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Actuel / Un peuple en marche pour l’exil


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Reportage exceptionnel au Venezuela où 20 ans après l’émergence d’un nouveau rêve socialiste, la population vit dans un gigantesque camp de concentration à ciel ouvert. La révolution bolivarienne a été une tromperie pour tous ceux qui espéraient une vie meilleure, disent aujourd'hui ceux-là mêmes qui l’avaient soutenue. L'argent ici ne vaut rien, à tel point qu'il ne circule même plus. Dans certains quartiers, les enfants ne vont plus à l'école, ils n'ont pas la force d'y aller avec l'estomac vide et sans vêtements. Affamer la population et la mettre à genoux ferait partie de la politique de persécution de Nicolas Maduro. Le président tout juste réélu compterait sur «la démoralisation psychologique du peuple». Troisième volet: Frontières



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Il n'est pas encore 5 heures du matin et un groupe de personnes attend déjà dans l'obscurité l'ouverture du pont international Francisco de Paula Santander, qui relie Cúcuta, en Colombie, à la municipalité vénézuélienne de Pedro María Ureña, deuxième plus important point de passage entre ces deux pays.



Une douzaine de bus transporte chaque matin plus de deux mille enfants de la ville d'Ureña vers les écoles de Cúcuta. © 2018 Bon pour la tête / Domenica Canchano Warthon

Quelques minutes plus tard, un groupe de cyclistes traverse le pont, suivi par une douzaine de bus transportant dans un couloir humanitaire scolaire plus de deux mille enfants de la ville d'Ureña vers les écoles de Cúcuta. Puis d’autres personnes franchissent la frontière à pied. Parmi eux, Alonso et sa mère semblent épuisés. Dans leurs mains, ils portent des seaux très lourds; lui, sur son dos, n’a pas son cartable d’école mais un sac plein de fruits. «Ce sont des mûres à vendre», me dit-il. Je lui demande alors pourquoi il ne va pas à l'école. «Ça fait des mois que les enseignants n’y viennent plus, parce qu'ils n'étaient pas payés. Maintenant, j'aide ma mère à vendre des fruits et parfois nous apportons aussi des légumes».

Alonso: «Ça fait des mois que les enseignants ne viennent plus à l'école, parce qu'ils n'étaient pas payés. Maintenant, j'aide ma mère à vendre des fruits».
 © 2018 Bon pour la tête / Domenica Canchano Warthon

Alonso et sa mère sont partis de leur ville, Michelena, la veille au soir afin d’être parmi les premiers à traverser le pont et ainsi commencer à vendre la marchandise tôt le matin, avant qu’elle ne pourrisse au soleil. Ils ont voyagé durant la nuit dans un gros camion qui a fait halte dans plusieurs villages pour charger environ vingt-cinq personnes. Certains traverseront la frontière avec leurs marchandises, d'autres seront arrêtés car ils n’ont pas l’autorisation de faire du commerce. Cependant, quelques uns n'abandonneront pas et emprunteront des chemins illégaux.



«Je viens en Colombie pour acheter de la nourriture. Pour acheter un kilo de riz au Venezuela, on doit vendre 10 produits».


Chaque jour, par les sept passages de cette frontière longue de 2219 kilomètres, environ 35'000 personnes traversent. 33'000 d’entre eux reviennent au Venezuela au cours de la journée; 2000 ne rentrent pas et poursuivent leur chemin.... «Les agents de la migration m'ont laissé passer parce que j'avais peu de marchandises. Pour eux, ce que je vais gagner représente une misère. Mais ce n’est rien à côté de ce que nous vivons là-bas», se justifie la mère d’Alonso en me montrant son seau plein de mûres. Ils passeront toute la matinée à Cucuta à vendre ces fruits à moins de cinquante centimes le kilo. «Mon mari et moi étions des paysans – explique-t-elle encore – mais aujourd’hui on ne peut plus en vivre. Un sac d’engrais coûte 10 millions de bolivars», soit près de quatre fois le salaire minimum.

«Les agents de la migration m'ont laissé passer parce que j'avais peu de marchandises», explique la mère d'Alonso. © 2018 Bon pour la tête / Domenica Canchano Warthon


Sur le visage de tous ceux qui ne peuvent pas aller au-delà de la ville frontalière se lit un sentiment de frustration. Avec leur revenu, ils ne peuvent pas se permettre l’acquisition d’un passeport qui leur permettrait de partir ailleurs. «Dans les montagnes, nous n'avons pas de réseaux sociaux, de télévision ou quoi que ce soit de ce type. Dites à tout le monde ce que nous vivons; écrivez ce qui se passe ici. Ils (le gouvernement) font ce qu'ils veulent», conclut cette femme. Aujourd'hui, en Colombie, elle gagnera plus d'argent en une journée qu’en un mois dans son pays. Sur ce même pont a traversé Enmanuel Arias, 28 ans, qui a quitté la ville de Puerto La Cruz le 11 mai et est arrivé à Lima le 2 juin. «J'ai presque mis un mois parce que j'ai voyagé à pied de Cúcuta jusqu’en Equateur ». Il nous raconte son expérience par message, trois jours après son arrivée. « J'ai fait la manche aux feux de circulation et les gens étaient très gentils avec moi. Avec cet argent, j’ai pu manger». Il n'avait pas d'économies sur lui et affirme que beaucoup de gens au Venezuela gagnent le strict nécessaire pour manger et survivre. «Maintenant, je veux travailler et économiser pour amener ma famille ici», conclut Enmanuel. Le lendemain, il repartira à pied, mais cette fois-ci pour chercher du boulot.

L'exode des Vénézuéliens

Le départ massif des Vénézuéliens montre l'ampleur de la crise humanitaire dans ce pays. La décomposition économique, politique et sociale a généré un exode qui a contraint 1,6 million d’entre eux à émigrer. Ils vivent maintenant légalement à l'étranger. Un million d’habitants ont fait leurs valises à partir de 2015, selon les dernières données compilées par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Parallèlement, les demandes d'asile ont également augmenté: elles sont au nombre de 145'000 à travers le monde. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) affirme que 5000 migrants s’en vont chaque jour; à ce rythme, cette année, 1,8 million de personnes, soit plus de 5% de la population du Venezuela, quitteront le pays.

A l'âge d'or du Venezuela, pendant le boom pétrolier des années 1970, le pays était un pôle d'attraction pour les immigrants européens et du Moyen-Orient. Aujourd’hui, la roue a tourné. Le sociologue et expert en migration vénézuélien Iván De la Vega, professeur à l'Université Simón Bolívar, affirme qu'en 1995, moins de 200'000 Vénézuéliens vivaient en dehors du pays. En 2012, à la fin du deuxième mandat présidentiel de Hugo Chávez, 1,2 million de Vénézuéliens avaient émigré. La Colombie est leur principale destination en Amérique du Sud. Le plus grand nombre est enregistré dans la ville de Cúcuta. Mais il faut dire qu'un fort pourcentage de ressortissants vénézuéliens entrent en transit dans ce pays. Leurs principales destinations sont l'Équateur, le Pérou, le Chili, les États-Unis, Panama, le Mexique, l'Espagne, l'Argentine, le Brésil et le Costa Rica.

Si certains parviennent à traverser la frontière avec leurs marchandises, d'autres sont arrêtés car ils n’ont pas l’autorisation de faire du commerce. © 2018 Bon pour la tête / Domenica Canchano Warthon


Il convient de noter que le Venezuela n'avait pas connu de migration de masse auparavant. Historiquement, le pays était plutôt une terre d’asile. Son voisin, la Colombie, a été d’ailleurs à l'origine de nombreuses migrations à la suite du conflit armé et de diverses crises économiques. Il  y a donc aujourd’hui un flux inverse. Cela explique aussi pourquoi la Colombie n’y a pas réfléchi à deux fois avant d’ouvrir ses portes à tous ceux qui fuyaient. Mais l'une des faiblesses du processus de migration des Vénézuéliens vers la Colombie est qu'il n'y a pas encore de caractérisation des migrants. Juan Navarrete, représentant en Colombie de l'Institut Interaméricain des Droits de l'Homme nous explique: «Le processus d'identification du migrant qui arrive dans le pays permettra d'établir les besoins et les demandes de cette population, pour bien identifier les exigences en matière de santé, de nutrition, de mauvaise nutrition et d'éducation. En plus de différencier clairement qui sont les Vénézuéliens, lesquels sont des rapatriés colombiens et lesquels sont de deuxième et troisième génération colombo-vénézuélienne. Dans le cas des Colombiens de retour, le risque est que s'ils avaient quitté la Colombie à cause du conflit armé, il est important de savoir si les menaces ont cessé. Concernant les Colombo-Vénézuéliens, ils sont plus facilement intégrés parce qu'ils ont leur carte de citoyenneté colombienne, même si la société pense qu’ils sont susceptibles de leur enlever des opportunités d'emplois et d'études. Ce processus est un défi sous plusieurs aspects». Récemment, le gouvernement colombien a déclaré avoir aidé plus de 43'800 rapatriés.

Un vendeur de café à la frontière. © 2018 Bon pour la tête / Domenica Canchano Warthon

Le chavista pense comme Marx mais vit comme Trump

La magie avec el pueblo est terminée. Les concepts de «socialisme» et de «révolution» ont été corrompus et ont laissé place à une dérive autoritaire aux allures de dictature. Ce qui est vécu est une tragédie capitaliste au nom du «socialisme». Ici, il ne s'agit pas de trahir un rêve révolutionnaire mais d'être réaliste. Et peut-être la leçon à tirer de cette histoire est que tous les rêves, aussi révolutionnaires soient-ils, sont discutables. Certes, le monde économique, FMI et USA en tête, n’ont jamais vu d’un très bon œil l’émergence de dirigeants socialistes en Amérique Latine, et c’est peu dire qu’ils les ont combattus. Aujourd’hui, ils se gaussent en regardant couler le navire  et applaudissent en sourdine ce naufrage collectif.

Les sociétés multinationales sont de retour pour extraire l'or, les diamants et le coltan. Le gouvernement vénézuélien sacrifie l'importation, la production de nourriture ou de médicaments pour rembourser sa dette extérieure; l’inflation est galopante et hors contrôle; le pouvoir d'achat est au plus bas dû à des salaires misérables; les «sacs clap» (politique mise en œuvre par Maduro en 2016 pour vendre des sacs ou des boîtes de nourriture à des prix subventionnés et ainsi lutter contre les pénuries générées par le manque de production en raison de l'expropriation et de la faillite des entreprises) sont de plus en plus chers (25'000 bolivars) et leur livraison de plus en plus lente (15 à 45 jours); l'Etat a abandonné l'attention des services publics, sans parler de l'effondrement du système de santé. Pour couronner le tout, la bourgeoisie vénézuélienne est gangrénée par la corruption et s’approprie les revenus pétroliers. Une caste entière de «boli-burgheses» dont Maduro et l'armée font partie.

Si un jour il y a eu une révolution socialiste, elle est aujourd’hui salement défigurée. «Le modèle que Hugo Chávez proposait était original et nouveau pour nous. Nous étions donc enthousiastes dès le départ. Nous ne comprenions pas si c'était la dictature, le communisme ou la démocratie. C'était un hybride qui essayait d'obtenir les mêmes choses qu'une dictature mais gardait un masque de démocratie», explique Tulio Hernández, écrivain vénézuélien, chroniqueur et sociologue contraint à l'exil pour avoir exprimé sa dissidence contre le régime de Maduro. «Lorsqu’Hugo Chávez est mort, les chavistas sont devenus minoritaires. Maduro a essayé de poursuivre mais l'effondrement de la production et du prix du pétrole, quasi l’unique revenu du pays et le manque de prestige des politiciens dû à la corruption a changé la donne. Le gouvernement est devenu alors de facto analogue à celui de Pinochet et d'autres dictateurs». Le contexte historique est malgré tout différent. Est-ce que, comme beaucoup disent, le Venezuela est en train de se cubaniser? «C'était déjà un modèle cubain – poursuit l'écrivain qui vit maintenant à Bogota. A la différence qu'il n'y avait pas ce niveau de corruption là-bas. Depuis l'année 62 à Cuba, la propriété privée a été éliminée, tout appartient à l'État; tandis qu'au Venezuela, une nouvelle bourgeoisie prend le pouvoir. Ici, ils sont multimillionnaires: le chavista pense comme Marx mais vit comme Trump».

Tulio Hernández, écrivain vénézuélien, chroniqueur et sociologue contraint à l'exil pour avoir exprimé sa dissidence contre le régime de Maduro. © DR

Le vote aurait pu être une option pour changer le cours de l’histoire? Rafael Albertos, politicien de l'opposition résidant à Caracas, nous répond d’un ton désolé: «Nous savions ce qui allait se passer. Nous ne sommes pas allés voter pour différentes raisons: la première, parce qu'il n'y avait pas d'arbitre. Le Conseil National Électoral est clairement partial, favorable à Maduro. Il n'y a personne qui puisse garantir le processus électoral, un grand nombre de votes ont été falsifiés. Face aux différentes positions, la Table d'unité démocratique (MUD), c'est-à-dire l'opposition, a décidé de se retirer, de promouvoir l'abstention et a appelé les citoyens à ne pas «valider la fraude». Nous n'avons pas lancé de candidats, car le gouvernement a neutralisé ceux qui avaient le plus de chance, comme Leopoldo Lopez, Henrique Capriles ou Maria Corina Machado. Il a laissé des leaders qui ont des partisans mais ne parviennent pas à couvrir une cohésion complète. L'autre raison est l'existence de l'Assemblée Nationale Constituante, produit illégitime d'un processus irrégulier. Pour toutes ces raisons, les gens ont perdu espoir».

Votre souhait pour le futur? «Etre étranger»

En Colombie, il y a environ 1 million de Vénézuéliens. Parmi eux, il y a des maires, des gouverneurs, des députés, des procureurs, des juges, des journalistes, des défenseurs des droits de l'homme. A Bogota, sept juges vénézuéliens de la Cour suprême de justice (TSJ) se sont exilés pour échapper à la persécution du gouvernement de Nicolás Maduro. L'exode ne distingue pas les classes sociales. «La grande partie des Vénézuéliens apprennent à construire un pays sans territoire pour continuer à se battre contre la dictature», dit Tulio Hernandez. Y a-t-il une solution? «Je n’en vois pas», répond Hernández. «Nous avons peu d'espoir de voir apparaître un chemin partagé par la majorité et qu’il soit réalisable». Il faut dire que, ces dernières années, l'opposition vénézuélienne a tenté par tous les moyens constitutionnels de quitter le «régime» du président Nicolás Maduro, mais ces tentatives n'ont pas atteint leur objectif. Les voies institutionnelles, pacifiques et démocratiques ont été fermées, incitant une partie de la population, y compris les forces armées, à envisager des voies insurrectionnelles en dehors de la Constitution ou des interventions militaires de pays étrangers aux conséquences imprévisibles. «Ricardo Hausmann, économiste vénézuélien et professeur à l'Université d’Harvard, a proposé avec insistance l'intervention de forces étrangères. Je pense qu’elle n’aurait aucun succès. Seule une explosion interne permettrait une transition. Une intervention militaire étrangère est le souhait d'une partie de la population, notamment de la classe moyenne conventionnelle. Mais non, nous ne soutiendrons pas les troupes étrangères; ce serait ouvrir la voie à l'impérialisme sans savoir qui va s'installer au pouvoir. Nous ne voulons pas un populiste comme Trump. Je pense qu'une brigade armée va émerger. Ce n'est pas du terrorisme mais il s'agirait de faire une «guerre propre».

Dans un village de l'Etat de Táchira, dans une école primaire, les enseignants demandent aux enfants ce qu’ils souhaitent pour leur futur; tous répondent «être étranger». «En Russie, la dictature a duré plus de 70 ans. Ceux qui fuient maintenant le Venezuela et qui ont plus de 50 ans, doivent se faire à l’idée qu'ils ne reviendront plus dans leur pays», conclut Hernández.


Prochainement dans Bon pour la tête

Le témoignage de Doménica Canchano Warthon: «Dans la nuit du 8 août 1990, ma mère, ma sœur et moi, blotties sous notre toit de chaume, avons écouté à la télévision le discours d'un homme en cravate annonçant l'augmentation du prix du lait, du sucre et du pain, entre autres. Trois produits qui, dès le lendemain, deviendraient un luxe et que nous ne pouvions désormais plus nous permettre. Il s’agissait alors du ministre péruvien de l'économie. Son discours a pris une dimension tragique dans une phrase qui en a fait frémir plus d’un: «Que Dieu nous aide». Six mois plus tard, ma mère a décidé de partir pour l'Italie, laissant ses enfants au Pérou.»


Précédemment dans Bon pour la tête

(2) «Au Venezuela, les forces de sécurité tuent nos enfants» - Doménica Canchano Warthon

(1) Bienvenue à Caracas, capitale de la supercherie - Doménica Canchano Warthon

Venezuela: l'exode - Jacques Pilet

Le jeu pervers des sanctions internationales - Jacques Pilet

Les affres de la gauche sud-américaine - Jacques Pilet

Contre le régime, les urnes sauvages ont parlé - Jacques Pilet

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