseigné dans les écoles africaines», estime le rappeur star sénégalais Didier Awadi qui, à l’instar de nombreux autres artistes d’Afrique de l’Ouest, se revendique héritier de Sankara.

Des idées qui dérangent

La révolution sankarienne ne plaît toutefois pas à tout le monde. Révolté par la corruption des anciens dirigeants voltaïques qu’il traîne devant les tribunaux populaires, Sankara réduit également les dépenses de l’Etat: les Renault 5 remplacent les limousines aux vitres teintées et les salaires de ses collègues sont revus à la baisse. Lui-même ne gagne que 138'736 francs CFA par mois (env. CHF 200.-).

Désireux d’imposer aux autres sa vie frugale, il fait fermer les night clubs du pays «où le prix d’un Coca Cola équivaut au salaire mensuel d’un agriculteur» et crée les bals populaires. Autant de décisions mal vues par la petite bourgeoisie du pays. Dans son entourage, la colère enfle. D’autant que les comités de défense de la révolution et les tribunaux populaires qu’il instaure font du zèle, commettant dérives et abus.

Quant à la communauté internationale, qui fait contre mauvaise fortune bon cœur devant le jeune capitaine, à l’instar de François Mitterrand, elle se débarrasserait volontiers de ce partenaire aussi incorruptible que peu commode. L’engagement de Sankara sur la scène internationale en faveur de l’annulation de la dette des pays du tiers-monde, qu’il refuse de payer, achèvera de signer son arrêt de mort. Il sera assassiné le 15 octobre 1987 lors d’un coup d’Etat mené par son compagnon d’armes, Blaise Compaoré. Ce dernier dirigera alors le pays pendant près de 20 ans, rétablira la coopération avec la France et mettra un terme à tous les projets de Sankara.

De nouveaux leaders sankaristes

Quarante ans plus tard, le héros de la révolution burkinabé reste, pour de nombreux Africains, un exemple que s’efforce de suivre aujourd’hui Ibrahim Traoré, chef d’Etat du Burkina Faso depuis deux ans. Comme Sankara avant lui, Ibrahim Traoré porte le grade de capitaine, il a pris le pouvoir par un coup d’Etat à l’âge de 34 ans, a milité dans une organisation estudiantine d’inspiration marxiste et a renoncé au salaire présidentiel, conservant toutefois son salaire de capitaine. Lui aussi séduit la jeunesse burkinabé – qui représente 70% de la population du pays! – et invoque les idéaux de Thomas Sankara lors de ses discours, notamment la lutte pour la souveraineté nationale, le rejet de l’impérialisme et la solidarité panafricaine.

Il n’est pas le seul. Le colonel Assimi Goïta, l’homme fort du Mali depuis le putsch militaire de 2021, ne cache pas non plus son admiration pour l’ancien président burkinabé. Quant au général Abdourahamane Tiani, à la tête du Niger depuis un an, il vient d’ériger, on l’a vu, un monument en l’honneur de Sankara au centre de Niamey. Tous trois ont créé l’année dernière l'Alliance des Etats du Sahel, un pacte de défense mutuelle, avant de quitter cette année la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest.

Nombreux sont par ailleurs aujourd’hui les mouvements qui se revendiquent du sankarisme. En Afrique de l’Ouest, bien sûr, mais pas uniquement. Ainsi, les Combattants de la liberté économique, parti nationaliste noir d’extrême gauche fondé en 2013 en Afrique du Sud et troisième plus grand parti du parlement sud-africain, affirme également s’inspirer de Sankara en termes de style et d’idéologie.

Oser inventer l’avenir

«Sankara a réussi à provoquer un déclic chez les Africains», confiait le rappeur sénégalais Didier Awadi en 2019 sur la BBC. «Etre sankariste aujourd’hui, c’est croire en l’Afrique, défendre sa souveraineté, consommer africain, militer pour mettre un frein aux partenariats économiques qui péjorent les économies locales et régionales, c’est revendiquer une monnaie contrôlée par l’Afrique. C’est aussi être solidaire de toutes les luttes dans le monde. Bref, c’est défendre tout ce dont Sankara se réclamait, et qu’on ne nous dise pas qu’on est des rêveurs ou que l’Afrique n’en n’a pas les capacités, ce serait une insulte à notre intelligence! Car le sankarisme, c’est aussi le courage de se projeter et d’essayer d’autres modèles.»

«Oser inventer l’avenir», disait Thomas Sankara, qui estimait que la révolution est un processus vivant qui doit être repensé constamment et adapté à son époque. L’Afrique, apparemment, s’y efforce.


Retour sur les passages les plus marquants du discours historique de Thomas Sankara à la tribune des Nations-Unies le 4 octobre 1984

Un rap du musicien sénégalais Didier Awadi

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Alain Schaeffer 29.11.2024 | 09h09

«A mentionner encore le Sénégal dont les dirigeants ont également pour référence le panafricanisme de Thomas Sankhara, avec les mêmes intentions pour leur pays et l'Afrique. Une tentative de rupture par le biais de la démocratie (en témoigne les dernières élections présidentielles et législatives).»


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