Actuel / Les «brouteurs», héros délinquants
Extrait de la bande-annonce de la série ivoirienne "Brouteurs.com", qui met en scène ces spécialistes de "l'escroquerie sentimentale". © AKWABA FILMS/TV5Monde
Les «brouteurs», in situ, sont parfois considérés comme des héros, voire font la fierté de leurs familles. Et les codes que s’est inventé cette jeunesse déboussolée ne diffèrent pas vraiment de ceux qui prévalent dans leur environnement social et économique, où les détournements de fonds sont omniprésents.
Une rue comme les autres dans le quartier populaire de Treichville à Abidjan: boutiques, ateliers de couture, gargote, portes entrouvertes sur des cours intérieurs, et quelques moutons. Et tout à coup, là, parquées sur les trottoirs encombrés, deux voitures de luxe, une BMW bleu nuit et une Mercedes blanche, rutilantes. Les voisins expliquent volontiers qu’elles appartiennent à un jeune de 18 ans, qui vit dans cette rue depuis qu’il est tout petit. Et avec un clin d’œil entendu, vous font comprendre qu’il s’agit là d’un «brouteur» qui a bien réussi. «Il faut voir comme son père est fier lorsqu’il prend place dans la Mercedes aux côtés de son fils au volant», raconte une voisine, qui déplore toutefois l’exemple «d’argent facile gagné sans effort» que cela donne aux autres jeunes du quartier.
Les «brouteurs», ces jeunes qui pratiquent l’arnaque au sentiment sur le web et arrivent à soutirer des sommes importantes à des Européens esseulés, font souvent figure de héros auprès d’une partie de la jeunesse ivoirienne. A tel point que la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité, qui tente d’éradiquer le phénomène, se rend régulièrement dans des classes pour faire de la prévention, et dissuader les élèves de quitter les bancs de l’école pour gagner des millions de francs CFA en «arnaquant les Blancs»; comme le font tant de jeunes qui ensuite paradent dans des vêtements de grandes marques, au volant de voitures de luxe.
Il y a quelques années, on pouvait encore les croiser dans des cyber cafés, affairés, fiévreux, tout à leur business pour ferrer de nouveaux «clients» et leur soutirer un maximum d’euros. Aujourd’hui, où il est plus facile d’avoir son propre ordinateur, un wifi puissant et une bonne connexion internet, les brouteurs chevronnés et leurs apprentis louent à plusieurs un «entrer-coucher», avec quelques matelas posés à même le sol; certains y vivent, d’autres s’y rendent comme on va au bureau faire ses heures de boulot: surfer sur les sites de rencontre, envoyer des dizaines de mails, passer des heures au téléphone avec des Blancs souffrant de solitude, visiblement heureux d’avoir quelqu’un à qui parler.
La profession a ses célébrités, tel le fameux «Commissaire 5500», habitué à faire des allers retours à la MACA, la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan, où il a été incarcéré à plusieurs reprises, pour arnaques aux «faux sentiments» et à l’héritage, usurpation d’identité, sextorsion. Lorsqu’il sort de prison, il est accueilli comme une véritable star par ses fans et amis. A nouveau libéré en juillet de l’année dernière, il gère ses différents business. Les montants faramineux acquis par la cybercriminalité lui ont permis d’investir dans plusieurs secteurs, notamment dans des discothèques, ou encore le show-biz, où il parraine des stars du coupé-décalé. Un genre musical qui a émergé dans les années de crise qu’a connu la Côte d’Ivoire et se réfère directement au «broutage», puisque dans l’argot ivoirien, «couper» signifie «arnaquer», et «décaler» veut dire «s’enfuir»; donc comprendre «couper-décaler» comme «arnaquer quelqu’un et s’enfuir».
Cette jeunesse mutante, déboussolée par les années de guerre civile, s’est créé de nouveaux codes. Mais ceux-ci sont-ils si différents du reste de la société, où la corruption et le détournement de fonds sont monnaie courante et où chacun «cherche son argent», selon la formule consacrée? Broutage et détournement de fonds sont deux pratiques également répréhensibles, mais toutes deux largement pratiquées au vu et au su de tout le monde, en toute impunité. Et sur l’échelle de la respectabilité sociale, qui est le plus condamnable ou le plus admirable? Le responsable politique ou économique qui détourne de l’argent de manière industrielle et se fait construire des résidences marbrées d’un luxe inouï? Ou le jeune brouteur qui mène ses arnaques de manière plus artisanale et invite tous ses potes pour des soirées délirantes lorsqu’il a réussi à «blaguer» des Européens naïfs?
Ces jeunes délinquants se fondent en tout cas complètement au sein de leur société et de son tissu économique. Et font vivre un nombre incalculable de personnes, qui touchent de l’argent pour faciliter leur business. Une série TV qui raconte leur histoire, intitulée «Brouteurs.com», a fait un carton durant plusieurs saisons. Reste que ce qui étonne, c’est qu’en Europe, malgré toutes les mises en garde et les témoignages, les arnaques aux «faux sentiments» continuent à marcher et à faire des victimes. Avec, en filigrane, la question de savoir ce qui est le plus triste et pathétique: la réalité de ces Européens d’un certain âge, seuls et à la dérive, qui continuent à se faire dépouiller? Ou ces jeunes, privés de formation et de débouchés, complètement livrés à eux-mêmes, qui mettent toute leur énergie et leur savoir-faire dans de pitoyables arnaques?
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Pourquoi si longtemps ?</strong></p> <p>Patrick de Saint-Exupéry: Depuis trente ans, le débat en France autour de la responsabilité de Paris dans le génocide des Tutsis est extrêmement âpre. En une génération, des avancées ont été faites, mais l’engagement de Paris - de l’Élysée de François Mitterrand lancé au Rwanda dans une politique folle et incontrôlée - a été tenu secret et reste encore aujourd’hui en dépit des faits établis depuis près de trente ans une grenade dégoupillée. La question n’est pas de savoir si cette grenade va exploser, mais quand ?</p> <p><strong>La France devrait-elle aller encore plus loin, si oui, comment ?</strong></p> <p>C’est affaire de courage. On peut se tromper, on a le droit de se tromper, nul n’est infaillible. Mais les hommes qui ont été au cœur de la prise de décision à l’Élysée vont-ils avoir le courage d’admettre qu’ils aient pu se tromper ? Ou bien faudra-t-il attendre leur disparition ?</p> <p><strong>En quoi <a href="https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/279186_1.pdf" target="_blank" rel="noopener">le rapport</a> de la Commission d’historiens dirigée par Vincent Duclert, rendu public le 21 mars 2021, marque-t-il un tournant ? </strong></p> <p>En parlant de « responsabilités lourdes et accablantes », cette commission d’historiens réunie à l’initiative de l’Élysée a légitimé et officialisé ce qui était su de longue date. Mais il reste encore du chemin… </p> <p><strong>Vous avez été un des premiers à évoquer la part de responsabilités des dirigeants français de l’époque, et au premier chef du président François Mitterrand, ce qui a vous a valu de nombreuses attaques, des procès. </strong></p> <p>Les responsabilités sont à ce point « lourdes et accablantes » que de nombreux acteurs du dossier se sont – consciemment ou inconsciemment – réfugiés dans le déni. « Les responsables politiques et militaires qui nous ont poussés, et continuent de nous inciter à défendre ce que fut leur politique, nous sont plus odieux que ne sont injustes ceux qui nous accusent de complicité de génocide » : ce propos a été tenu par le colonel Patrice Sartre, qui fut un des responsables sur le terrain des troupes françaises déployées au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise.</p> <p><strong>Y compris, récemment, de la part d’Hubert Védrine, pour quel motif ?</strong></p> <p>Je reproche à Hubert Védrine de s’employer à banaliser le génocide des Tutsis du Rwanda. L’ancien secrétaire-général de l’Élysée n’est pas d’accord, il a porté plainte. </p> <p><strong>Comment expliquer le soutien inconditionnel de la France à un régime préparant ouvertement un génocide, avant, pendant, et après ?</strong></p> <p>C’est bien le nœud. À entendre Hubert Védrine, il s’agissait de préserver <em>« le pré carré »</em> de la France en Afrique. Au prix d’un million de morts en cent jours ?</p> <p><strong>Comment expliquer la faillite des Nations Unies, celle de l’Union africaine, et plus généralement de la « communauté internationale », accusée le 7 avril par le président rwandais Paul Kagame de « nous avoir tous laissé tomber » ? </strong></p> <p>Paris, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, s’est employé à défendre les intérêts de ses alliés rwandais, ceux-là mêmes qui commettaient le génocide. Ajoutez à cela les timidités belges, l’ancien colonisateur, et américaines, les États-Unis venaient d’essuyer un revers majeur en Somalie, et vous avez l’explication de ce lâchage. De rares pays, dont la Nouvelle-Zélande, ont eu une attitude courageuse à l’ONU, mais ils n’ont pas été écoutés. </p> <p><strong>Le génocide au Rwanda fait l’objet de thèses révisionnistes, que vous dénoncez. Lesquelles précisément ?</strong></p> <p>La plus publicisée est la théorie du « double génocide » - celui réel des Tutsis par les Hutus et celui supposé des Hutus par les Tutsis - introduite en France par le président François Mitterrand qui, dès novembre 1994, lors du sommet France-Afrique de Biarritz, la posait en toute solennité. Cette théorie a depuis muté et prospéré. Ne trouvant pas de champ d’application au Rwanda, des voix tentent de la transposer artificiellement au Congo.</p> <p><strong>Vous racontez dans votre </strong><strong>dernier livre <em>La Traversée</em> votre</strong><strong> périple de Kigali à Kinshasa. Que vous a-t-il appris ?</strong></p> <p>Que des massacres – et il y en a eu au Congo dans les années 1995-1996 – ne font pas un génocide. On peut bien sûr raconter ces massacres avec le vocabulaire de l’extermination – comme on raconterait Waterloo – mais ce serait alors une tromperie intellectuelle.</p> <p><strong>Des extrémistes hutus songent-ils toujours/encore à renverser le régime en place ? </strong></p> <p>Une fois mise en œuvre, la logique du génocide n’a pas de fin, jamais. Au Tribunal international sur le Rwanda, j’ai entendu des accusés de crime de génocide menacer ouvertement ceux qui osaient témoigner : « Toi, tu n’as donc pas peur ? Tu sais pourtant que nous finirons le travail. 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Mais, plus important encore, est l’usage du terme « volonté ». Comme les États-Unis, la Belgique, la Suisse, l’Afrique et le reste du monde, la France n’a pas eu la « volonté » d’arrêter ce génocide alors que cela était possible. Dans les jours suivant le début de l’extermination, des troupes françaises ont été déployées au Rwanda pour évacuer les ressortissants étrangers, mais avec interdiction absolue d’intervenir. Il était même précisé dans la directive n°008/DEF/EMA du 10 avril 1994 qu’il fallait éviter que les médias soient témoins du tri sélectif opéré. Les premiers évacués par Paris ont ainsi été la veuve du président rwandais, Agathe Kanziga, soupçonnée d’être au cœur du génocide, et son entourage dont bon nombre d’extrémistes.</p> <p><strong>Peut-on dire que 30 ans après, la question des responsabilités dans le génocide rwandais demeure une question (ultra)sensible en France ?</strong></p> <p>En un sens, votre question témoigne de cette ultra-sensibilité. Vous parlez en effet de génocide rwandais. Pour ma part, je ne connais pas de « génocide rwandais », ni de « génocide allemand ». Je connais le génocide des Juifs par les nazis, et l’extermination des Tutsis par les extrémistes hutus. Ça a l’air d’un détail, mais les mots sont importants. Il est essentiel de désigner, de dire précisément ce qui a été, ce que fut la dernière solution finale du XXe siècle mise en œuvre au Rwanda.</p> <p><strong>Propos recueillis par Catherine Morand</strong><strong></strong></p> <hr /> <p><em>(*) “L’inavouable : la France au Rwanda”, 2004, Les Arènes; réédité en 2009 dans une édition revue et augmentée, sous le titre : “Complices de l’inavouable : la France au Rwanda”, Les Arènes</em></p> <p><em>“La Fantaisie des Dieux”, BD, dessins de Hippolyte, 2014, rééditée en 2024, Les Arènes</em></p> <p><em>“La Traversée, une odyssée au coeur de l’Afrique”, 2021, Les Arènes</em></p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'genocide-des-tutsis-au-rwanda-il-y-a-30-ans-l-engagement-de-paris-reste-une-grenade-degoupillee', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 49, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 12682, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4838, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Au Sénégal, une révolution dans les urnes', 'subtitle' => 'L’élection à la présidence d’un jeune opposant au régime en place, porteur d’un ambitieux programme de «rupture», montre qu’un changement est possible dans le cadre d’un processus démocratique. 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Laquelle estime que la prise de pouvoir des entreprises au sein de la COP représente «une évolution dangereuse, qui conduit vers des solutions privées à des problèmes publics».</p> <h3>Des lobbyistes deux fois plus nombreux</h3> <p>Si d’une COP (Conférence des Parties) à l’autre, la présence croissante du secteur privé, à l’affût de nouvelles opportunités d’affaires, était perceptible, celle de Dubaï a battu tous les records. Les lobbyistes représentant les intérêts de l’agrobusiness ainsi que des industries pétrolières et gazières furent en tout cas deux fois plus nombreux que lors de la COP précédente. Y compris au sein des délégations nationales, ce qui leur a permis d’avoir un accès direct à l’information et aux salles de négociations. Mais les multinationales ne cherchent pas seulement à peser sur les négociations. 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La trahison intervient souvent dès la fermeture des bureaux de vote et avant la proclamation des résultats. Un trou noir temporel qui peut durer quelques heures ou plusieurs jours, durant lequel toutes sortes de tripatouillages, peu reluisants, sont possibles. Lorsque le nouveau Président entre en fonction, il est encore porté par ses promesses de campagne et l’enthousiasme des foules auxquelles il promet monts et merveilles. Puis, au fur et à mesure que le temps passe, on l’entend moins; les promesses deviennent diffuses, lointaines, non tenues, l’autoritarisme guette. Le pays entre alors dans une nouvelle ère de prédation au sommet de l’Etat, et de profonde désillusion pour les populations. </p> <p>Cerise sur le gâteau: en fin de mandat, les Présidents sortants s’accrochent le plus souvent à un pouvoir qu’ils refusent de quitter. C’est alors le début d’une période troublée, émaillée de manifestations au cours desquelles la population crie son ras-le-bol. 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1 Commentaire
@AngeKristål 25.01.2023 | 21h03
«Retournons exploiter ces contrées aux sols gorgés de richesses et éduquons ces éternels enfants! »