Actuel / Un chien de garde américain dans l'armée suisse
Une enquête de Republik révèle l'étendue de la dépendance technologique de l'armée suisse vis-à-vis des Etats-Unis. Un technicien de maintenance travaille sur un F/A-18. © US Air Force
La Suisse est-elle au moins un État souverain en matière de sécurité? Cette enquête révèle que deux officiers américains sont stationnés à Dübendorf (ZH), où se trouve un aérodrome militaire. Leur mission: s'assurer que les avions de chasse et autres armements américains servent les intérêts de leur pays.
Une enquête d'Eva Novak, parue chez nos confrères alémaniques de Republik le 21 septembre.
Kyle Wilson n'est pas un gros bonnet de l'armée de l'air américaine. Il n'est que Master Sergeant (adjudant-chef) au 56ème escadron aérien de maintenance de l’équipement. Technicien de maintenance aéronautique, il s’assure du bon fonctionnement de la flotte.
Néanmoins, les États-Unis lui ont récemment décerné une médaille, le «2018 Air Force International Affairs Excellence Award», en reconnaissance de ses actions dans le conflit entre l'Inde et le Pakistan, lorsque l'armée de l'air pakistanaise a abattu deux avions de chasse indiens au-dessus de la partie indienne du Cachemire, le 27 février 2019, avec ses chasseurs F-16 de fabrication américaine.
Cette distinction ne récompense pourtant pas ses efforts pour instaurer la paix entre deux Etats ennemis depuis des décennies. Wilson a rendu un service exceptionnel à son pays d'origine en tant qu'officier de coopération en matière de sécurité, pour protéger des regards étrangers la technologie américaine installée dans les F-16. Comment exactement, cela n'a pas été précisé.
On ignore généralement que des «Security Cooperation Officers» (SCO) américains, comme Kyle Wilson, sont également à l'œuvre en Suisse. Au nombre de deux, selon les informations de Republik confirmées par le Département fédéral de la Défense. Cependant, au sein des forces armées suisses, ils ne sont pas appelés SCO comme aux États-Unis, mais «gardiens» (en allemand: Wächter beziehungsweise Hüter). Parce que leurs partenaires suisses ne considèrent pas leur présence comme relevant de la «coopération», mais comme une surveillance. Tout un programme.
Lire aussi: Comment les Américains inspectent l'armée suisse
Un accès complet aux codes sources
En effet, si les pilotes de chasse suisses veulent utiliser leurs F/A-18 pour abattre un Sidewinder, un missile guidé à courte portée à commande infrarouge, «ils doivent d'abord demander la permission», selon une source interne des Forces aériennes suisses.
Lorsque les pilotes de F/A-18 suisses s'exercent au-dessus de la mer du Nord avec des membres des forces aériennes d'autres pays, par exemple, ils doivent indiquer quel missile, avec quel numéro de série, ils ont l'intention de tirer.
Afin de ne pas en révéler plus que nécessaire aux inspecteurs américains, les Suisses font donc preuve d’ingéniosité. Le Tages-Anzeiger a récemment décrit une inspection des missiles de défense sol-air Stinger: les Américains ont été conduits au dépôt dans un bus VW de l'armée suisse, dont «les vitres latérales et arrière (...) étaient recouvertes d'un film noir opaque», afin que les hôtes, qui n’étaient pas vraiment les bienvenus, ne puissent pas suivre le trajet.
Depuis de nombreuses années, on spécule sur la dépendance technique de l'armée suisse vis-à-vis des Etats-Unis. On sait depuis longtemps que seul le fabricant américain Boeing a un accès complet aux codes sources du logiciel pour ses avions de chasse F/A-18. Les mises à jour de ce logiciel sont toujours effectuées par les techniciens du fournisseur; les techniciens suisses ne sont même pas autorisés à regarder. Ce n'est plus non plus un secret que le système de navigation militaire ne fonctionne qu'avec un code fourni par les services secrets américains...
Les médias font état de ces dépendances chaque fois qu'un nouveau contrat d'armement de plusieurs milliards de dollars est sur le point d'être conclu. Tout comme l'accord de 6 milliards de francs suisses pour l’achat d’avions de chasse, que les deux avionneurs américains Lockheed Martin avec le F-35 et Boeing avec le F/A-18 Super Hornet, essaient d’emporter. Ces rumeurs, bien fondées, sont surtout répandues par les rivaux de Boeing et Lockheed Martin, qui tentent de discréditer la concurrence américaine.
Dans le cas présent, on suppose cependant que les deux concurrents européens, Airbus (pour l’Eurofighter) et Dassault (Rafale), retiennent leurs attaques pour préserver leur image, au cas où. Car seul le principe de l’achat d’avions de combat est soumis au vote des citoyens suisses le 27 septembre, pas le type d’avion qui sera finalement acquis, si le oui l’emporte.
«Si nous sommes menacés, notre neutralité s’effondre»
D'autant plus que les avions européen et français ne sont pas non plus exempts de technologie américaine — et on peut donc se demander s'ils ne sont pas également soumis au contrôle de l'armée américaine. L'Eurofighter et le Rafale utilisent eux aussi le standard de données tactiques Liaison 16, de l’OTAN, le système chiffré d'identification ami-ennemi de l’IFF (Identification Friend or Foe) et le canal GPS militaire. Cela signifie qu'ils sont dépendants des clés de codage américaines. Sans le «code Yankee» pour le système GPS, par exemple, les avions de chasse ne peuvent être utilisés que de façon très limitée et sont aveugles par mauvais temps ou de nuit.
De toutes les façons, dans l’éventualité d’un conflit, il est certain que la Suisse n’agirait pas de manière autonome, mais chercherait à collaborer avec des États dont les intérêts sont similaires. «Si nous sommes menacés, notre neutralité s’effondre», comme l'a récemment déclaré Bernhard Müller, commandant des Forces aériennes. La Suisse a déjà exercé sa capacité de coopération dans le cadre du Partenariat pour la paix, dont elle est membre depuis 1996. Il s'agit d'un instrument de coopération entre l'OTAN et ses pays partenaires.
Depuis deux décennies, une légende préoccupe les politiques suisses. Celle d’un «interrupteur marche/arrêt» qu’il suffirait à «l’Oncle Sam» d’actionner pour rendre inutilisable un avion de chasse ou un missile de l’armée suisse. Lors de la guerre en Irak, en 2003, le Conseiller national UDC de Thurgovie Alexander Baumann a voulu éclaircir ce point, savoir s’il était vrai que, pour des raisons techniques, les Forces aériennes suisses ne pouvaient «prendre aucune mesure contre d'éventuelles violations de l'espace aérien par l’US Air Force».
Plus récemment, c’est la gauche qui s’en est mêlée: «Les États-Unis peuvent faire décoller nos avions à réaction en appuyant sur un bouton. Ou ne pas nous laisser décoller s'ils ne le veulent pas», a affirmé la conseillère nationale PS zurichoise Priska Seiler Graf.
Le DDPS a émis à cela des démentis plus ou moins fermes. «Les forces aériennes peuvent garantir la préservation de notre souveraineté, quelle que soit l'origine des avions qui tentent d'utiliser l'espace aérien suisse sans autorisation», a répondu Samuel Schmid, alors ministre de la défense, en 2003, à la question d'Alexander Baumann.
Sa successeure Viola Amherd a récemment déclaré qu'elle ne disposait d’aucune preuve arguant que la dépendance vis-à-vis des deux avions de chasse américains était plus importante que vis-à-vis des deux fournisseurs européens. Une «commande à distance depuis l'étranger est exclue, elle l’est déjà avec le F/A-18 d'aujourd'hui et le sera aussi avec le nouveau chasseur».
Les Etats-Unis protègent leurs intérêts
Interrogé par Republik sur la présence de «gardiens» américains en Suisse, le chef de la communication du DDPS Renato Kalbermatten a confirmé qu'il y avait bien deux «prestataires de services» de ce type. Ces derniers sont stationnés à Dübendorf, le premier depuis 2006, mais, assure M. Kalbermatten, ils n'ont «aucune influence ni connaissance concernant les opérations des Forces aériennes suisses». Leur tâche, poursuit-il, consiste à «soutenir l'armée suisse dans les domaines techniques et logistiques de la communication vocale et des données sécurisées, ce qui permet la coopération avec d'autres forces armées en accordant une attention particulière à la cybersécurité». Rien d’autre, selon M. Kalbermatten.
Les Etats-Unis sont beaucoup moins avares d'informations. Surtout le lieutenant général Charles Hooper. Cet homme sympathique et corpulent, qui était jusqu'à récemment à la tête de l'Agence américaine de coopération en matière de défense et de sécurité (DSCA), explique en quoi consistait son rôle dans des vidéos Youtube à cœur ouvert. Le programme «Golden Sentry» est particulièrement intéressant. Selon M. Hooper, ce programme est conçu pour protéger la sécurité nationale et est imposé, par la loi américaine, à tous les équipements et services militaires américains, depuis les simples fusils jusqu’aux avions de chasse. Les SCO du monde entier veillent à ce que cette exigence soit respectée; pas seulement pour des raisons de sécurité, comme l’explique Hooper dans une autre vidéo, mais aussi pour protéger les intérêts politiques des Etats-Unis à l’étranger.
Pour certains équipements, les officiers de coopération «gardiens» effectuent des inspections régulières et des inventaires de numéros de série. Ils s’assurent que le matériel est toujours en service et qu’il est réellement utilisé aux fins pour lesquelles il a été vendu par les Etats-Unis. Cette clause, selon Hooper, est contractuelle et formalisée par une «lettre d’offre et d’acceptation» lors de l’achat d’équipement militaire par une puissance étrangère. Sont particulièrement surveillés les missiles sol-air à courte portée Stinger et les missiles air-air guidés par infrarouge AIM-9X Sidewinder et Amraam, armements que possède l’armée suisse.
Et qui paie? Les Suisses
La frénésie de contrôle des Etats-Unis est, dans une certaine mesure, compréhensible. D’autres Etats, dont la Suisse, ont des pratiques similaires: le Secrétariat d’Etat à l’économie est, par exemple, chargé de vérifier si le matériel militaire exporté se trouve toujours chez le destinataire officiellement déclaré.
Pour mémoire, lors de l’offensive américaine en Afghanistan, en 2001, les talibans avaient tiré des missiles Stinger sur des avions américains, missiles fournis à l’origine par la CIA aux moudjahidines afghans pour combattre les Soviétiques en 1979-1989.
L’étendue de ce contrôle, en revanche, est moins bien comprise et acceptée. Dans pas moins de 146 pays où sont présents les officiers de coopération américains, toute violation de contrat est communiquée au Département de la Défense à Washington mais aussi au Département d’Etat (c’est-à-dire au ministère des Affaires étrangères).
Et, le lieutenant général Charles Hooper le sait bien, rien de tout cela n’est gratuit. Sauf pour les contribuables américains: c’est au client qu’il revient de payer tous les frais. Le DDPS le confirme, au moins indirectement. Lorsqu'on lui demande qui paie les salaires des SCO, M. Kalbermatten répond que les deux hommes travaillent pour l'État américain sur une base contractuelle. Et que «les services correspondants sont contractuellement convenus entre la Suisse et les États-Unis».
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Ce n'est plus non plus un secret que le système de navigation militaire ne fonctionne qu'avec un code fourni par les services secrets américains...</p> <p>Les médias font état de ces dépendances chaque fois qu'un nouveau contrat d'armement de plusieurs milliards de dollars est sur le point d'être conclu. Tout comme l'accord de 6 milliards de francs suisses pour l’achat d’avions de chasse, que les deux avionneurs américains Lockheed Martin avec le F-35 et Boeing avec le F/A-18 Super Hornet, essaient d’emporter. Ces rumeurs, bien fondées, sont surtout répandues par les rivaux de Boeing et Lockheed Martin, qui tentent de discréditer la concurrence américaine.</p> <p>Dans le cas présent, on suppose cependant que les deux concurrents européens, Airbus (pour l’Eurofighter) et Dassault (Rafale), retiennent leurs attaques pour préserver leur image, au cas où. Car seul le principe de l’achat d’avions de combat est soumis au vote des citoyens suisses le 27 septembre, pas le type d’avion qui sera finalement acquis, si le oui l’emporte. </p> <h3>«Si nous sommes menacés, notre neutralité s’effondre»</h3> <p>D'autant plus que les avions européen et français ne sont pas non plus exempts de technologie américaine — et on peut donc se demander s'ils ne sont pas également soumis au contrôle de l'armée américaine. L'Eurofighter et le Rafale utilisent eux aussi le standard de données tactiques Liaison 16, de l’OTAN, le système chiffré d'identification ami-ennemi de l’IFF (Identification Friend or Foe) et le canal GPS militaire. Cela signifie qu'ils sont dépendants des clés de codage américaines. Sans le «code Yankee» pour le système GPS, par exemple, les avions de chasse ne peuvent être utilisés que de façon très limitée et sont aveugles par mauvais temps ou de nuit.</p> <p>De toutes les façons, dans l’éventualité d’un conflit, il est certain que la Suisse n’agirait pas de manière autonome, mais chercherait à collaborer avec des États dont les intérêts sont similaires. «Si nous sommes menacés, notre neutralité s’effondre», comme l'a récemment déclaré Bernhard Müller, commandant des Forces aériennes. La Suisse a déjà exercé sa capacité de coopération dans le cadre du Partenariat pour la paix, dont elle est membre depuis 1996. Il s'agit d'un instrument de coopération entre l'OTAN et ses pays partenaires.</p> <p>Depuis deux décennies, une légende préoccupe les politiques suisses. Celle d’un «interrupteur marche/arrêt» qu’il suffirait à «l’Oncle Sam» d’actionner pour rendre inutilisable un avion de chasse ou un missile de l’armée suisse. Lors de la guerre en Irak, en 2003, le Conseiller national UDC de Thurgovie Alexander Baumann a voulu éclaircir ce point, savoir s’il était vrai que, pour des raisons techniques, les Forces aériennes suisses ne pouvaient «prendre aucune mesure contre d'éventuelles violations de l'espace aérien par l’US Air Force». </p> <p>Plus récemment, c’est la gauche qui s’en est mêlée: «Les États-Unis peuvent faire décoller nos avions à réaction en appuyant sur un bouton. Ou ne pas nous laisser décoller s'ils ne le veulent pas», a affirmé la conseillère nationale PS zurichoise Priska Seiler Graf.</p> <p>Le DDPS a émis à cela des démentis plus ou moins fermes. «Les forces aériennes peuvent garantir la préservation de notre souveraineté, quelle que soit l'origine des avions qui tentent d'utiliser l'espace aérien suisse sans autorisation», a répondu Samuel Schmid, alors ministre de la défense, en 2003, à la question d'Alexander Baumann.</p> <p>Sa successeure Viola Amherd a récemment déclaré qu'elle ne disposait d’aucune preuve arguant que la dépendance vis-à-vis des deux avions de chasse américains était plus importante que vis-à-vis des deux fournisseurs européens. Une «commande à distance depuis l'étranger est exclue, elle l’est déjà avec le F/A-18 d'aujourd'hui et le sera aussi avec le nouveau chasseur».</p> <h3>Les Etats-Unis protègent leurs intérêts</h3> <p>Interrogé par <em>Republik</em> sur la présence de «gardiens» américains en Suisse, le chef de la communication du DDPS Renato Kalbermatten a confirmé qu'il y avait bien deux «prestataires de services» de ce type. Ces derniers sont stationnés à Dübendorf, le premier depuis 2006, mais, assure M. Kalbermatten, ils n'ont «aucune influence ni connaissance concernant les opérations des Forces aériennes suisses». Leur tâche, poursuit-il, consiste à «soutenir l'armée suisse dans les domaines techniques et logistiques de la communication vocale et des données sécurisées, ce qui permet la coopération avec d'autres forces armées en accordant une attention particulière à la cybersécurité». Rien d’autre, selon M. Kalbermatten.</p> <p>Les Etats-Unis sont beaucoup moins avares d'informations. Surtout le lieutenant général Charles Hooper. Cet homme sympathique et corpulent, qui était jusqu'à récemment à la tête de l'Agence américaine de coopération en matière de défense et de sécurité (DSCA), explique en quoi consistait son rôle dans des vidéos Youtube à cœur ouvert. Le programme «<em>Golden Sentry</em>» est particulièrement intéressant. Selon M. Hooper, ce programme est conçu pour protéger la sécurité nationale et est imposé, par la loi américaine, à tous les équipements et services militaires américains, depuis les simples fusils jusqu’aux avions de chasse. Les SCO du monde entier veillent à ce que cette exigence soit respectée; pas seulement pour des raisons de sécurité, comme l’explique Hooper dans une autre vidéo, mais aussi pour protéger les intérêts politiques des Etats-Unis à l’étranger. </p> <p>Pour certains équipements, les officiers de coopération «gardiens» effectuent des inspections régulières et des inventaires de numéros de série. Ils s’assurent que le matériel est toujours en service et qu’il est réellement utilisé aux fins pour lesquelles il a été vendu par les Etats-Unis. Cette clause, selon Hooper, est contractuelle et formalisée par une «lettre d’offre et d’acceptation» lors de l’achat d’équipement militaire par une puissance étrangère. Sont particulièrement surveillés les missiles sol-air à courte portée Stinger et les missiles air-air guidés par infrarouge AIM-9X Sidewinder et Amraam, armements que possède l’armée suisse. </p> <h3>Et qui paie? Les Suisses</h3> <p>La frénésie de contrôle des Etats-Unis est, dans une certaine mesure, compréhensible. D’autres Etats, dont la Suisse, ont des pratiques similaires: le Secrétariat d’Etat à l’économie est, par exemple, chargé de vérifier si le matériel militaire exporté se trouve toujours chez le destinataire officiellement déclaré. </p> <p>Pour mémoire, lors de l’offensive américaine en Afghanistan, en 2001, les talibans avaient tiré des missiles Stinger sur des avions américains, missiles fournis à l’origine par la CIA aux moudjahidines afghans pour combattre les Soviétiques en 1979-1989. </p> <p>L’étendue de ce contrôle, en revanche, est moins bien comprise et acceptée. Dans pas moins de 146 pays où sont présents les officiers de coopération américains, toute violation de contrat est communiquée au Département de la Défense à Washington mais aussi au Département d’Etat (c’est-à-dire au ministère des Affaires étrangères). </p> <p>Et, le lieutenant général Charles Hooper le sait bien, rien de tout cela n’est gratuit. Sauf pour les contribuables américains: c’est au client qu’il revient de payer tous les frais. Le DDPS le confirme, au moins indirectement. Lorsqu'on lui demande qui paie les salaires des SCO, M. Kalbermatten répond que les deux hommes travaillent pour l'État américain sur une base contractuelle. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p> <p>Mais Pierre a changé.</p> <p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p> <p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p> <p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. Ce que j’ai découvert est effrayant…</p> <p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p> <hr /> <h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="149" height="206" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /><span>et de<br /></span><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="154" height="207" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'un-bien-cruel-conte-de-noel-1', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 39, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5284, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les ramasseurs de déchets, grands perdants du récit dominant sur la pollution plastique', 'subtitle' => 'A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1er décembre, se sont soldées par un échec. 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En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p> <ul> <li> <p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p> </li> <li> <p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. Au lieu de cela, ils accusent des <a href="https://psmag.com/environment/the-epa-blames-six-asian-nations-that-the-u-s-exports-plastic-waste-to-for-ocean-pollution/">systèmes de recyclage inadéquats et une mauvaise gestion des déchets</a>.</p> </li> </ul> <p>L’attention portée au recyclage des plastiques et à la gestion des déchets touche en réalité des millions de personnes en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.</p> <p>Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.</p> <p>Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.</p> <h3>Qui sont les ramasseurs informels de déchets?</h3> <p>Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344924001824#sec0021">grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale</a>. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p> <p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p> <ul> <li> <p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p> </li> <li> <p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p> </li> </ul> <p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p> <p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p> <p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. Ils restent toujours relégués aux mêmes tâches manuelles et difficiles, même si leurs conditions de travail en ressortent légèrement améliorées.</p> <h3>L’industrie du plastique maintient le <em>statu quo</em></h3> <p>Malgré les bonnes intentions de départ, des termes tels que «économie circulaire inclusive» sont donc trop souvent utilisés à des fins de <em>green washing</em> et même de <em>justice washing</em>, tandis que les travailleurs continuent à endurer des conditions difficiles. Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 42, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5283, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes', 'subtitle' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'subtitle_edition' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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Parmi eux, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Panama_Papers"><em>The Panama Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pandora_Papers"><em>Pandora Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Suisse_Secrets"><em>Suisse Secrets</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/narcofiles-the-new-criminal-order"><em>Narco Files</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/the-pegasus-project/about-the-project"><em>Pegasus Project</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Cyprus_Confidential"><em>Cyprus Confidential </em></a>et la série <a href="https://de.wikipedia.org/wiki/Die_Geldw%C3%A4scherei"><em>Laundromat</em></a>, qui a révélé les systèmes de blanchiment d'argent des élites dirigeantes en Azerbaïdjan et en Russie.</p> <h3><strong>Non sans conditions</strong></h3> <p>Les agences gouvernementales américaines ne financent pas l'OCCRP sans contrepartie: l'<a href="https://www.usaid.gov/"> U.S. Agency for International Development</a> dispose d'un droit de veto sur la nomination des dirigeants de l'OCCRP. De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». 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Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». Confronté aux dernières découvertes, il a finalement reconnu l'importance du financement de Washington: «C'est le plus grand bailleur de fonds de l'OCCRP, oui, et ce depuis presque le début de notre histoire. [...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p> <p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p> <h3><strong>Conditions posées</strong></h3> <p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p> <p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p> <h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3> <p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p> <p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. Des faits presque incroyables sur le travail de relations publiques du Pentagone.</p> <p><strong>20 avril 2008</strong> <a href="https://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/gekaufte-meinung-pentagon-beschaeftigt-pr-armee-fuer-us-tv-a-548519.html">Le Pentagone emploie une armée de RP pour la télévision américaine</a>. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Chuck50 24.09.2020 | 17h23
«il est nul cet article, il n'y a plus de jets à Dübendorf depuis belle lurette et le Sidewinder sont des missile air-air ...... etc etc
je classe ça sous fake news»
@Qovadis 28.09.2020 | 13h51
«Donc il est urgent pour la Suisse qui veut renouvelé sa défense aérienne de ne pas acheter des avions de combat américains. D’autant plus que l’Europe doit développer et renforcer son autonomie stratégique vis-à-vis des EU.»
@Ric 30.09.2020 | 16h00
«@Chuck50 Je ne comprends pas votre commentaire. Il est mentionné que le Sidewinder est un missile air-air et que des officiers américains sont stationnés à la base de Dubendorf, pas des jets. Peut-être que des cours de lecture pourraient vous être utile. A moins que ce fake comment ne soit là pour décourager les lecteurs. Pour ma part, cela ne donne que plus de crédibilité à cet article.»