Actuel / Récit d'une migration clandestine
Des migrants à la frontière entre la Serbie et la Hongrie, en août 2015. © Gémes Sándor/SzomSzed - CC BY-SA 3.0
En 2015, quand s'est abattue sur l'Europe la gigantesque vague des migrations venues d'Afrique et du Moyen-Orient, une grande partie des migrants s'est retrouvée bloquée en Serbie, à la porte sud de l'Union européenne. Depuis huit ans maintenant, la Serbie est ainsi devenue, à son corps défendant, une plaque tournante où des réseaux de passeurs s'enrichissent pour permettre à des Syriens, des Afghans ou des Africains de rejoindre l'UE.
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Ainsi la série Netflix <em>Le</em> <em>Problème à trois corps </em>offre un résumé saisissant des passions qui nous agitent depuis quelques années. On pourrait presque y voir un évangile tant son scénario est lisible comme un résumé de toutes nos craintes, de nos désirs et de nos croyances.</p> <p>Cette <a href="https://www.netflix.com/title/81024821" target="_blank" rel="noopener">série</a> en neuf épisodes, pour lequel nous attendons la seconde saison, est un morceau de bravoure télévisuelle incontestable. On s'amuse bien en la regardant, la production est léchée, les acteurs sont crédibles et les dialogues sont prenants. Lorsque l'on sait que l'auteur des livres qui ont inspiré cette série est chinois, on est également prié de comprendre que la domination absolue de l'Amérique sur la culture de masse ne sera bientôt plus qu'un lointain d'un souvenir. Ce que "Squid Game", la série coréenne, nous avait déjà permis d'entrevoir.</p> <p>La science-fiction permet à un auteur de projeter dans une œuvre sa vision de la société et de son avenir. L'éclosion de ce genre a eu lieu sous l'effet combiné de notre soudaine connaissance de l'histoire à partir du XIXe siècle, puis des idéologies et des massacres de masse du XXe siècle, qui nous ont fait perdre notre innocence. Dans un monde devenu dangereux et mouvant, l'artiste avait soudain reçu le commandement d'imaginer l'issue de ce chaos.</p> <p>Après les débuts fabuleux et enfantins de Jules Verne, les boucheries de Verdun puis du Troisième Reich ont définitivement assombri le genre vers les dystopies orwelliennes, mais aussi celles de Huxley, de Clarke, de Bradbury en passant par Philippe K. Dick, jusqu'à Liu Cixin, auteur du <em>Problème à trois corps</em>. Comme si l'optimisme était considéré comme un péché mortel, la totalité de ces auteurs, dont certains sont des géants de la littérature mondiale, ont en commun de nous imaginer un avenir épouvantable, où l'univers concentrationnaire allemand est utilisé comme mètre-étalon de ce que le cerveau humain peut engendrer à son nadir. Le <em>Problème à trois corps</em> n'échappe pas à cette règle.</p> <p>On pourrait s'arrêter sur trois éléments centraux du <em>Problème à trois corps</em>, réunis sous un dénominateur commun. Le premier élément, c'est la nature même de l'ennemi. Le second élément, ce sont ceux parmi les êtres humains dont on attend la solution. Et le troisième élément, c'est le genre de monde dans lequel on nous promet la victoire sur l'Ennemi. 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Ce ne sont plus de nos jours les papes, les princes et les généraux dont on doit attendre la parole et l'ordre, mais les scientifiques. « <em>Il faut croire les docteurs !</em> » s'époumonait une cliente âgée d'un restaurant lémanique la semaine dernière. Durant toute la pandémie de COVID, cette antienne nous a été répétée sur tous les plateaux de télévision et dans tous les journaux : il faut croire en la science. Sans jamais relever que cette injonction est en soi contradictoire, puisque la science n'est pas affaire de foi. 2 + 2 font 4, qu'on y croie ou non.</p> <p>Le troisième élément, déjà visible dans le second, c'est le monde dans lequel on nous annonce que se trouve la victoire contre l'Ennemi. Il serait facile de pointer le fait que l'auteur du livre est chinois, que cela explique pourquoi le problème à trois corps est traversé par un tel dédain de la démocratie. Mais il est également probable que ce mépris pour l'organisation politique traditionnelle soit le fruit même des craintes qui nous hantent. Que ce soit le démiurge aux poches sans fond qui finance les jeunes scientifiques, ou la décision des Nations Unies de confier le sort de l'humanité à trois personnes, sans aucun droit de regard, tout cela illustre notre désarroi face à des instances politiques qui se perdent en des débats interminables qui accouchent de souris.</p> <p>La guerre qui oppose l'Occident à la Russie en Ukraine fait apparaître que le pouvoir direct d'un seul, même plus faible et plus petit, offre des avantages considérables lorsque l'on est soi-même soumis à des contrôles et des élections interminables. « <em>Je veux que vous paniquiez</em> », criait d'une voix étouffée Greta Thunberg. La panique est incompatible avec la démocratie, avec la discussion et le consensus. Elle exige une action immédiate et irréfléchie. 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Que ce soit dans le <em>Problème à trois corps</em> ou dans les myriades de séries et de films que Netflix nous propose depuis des années au sujet de la Seconde Guerre mondiale, que ce soit dans l'hystérie collective délirante au sujet de la Russie en Ukraine, que ce soit dans les décisions martiales et apocalyptiques prises au début de la pandémie, il est difficile d'échapper à l'omniprésence de ce désir de guerre, du moins en Occident.</p> <p>La guerre, que l'on assimile inconsciemment toujours à la Seconde Guerre mondiale, mais jamais à la Première, ou à celle de Crimée ou d'Irak, représente ce moment d'union absolue contre le mal absolu, cet instant magique où sont suspendus les divisions et les doutes abyssaux d'une société en perte de sens et de motivation. Enfin, chacun peut se sacrifier pour la collectivité, trouver un sens à sa vie, échapper à l'anémie de la société de consommation, aux exigences de bonheur des médias sociaux, et se jeter dans la fournaise du combat des Justes contre la Bête immonde. 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Que l'on soit chrétien ou athée, cette phrase conserve toute sa pertinence si l'on remplace le mot religion par idéologie. Et l'idéologie est le personnage principal d'<em>Anatomie d'une chute</em>. L'histoire se résume une seule phrase: Un homme meurt, comment est-il mort? C'est le genre classique du «<em>whodunnit</em>» américain, contraction de «<em>who's done it</em>», ou qui l'a fait. Et comme dans tous les <em>whodunnit</em>, le spectateur est délibérément entraîné sur de fausses pistes les unes après les autres. Agatha Christie était maître du genre et parvenait à maintenir le mystère complet jusqu'à la révélation du coupable par l'inébranlable et moustachu Hercule Poirot. Ce <em>whodunnit</em> échappe hélas à cette règle tant son dénouement est prévisible.</p> <p>Dans un chalet isolé de haute montagne, non loin de Grenoble, un couple vit avec un enfant d'une dizaine d'années et presque aveugle. 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Nous ne voyons même pas le mari, nous ne faisons qu'entendre la musique qu'il fait jouer beaucoup trop fort dans son grenier, afin de rendre impossible un entretien que sa femme donne à une jeune étudiante. Toute la personnalité du mari est contenue dans cette scène. Il est volontairement absent, manipulateur et passif-agressif. A mesure qu'avance l'enquête, l'épouse multiplie les maladresses à sa propre décharge. Nous ne savons encore rien du mari, sinon qu'il traîne un lourd sentiment de culpabilité envers son fils, rendu aveugle à la suite d'un accident dont il se sent responsable.</p> <p>Lors du procès nous découvrons comment fonctionne le couple. Il ressort que l'épouse est une écrivaine à succès. Tandis que le mari, lui-même aspirant écrivain, ne parvient pas à écrire quoi que ce soit. Il est donc rongé à parts égales de frustration et de jalousie envers sa femme. A cela s'ajoute la jalousie sexuelle qu'il éprouve pour elle qui, bisexuelle, l'a trompé avec une autre femme. Pourtant, avant même que ce procès commence, il est manifeste que les preuves matérielles d'un éventuel assassinat sont plus que ténues – quelques gouttes de sang – mais surtout que les motifs de l'épouse pour tuer son mari sont inexistants. Si l'un des deux se nourrit de haines et de jalousie, c'est lui, pas elle.</p> <p>Alors que le procès touche à sa fin, nous découvrons – enfin! – qui est cet homme. Ainsi celui-ci provoque et enregistre des querelles violentes avec sa femme, qu'il retranscrit ensuite pour les envoyer à un éditeur. Autrement dit, un esprit profondément tordu et retors, atrocement jaloux de sa propre épouse et recourant à des méthodes scélérates pour tenter de lui damner le pion. Enfin intervient le Deus Ex Machina, le fils aveugle. Protégeant sa mère de son innocence et de sa clairvoyance Saint-Exupérienne («l'essentiel est invisible pour les yeux»), il déclare à la Cour que du suicide de son père ou de l'assassinat par sa mère, seul le suicide est crédible. 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C'est une histoire dont je tairai le nom des protagonistes pour des raisons qui vous seront vite évidentes. Ce jeune ami belgradois devait se rendre en Autriche pour ses études. Comme il le fait souvent, il fait appel à une plateforme de covoiturage, populaire à travers toute l'Europe. Le matin du transport, le chauffeur le contacte pour lui dire qu'il doit annuler son voyage. Dépité, mon ami trouve malgré tout sur la plateforme une alternative. Un jeune chauffeur lui propose la même course, le même jour et pour le même prix, dans une camionnette. Mon ami, accompagné de deux camarades d'études, accepte l'offre et retrouve le chauffeur et sa camionnette dans Belgrade. Tous les quatre font alors route vers l'ouest. Le trajet se passe sans problème. A la frontière croate, les douaniers interrogent le chauffeur et inspectent le véhicule et ses occupants, comme il se doit. C'est en arrivant près de Zagreb que mon ami dresse l'oreille, alarmé. Il a entendu une voix.
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La première tentative du chauffeur consiste à implorer la pitié. Il explique que ces deux gaillards ont fui la guerre et n'ont d'autre espoir que lui pour les transporter en Europe. Il se présente comme une forme d'organisation humanitaire officieuse, mû par le désir d'aider. Mais cette explication ne peut tenir étant donné que les deux clandestins parlent turc et ne peuvent par conséquent fuir aucune guerre.
Enfin le chauffeur admet qu'il ne sait pas très bien d'où ils viennent et qu'il ne fait qu'exécuter une mission sur commande. C'est manifestement un plan bien rôdé qu'il exécute plusieurs fois par mois. Il a créé un espace sous les bagages où deux hommes peuvent se tenir couchés côte à côte, à condition de ne rien dire et de ne pas bouger pendant 10 heures. En se souvenant du passage à la douane, mon ami comprend que le contrôle n'a pas été trop zélé. Il ne peut s'empêcher de soupçonner une collaboration secrète. Le chauffeur explique qu'il doit livrer son précieux cargo en Allemagne, et qu'il touchera 2'700 euros par personne. Mais il insiste pour conduire les trois passagers en Autriche, gratuitement, par reconnaissance de leur discrétion.
Mon ami ne sait pas du tout comment réagir et ses deux camarades non plus. Il y a d'un côté le crime évident qui est en train d'être commis sous leurs yeux, et dont une police européenne pourrait les tenir complices. Mais il y a d'un autre côté deux jeunes hommes qui ont absolument tout risqué pour se retrouver dans cette camionnette et fuir leur pays pour rejoindre l'Union européenne. Les trois voyageurs exigent alors du chauffeur un moment de réflexion. Et ils décident enfin de continuer leur route comme prévu et de ne pas avertir la police.
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Un autre ami, attablé avec nous, raconte alors sa propre histoire. Il vient d'un petit village du sud de la Serbie. Et il se souvient qu'en 2015 et 2016, lors de la première vague massive de migrants venus de Syrie, il était devenu tout à fait courant pour les villageois de prendre une voiture, de la remplir de migrants, de jeter sur eux une maigre couverture et de les emmener en Hongrie, en graissant au passage les douaniers pour ne pas se faire embêter. Ce petit marché a duré plusieurs mois avant que l'Europe y mette fin, contraignant la Hongrie à construire d'immenses barrières à sa frontière sud. C'est ainsi qu'est né ce nouveau marché des camionnettes à double fond, encore plus rentable mais bien plus risqué, et dont l'ampleur est impossible à calculer avec précision.
Ces petits trafics sordides ressortent de l'éternel ordinaire. Ils sont aussi vieux que les migrations, qui sont aussi vieilles que l'humanité. Ayant toujours échoué à s'exprimer d'une seule voix sur ces questions centrales, Bruxelles continue de laisser les pays qui sont en première ligne élaborer leur petite cuisine sur le sujet. C'est ainsi que l'Italie, la Grèce, la Hongrie et la Croatie ont toutes des règlements différents et traitent les migrants d'une façon distincte, alors même qu'elles font toutes partie de l'Union. Cette politique, ou cette absence de politique, ne diminue nullement le flux migratoire, mais permet la diffusion de la responsabilité de cet échec sur une grande quantité de pays et d'acteurs institutionnels. Cette pusillanimité permet alors à des pays comme la Serbie de profiter cyniquement de ces innombrables tragédies humaines, au vu et au su de Bruxelles qui s'en lave les mains.
Mais ces traffics sont également rendus possibles par la situation économique et sociale de la Serbie. Dans ce pays où la corruption détruit de l'intérieur l'ascenseur social, où les salaires, surtout en dehors des villes, sont ridicules et l'inflation galopante, les perspectives d'avenir sont lugubres pour les jeunes. C'est ainsi que depuis dix ans la Serbie perd plus de 50'000 habitants par année – presque 1% de sa population – évidemment jeunes et éduqués pour la plupart. Le chauffeur de cette camionnette fait lui-même partie de cette population qui n'a qu'un seul rêve, que partagent ses deux passagers clandestins: aller vivre et travailler dans l'Union européenne. Et comme il n'a probablement ni les contacts, ni les diplômes nécessaires à son départ, il se rabat sur toutes sortes de trafics et d'expédients pour s'offrir une vie à peu près normale.
On entend souvent répéter que le rêve européen s'est évanoui, que plus personne n'y croit. Pourtant ce rêve vit et se transmet à travers des pays entiers. Mais ces pays ne sont pas en Europe. C'est en-dehors de l'UE en effet, dans des pays où la vie est difficile, comme en Serbie, ou impossible, comme en Syrie, que le rêve européen existe et enflamme les imaginations. L'Europe, ce ne sont pas des règlements, ou des lois, ou des fonctionnaires, ou des centres historiques bien proprets. L'Europe, c'est un jeune criminel qui prend tous les risques pour passer des migrants à travers des frontières, tout en transportant de jeunes étudiants qui quittent, sans regrets, leur pays corrompu.
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Ainsi la série Netflix <em>Le</em> <em>Problème à trois corps </em>offre un résumé saisissant des passions qui nous agitent depuis quelques années. On pourrait presque y voir un évangile tant son scénario est lisible comme un résumé de toutes nos craintes, de nos désirs et de nos croyances.</p> <p>Cette <a href="https://www.netflix.com/title/81024821" target="_blank" rel="noopener">série</a> en neuf épisodes, pour lequel nous attendons la seconde saison, est un morceau de bravoure télévisuelle incontestable. On s'amuse bien en la regardant, la production est léchée, les acteurs sont crédibles et les dialogues sont prenants. Lorsque l'on sait que l'auteur des livres qui ont inspiré cette série est chinois, on est également prié de comprendre que la domination absolue de l'Amérique sur la culture de masse ne sera bientôt plus qu'un lointain d'un souvenir. Ce que "Squid Game", la série coréenne, nous avait déjà permis d'entrevoir.</p> <p>La science-fiction permet à un auteur de projeter dans une œuvre sa vision de la société et de son avenir. L'éclosion de ce genre a eu lieu sous l'effet combiné de notre soudaine connaissance de l'histoire à partir du XIXe siècle, puis des idéologies et des massacres de masse du XXe siècle, qui nous ont fait perdre notre innocence. Dans un monde devenu dangereux et mouvant, l'artiste avait soudain reçu le commandement d'imaginer l'issue de ce chaos.</p> <p>Après les débuts fabuleux et enfantins de Jules Verne, les boucheries de Verdun puis du Troisième Reich ont définitivement assombri le genre vers les dystopies orwelliennes, mais aussi celles de Huxley, de Clarke, de Bradbury en passant par Philippe K. Dick, jusqu'à Liu Cixin, auteur du <em>Problème à trois corps</em>. Comme si l'optimisme était considéré comme un péché mortel, la totalité de ces auteurs, dont certains sont des géants de la littérature mondiale, ont en commun de nous imaginer un avenir épouvantable, où l'univers concentrationnaire allemand est utilisé comme mètre-étalon de ce que le cerveau humain peut engendrer à son nadir. Le <em>Problème à trois corps</em> n'échappe pas à cette règle.</p> <p>On pourrait s'arrêter sur trois éléments centraux du <em>Problème à trois corps</em>, réunis sous un dénominateur commun. Le premier élément, c'est la nature même de l'ennemi. Le second élément, ce sont ceux parmi les êtres humains dont on attend la solution. Et le troisième élément, c'est le genre de monde dans lequel on nous promet la victoire sur l'Ennemi. 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Enfin, chacun peut se sacrifier pour la collectivité, trouver un sens à sa vie, échapper à l'anémie de la société de consommation, aux exigences de bonheur des médias sociaux, et se jeter dans la fournaise du combat des Justes contre la Bête immonde. 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Que l'on soit chrétien ou athée, cette phrase conserve toute sa pertinence si l'on remplace le mot religion par idéologie. Et l'idéologie est le personnage principal d'<em>Anatomie d'une chute</em>. L'histoire se résume une seule phrase: Un homme meurt, comment est-il mort? C'est le genre classique du «<em>whodunnit</em>» américain, contraction de «<em>who's done it</em>», ou qui l'a fait. Et comme dans tous les <em>whodunnit</em>, le spectateur est délibérément entraîné sur de fausses pistes les unes après les autres. Agatha Christie était maître du genre et parvenait à maintenir le mystère complet jusqu'à la révélation du coupable par l'inébranlable et moustachu Hercule Poirot. Ce <em>whodunnit</em> échappe hélas à cette règle tant son dénouement est prévisible.</p> <p>Dans un chalet isolé de haute montagne, non loin de Grenoble, un couple vit avec un enfant d'une dizaine d'années et presque aveugle. 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Nous ne voyons même pas le mari, nous ne faisons qu'entendre la musique qu'il fait jouer beaucoup trop fort dans son grenier, afin de rendre impossible un entretien que sa femme donne à une jeune étudiante. Toute la personnalité du mari est contenue dans cette scène. Il est volontairement absent, manipulateur et passif-agressif. A mesure qu'avance l'enquête, l'épouse multiplie les maladresses à sa propre décharge. Nous ne savons encore rien du mari, sinon qu'il traîne un lourd sentiment de culpabilité envers son fils, rendu aveugle à la suite d'un accident dont il se sent responsable.</p> <p>Lors du procès nous découvrons comment fonctionne le couple. Il ressort que l'épouse est une écrivaine à succès. Tandis que le mari, lui-même aspirant écrivain, ne parvient pas à écrire quoi que ce soit. Il est donc rongé à parts égales de frustration et de jalousie envers sa femme. A cela s'ajoute la jalousie sexuelle qu'il éprouve pour elle qui, bisexuelle, l'a trompé avec une autre femme. Pourtant, avant même que ce procès commence, il est manifeste que les preuves matérielles d'un éventuel assassinat sont plus que ténues – quelques gouttes de sang – mais surtout que les motifs de l'épouse pour tuer son mari sont inexistants. Si l'un des deux se nourrit de haines et de jalousie, c'est lui, pas elle.</p> <p>Alors que le procès touche à sa fin, nous découvrons – enfin! – qui est cet homme. Ainsi celui-ci provoque et enregistre des querelles violentes avec sa femme, qu'il retranscrit ensuite pour les envoyer à un éditeur. Autrement dit, un esprit profondément tordu et retors, atrocement jaloux de sa propre épouse et recourant à des méthodes scélérates pour tenter de lui damner le pion. Enfin intervient le Deus Ex Machina, le fils aveugle. Protégeant sa mère de son innocence et de sa clairvoyance Saint-Exupérienne («l'essentiel est invisible pour les yeux»), il déclare à la Cour que du suicide de son père ou de l'assassinat par sa mère, seul le suicide est crédible. 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Le force d'attraction du centre sur la périphérie n'est pas une illusion et l'on peut vivre toute une vie en se satisfaisant de l'idée que seuls les grands musées du monde occidental offrent la somme de tout ce qui doit être admiré. 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