Cérémonie d'ouverture le dimanche 24 juillet 2022 au mova à Ulrichen © Association Bula 2021/Jan Thoma
En ce moment a lieu le plus grand rassemblement de tous les temps de scouts suisses. Ils sont 35'000 à s’être donné rendez-vous au fin fond du Valais: il s’agit du treizième Camp Fédéral (CaFé) depuis 1925. Pendant longtemps il y eut des Camps pour les garçons et des Camps pour les filles. Les trois derniers ont réuni garçons et filles, tous les quatorze ans.
On peut se demander quel est le sens d’organiser une manifestation, qui par certains côtés ressemble à un festival open-air, pour des jeunes dont l’idéal est de se retrouver en petits groupes, les samedi après-midi, au contact avec la nature.
Une ville éphémère
Ces dernières semaines, sur les terrains des communes de Goms et Obergoms, autour de l’ancien aéroport militaire de Ulrichen, a été bâtie une ville éphémère, qui pendant deux semaines aura un nombre d’habitants à peine inférieur à celui du chef-lieu valaisan. La candidature valaisanne pour accueillir le Camp Fédéral Scout (CaFé) a été retenue après l’analyse d’une douzaine de dossiers, que le Comité organisateur a reçu il y a cinq ans. Pour la première fois, le Camp pourra se tenir en un seul lieu, sans besoin de s’organiser en sous-camps. L’infrastructure mise en place par les volontaires est impressionnante. Elle s’étend sur trois kilomètres, et au centre y apparaît une scène digne des plus grands festivals, un hangar de distribution de repas, un petit supermarché, un hôpital de camp (sans salle d’opération, mais avec un appareil à rayons X et un laboratoire d'analyses), une centrale incendie, une station radio, etc. Le Camp compte 30 kilomètres de tuyaux pour l’acheminement de l’eau, et l’évacuation des eaux usées. Y circulent environ 6'000 vélos. Tous les matins plus d’une tonne de pain arrive au Camp. Samedi 23 juillet ont commencé à arriver les jeunes scouts, acheminés en train depuis Brigue (VS) et Andermatt (UR), et en car depuis Airolo (TI) et Meiringen (BE). Quelques minutes après leur arrivée, ils ont rejoint l’un des 800 emplacements réservés aux différentes unités, où ils auront planté leurs tentes.
La force du volontariat solidaire
5'000 bénévoles travaillent au Camp, pour quelques jours ou jusqu’à six semaines. Certains membres du Comité d’organisation ont consacré jusqu’à une demi-journée par semaine, pendant cinq ans, afin de concrétiser cet immense projet. De fait, l’association qui a été constituée pour monter le CaFé ne compte que l’équivalent de deux salariés à plein-temps. Les bénévoles font de tout, et portent souvent leur expérience professionnelle au profit de l’organisation. De manière générale, les organisateurs essaient de ne pas recourir à l’externalisation et ne chargent pas les administrations locales.
Ainsi, à l’hôpital du Camp ce sont 140 professionnels de la santé qui œuvrent, et il n’a pas fallu chercher ailleurs des spécialistes de la sécurité. Parfois, les bénévoles interviennent aussi à contre-emploi. Un lieutenant-colonel des pompiers travaille comme porte-parole officiel, et un docteur en anthropologie s’habille tous les jours en grenouille verte, pour jouer le rôle d’une des mascottes du Camp. Le niveau des compétences mobilisées est très élevé, et les autorités locales ont été impressionnées par le sérieux des organisateurs. Ce n’est pas un hasard si le premier responsable du Camp a récemment été engagé à la direction de Obergoms Tourismus AG!
Bien évidemment, les volontaires n’ont pas tout pu gérer eux-mêmes, mais ils ont su établir des coopérations efficaces avec des partenaires indispensables comme l’Armée (pour l’infrastructure lourde) et les CFF (essentiellement pour l’acheminement). Une des décisions les plus difficiles que le Comité a dû prendre a été celle du déplacement du Camp de 2021 à 2022, à cause du Covid-19. Comme nous l’a expliqué Luca Gambazzi, qui a participé à trois CaFé, et qui cette année est membre du Comité de l’association, celui-ci a pris la décision du report en entière autonomie, sur la base d’une étude de faisabilité détaillée. Son équipe est par exemple allée jusqu’à évaluer la charge supplémentaire sur les égouts, causée par une augmentation du nombre de lavages de mains. On voit que le simple fait d’avoir réussi à organiser le Camp est une source de fierté pour le Mouvement Scout de Suisse.
Une attention portée à l'environnement
Les personnes interrogées s'accordent à dire que s’il y a eu un moment où la moitié de la population était sceptique au sujet de l’arrivée du Camp, les habitants ne seraient plus qu'un sur cinq à avoir encore des doutes. Le scepticisme est surtout dû à la peur que le Camp ne laisse des traces indélébiles, et qu’il ne perturbe par trop le caractère paisible de cette vallée reculée.
L’attention portée par les organisateurs à l’information de la population a fortement contribué à faire diminuer les réticences. Le gérant d’un restaurant, qui a vu pousser le Camp à une trentaine de mètres de son établissement, dit sa satisfaction quant à l’information qu’il a reçue. Ces dernières années, ce restaurateur a participé à quatre réunions publiques, et tous les deux mois une brochure décrivant l’avancement du projet lui était adressée.
Un des principes légués par Baden Powell, fondateur du mouvement scout international, est celui d’essayer de quitter ce monde en le laissant un peu meilleur qu'au moment où on l'a trouvé. Les scouts sont donc attentifs à l’impact de leurs activités sur la nature. Une sensibilisation aux questions environnementales fait partie des activités proposées au Camp. De plus, le Camp n’a pas nécessité la construction de nouvelles infrastructures, et réussit à tourner sans hypothéquer les ressources énergétiques de la région. Ainsi par exemple, le très grand hangar de distribution des repas est refroidi par le sol, avec de l’eau provenant du Rhône. Les terrains retrouveront leur état d’origine, et si nécessaire les agriculteurs seront indemnisés sur la base de barèmes fixés par l’Union des paysans suisses. D’un point de vue économique, le Camp apporte à la région environ sept fois ce que celle-ci y investit. En effet, le budget du Camp avoisine les 25 millions de francs, dont environ 7,5 millions sont dépensés dans la région. Deux tiers du budget sont couverts par les frais d’inscription des participants, qui s'élèvent à 400 francs pour les deux semaines (voyage, nourriture, activités inclus), le tiers restant étant couvert d’une part par des subventions et par d’autres soutiens variés, et d’autre part, en moindre mesure, par des entrées liées à des activités commerciales.
Un camp scout dans l'air du temps
Le Camp présente aussi des aspects assez éloignés de la tradition scoute, telle qu’elle a été établie depuis la fondation du mouvement le 1er août 1907. Des spectacles seront proposés à l’ensemble des 30'000 participants sur l’esplanade devant la grande scène. C’est l’opposé des chants autour d’un feu. Dans le Camp circulera très peu d’argent liquide, mais on pourra y utiliser Twint ou le paiement par carte. Aussi, il a semblé indispensable au Comité de disposer d’une connexion à très haut débit, et il est très fier de faire savoir que des volontaires ont réussi à tirer une fibre le long de la ligne de train de Brigue jusqu’au Camp, en seulement deux semaines. On aurait pu craindre la présence de caméras de surveillance, ou de haut-parleurs scandant le rythme de la journée. Heureusement, il n’y en a pas.
Un mouvement en bonne santé
Si on se réfère aux valeurs et aux objectifs du scoutisme, on peut se demander si un Camp ayant de telles dimensions peut vraiment y contribuer. Le CaFé permet-il un contact avec la nature, ou les scouts devront-ils rester deux semaines durant dans l’enceinte du Camp? Les activités pourront-elles être à l’initiative des petites unités, ou sont-elles toutes coordonnées de manière centrale? Les échanges pourront-ils être libres, ou les activités d’ensemble occuperont-t-elles l’essentiel du temps? De fait, deux tiers des activités sont laissés à l’initiative des différentes unités, qui organisent des jeux et des sorties comme ils le font d’habitude. Dans les unités placées loin de l’allée principale, l’ambiance est plutôt bucolique et conforme à la tradition, et les scouts vont pouvoir se lier d’amitié avec des pairs de toute la Suisse, tout en s’amusant, ce qui est un des objectifs principaux de leur activité. Ils vont ainsi entrer dans un large réseau et renforcer le mouvement.
Indiquons en passant que le CEO des CFF et le Conseiller d’Etat valaisan Darbellay ont été scout, ce qui a certainement aidé à la réussite du projet. Pour les membres du Comité, le CaFé est une démonstration de force et de vitalité. Cédric Bonnebault, Délégué cantonal à la jeunesse du Valais, confirme cette lecture. Pour lui, cela montre de quoi la jeunesse est capable. Pour Luca Gambazzi le Camp est un reflet du succès du mouvement, qui est surtout dû au fait qu’il propose des activités où les jeunes ne sont pas en compétition les uns avec les autres, et qu’il est fidèle à la tradition de maintenir les activités au contact avec la nature. Un CaFé tous les quatorze ans semble donc tout à fait pouvoir se justifier.
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Aussi, il a semblé indispensable au Comité de disposer d’une connexion à très haut débit, et il est très fier de faire savoir que des volontaires ont réussi à tirer une fibre le long de la ligne de train de Brigue jusqu’au Camp, en seulement deux semaines. On aurait pu craindre la présence de caméras de surveillance, ou de haut-parleurs scandant le rythme de la journée. Heureusement, il n’y en a pas. </p> <h3>Un mouvement en bonne santé</h3> <p>Si on se réfère aux valeurs et aux objectifs du scoutisme, on peut se demander si un Camp ayant de telles dimensions peut vraiment y contribuer. Le CaFé permet-il un contact avec la nature, ou les scouts devront-ils rester deux semaines durant dans l’enceinte du Camp? Les activités pourront-elles être à l’initiative des petites unités, ou sont-elles toutes coordonnées de manière centrale? Les échanges pourront-ils être libres, ou les activités d’ensemble occuperont-t-elles l’essentiel du temps? De fait, deux tiers des activités sont laissés à l’initiative des différentes unités, qui organisent des jeux et des sorties comme ils le font d’habitude. Dans les unités placées loin de l’allée principale, l’ambiance est plutôt bucolique et conforme à la tradition, et les scouts vont pouvoir se lier d’amitié avec des pairs de toute la Suisse, tout en s’amusant, ce qui est un des objectifs principaux de leur activité. Ils vont ainsi entrer dans un large réseau et renforcer le mouvement.</p> <p>Indiquons en passant que le CEO des CFF et le Conseiller d’Etat valaisan Darbellay ont été scout, ce qui a certainement aidé à la réussite du projet. Pour les membres du Comité, le CaFé est une démonstration de force et de vitalité. Cédric Bonnebault, Délégué cantonal à la jeunesse du Valais, confirme cette lecture. Pour lui, cela montre de quoi la jeunesse est capable. Pour Luca Gambazzi le Camp est un reflet du succès du mouvement, qui est surtout dû au fait qu’il propose des activités où les jeunes ne sont pas en compétition les uns avec les autres, et qu’il est fidèle à la tradition de maintenir les activités au contact avec la nature. 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Celles-ci ont-elles été anticipées par le Hamas?</strong></p> <p><strong>Gilles Kepel<sup>1</sup></strong>: La razzia du 7 octobre a effectivement amené un énorme chamboulement. Je ne crois pourtant pas que son ampleur ait été anticipée par le Hamas. Les jours qui ont suivi l’incursion sur le territoire israélien on pouvait encore penser qu’elle s’inscrivait dans un dessein partagé par exemple avec l’Iran. La suite a montré que cela n’a pas été le cas. Cette action commando a été décidée en autonomie par Yahya Sinwar, chef du Hamas dans la bande de Gaza. En l’appelant une razzia, je veux souligner son caractère symbolique, qui peut à lui seul la justifier. Comme le 11 septembre, le 7 octobre a montré de manière éclatante que l’ennemi a un défaut dans sa cuirasse. De plus, il ne faut pas négliger comment le choix de la date et du type d’action peuvent être lus par les Palestiniens. Les djihadistes sont des numérologues. Le samedi 7 octobre 2023, Israël fêtait Sim’hat Torah. Le jour précédent recourrait le cinquantième anniversaire du début de la Guerre du Kippour. Surtout, la cruauté des actes perpétrés à cette occasion rappelle les razzia des tribus habitant la Péninsule arabe qui, en tuant et en violant, attaquaient les tribus adverses et repartaient en emportant les enfants. L’attaque du 7 octobre fut nommée en arabe par ses initiateurs le «Déluge d’al-Aqsa», qui invoque celui, envoyé par Allah, qui noya tous les mécréants. La référence au déluge souligne le caractère virtuose du massacre. En 628, Mahomet a lui-même mené une razzia contre les Juifs vivant dans l’oasis de Khaïbar, pendant laquelle les hommes furent torturés, passés au fil de l’épée, les femmes capturées et réparties dans les harems des vainqueurs, les enfants réduits en esclavage.</p> <p><strong>Comment s’expliquer qu’une telle opération ait pu réussir?</strong></p> <p>Le Premier ministre israélien Netanyahou est otage d’une minorité, qui occupe seulement 14 sièges sur 120 à la Knesset, mais qui a la capacité de dicter son agenda. Au centre de ce programme figure l’accélération de la colonisation en Cisjordanie. Ceci s’est traduit en une stratégie qui a amené à renforcer le Hamas afin d’affaiblir l’Autorité palestinienne. Ce faisant, Netanyahou a largement sous-estimé Sinwar, qu’il avait lui-même libéré en 2011 dans le cadre d’un échange de 1'027 prisonniers palestiniens contre le caporal Gilad Shalit. Jusqu’aux Printemps arabes, le Hamas était proche de la ligne des Frères musulmans, et suivait une stratégie que l’un pourrait dire gestionnaire: il vitupérait Israël, mais avait instauré un <i>modus vivendi</i> qui semblait s’accommoder de la situation. Ceci faisait le jeu d’Israël. Après 2011, le Hamas se radicalise et s’éloigne des Frères, en se rapprochant de l’Iran, grâce à l’unique voyage à l’étranger de Sinwar. Netanyahou continue de croire que «chien qui aboie, ne mord pas», et fait en sorte que chaque semaine passent par l’aéroport Ben Gurion 40 millions de dollars en cash, provenant du Qatar à destination de Gaza. Une partie de ces sommes servira à construire les tunnels dont maintenant tout le monde est au courant. L’aveuglement du gouvernement israélien a été absolument remarquable. En octobre 2023, le mandataire Sinwar a pris l’ascendant sur ses mandants iraniens, et a marqué un énorme coup symbolique, qui ne fait pas forcément les intérêts de l’Iran, ni peut-être même pas des Palestiniens, en tout cas à court-terme. On peut penser que les services de renseignement israéliens avaient idée de ce qui allait venir, mais ils n’ont pas été entendus par Netanyahou.</p> <p><strong>Vu que la razzia du Hamas a été menée en grande autonomie et que la riposte d’Israël n’avait pas été planifiée, n’est-il pas étonnant que ces actions aient été inscrites dans un affrontement Nord-Sud?</strong></p> <p>La razzia du 7 octobre a mis à mal un des fondements de la création de l’Etat d’Israël. Elle a remis en question le «plus jamais ça» référé aux exterminations subies par les Juifs à travers les âges. Or, la création de l’Etat juif et le déplacement de la population palestinienne sont une des conséquences de l’organisation du monde voulu par les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. La Guerre contre l’Occident est menée par les pays de ce qui est appelé Sud Global sur le front des valeurs morales. Il s’agit essentiellement des pays BRICS+: Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Egypte, Emirats arabes unis, Ethiopie et Iran. D’après eux, la Shoah ne serait pas le pire qui soit arrivé: la colonisation est bien pire. De plus, la Shoah serait un «truc entre Blancs», qui a eu lieu il y a longtemps, et dont certains doutent même qu’elle ait eu lieu. Voilà le genre de position qui est soutenu par les leaders <i></i>de ces pays, et qui demandent maintenant aux colonisateurs de payer pour leurs méfaits. Je ne mets pas en doute la gravité de l’Apartheid, ni la posture morale d’un Mandela, mais je m’interroge sur le bien-fondé de telles revendications faites au nom de populations qui pour la plupart vivent sous des régimes autoritaires, et dont une grande partie n’a qu’une aspiration, à savoir émigrer vers le Nord tant vilipendé, qui semble donc encore fournir un espoir. C’est pourquoi je souligne l’inanité du clivage entre le Sud Global et le Nord occidental. Au nom de la morale on occulte la question démocratique, faisant ainsi le jeu de personnages comme Netanyahou ou Trump. Dans mon livre j’appelle l’Europe à mettre en avant ses valeurs démocratiques et sa capacité intégratrice, mais je constate avec dépit que l’idéologie et le clientélisme prennent de plus en plus de place, en se substituant à la recherche de la connaissance.</p> <hr /> <h4> <sup>1</sup>Dans sa longue carrière académique, le Professeur Gilles Kepel a formé des milliers d’étudiants à Sciences Po Paris, auprès de l’Ecole Normale Supérieure, et aux Etats-Unis aux universités Columbia et de New York. Il est l’auteur de nombreux ouvrages traduits dans une vingtaine de langues, où il élabore des éléments de pensée précieux pour analyser les enjeux d’événements qui ont secoué notre monde.</h4> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1714565128_9782259319621ori.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="319" /></p> <h4>«Holocaustes. 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Vu que les paysans dépendent de manière importante de paiements directs, certains les considèrent comme des sortes de fonctionnaires à leur service. Ainsi, si ces citadins pensent qu’il faut faire place au loup dans les montagnes au loin, les paysans n’ont qu’à s’exécuter. D’autres considèrent les paysans comme des paysagistes, ou pensent qu’ils sont carrément inutiles vu que la Suisse aurait les moyens d’acheter à l’étranger ce dont sa population a besoin. Ceux qui ne les connaissent pas peuvent avoir été surpris ou dérangés par les manifestations que les paysans ont organisées depuis le début de l’année.</p> <p>Lorsqu’ils ont commencé à manifester ils ont simplement retourné des panneaux à l’entrée de villages, pour dire que le monde marche sur la tête. Plus tard ils se sont réunis autour de feux avec leurs tracteurs, et ont explicité leur appel, leur SOS. Au dire des organisateurs les manifestations avaient pour objectif de rompre l’isolement, demander une plus grande reconnaissance, et rassembler afin de souder une profession traditionnellement morcelée, ainsi qu’établir un dialogue avec la population. Il s’est donc agi d’un appel pour attirer l’attention sur une situation ressentie comme difficile. Ce n’était pas une plainte, ni une demande de moyens. Cet appel quelque peu vague laisse transparaître un malaise profond, que les revendications plus précises, transmises au Conseil fédéral et à quatre détaillants, ne capturent pas complètement, même si elles ont été soutenues par 65'000 signatures récoltées en seulement 15 jours. L’appel demande une réflexion d’ensemble pour une refonte du système. Outre la reconnaissance pour le travail et les efforts accomplis, notamment pour l’environnement, les revendications portent sur les revenus, et dénoncent le poids du travail administratif. </p> <h3>Le système agroalimentaire suisse</h3> <p>De fait, même si les paysans ne représentent qu’environ 3% de la population active (soit environ 200'000 personnes), pour répondre à leurs inquiétudes il faut considérer le système agroalimentaire dans son ensemble. Le système suisse n’est pas très différent des autres systèmes agroalimentaires, par exemple européens. Dans ces systèmes aussi l’agriculture est très contrôlée par une réglementation serrée et des paiements nécessaires pour assurer la viabilité de la plupart des exploitations. Partout, le besoin d’avoir une approche de plus en plus soutenable en matière d'environnement est source de tensions. Malgré leur adhésion aux principes du libre marché, les pays exercent des contrôles aux douanes et pratiquent par exemple des tarifs préférentiels pour le gasoil agricole. Une caractéristique importante de notre système est le droit foncier rural, qui a jusqu’ici contribué à éviter une trop grande concentration des exploitations agricoles et à faire en sorte que les propriétaires des terres agricoles soient les agriculteurs eux-mêmes.</p> <p>On peut dire que le système suisse fonctionne convenablement, tout en exerçant une grande pression sur les paysans. Le système est efficace: la production agricole indigène couvre près de la moitié de le demande intérieure. Ceci est remarquable dans la mesure où la population suisse n’est pas obligée de consommer des produits nationaux, qui sont souvent plus chers que les produits étrangers. Rappelons que même avec le Plan Wahlen lancé pendant la Deuxième Guerre mondiale le taux d’auto-ravitaillement n’a pas dépassé 60%. De plus, le système est efficient: depuis les années 1960, la productivité du travail agricole a beaucoup augmenté et même davantage que dans d’autres secteurs de l’économie. Ainsi par exemple de nos jours dans une ferme certifiée bio la traite d’une centaine de vaches ne nécessite presqu’aucune intervention humaine, vu qu’elle peut être assurée par un robot. </p> <p>Il y a pourtant un revers à cette <i>success story</i>. Le taux de suicides est plus élevé dans le monde agricole, la solitude y est plus répandue, et les conditions de travail y sont très contraignantes. C’est un monde soumis à de nombreuses tensions. La réglementation changeante, les nombreux contrôles, les relations difficiles avec la grande distribution ajoutent de la pression à un travail déjà largement dépendant des conditions météorologiques et des aléas liés au vivant. Les difficultés ne sont pas les mêmes pour tout le monde, mais le système doit davantage ménager tous ses acteurs de base.</p> <h3>Demi-mesures et contre-feux</h3> <p>La politique et les organisations agricoles ont bien sûr réagi afin d’éviter une escalade des manifestations. Il fallait que les paysans se rangent. Le président de l’Union suisse des paysans s’est inquiété pour l’image des agriculteurs. Une conseillère d’Etat a donc promis de réduire d’un tiers la charge administrative pour les paysans de son canton. Dans un autre canton des aides pour les vignerons ont été décidées. Au niveau fédéral des gestes ont été faits pour les producteurs de lait, et le Conseiller fédéral Parmelin a reçu les paysans en colère. Par ailleurs, le secteur agricole a été préservé dans le cadre du récent accord de libre-échange signé avec l’Inde, et malgré que cela aille à l’encontre des engagements pris pour le réduire les émissions de CO<sub>2</sub>, le prix du gasoil agricole n’a pas été augmenté. Rien ne semble pourtant avoir bougé sur le front des marges de la grande distribution, qui restent très importantes et peu transparentes. En somme, le système actuel n’a pas été remis en question, en tout cas pas avec l’intérêt des paysans en tête. Il y a plutôt eu des tentatives de récupération politique de la grogne, et l’allumage de quelques contre-feux. Ainsi, les agrariens ont joué sur l’ambiguïté de leur appellation, et certains libéraux en ont profité pour proposer de libéraliser davantage la production agricole. Certains ont joué les paysans contre les écologistes, laissant croire que les déboires des premiers sont causés par des exigences exagérées des seconds. (Ces manœuvres ont été plus explicites au niveau de l’Union européenne.) Parmi les contre-feux on peut compter la publication d’un rapport du Conseil fédéral sur le revenu des familles paysannes, qui fait suite à une commande du Parlement datant de 2021. Le rapport se veut rassurant, et indique une évolution positive des revenus au cours de ces dernières années, bien qu’il y ait des situations très disparates. De manière analogue il y a eu ceux qui ont souligné que les paysans se sont rendus à leur rencontres nocturnes avec des tracteurs dernier cri, sous-entendant par là que les moyens ne doivent donc pas leur manquer…</p> <h3>Comment répondre à l'appel?</h3> <p>Il ne suffit pas de simplement essayer de préserver l’actuel en l’ajustant quelque peu. Il faut affronter les questions de fond. Les agriculteurs déplorent une perte de sens et de respect. Il se sentent incompris, bien que – comme cela a été rappelé lors des manifestations – derrière ce que nous avons dans notre assiette il y a toujours un paysan. La multiplication des initiatives populaires de ces dernières années – pour une eau potable propre, contre les pesticides de synthèse, sur l’élevage intensif, pour la biodiversité, etc. – pousse la population à mettre en question les pratiques paysannes, et à méconnaître les efforts fournis pour améliorer les conditions d’élevage, la qualité des produits, et la préservation de l’environnement. La consommation de produits transformés change les produits agricoles en matières premières. Vu qu’il suffit d’ajouter de l’eau à des flocons pour obtenir une purée de pommes de terre, où est le lait? Les habitudes alimentaires imposent des règles et standards toujours plus stricts, de la taille des côtes de bœuf à la forme des pommes. </p> <p>Il faudrait donc agir sur deux fronts. L’un est celui promu au niveau planétaire par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à savoir prendre en compte les coûts cachés de notre système agroalimentaire. Ceci permettrait en particulier de justifier clairement la nécessité de tenir compte de l’impact environnemental de l’agriculture. L’autre est celui du clivage ville-campagne, qui dans notre pays, où trois-quarts de la population vit dans des agglomérations urbaines, est particulièrement marqué. 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Or, il n’y a pas de lieux pour mener un débat de fond. Le Parlement discute dans le cadre de la LAMal, et les partenaires tarifaires discutent de … tarifs. Ainsi, EFAS aura un grand coût pour son implémentation et accouchera d’une souris, et la révision des tarifs qui se profile avec le Tardoc ne nous sortira pas du financement à l’acte. Ce genre de réformes complexifient le système, et réduisent encore sa lisibilité!</p> <p><strong>Comment changer les bases du système de santé de manière consensuelle?</strong></p> <p>Pour commencer il faut être prêts à rompre avec ce que Alain Berset avait appelé le cartel du silence, et dire par exemple que notre système ne s’occupe pas de santé, mais plutôt de soins; puis souligner que le système est faussement démocratique; et qu’il faudrait revenir à une Médecine avec un M majuscule, une Médecine humaniste qui ne soit pas uniquement centrée sur la technologie et sur la prestation. Ce serait déjà un bon début!</p> <p><strong>Reprenons, si vous le voulez-bien, ces différents points.</strong></p> <p>Notre système est centré sur les soins aux malades et la réparation de la santé, mais pas sur la production de la santé. Notre santé est pourtant déterminée par bien d’autres facteurs que les traitements médicaux et les médicaments, et on oublie trop souvent l’importance des déterminants sociaux et environnementaux. Cela s’est vu avec la gestion du Covid-19. En fait notre société produit des malades d’un côté et on rame pour les guérir de l’autre. Pour certains, ce marché des soins rapporte beaucoup et la maladie contribue au PIB. Mais c’est mal apprécier la situation, car une société ne fonctionne plus si sa population est malade.</p> <p>Actuellement, notre système d’assurance sociale se concentre, non plus sur le financement de soins, mais sur celui de prestations qui figurent dans un catalogue, et ceux qui détiennent les clés du catalogue n’ont pas intérêt à le faire évoluer ou accueillir d’autres prestataires dans le jeu. Le système est donc figé et le rôle de l’Etat malheureusement peu clair. La Confédération n’a pas de compétence générale en matière de santé, et n'est tentée d’intervenir que quand les autres acteurs ne s’entendent pas. Les Cantons, qui devraient en principe être souverains pour la gestion de leur système de santé, sont dans des rôles multiples: ils sont propriétaires d’hôpitaux, planificateurs, financeurs, et subventionneurs de primes, tout ceci dans un cadre LAMal fédéral auquel il ne peuvent déroger. 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Il faudrait inscrire dans la Constitution que la santé est une tâche publique et que l’Etat fédéral a une responsabilité en matière de santé. On ne peut pas uniquement prôner la responsabilité des individus et la liberté économique, comme c’est le cas actuellement. Seulement l’Etat peut espérer contrôler la teneur en sucre ou l’excès de graisses dans notre alimentation, de même que veiller sur la consommation de tabac et autres nuisibles pour la santé.</p> <p>La Confédération et les Cantons devraient aussi repenser la coordination de leurs actions, sans arriver pour autant à un pur fédéralisme d’exécution. La Confédération pourrait s’occuper de la planification hospitalière, des soins très spécialisés, de la convergence des systèmes d’information, ainsi que de la gestion des risques environnementaux comme la pollution. 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En parallèle, il faudrait créer une instance indépendante qui puisse disposer de toutes les données nécessaires pour informer le politique dans ses décisions. Pour terminer, il faudrait que les acteurs-clés du système et les parlementaires s’engagent à être force de proposition, et à être liés par une charte d’engagement. Nous devrions aussi changer notre imaginaire, en sortant par exemple de la toute-puissance de l’hôpital.</p> <p><strong>Qu’entendez-vous par toute-puissance de l’hôpital?</strong></p> <p>D’après mon expérience, pour la population et pour les administrations il y a l’hôpital et puis le reste. On le voit dans les batailles menées par les communes pour garder les hôpitaux sur leurs territoires. Ceci explique en partie le fait qu’il y a encore trop d’hospitalisations en Suisse. L’hôpital est important, mais ça devrait se jouer davantage dans la communauté, avec les soins à domicile, les EMS, la médecine de premier recours. 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Ce serait un vœu pieux de penser que sans une vision politique claire les acteurs-clés seraient capables de repenser le fonctionnement global du système, de réarticuler les besoins de promotion de santé et de soins, de réajuster les structures tarifaires au profit des généralistes et des soins infirmiers, et de revaloriser la Médecine humaniste. Surtout que cela va comporter la re-discussion de certains privilèges historiques. Réaliser un nouveau cadre légal pour la santé n’est pas étatiser. Mais la loi ne peut pas tout. Mon activité de médecin m’a enseigné la solidarité, le respect de l’humain, et la compassion. Il faut déconstruire le pouvoir médical tel qu’il s’est érigé et le ramener vers plus d’humilité. Il y a actuellement une perte de sens chez les professionnels. Les médecins et les soignants en général sont écartelés entre des contraintes administratives et le besoin de temps pour les soins. 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L’avenir de la santé et des soins est dans la communauté.</p> <hr /> <h4><sup>1</sup><i>Crise du système de santé: Cantons et Confédération, il est encore temps!</i> Kraft, n°2, Georg Editeur, 2023.</h4> <h4><sup>2</sup>Stéfanie Monod est Professeure titulaire à l’Université de Lausanne-Unisanté, où elle co-dirige, comme médecin cheffe, le Département épidémiologie et système de santé. Elle a travaillé une vingtaine d’années au CHUV, en gériatrie et au développement des soins des personnes âgées dans la communauté. 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C’est ce qu’a fait la <em>NZZ</em> depuis trois mois, au cours desquels elle a consacré non moins d’une quarantaine d’articles à contrer l’initiative. Fin novembre 2023, elle annonce la couleur avec un article intitulé «La 13ème rente ne résout aucun problème de la prévoyance vieillesse». Début décembre, le quotidien zurichois rappelle que la 13ème rente est déjà versée au Liechtenstein, mais ne perd pas l’occasion de la comparer à un cadeau de Noël. Deux jours après, un point de vue extérieur (!) explique pourquoi le principe de l’arrosoir est anti-social, et quelques numéros plus tard ce principe est à nouveau critiqué en relation avec une décision du Conseil national, qui venait de voter à l’unanimité l’augmentation des rentes des personnes âgées «dans le besoin» (guillemets repris du texte).</p> <p>Juste après Noël, la Conseillère fédérale libérale Karin Keller-Sutter explique dans une interview que contrairement à l’augmentation du budget de l’armée, AVS13 porterait à une hausse des impôts. Dans la première édition dominicale de l’année 2024 apparaît un nouveau thème: si AVS13 passe, ce seraient encore plus de milliards qui partiront à l’étranger au profit des 800'000 retraités suisses expatriés. Cette édition contient aussi une interview du socialiste Pierre-Yves Maillard, qui en tant que président de l’USS est considéré par beaucoup comme le principal défenseur de l’initiative. Les expatriés sont présentés comme des profiteurs, et les questions posées à Maillard sont peu complaisantes. Le lendemain on affirme que AVS13 menace le pouvoir d’achat des jeunes, et on fait appel à l’UDC pour qu’elle entreprenne le combat contre AVS13. Il se trouve que des sections locales du parti ont décidé de soutenir l’initiative. Encore la même semaine un titre insinue hypocrisie et mensonge dans les discours tenus sur la prévoyance vieillesse. On le voit, cette déferlante d’articles sur AVS13 loin d’avoir un objectif (seulement) pédagogique vise aussi à convaincre le lecteur de l’imminence d’une tragédie.</p> <h3>Une argumentation douteuse</h3> <p>Le 12 janvier une petite colonne dans la rubrique «Suisse» rapporte une conversation entre quatre seniors, réellement entendue dans la première classe d’un train. L’échange s’ouvre avec une première dame qui se félicite de son achat d’un abonnement général de première classe, qu’elle a utilisé la veille pour faire l’aller-retour dans la journée au sud des Alpes pour déjeuner. Puis, une deuxième dame raconte qu’avec son mari, ils vont partir au Cap pour jouer au golf, et qu’ils étaient heureux d’avoir eux aussi un abonnement général de première classe, ce qui leur permet de ne pas devoir acheter de billets pour se rendre à l’aéroport. Ensuite, il est question de leurs voyages à Las Vegas et au Texas, et finalement de celui d’une amie qui, avec ses six sœurs, toutes octogénaires, part pour Strasbourg. Ce projet surprend le mari de la première dame, vu que l’amie ne peut compter que sur une rente AVS. Sa femme profite de cette remarque pour inviter ses trois compagnons de voyage à soutenir AVS13. 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Les rédactrices ne sont pas en reste: l'une pose la question de savoir à quel point la Suisse veut devenir socialiste, et si elle se considère un «Pays-Club-Med», c’est-à-dire où l’on se sert tant que la table est garnie; une autre ironise sur le fait que beaucoup de «petites gens» envoient de toutes petites sommes d’argent en soutien aux promoteurs de AVS13.</p> <h3>Prendre parti</h3> <p>Il y a à peine quelques jours, dans le court texte qui précède une présentation sous forme graphique des mots d’ordre des partis et de diverses organisations, le journal écrit: «la <em>NZZ</em> refuse l’initiative». Etait-ce bien utile? N’est-ce pas une pratique déplacée? Il y a des quotidiens suisses dont on ne s’étonne pas qu’ils défendent explicitement des positions politiques, par exemple la <em>Weltwoche</em>, <em>Le Courrier</em>, ou <em>Republik</em>. Aux Etats-Unis il est courant que lors d’élections les rédactions s’expriment ouvertement en faveur de tel ou tel candidat, mais celles-ci le font dans un espace séparé de celui consacré à l’information.</p> <p>La <em>NZZ</em> occupe une place à part dans le panorama médiatique suisse, on sait qu’elle est proche du parti libéral, mais il est difficile de comprendre pourquoi elle a ressenti le besoin de prendre ainsi parti. Les opposants à AVS13 ont les moyens de se faire entendre autrement, et contrairement à ce que l’on veut faire croire, AVS13 n’est pas soutenue que par les partis de gauche. En effet, de nombreux adhérents à des organisations qui s’y opposent, comme l’UDC ou l’Union suisse des paysans, voteront pour AVS13. La <em>NZZ</em> se sent le devoir d’affirmer une identité idéologique. Nous l’avons mis en évidence au sujet de AVS13, d’autres ont observé dans ses pages une dérive philo-atlantiste. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@miwy 29.07.2022 | 04h44
«Merci ! Sympathique article, informatif et ne se prenant pas la tête... un pur plaisir !»
@marcello 01.08.2022 | 09h36
«Merci. La démonstration qu'il est possible de vivre en harmonie et d'apprendre à vivre paisiblement avec les autres.
Félicitations aux organisateurs d'avoir su garder la motivation pendant ces 5 ans de préparation.»