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Actuel / Les nouveaux maîtres de la presse romande

Grégoire Barbey

16 novembre 2017

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«En quelques années, la Suisse romande a perdu le contrôle de la majeure partie de sa presse quotidienne et ses journalistes font les frais d’une politique de rendement extravagante.» Comment en sommes-nous arrivés là? C’est à cette question que répond Alain Clavien, professeur d’Histoire contemporaine à l’Uni de Fribourg, dans «La presse romande», livre publié récemment aux Editions Antipodes & SHSR. Dans cet ouvrage très accessible, l’auteur propose une perspective historique des journaux romands, du début du XVIIIe siècle à nos jours.



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Alain Clavien détaille comment la presse romande a peu à peu évolué au fil des siècles, connaissant un premier essor au milieu du XIXe siècle notamment grâce à l’inscription dans la Constitution fédérale de 1848 de la liberté de la presse dans toute la Suisse. Le livre s’attache également à expliquer comment les journaux ont fait leur entrée dans l’économie marchande, adoptant le modèle de la publicité pour réduire le coût du journal à l’achat et ainsi toucher un public plus large, ce qui favorise d’autant plus la publicité. Ce modèle a été théorisé dans les années 1830 par Emile de Girardin et son modèle dit de «double marché».

Entre 1830 et 1910, ce sont plus de 600 titres qui seront créés (220 entre 1830 et 1870, 400 entre 1870 et 1910). Ce dynamisme de la presse s’accompagne d’un taux de mortalité très élevé pour ces nouveaux titres, lesquels peinent souvent à survivre plus d’une année. Avant la Première Guerre mondiale, la Suisse romande compte un solde positif de 108 titres, dont 25 quotidiens. Près de cinquante ans plus tard, en 1959, la région dispose de 103 journaux dont 28 quotidiens.

«Si elle a laissé quelques traces, la Grande Guerre n’a pas vraiment bouleversé la presse romande. A sa suite, les éditeurs se contentent de surfer sur la vague de l’accroissement démographique et du développement de la publicité» écrit Alain Clavien. C’est pourtant durant cette période que se développeront des entreprises comme Publicitas (qui achète aux journaux des espaces publicitaires) et Lousonna (ancêtre d’Edipresse devenu Tamedia Publications romandes). L’émergence de ces nouveaux leaders du marché romand aura de lourdes conséquences sur le paysage de la presse.

Les éditeurs eux-mêmes ne croient plus en l’avenir de la presse, selon Alain Clavien

Une première crise surgit durant la décennie 1960-1970, débouchant sur de nombreuses disparitions de titres ou des fusions. En dix ans, le nombre de titres en Suisse romande passe de 103 à 92. Les milieux politiques s’inquiètent (déjà!) d’une potentielle concentration du secteur et de ses conséquences sur la diversité des opinions.

Mais c’est la période des années 1980-2000 qui va accélérer cette concentration. Face aux mutations technologiques – imprimeries, ordinateurs, premiers balbutiements d’internet –, de nombreux éditeurs ne réussiront pas procéder aux investissements nécessaires et lorsqu’ils y arrivent, ils se sont tellement endettés qu’ils doivent mettre la clé sous la porte ou accepter de guerre lasse d’être rachetés par les leaders du marché.

La financiarisation des esprits dans les années 1990 va également avoir un impact important: «Alors que pendant des dizaines d’années, un rendement d’environ 5% avait été considéré comme appréciable pour une entreprise de presse, la nouvelle génération au pouvoir exige des rendements de l’ordre de 15%», explique Alain Clavien.

Le rachat d’Edipresse par Tamedia n’améliore pas la situation. Interviewé par L’Hebdo en mars 2009, Martin Kall, CEO de Tamedia, affirme que «l’un des défis majeurs des médias consiste à gagner de l’argent. [L’objectif visé est] un bénéfice brut de l’ordre de 15 à 20%, si l’environnement conjoncturel est normal», relève l’auteur de La presse romande. Entre temps, les éditeurs ont lancé des journaux gratuits, lesquels font concurrence à leurs propres titres en termes de revenus publicitaires, et investi dans des plates-formes en ligne de petites annonces. De plus, les journaux ont longtemps proposé gratuitement leurs contenus sur internet.

En 2012, Marc Walder, CEO du holding médiatique zurichois Ringier, reconnaît pourtant que le fait «d’offrir gratuitement des contenus sur l’internet a été une erreur historique [… qu’il] s’agit maintenant de corriger». Aujourd’hui, la Suisse romande compte onze quotidiens payants publiés par sept éditeurs.  

Pour Alain Clavien, les éditeurs ne croient plus en l’avenir de la presse, pas assez rentable. «Les entreprises médiatiques qui ont cannibalisé les ressources publicitaires de leurs propres journaux en investissant dans les plates-formes de petites annonces en ligne auraient pu consacrer une part de ces bénéfices à renforcer leurs titres en leur donnant les moyens de résister à la concurrence d’internet, mais ils ont privilégié les dividendes immédiats.» Et l’auteur de conclure: «C’est un choix, qu’il serait élégant d’assumer plutôt que de se dissimuler derrière les "lois" de l’économie».


La presse romande, Alain Clavien. Editions Antipodes & SHSR

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