Actuel / «Mon colon, celle que je préfère, c’est la guerre de quatorze-dix-huit»
En ce temps de commémoration, les radios ne passent guère la chanson de Georges Brassens. Le doux provocateur. Il a raison pourtant. La Première guerre mondiale fut la plus folle. © DR
Bizarre… En ce temps de commémoration, les radios ne passent guère la chanson de Georges Brassens. Le doux provocateur. Il a raison pourtant. La Première Guerre mondiale fut la plus folle. Parce qu’au début personne ne la voulait. Puis tout le monde en a rêvé. Tous s’y sont lancés. Et ce fut une atroce tuerie. Emmanuel Macron et une ribambelle de présidents ont pris des airs pénétrés pour en saluer la mémoire. Mais en ont-ils tiré toutes les leçons? Pas sûr, quoi qu’ils en disent.
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.</p> <p>N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. Conscients d’être dans une dictature, nous constations que chacun exprimait sans peur sa foi, son appartenance. Nous avions visité l’admirable mosquée des Omeyyades à Damas. Nous nous sommes étonnés auprès de deux jeunes filles de voir tant de monde, des familles en sortie, un dimanche et non un vendredi. Elles éclatèrent de rire: «Mais c’est le jour de Pâques!». Comme Noël, les jours de fêtes chrétiennes sont officiellement fériés en Syrie. Jusqu’à quand?</p> <p>Le prêtre d’Alep, devenu un ami, qui vit aujourd’hui en France, n’a pas le cœur à applaudir le tournant actuel. Il s’est exilé avec les siens après que sa fille de dix-huit ans ait été débarquée d’un bus, violée et assassinée parce qu’elle portait une croix autour du cou. Par des «rebelles modérés» comme on disait à l’époque. 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Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. 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Toutes ces ambitions, toutes ces craintes, dans l’échauffement des egos, aboutirent à un désir de guerre. Le mécanisme qui échappait en fait aux uns et aux autres se mit en branle pour le pire en quelques jours, en quelques semaines. Tous imaginèrent que le conflit serait court, chacun se croyait la victoire à sa portée. Et ce fut un effroyable enlisement. Puis l’obstination nourrie de l’orgueil. La propagande joua à fond. L’ivresse des drapeaux, des nationalismes, des héroïsmes. Et le sang, et la boue. La misère à l’arrière. Le tout pour la grande joie des fabricants, des marchands d’armes, des profiteurs, des planqués malins.
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Plonger dans ce passé amène toutes sortes de réflexions utiles au présent. Pour autant qu’on le veuille.
1 Les Somnambules de Christopher Clark, Ed. Flammarion, 926 pages.
2 La guerre censurée de Frédéric Rousseau, Ed. Points Histoire, 478 pages.
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Mais franchement, la France est-elle crédible dans son rôle de grande prêtresse de la paix universelle alors qu’elle est la troisième exportatrice d’armes dans le monde? L’a fournisseuse de l’Arabie saoudite empêtrée dans la sordide guerre du Yemen? Beau coup diplomatique, d’accord. Rien de plus.</p><p><span style="font-size: 1.6rem;">L’autre hic, c’est que le bon élève de l’Elysée paraît assez nul en histoire. Il commence par se prendre les pieds dans le tapis des hommages aux maréchaux, avec ou sans Pétain, le traître de 1940. Des héros, ces généraux qui, bien à l’abri à l’arrière, envoyaient des millions de pauvres types dans des batailles sans issues et follement meurtrières? Qu’on les oublie dans leurs tombes solennelles! Et que l’on fleurisse </span>plutôt<span style="font-size: 1.6rem;"> les milliers de monuments qui gardent le nom des morts dans tous les villages. <br></span></p><p>Et puis, avec le recul d’un siècle, le moment est venu de comprendre comment tout a commencé. L’historien australien-britannique a produit une œuvre capitale qui nous éclaire: <em>Les Somnambules</em><sup>1</sup>. Titre génial pour une description minutieuse de la montée du drame, inattendu quelques semaines encore avant son déclenchement. Voulu par une partie seulement des pouvoirs en place. Des généraux allemands qui voulaient en découdre avec la Russie, puissante à l’époque, et avec la France qui songeait à la revanche après la défaite de 1870. Des militaires et des politiciens français de droite qui pensaient dans la foulée en finir avec la montée des socialistes et le succès de leurs revendications (dont l’introduction, ainsi stoppée d’ailleurs, de l’impôt sur le revenu). Des stratèges de l’empire austro-hongrois le regard fixé sur leurs difficultés dans les Balkans. Un empereur de Russie, secoué par les révolutionnaires, de caractère faible et influençable. Des Britanniques fâchés par les prétentions prussiennes à se trouver une part du gâteau colonial…</p><p>Toutes ces ambitions, toutes ces craintes, dans l’échauffement des egos, aboutirent à un désir de guerre. Le mécanisme qui échappait en fait aux uns et aux autres se mit en branle pour le pire en quelques jours, en quelques semaines. Tous imaginèrent que le conflit serait court, chacun se croyait la victoire à sa portée. Et ce fut un effroyable enlisement. Puis l’obstination nourrie de l’orgueil. La propagande joua à fond. L’ivresse des drapeaux, des nationalismes, des héroïsmes. Et le sang, et la boue. La misère à l’arrière. Le tout pour la grande joie des fabricants, des marchands d’armes, des profiteurs, des planqués malins. <br></p><p>Nombre de livres ont paru ces derniers temps sur la réalité vécue des populations entraînées dans la guerre. Toutes sortes de documents ont fait surface, des milliers de lettres et de photos. Il en ressort que les combattants, passés les premiers moments d’euphorie, perçurent tôt l’horreur du conflit, les impasses dans les tranchées, les hasardeuses missions offensives aux quatre coins de l’Europe et au-delà. Mais dans tous les camps, l’appareil des pouvoirs était puissant, brutal en cas de velléité rebelle. Un éclairage longtemps refoulé au profit de la mythologie officielle, comme le démontrent l’historien Frédéric Rousseau<sup>2</sup> et, en images, son confrère suisse François Wavre<sup>3</sup>.</p><p>Et la guerre dura, dura… Quand elle prit fin, la France fêta la Victoire avec un grand V, sans prendre la mesure du désastre humain qui l’avait ravagée. L’Allemagne, humiliée par la défaite, en finit avec la monarchie, se dirigea vers une république brinquebalante et le terreau du nazisme se mit en place. La Russie bascula dans la révolution bolchévique. L’empire austro-hongrois éclata et il se dessina une nouvelle carte de l’Europe porteuse de bien des dangers. 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Peu de mots non plus sur les millions de Russes, de Turcs, de Grecs, de Balkaniques sacrifiés aussi dans la tourmente qui fut réellement mondiale. <br></p><p>La Seconde Guerre mondiale, épouvantable bien sûr, était différente: elle a été voulue par un homme, par une folie. Les autres l’ont subie, menée et ont vaincu. L’engrenage de 14-18 est plus complexe parce que les responsabilités étaient partagées. Toutes sortes de causes s’entremêlèrent. Et ce fut une tragédie commune. Y réfléchir aujourd’hui, alors que les nationalismes montent, alors que des belliqueux de tous poils s’égosillent, cela a du sens. <br></p><p>Macron se donne une belle image en convoquant un «forum de Paris pour la paix». Très bien. Ce serait mieux avec un brin d’autocritique. Rétrospective par rapport à ce passé qui remonte. Par rapport aux politiques nationales d’aujourd’hui souvent peu portées à l’action internationale commune. Certes, le discours du président avait de la tenue. 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Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.</p> <p>Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. 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Le discours nationaliste passe bien ailleurs et fort mal là… A noter qu’il ne souhaite nullement la sortie de l’UE mais souhaite y défendre mieux les intérêts de son pays. Comme à peu près tous. </p> <h3><strong>Portrait d’un personnage peu banal</strong></h3> <p>L’image caricaturale qui nous est proposée de ce personnage peu banal est à côté de la plaque. Cet ingénieur agronome écologiste a fait carrière dans les institutions de son pays et aux Nations Unies (avec un passage à Genève). Il maîtrise son propos, plutôt mesuré. Mais avec le sens de la formule. Par exemple, à propos des partis traditionnels qui ont connu bien des cas de magouilles et de corruptions: «ils essuient leurs bottes sales sur le visage de la démocratie!»</p> <p>C’est un conservateur comme on en trouve en France, en Allemagne. Avec en plus des préoccupations sociales, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la condition paysanne. Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. Plus inquiétant pour lui: divers services s’activent pour trouver quelques charges à son encontre qui permettraient d’écarter une nouvelle candidature. «Comme il n’y a rien à me reprocher, il leur faut du temps pour fabriquer des preuves…», commente l’intéressé. Il appelle de ses vœux des enquêteurs internationaux, européens, américains. Ajoutant: «Nous respectons nos partenaires démocratiques, mais j’ai le sentiment qu’ils nous lâchent, j’espère me tromper.»</p> <h3><strong>L’Union européenne discréditée </strong></h3> <p>Il y a bien lâchage du côté de Mme von der Leyen et ses gens. Soucieux d’abord de s’aligner sur la ligne de l’OTAN et de l’administration Biden, entraînant tant de médias dans ce sillage. Il s’agit là d’une dérive de l’UE et de ses principes. Une fois de plus, la tactique du «deux poids deux mesures». On tance un Erdogan, un Fico (le président slovaque), mais pas un mot sur le président roumain Iohannis qui prolonge son mandat en cassant une élection. Bien sûr pas un froncement de sourcils non plus lorsqu’en France le gouvernement tente d’imposer sa volonté à coups de «49.3» contre la majorité du parlement. </p> <p>La «maison commune» se remettra-t-elle du discrédit ainsi démontré à la face du monde? Pas de si tôt, c’est à craindre. </p>', 'content_edition' => 'Le bouleversement en Syrie détourne les regards. Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections. Or la Commission européenne ne bronche pas. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Astoria 13.11.2018 | 08h15
«Merci Jacques pour cette clarification avec une seule réserve y’a critique de Macron un peu catégorique. Reconnaissons qu’il fait un travail de mémoire important, avec toutefois tes précisions »
@stef 23.12.2018 | 13h31
«Magnifique rappel d’une histoire que l’on a trop tendance à oublier et à ne pas tenir compte...»