Actuel / «Le peuple contre la démocratie»: comprendre le populisme
On ne peut pas rester indifférent à la lecture du dernier livre d’un jeune maître de conférences en sciences politiques à l’université de Harvard, aux Etats-Unis, Yascha Mounk. © DR
Dans son dernier livre qui vient de sortir en français et qui est en passe d'être un succès mondial, Yascha Mounk, jeune enseignant à Harvard d'origine allemande, cherche à en finir avec certaines idées reçues sur le populisme. Pour mieux le combattre. Son essai montre comment le pouvoir dans les démocraties modernes s'est éloigné du citoyen, comment la promesse d'une prospérité toujours mieux partagée a été rompue par la mondialisation, et comment la nation reste et restera probablement pour longtemps le seul espace dans lequel la démocratie peut vraiment se déployer. Appelant à «réparer l'économie» et à retrouver un «patriotisme inclusif», l'auteur ne cache pas que la lutte contre le populisme risque d'être ardue et n'est pas gagnée d'avance. Yascha Mounk se refuse néanmoins à désespérer de la démocratie libérale héritée des Lumières.
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Ce n’est pas parce que les idéaux des Lumières sur lesquels ont été bâties les démocratiques modernes n’ont pas été atteints ou ont été trahis qu’il faut les abandonner, dit l’auteur en substance. Le «patriotisme inclusif» légué par les révolutions américaine et française et sa promesse d’une émancipation de tous sans distinction d’origine, reste, pour Mounk, un idéal totalement actuel.</p><p>Les civilisations sont mortelles, les démocraties libérales le sont aussi. Le livre de Mounk nous invite à en prendre conscience. L’auteur se refuse cependant au défaitisme. Les moyens de combattre le populisme existent: les droits civiques, la mobilisation citoyenne doivent être utilisés avec une détermination sans faille pour barrer la route à des évolutions qui pourraient, sinon, sonner le glas de nos libertés. 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Mais en tous les cas, ce n’est pas en éloignant encore davantage le pouvoir des citoyens que l’on y parviendra.</p><p><hr></p><h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1539095253_9791032904534_lepeuplecontrelademocratie_2018.jpg" width="444" height="683">Yascha Mounk, <em>Le peuple contre la démocratie</em>, Traduction de l’anglais, Editions de L’Observatoire, Paris, 2018, 517 p.</h4><br>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'le-peuple-contre-la-democratie-comprendre-le-populisme', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 853, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1276, 'homepage_order' => (int) 1503, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 1269, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 1370, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => 'NORMAL', 'readed' => null, 'subhead' => 'ACTUEL / Votations', 'title' => 'Après le non à l'initiative de l'UDC, le plus difficile reste à faire', 'subtitle' => 'Victoire éclatante des forces de la société civile, de la droite classique et des milieux économiques contre l'initiative de l'UDC pour la primauté du droit suisse. 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La primauté sans nuance de la volonté populaire que cherchait à imposer l’initiative – au détriment des subtils <em>checks and balances</em> qui caractérisent le système helvétique – aurait plombé toute politique d’ouverture de la Suisse.</p><p>Le populisme n’est donc pas une fatalité et la démocratie directe n’en est pas le vecteur par essence. Voilà qui devrait rassurer pour l’avenir. La netteté du rejet était d’ailleurs inattendue et ne transparaissait pas dans les sondages. Les analyses à venir devraient permettre de mieux cerner les raisons de ce four complet pour l’UDC. Mais il paraît peu probable qu’à lui seul l’argument des droits de l’homme ait pu convaincre une majorité des votants d’Uri, de Schwyz, d’Obwald et de Nidwald, de Glaris, d’Argovie ou de Thurgovie. Les citoyens ont plus vraisemblablement refusé de cautionner un texte qui leur paraissait abstrait, leur parlait peu et dont ils avaient grand peine à mesurer les conséquences précises sinon pour comprendre qu’elles risquaient d’être défavorables à l’économie.</p><p>Bref, ils n’ont pas voulu acheter un chat en poche. Mais aussi rassurante que soit la défaite de l’UDC, ce serait illusoire de penser que désormais, la suite de l’histoire est écrite et que la partition en sera résolument ouverte à la supranationalité et à l’Europe.</p><h3>Survie aléatoire<br></h3><p>Le rejet de dimanche ne dit rigoureusement rien par exemple du destin politique de l’accord-cadre négocié avec l’UE. 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A plus long terme, l’initiative «pour l’autodétermination» engendrera une incertitude permanente sur le sort des traités en question. L’UDC pourra revendiquer une adaptation de ces textes et, en cas de refus de nos partenaires – hypothèse la plus probable – une dénonciation. Mais par qui? Le Conseil fédéral? Le Parlement, voire le peuple? L’initiative laisse sans la moindre réponse ces questions pourtant essentielles. Il s’ensuivra immanquablement une confusion totale, sur le plan juridique aussi bien que politique. L’UDC aura alors le champ libre pour mener ce qui pourrait ressembler à une sorte de guerre de harcèlement dans laquelle la volonté populaire sera constamment opposée au refus de la «classe politique» de s’y plier.</p><p>C’est en cela qu’on peut dire qu’avec cette initiative, la souveraineté populaire risque d’être prise en otage par l’UDC. Le journaliste Yves Petignat a très justement observé dans l’une de ses récentes <a href="https://www.letemps.ch/opinions/initiative-juges-etrangers-peuple-contre-democratie">chroniques</a> du <em>Temps </em>que la question à laquelle les Suisses répondront le 25 novembre va bien au-delà de ses aspects constitutionnels et juridiques, par ailleurs difficiles à saisir et à expliquer: «C’est la nature même de notre démocratie qui est en question.» Et de conclure en soulignant la parenté entre l’initiative de l’UDC et cette démocratie «illibérale» qui monte dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis, brillamment analysée par l’universitaire américain Yascha Mounk dans son ouvrage «Le peuple contre la démocratie» (Editions de l'Observatoire, 2018) récemment publié en français et dont <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/le-peuple-contre-la-democratie-comprendre-le-populisme"><em xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml">Bon pour la tête</em></a><em></em> a rendu compte.</p><h3>Le peuple n'est pas un gros mot<br></h3><p>La question centrale à laquelle cherche à répondre Yascha Mounk n’est pas seulement de savoir de quoi se nourrit le populisme mais aussi comment le combattre. Et le brio de son analyse tient en particulier à la capacité du jeune intellectuel à penser contre son propre camp, celui des élites progressistes et cosmopolites. La lutte sera difficile, prévient-il, et il faudra la mener, en partie au moins, sur le terrain même que se sont choisi les populistes. Par exemple en cessant de leur abandonner l’idée de la nation et en réparant une économie déréglée par la mondialisation.</p><p>Si l’on cherchait à tirer les enseignements du livre de Mounk pour le combat contre l’initiative de l’UDC, on pourrait commencer par dire que le peuple n’est pas un gros mot, la souveraineté non plus, mais que le peuple est infiniment trop précieux pour être laissé aux populistes. 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Un tel revirement est délétère et contribue lourdement à entretenir le soupçon que le gouvernement et le Parlement ont cessé d’obéir au peuple.</p><p>Si l’initiative est rejetée dimanche, il ne faudrait surtout pas renoncer à instiller une forte dose de pédagogie démocratique afin que les citoyens soient désormais au clair sur les raisons pour lesquelles les autorités privilégient, exceptionnellement, un accord international sur le résultat d’une votation. 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Ce sont les électeurs de droite qui feront pencher la balance, c'est donc à eux qu’il faut s’adresser avant tout. Soyons francs: même si leur combat est admirable, les milieux de défense des droits de l’homme ne sont pas les mieux placés pour jouer ce rôle. Si les partisans du non veulent l’emporter le 25 novembre, il faut impérativement qu’ils fassent entendre d’autres voix, et qu'elles soient fortes.</p><p>La difficulté est que l’UDC, elle, peut moduler son argumentation à volonté. Le parti a plusieurs cartes à sa disposition. Il pourra les jouer en fonction des circonstances, de l’actualité et de la tonalité de la campagne. <br></p><h3>Contre l’accord-cadre avec l’UE et la libre circulation des personnes<br></h3><p>Le parti ne manquera pas l’occasion qui lui est fournie de livrer une guerre préventive contre l’accord-cadre avec l’UE et contre la libre circulation des personnes. 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Ce n’est pourtant pas tant les droits de l’homme en tant que tels que l’UDC devrait attaquer mais bien le pouvoir du droit international et des juridictions internationales.</p><p>Rompant avec tous les usages voulant que les représentants du pouvoir judiciaire n’interviennent pas dans une campagne de votation, le juge UDC au Tribunal administratif fédéral, Simon Thurnheer, a publié il y a quelques semaines une tribune particulièrement révélatrice dans la <em><a href="https://www.nzz.ch/meinung/die-emrk-und-die-selbstbestimmungsinitiative-ld.1392214">NZZ</a>.</em> Son texte, si l’on se donne la peine de le lire sans œillères idéologiques, n’est pas une attaque contre les droits de l’homme en eux-mêmes, mais contre les juges de Strasbourg dont l’interventionnisme aurait, prétend l’auteur, trahi l’héritage originel de la Convention et porterait de plus en plus atteinte à la souveraineté des Etats.</p><h3>Pour l’UDC, le problème, c’est la supranationalité<br></h3><p>De la part de l’UDC, une telle ligne d’argumentation est assez bien vue. 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On ne peut pas rester indifférent à la lecture du dernier livre d’un jeune maître de conférences en sciences politiques à l’université de Harvard, aux Etats-Unis, Yascha Mounk. Le peule contre la démocratie, c’est le titre de son ouvrage qui vient de paraître en traduction française aux Editions de L’Observatoire*, peut sembler de prime abord rabâcher un thème connu. Celui du désarroi des élites libérales, politiques, académiques et médiatiques, devant ces élections qui, les unes après les autres, sur les deux rives de l’Atlantique, donnent l’avantage à des politiques nationalistes, isolationnistes et xénophobes dont le programme passe par le rabotage de l’Etat de droit patiemment développé au sortir de la Seconde Guerre mondiale – et par-là même, font craindre le pire.
Sauf que Yascha Mounk, lui, ne se contente pas d’une dénonciation éplorée mais lassante à force d’être répétée partout. Son analyse des causes du populisme et des maux qui, selon de nombreux observateurs, rongeraient nos démocraties, est d’une lucidité désenchantée jusqu’à en être implacable. Mais la manière, directe et très «grand public», dont l’auteur démonte nombre d’idées reçues et esquisse des pistes de solution se révèle finalement roborative.
La force de son livre vient du fait qu’au fil des pages, on sent bien que l’auteur nous raconte en réalité ses propres déconvenues intellectuelles. Ce n’est pas pour rien que son chapitre introductif s’intitule Perdre ses illusions. Tout paraissait en effet prédestiner le jeune chercheur à épouser les vues de ces élites libérales, progressistes et mondialisées dont il dénonce aujourd’hui, en creux, les contradictions et la difficulté à «penser contre elles-mêmes». Né à Munich en 1982 de parents juifs polonais, Yascha Mounk a étudié en Angleterre avant de passer un doctorat aux Etats-Unis. A 13 ans, il adhère au parti social-démocrate allemand, le SPD, mais il en démissionne en 2015 par une retentissante lettre ouverte publiée dans Die Zeit, critiquant notamment l’attitude de son parti dans la crise grecque.
L’élection de Donald Trump en 2016 – qu’il a vivement combattue –, le renforce encore dans ses convictions: l’ère de la stabilité démocratique, où libertés individuelles, Etat de droit et suffrage universel semblaient devoir aller immuablement de pair, pourrait bien toucher à sa fin. Mais là où beaucoup croient avoir fait le tour de la question en alertant sur le retour possible d’un fascisme plus ou moins mal dissimulé, Yascha Mounk, lui, développe une pensée beaucoup moins attendue.
La montée du populisme, nous dit Mounk – et ce constat est troublant –, a quelque chose à voir avec l’hypertrophie de l’appareil administratif et judiciaire entraînée par le développement de l’Etat de droit dans les démocraties occidentales. Les banques centrales, les agences indépendantes, les organisations internationales, les cours constitutionnelles, toutes ces institutions indispensables au fonctionnement des Etats modernes et de l’économie libérale, et dont le travail est le plus souvent d’une remarquable qualité, n’en ont pas moins éloigné le pouvoir des citoyens en déplaçant son centre de gravité.
Des décisions de plus en plus importantes se prennent aujourd’hui sans être soumises à une quelconque sanction du suffrage universel. La Commission européenne, selon Mounk, est l’exemple le plus frappant de l’évolution qu’il décrit. Le fonctionnement des institutions européennes est tel que c’est à cette administration que revient dans les faits, selon l’auteur, «de conduire la plupart des activités de l’Union». La Commission, écrit-il, est sans doute «l’agence indépendante la plus puissante du monde.»
Dans ce contexte, Mounk analyse la montée du populisme comme une réaction des citoyens a une perte de pouvoir qu’il considère tout à la fois comme réelle et problématique. L’Etat de droit, toujours plus respectueux des libertés et des procédures, prend donc des décisions toujours plus «éclairées», mais toujours moins démocratiques, suscitant en retour chez un nombre croissant de citoyens le besoin de récupérer un pouvoir qui doit logiquement être soustrait aux exigences de l’Etat de droit pour redevenir pleinement démocratique.
Le populisme n’est donc pas, pour Mounk, antidémocratique par essence. Il est certes «illibéral», en ce sens qu’il veut réduire voire supprimer les libertés individuelles et les droits qui protègent les minorités, mais il exprime une indiscutable aspiration des citoyens à se gouverner eux-mêmes. Cela n’empêche nullement Mounk d’être inquiet. Au contraire, c’est bien parce que le populisme a une légitimité démocratique que les lendemains qu’il annonce risquent d’être sinistres.
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La position de Mounk le place à contre-courant d’un autre politologue, l’Allemand Jan-Werner Müller, pour qui les mouvements populistes sont d’inspiration antidémocratique par essence.
«Je crains, écrit Mounk, que le refus de reconnaître qu’il y a quelque chose de démocratique dans l’énergie qui les a propulsés au pouvoir ne nous empêche de comprendre la nature de leur force d’attraction et rende plus difficile de réfléchir de manière prudente et créative à la façon de les arrêter.»
Au chapitre des remèdes justement, Yascha Mounk accorde une grande place à ce qu’il appelle «réparer l’économie». Car à lui seul, le fait que le citoyen de 2018 ait moins de pouvoir que celui de 1958 ne suffit pas à expliquer le populisme. Les «Trente Glorieuses» avaient fait reculer les inégalités. La mondialisation les a accentuées à nouveau. Les générations d’après-guerre ont vécu avec la conviction que la vie serait plus facile pour celles qui suivraient. Cet optimisme a disparu, note Mounk. Les études qu’il cite montrent que neuf Américains sur dix nés en 1940 gagnaient à trente ans plus que leurs parents au même âge. Cette proportion n’est plus que d’un sur deux pour les Américains nés en 1980. Les données disponibles suggèrent une évolution analogue en Europe.
Les développements consacrés aux effets de l’accroissement des inégalités sur la montée du populisme comptent parmi les pages les plus intéressantes de l’ouvrage. Il est de bon ton en effet de mettre en doute toute relation de cause à effet en ce domaine. Les succès tout récents de l’extrême droite dans la Suède prospère tordraient le cou à la thèse selon laquelle le populisme se nourrirait de la colère des «perdants de la mondialisation». Déjà, on avait pu montrer que les classes les plus favorisées avaient bel et bien voté Trump, et les plus fragilisées, Clinton. On pensait détenir la preuve que le récit médiatique associant pauvreté et succès du populisme tenait de la légende urbaine.
Pas si simple, avertit Mounk. Car entre les plus riches et les plus pauvres, il y a la classe moyenne. Et là, une étude attentive donne un autre éclairage. Les électeurs de Trump sont en moyenne moins diplômés que ceux de Clinton. Ils ont donc des raisons particulières de se sentir plus menacés que d’autres par la mondialisation et l’intelligence artificielle. Ils habitent aussi des régions aux indices de santé moins favorables, au taux de chômage plus élevé, à la mobilité sociale plus faible et où vivent davantage d’individus sans revenu. En 2016, les quinze Etats les moins menacés par l’automatisation ont voté Clinton. Vingt et un des vingt-deux Etats les plus menacés ont choisi son adversaire.
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Les civilisations sont mortelles, les démocraties libérales le sont aussi. Le livre de Mounk nous invite à en prendre conscience. L’auteur se refuse cependant au défaitisme. Les moyens de combattre le populisme existent: les droits civiques, la mobilisation citoyenne doivent être utilisés avec une détermination sans faille pour barrer la route à des évolutions qui pourraient, sinon, sonner le glas de nos libertés. Mais en tous les cas, ce n’est pas en éloignant encore davantage le pouvoir des citoyens que l’on y parviendra.
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Mais la manière, directe et très «grand public», dont l’auteur démonte nombre d’idées reçues et esquisse des pistes de solution se révèle finalement roborative.</p><p>La force de son livre vient du fait qu’au fil des pages, on sent bien que l’auteur nous raconte en réalité ses propres déconvenues intellectuelles. Ce n’est pas pour rien que son chapitre introductif s’intitule <em>Perdre ses illusions</em>. Tout paraissait en effet prédestiner le jeune chercheur à épouser les vues de ces élites libérales, progressistes et mondialisées dont il dénonce aujourd’hui, en creux, les contradictions et la difficulté à «penser contre elles-mêmes». Né à Munich en 1982 de parents juifs polonais, Yascha Mounk a étudié en Angleterre avant de passer un doctorat aux Etats-Unis. A 13 ans, il adhère au parti social-démocrate allemand, le SPD, mais il en démissionne en 2015 par une retentissante lettre ouverte publiée dans <em>Die Zeit</em>, critiquant notamment l’attitude de son parti dans la crise grecque.</p><p>L’élection de Donald Trump en 2016 – qu’il a vivement combattue –, le renforce encore dans ses convictions: l’ère de la stabilité démocratique, où libertés individuelles, Etat de droit et suffrage universel semblaient devoir aller immuablement de pair, pourrait bien toucher à sa fin. Mais là où beaucoup croient avoir fait le tour de la question en alertant sur le retour possible d’un fascisme plus ou moins mal dissimulé, Yascha Mounk, lui, développe une pensée beaucoup moins attendue.</p><p>La montée du populisme, nous dit Mounk – et ce constat est troublant –, a quelque chose à voir avec l’hypertrophie de l’appareil administratif et judiciaire entraînée par le développement de l’Etat de droit dans les démocraties occidentales. Les banques centrales, les agences indépendantes, les organisations internationales, les cours constitutionnelles, toutes ces institutions indispensables au fonctionnement des Etats modernes et de l’économie libérale, et dont le travail est le plus souvent d’une remarquable qualité, n’en ont pas moins éloigné le pouvoir des citoyens en déplaçant son centre de gravité.</p><p>Des décisions de plus en plus importantes se prennent aujourd’hui sans être soumises à une quelconque sanction du suffrage universel. La Commission européenne, selon Mounk, est l’exemple le plus frappant de l’évolution qu’il décrit. Le fonctionnement des institutions européennes est tel que c’est à cette administration que revient dans les faits, selon l’auteur, «de conduire la plupart des activités de l’Union». 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Au contraire, c’est bien parce que le populisme a une légitimité démocratique que les lendemains qu’il annonce risquent d’être sinistres.</p><p>Tout l’intérêt de la pensée de Mounk est de récuser les analyses qui se contenteraient d’opposer à la démocratie anti-libérale ce qu’il appelle un libéralisme anti-démocratique, c’est-à-dire une forme d’organisation politique qui protégerait efficacement les droits des individus et des minorités et prendrait des décisions parfaitement raisonnables mais qui, par défiance, cesserait de croire au suffrage universel comme à la seule légitimité possible de tout gouvernement.</p><p>La position de Mounk le place à contre-courant d’un autre politologue, l’Allemand Jan-Werner Müller, pour qui les mouvements populistes sont d’inspiration antidémocratique par essence. <em><strong><br></strong></em></p><blockquote><p><em><strong>«Je crains, </strong></em>écrit Mounk<em><strong>, que le refus de reconnaître qu’il y a quelque chose de démocratique dans l’énergie qui les a propulsés au pouvoir ne nous empêche de comprendre la nature de leur force d’attraction et rende plus difficile de réfléchir de manière prudente et créative à la façon de les arrêter.»</strong></em></p></blockquote><p>Au chapitre des remèdes justement, Yascha Mounk accorde une grande place à ce qu’il appelle «réparer l’économie». Car à lui seul, le fait que le citoyen de 2018 ait moins de pouvoir que celui de 1958 ne suffit pas à expliquer le populisme. Les «Trente Glorieuses» avaient fait reculer les inégalités. La mondialisation les a accentuées à nouveau. Les générations d’après-guerre ont vécu avec la conviction que la vie serait plus facile pour celles qui suivraient. Cet optimisme a disparu, note Mounk. Les études qu’il cite montrent que neuf Américains sur dix nés en 1940 gagnaient à trente ans plus que leurs parents au même âge. Cette proportion n’est plus que d’un sur deux pour les Américains nés en 1980. Les données disponibles suggèrent une évolution analogue en Europe. </p><p>Les développements consacrés aux effets de l’accroissement des inégalités sur la montée du populisme comptent parmi les pages les plus intéressantes de l’ouvrage. Il est de bon ton en effet de mettre en doute toute relation de cause à effet en ce domaine. Les succès tout récents de l’extrême droite dans la Suède prospère tordraient le cou à la thèse selon laquelle le populisme se nourrirait de la colère des «perdants de la mondialisation». Déjà, on avait pu montrer que les classes les plus favorisées avaient bel et bien voté Trump, et les plus fragilisées, Clinton. On pensait détenir la preuve que le récit médiatique associant pauvreté et succès du populisme tenait de la légende urbaine.</p><p>Pas si simple, avertit Mounk. Car entre les plus riches et les plus pauvres, il y a la classe moyenne. Et là, une étude attentive donne un autre éclairage. Les électeurs de Trump sont en moyenne moins diplômés que ceux de Clinton. Ils ont donc des raisons particulières de se sentir plus menacés que d’autres par la mondialisation et l’intelligence artificielle. Ils habitent aussi des régions aux indices de santé moins favorables, au taux de chômage plus élevé, à la mobilité sociale plus faible et où vivent davantage d’individus sans revenu. 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L’immense majorité des citoyens des démocraties occidentales, note-t-il, se sentent encore, et probablement pour longtemps encore, appartenir à un pays déterminé, dont l’histoire et les institutions ont façonné une identité particulière, non interchangeable. Penser qu’à l’heure de la mondialisation, les nations n’existent plus, ou qu’elles sont obsolètes, procède d’une fausse perception de la réalité, quoi qu’aient pu espérer les générations de l’après-guerre et en particulier les pères-fondateurs de l’intégration européenne.</p><p>Pour le meilleur ou pour le pire, la nation va donc perdurer. La grande question n’est donc pas celle de sa disparition, mais bien de savoir ce qu’on peut en faire. Mounk se démarque là avec une grande netteté d’un courant intellectuel sensible aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, qui refuse la nation précisément en raison de son héritage historique – colonialiste, impérialiste, raciste ou guerrier. Ce n’est pas parce que les idéaux des Lumières sur lesquels ont été bâties les démocratiques modernes n’ont pas été atteints ou ont été trahis qu’il faut les abandonner, dit l’auteur en substance. Le «patriotisme inclusif» légué par les révolutions américaine et française et sa promesse d’une émancipation de tous sans distinction d’origine, reste, pour Mounk, un idéal totalement actuel.</p><p>Les civilisations sont mortelles, les démocraties libérales le sont aussi. Le livre de Mounk nous invite à en prendre conscience. L’auteur se refuse cependant au défaitisme. Les moyens de combattre le populisme existent: les droits civiques, la mobilisation citoyenne doivent être utilisés avec une détermination sans faille pour barrer la route à des évolutions qui pourraient, sinon, sonner le glas de nos libertés. 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A plus long terme, l’initiative «pour l’autodétermination» engendrera une incertitude permanente sur le sort des traités en question. L’UDC pourra revendiquer une adaptation de ces textes et, en cas de refus de nos partenaires – hypothèse la plus probable – une dénonciation. Mais par qui? Le Conseil fédéral? Le Parlement, voire le peuple? L’initiative laisse sans la moindre réponse ces questions pourtant essentielles. Il s’ensuivra immanquablement une confusion totale, sur le plan juridique aussi bien que politique. L’UDC aura alors le champ libre pour mener ce qui pourrait ressembler à une sorte de guerre de harcèlement dans laquelle la volonté populaire sera constamment opposée au refus de la «classe politique» de s’y plier.</p><p>C’est en cela qu’on peut dire qu’avec cette initiative, la souveraineté populaire risque d’être prise en otage par l’UDC. 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Et le brio de son analyse tient en particulier à la capacité du jeune intellectuel à penser contre son propre camp, celui des élites progressistes et cosmopolites. La lutte sera difficile, prévient-il, et il faudra la mener, en partie au moins, sur le terrain même que se sont choisi les populistes. Par exemple en cessant de leur abandonner l’idée de la nation et en réparant une économie déréglée par la mondialisation.</p><p>Si l’on cherchait à tirer les enseignements du livre de Mounk pour le combat contre l’initiative de l’UDC, on pourrait commencer par dire que le peuple n’est pas un gros mot, la souveraineté non plus, mais que le peuple est infiniment trop précieux pour être laissé aux populistes. 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Un tel revirement est délétère et contribue lourdement à entretenir le soupçon que le gouvernement et le Parlement ont cessé d’obéir au peuple.</p><p>Si l’initiative est rejetée dimanche, il ne faudrait surtout pas renoncer à instiller une forte dose de pédagogie démocratique afin que les citoyens soient désormais au clair sur les raisons pour lesquelles les autorités privilégient, exceptionnellement, un accord international sur le résultat d’une votation. 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Répondant aux questions d’Eric Hoesli, ancien journaliste et patron de presse aujourd’hui professeur à l’EPFL, Dick Marty a révélé l’un des moteurs de son action: «Le jour où je ne m’indignerai plus, j’aurai cessé de vivre.»</p><h3>Fertile amnésie<br></h3><p>Son livre tient de l’accident de parcours, au sens propre. Il s’est résolu à l’écrire après un épisode d’amnésie dont il a été victime quelques heures durant au sortir d’une séance à Berne, un matin de novembre l’an dernier. Un accident neurologique qui effacera en lui tout souvenir de cette matinée. 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L’Italie? «Ce que dit Salvini donne la chair de poule». </p><p>Dick Marty sait que tous les historiens et tous les politologues sont loin d’être d’accord avec cette thèse, mais il maintient que la situation actuelle rappelle les années 30. Parmi les explications, il voit tout à la fois la révolte des couches qui se sentent menacées par des catégories sociales encore plus défavorisées, l’évolution des technologies, et le fait que «les élites politiques n’ont pas été exemplaires.»</p><p>L’idéologie néolibérale, «qui n’a rien à voir avec le libéralisme», porte une lourde responsabilité dans les dérèglements actuels. C’est un «poison» et un jour ce modèle va se casser, est convaincu Dick Marty. Face à ces défis, l’Europe doit s’unir encore plus. Comment? En n’hésitant pas à créer une Europe à plusieurs vitesses. L’Europe s’est agrandie trop vite, son fonctionnement à 28 ou 27 ne permet plus d’avancer. «Il faut des locomotives», sinon il y a un risque de nivellement par le bas. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@Fleurdevie 10.10.2018 | 11h01
«Superbe article, tellement juste.
Merci de m'avoir fait connaître ce personnage ! »
@Richard Golay 10.10.2018 | 20h22
«Egalement merci pour cet article qui pousse à la réflexion. Mais, j'ose dire que l'auteur n'est pas cohérent. Il note fort justement le pouvoir non-démocratique immense de la Commission européenne mais parle des Etats de l'UE comme des Etats démocratiques. Cherchez l'erreur ! Mais bon, la nomenklatura parisienne a bien aimé le livre. Il donne des arguments si élaborés pour protéger ses privilèges !»
@Lagom 20.10.2018 | 14h07
«Excellent article. Pour résumer en une seule phrase; vaincre l'extrême droite = application rigoureuse des lois. »
@flegmatique 31.10.2018 | 16h00
«Très bon article, intéressant. Oui le peuple semble vouloir récupérer à son compte le pouvoir qui a échappé aux gouvernements démocratiques suite à la mondialisation. La réalité du monde actuel, instable et anxiogène, déstabilise d'autant le citoyen qui se rend bien compte que les décisions politiques, rongés par les lobbys et les intérêts particuliers, ne correspondent plus aux aspirations d'une majorité de citoyens.
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