Actuel / Surtout pas de lois contre les fake news
Que des âneries et des bobards plus ou moins pernicieux se trouvent à foison sur les réseaux sociaux, c’est un fait. Mais que l’Etat, par ses lois et ses juges, se mêle de vouloir faire de l’ordre lui-même voilà qui est une insupportable atteinte à la liberté d’opinion et d’expression. © DR / montage BPLT
En vigueur depuis le 1er janvier, la nouvelle loi allemande réglementant les réseaux sociaux a débouché sur une série d'absurdités pourtant parfaitement prévisibles. En France, Emmanuel Macron cède lui aussi à l'obsession de la lutte contre les «fake news», comme si c'était le seul moyen d'enrayer le populisme. Faux calcul. Ces lois sont profondément attentatoires à la liberté d'expression.
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Les nouvelles règles entrées en vigueur le 1er janvier obligent Twitter et Facebook, comme tous les autres réseaux sociaux, à supprimer les messages douteux dans les 24 ou 48 heures sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à… 50 millions d’euros.</p><h3>Censure à tour de bras<br></h3><p>Avec des peines aussi lourdes à la clé, la réaction des réseaux était parfaitement prévisible: pour dégager leur responsabilité, ils se sont immédiatement mis à censurer à tour de bras. On a même vu, dans les quelques heures qui ont suivi la mise en application de ce texte ubuesque, le compte twitter de l’auteur lui-même de cette loi, le ministre allemand de la justice social-démocrate Heiko Maas, être suspendu sans autre forme de procès: dans l’un de ses tweets, il avait eu le malheur – ou le bonheur, selon les points de vue – de traiter d’«idiot» Thilo Sarrazin, économiste social-démocrate lui aussi, mais rejeté par son propre camp pour avoir endossé des thèses résolument hostiles à l’immigration.</p><p>Autre incident, tout aussi emblématique: le compte Twitter du <a href="https://twitter.com/titanic">magazine satirique Titanic</a> s’est lui aussi vu suspendu. Motif? La revue éditée à Francfort avait détourné, pour s’en moquer, des messages haineux à l’égard des musulmans de la passionaria extrémiste d’Alternativ für Deutschland (AfD) Beatrix von Storch. De toute évidence, les algorithmes de Twitter ont de la peine à intégrer le second degré. Ou alors les juristes de la maison ont reçu pour consigne de ne pas s’embarrasser de nuances. Toujours est-il que l’affaire a fourni une nouvelle preuve de l’inanité de la nouvelle loi.</p><h3>Contre l’esprit du temps</h3><p>L’an dernier, de la droite à la gauche en passant par les <em>Verts</em> et <em>Die Linke</em>, les critiques s’étaient pourtant multipliées en Allemagne pour avertir le gouvernement d’Angela Merkel des conséquences aussi nuisibles qu’inévitables de son texte. Mais ces voix allaient contre l’esprit du temps, marqué par la recherche désespérée d’une parade contre le populisme. Elles sont donc restées, hélas, minoritaires. Elles pointaient pourtant clairement les deux principaux écueils qui, aujourd’hui encore, devraient inciter les gouvernements à renoncer à agir avant de cette manière-là. </p><p>Le premier tient à la responsabilité qui est entièrement déléguée aux réseaux sociaux eux-mêmes afin d’identifier et de bloquer les informations douteuses. Il était patent que les entreprises visées n’allaient pas perdre de temps à se poser de grandes questions et qu’elles utiliseraient la tronçonneuse. Déjà critiquable dans un Etat de droit où toute atteinte aux libertés ne devrait être décidée que sous le contrôle d’un juge, cette manière de procéder confère en plus un énorme pouvoir à des entités dont la légitimité pour décider de ce que les citoyens ont le droit de lire et de partager est inexistante.</p><h3>L’ombre des médias du Kremlin<br></h3><p>Le second écueil tient à la définition même de ce qu’est une information douteuse. La réponse n’est aisée qu’en apparence et la faire dépendre de la loi, des juges ou de l’industrie numérique est un non-sens: elle n’appartient qu’aux citoyens, à ce que leur dicte leur intuition, leur raison ou leur conscience. 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Beaucoup voient dans ces médias la quintessence de la désinformation à tendance complotiste et d’extrême droite, orchestrée en sous-main par le pouvoir russe. Emmanuel Macron leur voue une aversion profonde. Le 29 mai déjà, juste après son élection, il les assimilait à des «agents d’influence et de propagande mensongère». La chroniqueuse du Monde Sylvie Kauffmann, elle, s’est astreinte à regarder Russia Today durant toute la première semaine de janvier:</p><blockquote><p><strong><em>«Première déception: Vladimir Poutine y est beaucoup moins présent qu’Emmanuel Macron sur nos écrans à nous», </em></strong><br></p></blockquote><p>note-t-elle ironiquement dans les éditions du 19 janvier du quotidien du soir. Et de conclure: <em><strong><br></strong></em></p><blockquote><p><em><strong>«Je me suis beaucoup ennuyée. 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Ils ont refusé de se faire tordre le bras par un parti qui n’a de cesse de se présenter comme le seul défenseur de la démocratie directe et de la volonté populaire contre les élites, les juges, les professeurs de droit et autres architectes de l’Etat de droit – cet ennemi du citoyen souverain dans la mythologie trompeuse entretenue par les nationalistes.</p><h3>Etonnante capacité de résistance<br></h3><p>Les citoyens ont dit non et l’un des enseignements les plus précieux de ce dimanche est sans doute l’étonnante capacité de résistance dont les citoyens ont fait preuve en rejetant des propositions qui reflétaient les aspirations populistes jusqu’à la caricature. La primauté sans nuance de la volonté populaire que cherchait à imposer l’initiative – au détriment des subtils <em>checks and balances</em> qui caractérisent le système helvétique – aurait plombé toute politique d’ouverture de la Suisse.</p><p>Le populisme n’est donc pas une fatalité et la démocratie directe n’en est pas le vecteur par essence. Voilà qui devrait rassurer pour l’avenir. La netteté du rejet était d’ailleurs inattendue et ne transparaissait pas dans les sondages. Les analyses à venir devraient permettre de mieux cerner les raisons de ce four complet pour l’UDC. Mais il paraît peu probable qu’à lui seul l’argument des droits de l’homme ait pu convaincre une majorité des votants d’Uri, de Schwyz, d’Obwald et de Nidwald, de Glaris, d’Argovie ou de Thurgovie. Les citoyens ont plus vraisemblablement refusé de cautionner un texte qui leur paraissait abstrait, leur parlait peu et dont ils avaient grand peine à mesurer les conséquences précises sinon pour comprendre qu’elles risquaient d’être défavorables à l’économie.</p><p>Bref, ils n’ont pas voulu acheter un chat en poche. Mais aussi rassurante que soit la défaite de l’UDC, ce serait illusoire de penser que désormais, la suite de l’histoire est écrite et que la partition en sera résolument ouverte à la supranationalité et à l’Europe.</p><h3>Survie aléatoire<br></h3><p>Le rejet de dimanche ne dit rigoureusement rien par exemple du destin politique de l’accord-cadre négocié avec l’UE. Une acceptation de l’initiative l’aurait assurément compromis, mais le non sorti des urnes ne préjuge pas de sa survie, à ce jour des plus aléatoires.</p><p>Le Conseil fédéral devrait prendre une décision importante à ce sujet ce vendredi, mais les résistances à l’égard des «juges étrangers» de l’UE seront beaucoup plus difficiles à combattre que l’initiative de l’UDC. Elles existent en effet aussi bien dans le camp conservateur qu’à gauche. Il y a quelques jours, la condamnation par la Cour de l’UE de l’équivalent des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes dans la législation autrichienne a confirmé encore davantage les syndicats suisses de la justesse de leur refus de tout compromis sur ce point. </p><p>La négociation de cet accord-cadre avec Bruxelles bute sur des questions en bonne partie analogues à celles qui avaient entraîné le rejet de l’EEE en 1992. Il n’est d’ailleurs pas totalement farfelu de se demander si, à tout prendre, les solutions offertes par l’EEE ne sont pas en définitive plus satisfaisantes que les figures quelque peu baroques dans lesquelles les négociateurs suisses se sont engagés et que seuls les diplômés en droit européen semblent en mesure de comprendre réellement. Quoi qu’il en soit, la défense de cet accord devant le peuple ne sera pas une mince affaire. Elle conditionne pourtant la poursuite de nos relations avec l’UE.</p><p>A terme, les Suisses auront également à se prononcer sur le maintien de la libre circulation des personnes, l’UDC ayant fait aboutir une initiative qui en exige l’abrogation. Là encore, le scrutin s’annonce existentiel, car la voie bilatérale n’est pas concevable sans la libre circulation.</p><p>On le voit: la victoire du non dimanche était importante, mais elle ne constituait de loin pas l’étape la plus difficile. 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A plus long terme, l’initiative «pour l’autodétermination» engendrera une incertitude permanente sur le sort des traités en question. L’UDC pourra revendiquer une adaptation de ces textes et, en cas de refus de nos partenaires – hypothèse la plus probable – une dénonciation. Mais par qui? Le Conseil fédéral? Le Parlement, voire le peuple? L’initiative laisse sans la moindre réponse ces questions pourtant essentielles. Il s’ensuivra immanquablement une confusion totale, sur le plan juridique aussi bien que politique. L’UDC aura alors le champ libre pour mener ce qui pourrait ressembler à une sorte de guerre de harcèlement dans laquelle la volonté populaire sera constamment opposée au refus de la «classe politique» de s’y plier.</p><p>C’est en cela qu’on peut dire qu’avec cette initiative, la souveraineté populaire risque d’être prise en otage par l’UDC. Le journaliste Yves Petignat a très justement observé dans l’une de ses récentes <a href="https://www.letemps.ch/opinions/initiative-juges-etrangers-peuple-contre-democratie">chroniques</a> du <em>Temps </em>que la question à laquelle les Suisses répondront le 25 novembre va bien au-delà de ses aspects constitutionnels et juridiques, par ailleurs difficiles à saisir et à expliquer: «C’est la nature même de notre démocratie qui est en question.» Et de conclure en soulignant la parenté entre l’initiative de l’UDC et cette démocratie «illibérale» qui monte dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis, brillamment analysée par l’universitaire américain Yascha Mounk dans son ouvrage «Le peuple contre la démocratie» (Editions de l'Observatoire, 2018) récemment publié en français et dont <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/le-peuple-contre-la-democratie-comprendre-le-populisme"><em xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml">Bon pour la tête</em></a><em></em> a rendu compte.</p><h3>Le peuple n'est pas un gros mot<br></h3><p>La question centrale à laquelle cherche à répondre Yascha Mounk n’est pas seulement de savoir de quoi se nourrit le populisme mais aussi comment le combattre. Et le brio de son analyse tient en particulier à la capacité du jeune intellectuel à penser contre son propre camp, celui des élites progressistes et cosmopolites. La lutte sera difficile, prévient-il, et il faudra la mener, en partie au moins, sur le terrain même que se sont choisi les populistes. Par exemple en cessant de leur abandonner l’idée de la nation et en réparant une économie déréglée par la mondialisation.</p><p>Si l’on cherchait à tirer les enseignements du livre de Mounk pour le combat contre l’initiative de l’UDC, on pourrait commencer par dire que le peuple n’est pas un gros mot, la souveraineté non plus, mais que le peuple est infiniment trop précieux pour être laissé aux populistes. 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Les banques centrales, les agences indépendantes, les organisations internationales, les cours constitutionnelles, toutes ces institutions indispensables au fonctionnement des Etats modernes et de l’économie libérale, et dont le travail est le plus souvent d’une remarquable qualité, n’en ont pas moins éloigné le pouvoir des citoyens en déplaçant son centre de gravité.</p><p>Des décisions de plus en plus importantes se prennent aujourd’hui sans être soumises à une quelconque sanction du suffrage universel. La Commission européenne, selon Mounk, est l’exemple le plus frappant de l’évolution qu’il décrit. Le fonctionnement des institutions européennes est tel que c’est à cette administration que revient dans les faits, selon l’auteur, «de conduire la plupart des activités de l’Union». La Commission, écrit-il, est sans doute «l’agence indépendante la plus puissante du monde.»</p><p>Dans ce contexte, Mounk analyse la montée du populisme comme une réaction des citoyens a une perte de pouvoir qu’il considère tout à la fois comme réelle et problématique. L’Etat de droit, toujours plus respectueux des libertés et des procédures, prend donc des décisions toujours plus «éclairées», mais toujours moins démocratiques, suscitant en retour chez un nombre croissant de citoyens le besoin de récupérer un pouvoir qui doit logiquement être soustrait aux exigences de l’Etat de droit pour redevenir pleinement démocratique.</p><p>Le populisme n’est donc pas, pour Mounk, antidémocratique par essence. Il est certes «illibéral», en ce sens qu’il veut réduire voire supprimer les libertés individuelles et les droits qui protègent les minorités, mais il exprime une indiscutable aspiration des citoyens à se gouverner eux-mêmes. Cela n’empêche nullement Mounk d’être inquiet. Au contraire, c’est bien parce que le populisme a une légitimité démocratique que les lendemains qu’il annonce risquent d’être sinistres.</p><p>Tout l’intérêt de la pensée de Mounk est de récuser les analyses qui se contenteraient d’opposer à la démocratie anti-libérale ce qu’il appelle un libéralisme anti-démocratique, c’est-à-dire une forme d’organisation politique qui protégerait efficacement les droits des individus et des minorités et prendrait des décisions parfaitement raisonnables mais qui, par défiance, cesserait de croire au suffrage universel comme à la seule légitimité possible de tout gouvernement.</p><p>La position de Mounk le place à contre-courant d’un autre politologue, l’Allemand Jan-Werner Müller, pour qui les mouvements populistes sont d’inspiration antidémocratique par essence. <em><strong><br></strong></em></p><blockquote><p><em><strong>«Je crains, </strong></em>écrit Mounk<em><strong>, que le refus de reconnaître qu’il y a quelque chose de démocratique dans l’énergie qui les a propulsés au pouvoir ne nous empêche de comprendre la nature de leur force d’attraction et rende plus difficile de réfléchir de manière prudente et créative à la façon de les arrêter.»</strong></em></p></blockquote><p>Au chapitre des remèdes justement, Yascha Mounk accorde une grande place à ce qu’il appelle «réparer l’économie». Car à lui seul, le fait que le citoyen de 2018 ait moins de pouvoir que celui de 1958 ne suffit pas à expliquer le populisme. Les «Trente Glorieuses» avaient fait reculer les inégalités. La mondialisation les a accentuées à nouveau. Les générations d’après-guerre ont vécu avec la conviction que la vie serait plus facile pour celles qui suivraient. Cet optimisme a disparu, note Mounk. Les études qu’il cite montrent que neuf Américains sur dix nés en 1940 gagnaient à trente ans plus que leurs parents au même âge. Cette proportion n’est plus que d’un sur deux pour les Américains nés en 1980. Les données disponibles suggèrent une évolution analogue en Europe. </p><p>Les développements consacrés aux effets de l’accroissement des inégalités sur la montée du populisme comptent parmi les pages les plus intéressantes de l’ouvrage. Il est de bon ton en effet de mettre en doute toute relation de cause à effet en ce domaine. Les succès tout récents de l’extrême droite dans la Suède prospère tordraient le cou à la thèse selon laquelle le populisme se nourrirait de la colère des «perdants de la mondialisation». Déjà, on avait pu montrer que les classes les plus favorisées avaient bel et bien voté Trump, et les plus fragilisées, Clinton. On pensait détenir la preuve que le récit médiatique associant pauvreté et succès du populisme tenait de la légende urbaine.</p><p>Pas si simple, avertit Mounk. Car entre les plus riches et les plus pauvres, il y a la classe moyenne. Et là, une étude attentive donne un autre éclairage. Les électeurs de Trump sont en moyenne moins diplômés que ceux de Clinton. Ils ont donc des raisons particulières de se sentir plus menacés que d’autres par la mondialisation et l’intelligence artificielle. Ils habitent aussi des régions aux indices de santé moins favorables, au taux de chômage plus élevé, à la mobilité sociale plus faible et où vivent davantage d’individus sans revenu. En 2016, les quinze Etats les moins menacés par l’automatisation ont voté Clinton. Vingt et un des vingt-deux Etats les plus menacés ont choisi son adversaire.</p><p>Le contrat implicite sur lequel les démocraties occidentales ont longtemps fonctionné, et qui consistait à promettre un accroissement constant de la prospérité et des retombées pour le plus grand nombre, est rompu. Il n’y a pas d’analyse du populisme qui tienne, nous dit Mounk, sans prendre en compte cette donnée et sans s’interroger sur ce qui pourrait aujourd’hui remplacer les promesses d’antan pour ressouder la société.</p><p>Cosmopolite revendiqué, Yascha Mounk ne croit toutefois pas que notre avenir soit supranational. Le fait national ne lui paraît pour l’heure guère dépassable. Son appréciation de l’intégration européenne est d’ailleurs souvent sévère. L’immense majorité des citoyens des démocraties occidentales, note-t-il, se sentent encore, et probablement pour longtemps encore, appartenir à un pays déterminé, dont l’histoire et les institutions ont façonné une identité particulière, non interchangeable. Penser qu’à l’heure de la mondialisation, les nations n’existent plus, ou qu’elles sont obsolètes, procède d’une fausse perception de la réalité, quoi qu’aient pu espérer les générations de l’après-guerre et en particulier les pères-fondateurs de l’intégration européenne.</p><p>Pour le meilleur ou pour le pire, la nation va donc perdurer. La grande question n’est donc pas celle de sa disparition, mais bien de savoir ce qu’on peut en faire. Mounk se démarque là avec une grande netteté d’un courant intellectuel sensible aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, qui refuse la nation précisément en raison de son héritage historique – colonialiste, impérialiste, raciste ou guerrier. Ce n’est pas parce que les idéaux des Lumières sur lesquels ont été bâties les démocratiques modernes n’ont pas été atteints ou ont été trahis qu’il faut les abandonner, dit l’auteur en substance. Le «patriotisme inclusif» légué par les révolutions américaine et française et sa promesse d’une émancipation de tous sans distinction d’origine, reste, pour Mounk, un idéal totalement actuel.</p><p>Les civilisations sont mortelles, les démocraties libérales le sont aussi. Le livre de Mounk nous invite à en prendre conscience. L’auteur se refuse cependant au défaitisme. Les moyens de combattre le populisme existent: les droits civiques, la mobilisation citoyenne doivent être utilisés avec une détermination sans faille pour barrer la route à des évolutions qui pourraient, sinon, sonner le glas de nos libertés. 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Que des âneries et des bobards plus ou moins pernicieux se trouvent à foison sur les réseaux sociaux, c’est un fait. Mais que l’Etat, par ses lois et ses juges, se mêle de vouloir faire de l’ordre lui-même dans la tête de ses citoyens pour s’assurer qu’ils pensent et voient le monde comme lui, voilà qui est une insupportable atteinte à la liberté d’opinion et d’expression.
Illusoire domestication du web
Engager la lutte contre la désinformation de cette manière-là, c’est se tromper complètement à la fois sur le diagnostic et sur le remède. Et c’est oublier que l’Etat lui-même, en la matière, n’est pas et ne peut pas être un modèle. En fait de fausses nouvelles, comme l’a très bien écrit notre confrère Pascal Décaillet sur son blog, le gouvernement a en effet de tout temps été – et reste – à la fois «un expert et un orfèvre».
Au moins, les errements grotesques auxquels donne lieu depuis quelques jours la nouvelle loi allemande sur les réseaux sociaux – la désormais fameuse «NetzDG», pour Netzwerkdurchsetzungsgesetz (loi d’application sur les réseaux) – devraient faire réfléchir à deux fois les partisans naïfs d’une illusoire domestication du web, complices en l’occurrence sans bien d’une condamnable atteinte à la liberté d’expression. Les nouvelles règles entrées en vigueur le 1er janvier obligent Twitter et Facebook, comme tous les autres réseaux sociaux, à supprimer les messages douteux dans les 24 ou 48 heures sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à… 50 millions d’euros.
Censure à tour de bras
Avec des peines aussi lourdes à la clé, la réaction des réseaux était parfaitement prévisible: pour dégager leur responsabilité, ils se sont immédiatement mis à censurer à tour de bras. On a même vu, dans les quelques heures qui ont suivi la mise en application de ce texte ubuesque, le compte twitter de l’auteur lui-même de cette loi, le ministre allemand de la justice social-démocrate Heiko Maas, être suspendu sans autre forme de procès: dans l’un de ses tweets, il avait eu le malheur – ou le bonheur, selon les points de vue – de traiter d’«idiot» Thilo Sarrazin, économiste social-démocrate lui aussi, mais rejeté par son propre camp pour avoir endossé des thèses résolument hostiles à l’immigration.
Autre incident, tout aussi emblématique: le compte Twitter du magazine satirique Titanic s’est lui aussi vu suspendu. Motif? La revue éditée à Francfort avait détourné, pour s’en moquer, des messages haineux à l’égard des musulmans de la passionaria extrémiste d’Alternativ für Deutschland (AfD) Beatrix von Storch. De toute évidence, les algorithmes de Twitter ont de la peine à intégrer le second degré. Ou alors les juristes de la maison ont reçu pour consigne de ne pas s’embarrasser de nuances. Toujours est-il que l’affaire a fourni une nouvelle preuve de l’inanité de la nouvelle loi.
Contre l’esprit du temps
L’an dernier, de la droite à la gauche en passant par les Verts et Die Linke, les critiques s’étaient pourtant multipliées en Allemagne pour avertir le gouvernement d’Angela Merkel des conséquences aussi nuisibles qu’inévitables de son texte. Mais ces voix allaient contre l’esprit du temps, marqué par la recherche désespérée d’une parade contre le populisme. Elles sont donc restées, hélas, minoritaires. Elles pointaient pourtant clairement les deux principaux écueils qui, aujourd’hui encore, devraient inciter les gouvernements à renoncer à agir avant de cette manière-là.
Le premier tient à la responsabilité qui est entièrement déléguée aux réseaux sociaux eux-mêmes afin d’identifier et de bloquer les informations douteuses. Il était patent que les entreprises visées n’allaient pas perdre de temps à se poser de grandes questions et qu’elles utiliseraient la tronçonneuse. Déjà critiquable dans un Etat de droit où toute atteinte aux libertés ne devrait être décidée que sous le contrôle d’un juge, cette manière de procéder confère en plus un énorme pouvoir à des entités dont la légitimité pour décider de ce que les citoyens ont le droit de lire et de partager est inexistante.
L’ombre des médias du Kremlin
Le second écueil tient à la définition même de ce qu’est une information douteuse. La réponse n’est aisée qu’en apparence et la faire dépendre de la loi, des juges ou de l’industrie numérique est un non-sens: elle n’appartient qu’aux citoyens, à ce que leur dicte leur intuition, leur raison ou leur conscience. Qu’un Samuel Bendahan, conseiller national PS vaudois, imagine un balisage officiel des fausses nouvelles et non pas la suspension de leur diffusion, comme il l’a expliqué récemment à Forum, sur la RTS, n’y change rien: ce balisage devrait être prévu dans la loi et reste donc problématique en tant que tel.
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L'annonce de E. Macron expliquée un peu différemment, par «Le fil d'Actu».
Tout le monde aura reconnu l’ombre des médias du Kremlin, la plateforme multimédia Sputnik et la chaîne TV Russia Today, qui vient d’ailleurs d’être autorisée à émettre en France. Beaucoup voient dans ces médias la quintessence de la désinformation à tendance complotiste et d’extrême droite, orchestrée en sous-main par le pouvoir russe. Emmanuel Macron leur voue une aversion profonde. Le 29 mai déjà, juste après son élection, il les assimilait à des «agents d’influence et de propagande mensongère». La chroniqueuse du Monde Sylvie Kauffmann, elle, s’est astreinte à regarder Russia Today durant toute la première semaine de janvier:
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note-t-elle ironiquement dans les éditions du 19 janvier du quotidien du soir. Et de conclure:
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Pas de lois, pas de juges, pas de commissions
Qu’on ne se méprenne pas: il n’est pas question ici de nier et de minimiser un seul instant l’outrance, les délires et les biais idéologiques délétères que charrient les fausses informations, répercutées sur les réseaux sociaux de manière démesurée. Mais l’Etat, ses lois et ses fonctionnaires sont mal placés pour s’aventurer sur ce terrain. L’histoire fournit d’innombrables exemples où le pouvoir a manipulé l’information, y compris dans des régimes démocratiques. Faut-il rappeler qu’aux yeux du gouvernement américain, l’implication de la Maison Blanche dans l’affaire du Watergate était une fake news jusqu’à ce qu’éclate la vérité? Que le même gouvernement américain a pu faire passer l’idée fausse que Saddam Hussein détenait des armes de destruction massives sans être contredit par les médias? Que l’innocence de Dreyfus était officiellement aussi une fake news aux yeux de l’état-major et de la justice qui l’avait condamné? Dans un registre moins tragique, le Conseil fédéral lui-même a diffusé orbi et urbi de fausses informations avant la votation de 2008 sur la deuxième réforme de la fiscalité des entreprises. Il a lourdement sous-estimé les pertes qu’engendreraient les mesures proposées, ce que lui a sévèrement reproché le Tribunal fédéral quelques années après.
Alors surtout, pas de loi, de juges, de commissions, d’autorités qui voudront imposer la bonne information, inculquer les bonnes manières de penser. La liberté d’expression s’y oppose. Qu’on laisse chacun juger des sottises qu’il entend.
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A plus long terme, l’initiative «pour l’autodétermination» engendrera une incertitude permanente sur le sort des traités en question. L’UDC pourra revendiquer une adaptation de ces textes et, en cas de refus de nos partenaires – hypothèse la plus probable – une dénonciation. Mais par qui? Le Conseil fédéral? Le Parlement, voire le peuple? L’initiative laisse sans la moindre réponse ces questions pourtant essentielles. Il s’ensuivra immanquablement une confusion totale, sur le plan juridique aussi bien que politique. L’UDC aura alors le champ libre pour mener ce qui pourrait ressembler à une sorte de guerre de harcèlement dans laquelle la volonté populaire sera constamment opposée au refus de la «classe politique» de s’y plier.</p><p>C’est en cela qu’on peut dire qu’avec cette initiative, la souveraineté populaire risque d’être prise en otage par l’UDC. Le journaliste Yves Petignat a très justement observé dans l’une de ses récentes <a href="https://www.letemps.ch/opinions/initiative-juges-etrangers-peuple-contre-democratie">chroniques</a> du <em>Temps </em>que la question à laquelle les Suisses répondront le 25 novembre va bien au-delà de ses aspects constitutionnels et juridiques, par ailleurs difficiles à saisir et à expliquer: «C’est la nature même de notre démocratie qui est en question.» Et de conclure en soulignant la parenté entre l’initiative de l’UDC et cette démocratie «illibérale» qui monte dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis, brillamment analysée par l’universitaire américain Yascha Mounk dans son ouvrage «Le peuple contre la démocratie» (Editions de l'Observatoire, 2018) récemment publié en français et dont <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/le-peuple-contre-la-democratie-comprendre-le-populisme"><em xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml">Bon pour la tête</em></a><em></em> a rendu compte.</p><h3>Le peuple n'est pas un gros mot<br></h3><p>La question centrale à laquelle cherche à répondre Yascha Mounk n’est pas seulement de savoir de quoi se nourrit le populisme mais aussi comment le combattre. Et le brio de son analyse tient en particulier à la capacité du jeune intellectuel à penser contre son propre camp, celui des élites progressistes et cosmopolites. La lutte sera difficile, prévient-il, et il faudra la mener, en partie au moins, sur le terrain même que se sont choisi les populistes. Par exemple en cessant de leur abandonner l’idée de la nation et en réparant une économie déréglée par la mondialisation.</p><p>Si l’on cherchait à tirer les enseignements du livre de Mounk pour le combat contre l’initiative de l’UDC, on pourrait commencer par dire que le peuple n’est pas un gros mot, la souveraineté non plus, mais que le peuple est infiniment trop précieux pour être laissé aux populistes. 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L’Italie? «Ce que dit Salvini donne la chair de poule». </p><p>Dick Marty sait que tous les historiens et tous les politologues sont loin d’être d’accord avec cette thèse, mais il maintient que la situation actuelle rappelle les années 30. Parmi les explications, il voit tout à la fois la révolte des couches qui se sentent menacées par des catégories sociales encore plus défavorisées, l’évolution des technologies, et le fait que «les élites politiques n’ont pas été exemplaires.»</p><p>L’idéologie néolibérale, «qui n’a rien à voir avec le libéralisme», porte une lourde responsabilité dans les dérèglements actuels. C’est un «poison» et un jour ce modèle va se casser, est convaincu Dick Marty. Face à ces défis, l’Europe doit s’unir encore plus. Comment? En n’hésitant pas à créer une Europe à plusieurs vitesses. L’Europe s’est agrandie trop vite, son fonctionnement à 28 ou 27 ne permet plus d’avancer. «Il faut des locomotives», sinon il y a un risque de nivellement par le bas. 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A 13 ans, il adhère au parti social-démocrate allemand, le SPD, mais il en démissionne en 2015 par une retentissante lettre ouverte publiée dans <em>Die Zeit</em>, critiquant notamment l’attitude de son parti dans la crise grecque.</p><p>L’élection de Donald Trump en 2016 – qu’il a vivement combattue –, le renforce encore dans ses convictions: l’ère de la stabilité démocratique, où libertés individuelles, Etat de droit et suffrage universel semblaient devoir aller immuablement de pair, pourrait bien toucher à sa fin. Mais là où beaucoup croient avoir fait le tour de la question en alertant sur le retour possible d’un fascisme plus ou moins mal dissimulé, Yascha Mounk, lui, développe une pensée beaucoup moins attendue.</p><p>La montée du populisme, nous dit Mounk – et ce constat est troublant –, a quelque chose à voir avec l’hypertrophie de l’appareil administratif et judiciaire entraînée par le développement de l’Etat de droit dans les démocraties occidentales. Les banques centrales, les agences indépendantes, les organisations internationales, les cours constitutionnelles, toutes ces institutions indispensables au fonctionnement des Etats modernes et de l’économie libérale, et dont le travail est le plus souvent d’une remarquable qualité, n’en ont pas moins éloigné le pouvoir des citoyens en déplaçant son centre de gravité.</p><p>Des décisions de plus en plus importantes se prennent aujourd’hui sans être soumises à une quelconque sanction du suffrage universel. La Commission européenne, selon Mounk, est l’exemple le plus frappant de l’évolution qu’il décrit. Le fonctionnement des institutions européennes est tel que c’est à cette administration que revient dans les faits, selon l’auteur, «de conduire la plupart des activités de l’Union». La Commission, écrit-il, est sans doute «l’agence indépendante la plus puissante du monde.»</p><p>Dans ce contexte, Mounk analyse la montée du populisme comme une réaction des citoyens a une perte de pouvoir qu’il considère tout à la fois comme réelle et problématique. L’Etat de droit, toujours plus respectueux des libertés et des procédures, prend donc des décisions toujours plus «éclairées», mais toujours moins démocratiques, suscitant en retour chez un nombre croissant de citoyens le besoin de récupérer un pouvoir qui doit logiquement être soustrait aux exigences de l’Etat de droit pour redevenir pleinement démocratique.</p><p>Le populisme n’est donc pas, pour Mounk, antidémocratique par essence. Il est certes «illibéral», en ce sens qu’il veut réduire voire supprimer les libertés individuelles et les droits qui protègent les minorités, mais il exprime une indiscutable aspiration des citoyens à se gouverner eux-mêmes. Cela n’empêche nullement Mounk d’être inquiet. Au contraire, c’est bien parce que le populisme a une légitimité démocratique que les lendemains qu’il annonce risquent d’être sinistres.</p><p>Tout l’intérêt de la pensée de Mounk est de récuser les analyses qui se contenteraient d’opposer à la démocratie anti-libérale ce qu’il appelle un libéralisme anti-démocratique, c’est-à-dire une forme d’organisation politique qui protégerait efficacement les droits des individus et des minorités et prendrait des décisions parfaitement raisonnables mais qui, par défiance, cesserait de croire au suffrage universel comme à la seule légitimité possible de tout gouvernement.</p><p>La position de Mounk le place à contre-courant d’un autre politologue, l’Allemand Jan-Werner Müller, pour qui les mouvements populistes sont d’inspiration antidémocratique par essence. <em><strong><br></strong></em></p><blockquote><p><em><strong>«Je crains, </strong></em>écrit Mounk<em><strong>, que le refus de reconnaître qu’il y a quelque chose de démocratique dans l’énergie qui les a propulsés au pouvoir ne nous empêche de comprendre la nature de leur force d’attraction et rende plus difficile de réfléchir de manière prudente et créative à la façon de les arrêter.»</strong></em></p></blockquote><p>Au chapitre des remèdes justement, Yascha Mounk accorde une grande place à ce qu’il appelle «réparer l’économie». Car à lui seul, le fait que le citoyen de 2018 ait moins de pouvoir que celui de 1958 ne suffit pas à expliquer le populisme. Les «Trente Glorieuses» avaient fait reculer les inégalités. La mondialisation les a accentuées à nouveau. Les générations d’après-guerre ont vécu avec la conviction que la vie serait plus facile pour celles qui suivraient. Cet optimisme a disparu, note Mounk. Les études qu’il cite montrent que neuf Américains sur dix nés en 1940 gagnaient à trente ans plus que leurs parents au même âge. Cette proportion n’est plus que d’un sur deux pour les Américains nés en 1980. Les données disponibles suggèrent une évolution analogue en Europe. </p><p>Les développements consacrés aux effets de l’accroissement des inégalités sur la montée du populisme comptent parmi les pages les plus intéressantes de l’ouvrage. Il est de bon ton en effet de mettre en doute toute relation de cause à effet en ce domaine. Les succès tout récents de l’extrême droite dans la Suède prospère tordraient le cou à la thèse selon laquelle le populisme se nourrirait de la colère des «perdants de la mondialisation». Déjà, on avait pu montrer que les classes les plus favorisées avaient bel et bien voté Trump, et les plus fragilisées, Clinton. On pensait détenir la preuve que le récit médiatique associant pauvreté et succès du populisme tenait de la légende urbaine.</p><p>Pas si simple, avertit Mounk. Car entre les plus riches et les plus pauvres, il y a la classe moyenne. Et là, une étude attentive donne un autre éclairage. Les électeurs de Trump sont en moyenne moins diplômés que ceux de Clinton. Ils ont donc des raisons particulières de se sentir plus menacés que d’autres par la mondialisation et l’intelligence artificielle. Ils habitent aussi des régions aux indices de santé moins favorables, au taux de chômage plus élevé, à la mobilité sociale plus faible et où vivent davantage d’individus sans revenu. En 2016, les quinze Etats les moins menacés par l’automatisation ont voté Clinton. Vingt et un des vingt-deux Etats les plus menacés ont choisi son adversaire.</p><p>Le contrat implicite sur lequel les démocraties occidentales ont longtemps fonctionné, et qui consistait à promettre un accroissement constant de la prospérité et des retombées pour le plus grand nombre, est rompu. Il n’y a pas d’analyse du populisme qui tienne, nous dit Mounk, sans prendre en compte cette donnée et sans s’interroger sur ce qui pourrait aujourd’hui remplacer les promesses d’antan pour ressouder la société.</p><p>Cosmopolite revendiqué, Yascha Mounk ne croit toutefois pas que notre avenir soit supranational. Le fait national ne lui paraît pour l’heure guère dépassable. Son appréciation de l’intégration européenne est d’ailleurs souvent sévère. L’immense majorité des citoyens des démocraties occidentales, note-t-il, se sentent encore, et probablement pour longtemps encore, appartenir à un pays déterminé, dont l’histoire et les institutions ont façonné une identité particulière, non interchangeable. Penser qu’à l’heure de la mondialisation, les nations n’existent plus, ou qu’elles sont obsolètes, procède d’une fausse perception de la réalité, quoi qu’aient pu espérer les générations de l’après-guerre et en particulier les pères-fondateurs de l’intégration européenne.</p><p>Pour le meilleur ou pour le pire, la nation va donc perdurer. La grande question n’est donc pas celle de sa disparition, mais bien de savoir ce qu’on peut en faire. Mounk se démarque là avec une grande netteté d’un courant intellectuel sensible aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, qui refuse la nation précisément en raison de son héritage historique – colonialiste, impérialiste, raciste ou guerrier. Ce n’est pas parce que les idéaux des Lumières sur lesquels ont été bâties les démocratiques modernes n’ont pas été atteints ou ont été trahis qu’il faut les abandonner, dit l’auteur en substance. Le «patriotisme inclusif» légué par les révolutions américaine et française et sa promesse d’une émancipation de tous sans distinction d’origine, reste, pour Mounk, un idéal totalement actuel.</p><p>Les civilisations sont mortelles, les démocraties libérales le sont aussi. Le livre de Mounk nous invite à en prendre conscience. L’auteur se refuse cependant au défaitisme. Les moyens de combattre le populisme existent: les droits civiques, la mobilisation citoyenne doivent être utilisés avec une détermination sans faille pour barrer la route à des évolutions qui pourraient, sinon, sonner le glas de nos libertés. 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