Actuel / Le vin, repère pour les soldats français de la Première Guerre mondiale
Une du journal La Baïonnette, numéro du 14 décembre 1916. © DR
Au début du mois d’octobre 2017, s’est tenu à Bordeaux un colloque sur les «Vins et alcools pendant la Première Guerre mondiale». Cette rencontre a été l’occasion d’interroger les bouleversements causés en France par la Grande Guerre, non seulement sur la production et les échanges, mais aussi sur les modes de consommation, les pratiques sociales et les représentations, au front comme à l’arrière. Derrière les mutations et les vicissitudes de l’économie des vins, spiritueux et alcools, puissamment mobilisée, s’esquisse le portrait d’une société en guerre, alors en pleine perte de repères.
Sébastien Durand, Historien, chargé de cours à l’Université Bordeaux Montaigne
Les circonstances de la guerre sont particulièrement propices à l’utilisation du vin […]. Il exalte les qualités de notre race, la bonne humeur, la ténacité, le courage.»
En fait, ils soulignent en creux un aspect fondamental: à la veille du conflit, les boissons alcoolisées, le vin tout spécialement (150 litres consommés par habitant et par an en 1900!), imprègnent en profondeur la France, son corps social autant que son tissu économique. De telles considérations, faisant de la France «le pays du boire», ne peuvent qu’impacter les stratégies militaires, dès lors que se pose avec acuité la question du ravitaillement en vins et alcools des combattants. Comme l’ont déjà montré Stéphane Le Bras, Christophe Lucand et Charles Ridel, le vin fait l’objet d’une attention soutenue et régulière de la part de la gouvernance et de l’intendance militaires françaises.
Pour preuve, les 3 à 3,5 millions de poilus reçoivent gratuitement dans leur rationnement quotidien un quart de vin (25 cl) dès 1914, puis deux quarts en 1916, avant d’atteindre trois quarts deux ans plus tard. L’eau-de-vie est également fournie, à hauteur d’un seizième de litre. La bière est aussi acheminée jusqu’au front, mais plus difficilement il est vrai (les Belges sont bien mieux approvisionnées!). À rebours, l’absinthe est proscrite en 1915.
Un tel approvisionnement nécessite un effort tout à fait considérable de la part de l’armée, qui devient un gestionnaire logisticien d’envergure. Les moyens de transport intégrés à l’effort de guerre (véhicules, transports ferroviaires par wagons-foudres, navires spécialisés dits «cargos-pinardiers» reliés au marché algérien) côtoient des structures d’entreposage impressionnantes, notamment les stations-magasins aménagées dans les gares, transformées près des zones de combat en centres de stockage et de tri. Soutenir le moral des troupes et garantir la solidité du front sont à ce prix.
La qualité du vin n’est cependant pas au rendez-vous. Pour reprendre les mots de C. Lucand:
«Il s’agit d’un vin rouge de qualité très médiocre, tantôt âpre, rêche, raboteux, tantôt aigrelet, acerbe, piquant. Le pinard mouillé, frelaté, bromuré, trafiqué, empesté est un gros vin rude, bourru, sans distinction, couramment coupé […].»
Les soldats, faute de mieux, s’en accommodent: il n’est pas rare de les entendre répéter un air rendu célèbre par le chanteur comique (Charles-Joseph Pasquier, dit Bach), incorporé au 140e régiment d’infanterie de ligne: «Le pinard c’est de la vinasse. Ça réchauffe là oùsque ça passe. Vas-y, Bidasse, remplis mon quart. Vive le pinard, vive le pinard! ».
L’essentiel est sans doute ailleurs. Les vins et alcools balisent désormais l’horizon mental et l’univers quotidien des combattants. Ils représentent ainsi un élément important et jusque-là mésestimé d’un dialogue tantôt fécond, tantôt heurté entre les soldats, les officiers et les généraux. Ces derniers, dans une logique de don et de contre-don, n’hésitent pas à récompenser ceux qui ont vaillamment combattu par une augmentation de leur rationnement. Ils disposent, à ce titre, d’une réelle latitude, celle de pouvoir stocker puis redistribuer selon leur volonté d’importantes quantités d’alcool. Parfois veillent-ils même à une alcoolisation des troupes avant l’assaut, afin de donner – par une annihilation des esprits – de la force pour se battre, de la force pour tuer.
En outre, la pratique des soldats s’approvisionnant sur leurs fonds propres, grâce à leur solde, auprès des cantines, des débits de boisson et des mercantis, s’effectue très souvent sans aucun contrôle. Du moins dans un premier temps. Selon Jules Isaac, dans une lettre datée du 5 septembre 1915, «la chasse au pinard est depuis le début de la guerre la principale occupation des poilus […] et ils n’en ont jamais assez.» Les experts et les hiérarques militaires, bien que responsables au premier chef de la situation, s’en inquiètent, modérément depuis 1915, plus sérieusement l’année suivante. À l’instar de Pétain qui, à Verdun, s’interroge sur les désordres éventuels provoqués par l’alcoolisation des troupes. Le rôle de cette dernière dans le déclenchement des mutineries de 1917 se pose ici: sont-elles déclenchées par une consommation excessive, désinhibant les soldats, et/ou par une insuffisance des approvisionnements? Les historien·ne·s sont très partagé·e·s sur le sujet.
Un point fait consensus: les soldats ont besoin de l’alcool. L’ivresse des combattants est-elle généralisée? Sans doute pas. Mais il s’agit d’un adjuvant irremplaçable, bien qu’artificiel, pour supporter la pression, l’ennui, l’éloignement, la perte des camarades. Quel soulagement pour le soldat de recevoir un colis de sa famille contenant une fiole de son alcool préféré, à l’exemple des Antillais recevant une petite quantité de rhum accompagnée de denrées coloniales! Quel plaisir de bénéficier pour le Nouvel An ou le 14 juillet des «rations de fête», sous la forme de vins et d’alcools de qualité de leur région d’origine! Ces dons ciblés de négociants de tout le pays (bordelais, charentais, champenois, bourguignons, languedociens) sont habilement exploités par la propagande.
Les alcools tissent de solides liens de fraternité et de solidarité. Associés à des moments festifs ou adossés à des pratiques cohésives (entrée dans une escouade, retour de permission, célébration d’une promotion), ils favorisent l’esprit de corps et participent à la construction d’une communauté combattante et d’une sociabilité masculine, toutes deux mises à mal par une guerre mécanique et industrielle, dont la brutalité oblitère la valeur de l’existence humaine.
Une économie et une société mobilisées à l’épreuve des pénuries
Approvisionner suffisamment et régulièrement les zones de combat, tout en veillant à maintenir les positions sur les marchés civils, tant en France qu’à l’étranger, est un véritable défi lancé aux viticulteur.trice.s, brasseur.euse.s et fabricante·e·s de liqueurs. Le challenge est relevé en 1914, grâce il est vrai à des récoltes et des stocks surabondants. La guerre purge les marchés. Mais les années qui suivent sont bien plus difficiles. Dans les vignobles, les récoltes de 1915, passant de 60 à 20 millions d’hectolitres, sont calamiteuses, péniblement compensées par l’achat de vins étrangers (espagnols, italiens, chiliens…). C’est alors que les ponctions militaires débutent. En Gironde, elles portent sur environ un tiers de la récolte en vins ordinaires, soit la même proportion relevée sur l’ensemble de la période et des territoires. Au total, les réquisitions portent sur une moyenne annuelle de 10 à 15 millions d’hectolitres de vins. Pour le rhum, le quota de 50% de la production réservée à l’intendance militaire est régulièrement dépassé.
La pénurie imprime sa marque sur les systèmes productifs. En métropole, la mobilisation massive des hommes, producteurs, distillateurs, techniciens et ouvriers agricoles, réduit drastiquement le nombre de bras disponibles. La crainte de ne pas mener à bien les travaux agricoles (récoltes) et techniques (conditionnements, distillations) est constante. Dans les Antilles, l’incorporation des Martiniquais est tardive et ne débute réellement qu’en 1916: à peine un tiers des effectifs mobilisables part sur le front, le reste étant déployé dans les exploitations sucrières et les rhumeries. Il faut s’adapter à cette saignée démographique: outre l’investissement remarquable des femmes, sont mobilisés des étrangers et des prisonniers de guerre. Dans le Languedoc, le travail des Espagnols et des Algériens donne un résultat à ce point médiocre que les exploitants préfèrent faire appel aux prisonniers! Des permissions sont également octroyées, mais elles sont loin d’être systématiques. Dans le pays charentais, par exemple, 15 à 20 jours sont accordés en faveur de soldats distillateurs, quand 3 à 4 mois sont demandés!
La pénurie est multiple. Les moyens de transport font défaut à leur tour. Les communications ferroviaires sont insuffisantes, en fréquence et en quantité de matériels disponibles. Les négociants de Cognac n’ont d’autres choix que de réutiliser les anciennes voies d’expédition par gabarre. Le verre, le sucre, le liège, le charbon pour les verreries, le bois pour les futailles manquent également: leur usage est d’abord militaire. Les alcools industriels sont orientés eux aussi prioritairement vers la satisfaction des besoins stratégiques des industries chimiques (explosifs) et mécaniques (lubrifiants). Dans ses colonnes, _Le Vigneron champenois _se fait régulièrement écho des inquiétudes des vigneron·ne·s, qui manquent cruellement de produits anticryptogamiques et phytosanitaires. À cause du rationnement et de l’inflation, les outils et produits nécessaires au sulfatage sont peu accessibles. La vigne souffre et la qualité des vins se pose. En Gironde, cette qualité oscille grandement d’une année sur l’autre. D’après le courtier bordelais Tastet-Lawton, les vins rouges sont «bons» en 1914, mais «très médiocres» en 1915. Les 1917 ne laissent pas un grand souvenir: «Année ordinaire; vins plutôt maigres, certains n’ont pas été soignés comme il convenait.»
Les vins et alcools, une trace sociale et une image mentale de la Grande Guerre
L’image du vin et des alcools se modifie-t-elle durant le conflit? Les historien·ne·s soulignent l’existence d’un paradoxe, surtout concernant le vin, dans la mesure où celui-ci apparaît pour certains comme un alcool dangereux et pour d’autres comme un produit hautement patriotique. À dire vrai, la seconde acception l’emporte sur la première. L’année 1916 marque bien un tournant relatif: l’alcool est présenté par d’aucuns comme «un ennemi de l’intérieur». La Société française d’action contre l’alcoolisme n’hésite pas, dans son bulletin L’Alarme, à associer les effets de l’alcool aux exactions allemandes et souhaite que les autorités françaises imitent les Russes qui ont interdit toute consommation dès 1914. Des mesures sont certes prises, mais elles sont tardives: une loi du 1ᵉʳ octobre 1917 renforce la répression contre l’ivresse. Les autorités restreignent alors les quantités de pinard achetées par les soldats chez les commerçants, mais les quantités tolérées demeurent importantes (pas plus de 10 litres!). Un chiffre impressionne: les débits de boisson en France, environ 480 000 en 1913, ne sont plus que 360 000 en 1918. Mais cette baisse est trompeuse, dans la mesure où les résultats de la réglementation, d’ailleurs mal ou peu appliquée, se combinent certainement ici aux conséquences de la délicate réinsertion dans le tissu commercial des hommes démobilisés.
Ensuite, les alcools fermentés jouissent toujours d’une bonne image, y compris auprès des généraux français. Dans leur grande majorité, malgré quelques inquiétudes formulées, ils rendent hommage au vin, qui prend les traits – pour reprendre les mots de Roland Barthes – d’une «boisson-totem». Pour le maréchal Joffre, lui-même fils de tonnelier, le vin est demeuré le fidèle compagnon du soldat; lui aussi a contribué à la victoire. La une du Petit Journal du 14 septembre 1919 n’est-il pas consacré au «vin de la revanche», instrument de glorification nationale contre le «phylloxera allemand»? Le «bon vin de 1919» a un arrière-goût fort agréable, celui de la victoire.
(...)
Vins et alcools pendant la Première Guerre mondiale, colloque tenu à Bordeaux les 2 et 3 octobre 2017 et organisé par le professeur Hubert Bonin. Publication en cours aux Éditions Féret
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Il exalte les qualités de notre race, la bonne humeur, la ténacité, le courage.» </strong></em></p></blockquote> <figure class="align-left zoomable"><p> Ainsi s’exprime, en novembre 1914, le docteur Eugène Rousseaux, alors directeur de la Station œnologique de l’Yonne. De tels propos ne peuvent être compris, sans avoir à l’esprit que, contrairement à l’alcool industriel distillé, condamné pour ses effets néfastes et associé aux productions allemandes, le vin est considéré à cette époque comme une «boisson hygiénique», un aliment aux vertus caloriques et microbicides et même comme un rempart contre… l’alcoolisme.</p><h4><a href="https://images.theconversation.com/files/196162/original/file-20171123-18017-tr86mv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196162/original/file-20171123-18017-tr86mv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">Une du journal <em>La Baïonnette</em>, numéro du 14 décembre 1916</span></figcaption></h4><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption> </figure> <p>En fait, ils soulignent en creux un aspect fondamental: à la veille du conflit, les boissons alcoolisées, le vin tout spécialement (150 litres consommés par habitant et par an en 1900!), imprègnent en profondeur la France, son corps social autant que son tissu économique. De telles considérations, faisant de la France «le pays du boire», ne peuvent qu’impacter les stratégies militaires, dès lors que se pose avec acuité la question du ravitaillement en vins et alcools des combattants. Comme l’ont déjà montré <a href="http://www.lemonde.fr/centenaire-14-18/article/2014/10/17/boire-et-deboires-pendant-la-grande-guerre_4508005_3448834.html">Stéphane Le Bras</a>, <a href="http://eud.u-bourgogne.fr/histoire/442-le-pinard-des-poilus-9782364411319.html">Christophe Lucand</a> et <a href="http://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/charles-ridel/l-ivresse-du-soldat-charles-ridel/">Charles Ridel</a>, le vin fait l’objet d’une attention soutenue et régulière de la part de la gouvernance et de l’intendance militaires françaises.</p> <p>Pour preuve, les 3 à 3,5 millions de poilus reçoivent gratuitement dans leur rationnement quotidien un quart de vin (25 cl) dès 1914, puis deux quarts en 1916, avant d’atteindre trois quarts deux ans plus tard. L’eau-de-vie est également fournie, à hauteur d’un seizième de litre. La bière est aussi acheminée jusqu’au front, mais plus difficilement il est vrai (les Belges sont bien mieux approvisionnées!). À rebours, l’absinthe est proscrite en 1915.</p> <p>Un tel approvisionnement nécessite un effort tout à fait considérable de la part de l’armée, qui devient un gestionnaire logisticien d’envergure. Les moyens de transport intégrés à l’effort de guerre (véhicules, transports ferroviaires par wagons-foudres, navires spécialisés dits «cargos-pinardiers» reliés au marché algérien) côtoient des structures d’entreposage impressionnantes, notamment les stations-magasins aménagées dans les gares, transformées près des zones de combat en centres de stockage et de tri. Soutenir le moral des troupes et garantir la solidité du front sont à ce prix.</p> <p>La qualité du vin n’est cependant pas au rendez-vous. Pour reprendre les mots de <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/LUCAND/56091">C. Lucand</a>:</p> <blockquote><p><em><strong>«Il s’agit d’un vin rouge de qualité très médiocre, tantôt âpre, rêche, raboteux, tantôt aigrelet, acerbe, piquant. Le pinard mouillé, frelaté, bromuré, trafiqué, empesté est un gros vin rude, bourru, sans distinction, couramment coupé […].»</strong></em></p> </blockquote> <p>Les soldats, faute de mieux, s’en accommodent: il n’est pas rare de les entendre répéter un air rendu célèbre par le chanteur comique (<a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k13112962/f2.media">Charles-Joseph Pasquier, dit Bach</a>), incorporé au 140<sup>e</sup> régiment d’infanterie de ligne: «Le pinard c’est de la vinasse. Ça réchauffe là oùsque ça passe. Vas-y, Bidasse, remplis mon quart. Vive le pinard, vive le pinard! ».</p><p> L’essentiel est sans doute ailleurs. Les vins et alcools balisent désormais l’horizon mental et l’univers quotidien des combattants. Ils représentent ainsi un élément important et jusque-là mésestimé d’un dialogue tantôt fécond, tantôt heurté entre les soldats, les officiers et les généraux. Ces derniers, dans une logique de don et de contre-don, n’hésitent pas à récompenser ceux qui ont vaillamment combattu par une augmentation de leur rationnement. Ils disposent, à ce titre, d’une réelle latitude, celle de pouvoir stocker puis redistribuer selon leur volonté d’importantes quantités d’alcool. Parfois veillent-ils même à une alcoolisation des troupes avant l’assaut, afin de donner – par une annihilation des esprits – de la force pour se battre, de la force pour tuer. </p><p>En outre, la pratique des soldats s’approvisionnant sur leurs fonds propres, grâce à leur solde, auprès des cantines, des débits de boisson et des mercantis, s’effectue très souvent sans aucun contrôle. Du moins dans un premier temps. Selon Jules Isaac, dans une lettre datée du 5 septembre 1915, «la chasse au pinard est depuis le début de la guerre la principale occupation des poilus […] et ils n’en ont jamais assez.» Les experts et les hiérarques militaires, bien que responsables au premier chef de la situation, s’en inquiètent, modérément depuis 1915, plus sérieusement l’année suivante. À l’instar de Pétain qui, à Verdun, s’interroge sur les désordres éventuels provoqués par l’alcoolisation des troupes. Le rôle de cette dernière dans le déclenchement des mutineries de 1917 se pose ici: sont-elles déclenchées par une consommation excessive, désinhibant les soldats, et/ou par une insuffisance des approvisionnements? Les historien·ne·s sont très partagé·e·s sur le sujet.</p> <figure class="align-left zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/196165/original/file-20171123-18021-t6xtud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196165/original/file-20171123-18021-t6xtud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">Une du journal l’<em>Excelsior</em>, numéro du 13 janvier 1916</span></figcaption></h4><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption> </figure> <p>Un point fait consensus: les soldats ont besoin de l’alcool. L’ivresse des combattants est-elle généralisée? Sans doute pas. Mais il s’agit d’un adjuvant irremplaçable, bien qu’artificiel, pour supporter la pression, l’ennui, l’éloignement, la perte des camarades. Quel soulagement pour le soldat de recevoir un colis de sa famille contenant une fiole de son alcool préféré, à l’exemple des Antillais recevant une petite quantité de rhum accompagnée de denrées coloniales! Quel plaisir de bénéficier pour le Nouvel An ou le 14 juillet des «rations de fête», sous la forme de vins et d’alcools de qualité de leur région d’origine! Ces dons ciblés de négociants de tout le pays (bordelais, charentais, champenois, bourguignons, languedociens) sont habilement exploités par la propagande.</p> <p>Les alcools tissent de solides liens de fraternité et de solidarité. Associés à des moments festifs ou adossés à des pratiques cohésives (entrée dans une escouade, retour de permission, célébration d’une promotion), ils favorisent l’esprit de corps et participent à la construction d’une communauté combattante et d’une sociabilité masculine, toutes deux mises à mal par une guerre mécanique et industrielle, dont la brutalité oblitère la valeur de l’existence humaine.</p> <h2>Une économie et une société mobilisées à l’épreuve des pénuries</h2> <p>Approvisionner suffisamment et régulièrement les zones de combat, tout en veillant à maintenir les positions sur les marchés civils, tant en France qu’à l’étranger, est un véritable défi lancé aux viticulteur.trice.s, brasseur.euse.s et fabricante·e·s de liqueurs. Le challenge est relevé en 1914, grâce il est vrai à des récoltes et des stocks surabondants. La guerre purge les marchés. Mais les années qui suivent sont bien plus difficiles. Dans les vignobles, les récoltes de 1915, passant de 60 à 20 millions d’hectolitres, sont calamiteuses, péniblement compensées par l’achat de vins étrangers (espagnols, italiens, chiliens…). C’est alors que les ponctions militaires débutent. En Gironde, elles portent sur environ un tiers de la récolte en vins ordinaires, soit la même proportion relevée sur l’ensemble de la période et des territoires. Au total, les réquisitions portent sur une moyenne annuelle de 10 à 15 millions d’hectolitres de vins. Pour le rhum, le quota de 50% de la production réservée à l’intendance militaire est régulièrement dépassé.</p> <p>La pénurie imprime sa marque sur les systèmes productifs. En métropole, la mobilisation massive des hommes, producteurs, distillateurs, techniciens et ouvriers agricoles, réduit drastiquement le nombre de bras disponibles. La crainte de ne pas mener à bien les travaux agricoles (récoltes) et techniques (conditionnements, distillations) est constante. Dans les Antilles, l’incorporation des Martiniquais est tardive et ne débute réellement qu’en 1916: à peine un tiers des effectifs mobilisables part sur le front, le reste étant déployé dans les exploitations sucrières et les rhumeries. Il faut s’adapter à cette saignée démographique: outre l’investissement remarquable des femmes, sont mobilisés des étrangers et des prisonniers de guerre. Dans le Languedoc, le travail des Espagnols et des Algériens donne un résultat à ce point médiocre que les exploitants préfèrent faire appel aux prisonniers! Des permissions sont également octroyées, mais elles sont loin d’être systématiques. Dans le pays charentais, par exemple, 15 à 20 jours sont accordés en faveur de soldats distillateurs, quand 3 à 4 mois sont demandés!</p> <p>La pénurie est multiple. Les moyens de transport font défaut à leur tour. Les communications ferroviaires sont insuffisantes, en fréquence et en quantité de matériels disponibles. Les négociants de Cognac n’ont d’autres choix que de réutiliser les anciennes voies d’expédition par gabarre. Le verre, le sucre, le liège, le charbon pour les verreries, le bois pour les futailles manquent également: leur usage est d’abord militaire. Les alcools industriels sont orientés eux aussi prioritairement vers la satisfaction des besoins stratégiques des industries chimiques (explosifs) et mécaniques (lubrifiants). Dans ses colonnes, _Le Vigneron champenois _se fait régulièrement écho des inquiétudes des vigneron·ne·s, qui manquent cruellement de produits anticryptogamiques et phytosanitaires. À cause du rationnement et de l’inflation, les outils et produits nécessaires au sulfatage sont peu accessibles. La vigne souffre et la qualité des vins se pose. En Gironde, cette qualité oscille grandement d’une année sur l’autre. D’après le courtier bordelais Tastet-Lawton, les vins rouges sont «bons» en 1914, mais «très médiocres» en 1915. 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Des mesures sont certes prises, mais elles sont tardives: une <a href="http://www.lhistoire.fr/1917-la-guerre-contre-le-vin-est-d%C3%A9clar%C3%A9e">loi du 1ᵉʳ octobre 1917</a> renforce la répression contre l’ivresse. Les autorités restreignent alors les quantités de pinard achetées par les soldats chez les commerçants, mais les quantités tolérées demeurent importantes (pas plus de 10 litres!). Un chiffre impressionne: les débits de boisson en France, environ 480 000 en 1913, ne sont plus que 360 000 en 1918. Mais cette baisse est trompeuse, dans la mesure où les résultats de la réglementation, d’ailleurs mal ou peu appliquée, se combinent certainement ici aux conséquences de la délicate réinsertion dans le tissu commercial des hommes démobilisés.</p> <figure class="align-center zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/196167/original/file-20171123-18017-6yjhfa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196167/original/file-20171123-18017-6yjhfa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></a> Une d’un bulletin de <em>L’Alarme</em>, daté de 1916</h4><br><p>Le «vinisme» est-il sur le point de remplacer l’absinthisme? La tempérance s’inscrit moins dans les actes que dans les discours, dont le contenu ne fait d’ailleurs pas consensus. Des professionnels, négociants et producteurs, s’émeuvent bien d’une possible «guerre contre les vins», mais l’opinion ne bascule pas, et pour plusieurs raisons. D’abord, les systèmes productifs des vins et alcools, entre ceux et celles qui les produisent puis en assurent le conditionnement, le transport et la vente, emploient des millions de personnes. Il n’est guère étonnant de voir des syndicats disposer de solides contacts auprès d’hommes politiques influents (notamment Édouard Barthe, Étienne Camuzet et Joseph Capus). Même originaires de régions concurrentes, les responsables professionnels et politiques savent se réunir pendant et après la guerre pour défendre des marchés jugés essentiels.</p></figure><figure class="align-left zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/196169/original/file-20171123-17988-1uiuh24.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196169/original/file-20171123-17988-1uiuh24.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">«Le vin de la revanche», Une du <em>Petit Journal</em>, numéro du 14 septembre 1919</span></figcaption></h4><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption> </figure> <p>Ensuite, les alcools fermentés jouissent toujours d’une bonne image, y compris auprès des généraux français. Dans leur grande majorité, malgré quelques inquiétudes formulées, ils rendent hommage au vin, qui prend les traits – pour reprendre les mots de Roland Barthes – d’une «boisson-totem». Pour le maréchal Joffre, lui-même fils de tonnelier, le vin est demeuré le fidèle compagnon du soldat; lui aussi a contribué à la victoire. La une du <em>Petit Journal</em> du 14 septembre 1919 n’est-il pas consacré au «vin de la revanche», instrument de glorification nationale contre le «phylloxera allemand»? Le «bon vin de 1919» a un arrière-goût fort agréable, celui de la victoire.</p><p>(...)</p><p></p><hr><p></p> <h4><em>Vins et alcools pendant la Première Guerre mondiale</em>, <a href="http://centenaire.org/fr/espace-scientifique/colloquesseminaires/vins-et-alcools-pendant-la-premiere-guerre-mondiale">colloque tenu à Bordeaux les 2 et 3 octobre 2017</a> et organisé par le professeur Hubert Bonin. Publication en cours aux Éditions Féret<!-- Below is The Conversation's page counter tag. 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De tels propos ne peuvent être compris, sans avoir à l’esprit que, contrairement à l’alcool industriel distillé, condamné pour ses effets néfastes et associé aux productions allemandes, le vin est considéré à cette époque comme une «boisson hygiénique», un aliment aux vertus caloriques et microbicides et même comme un rempart contre… l’alcoolisme.</p><h4><a href="https://images.theconversation.com/files/196162/original/file-20171123-18017-tr86mv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196162/original/file-20171123-18017-tr86mv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">Une du journal <em>La Baïonnette</em>, numéro du 14 décembre 1916</span></figcaption></h4><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption> </figure> <p>En fait, ils soulignent en creux un aspect fondamental: à la veille du conflit, les boissons alcoolisées, le vin tout spécialement (150 litres consommés par habitant et par an en 1900!), imprègnent en profondeur la France, son corps social autant que son tissu économique. De telles considérations, faisant de la France «le pays du boire», ne peuvent qu’impacter les stratégies militaires, dès lors que se pose avec acuité la question du ravitaillement en vins et alcools des combattants. Comme l’ont déjà montré <a href="http://www.lemonde.fr/centenaire-14-18/article/2014/10/17/boire-et-deboires-pendant-la-grande-guerre_4508005_3448834.html">Stéphane Le Bras</a>, <a href="http://eud.u-bourgogne.fr/histoire/442-le-pinard-des-poilus-9782364411319.html">Christophe Lucand</a> et <a href="http://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/charles-ridel/l-ivresse-du-soldat-charles-ridel/">Charles Ridel</a>, le vin fait l’objet d’une attention soutenue et régulière de la part de la gouvernance et de l’intendance militaires françaises.</p> <p>Pour preuve, les 3 à 3,5 millions de poilus reçoivent gratuitement dans leur rationnement quotidien un quart de vin (25 cl) dès 1914, puis deux quarts en 1916, avant d’atteindre trois quarts deux ans plus tard. L’eau-de-vie est également fournie, à hauteur d’un seizième de litre. La bière est aussi acheminée jusqu’au front, mais plus difficilement il est vrai (les Belges sont bien mieux approvisionnées!). À rebours, l’absinthe est proscrite en 1915.</p> <p>Un tel approvisionnement nécessite un effort tout à fait considérable de la part de l’armée, qui devient un gestionnaire logisticien d’envergure. Les moyens de transport intégrés à l’effort de guerre (véhicules, transports ferroviaires par wagons-foudres, navires spécialisés dits «cargos-pinardiers» reliés au marché algérien) côtoient des structures d’entreposage impressionnantes, notamment les stations-magasins aménagées dans les gares, transformées près des zones de combat en centres de stockage et de tri. Soutenir le moral des troupes et garantir la solidité du front sont à ce prix.</p> <p>La qualité du vin n’est cependant pas au rendez-vous. Pour reprendre les mots de <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/LUCAND/56091">C. 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Ils représentent ainsi un élément important et jusque-là mésestimé d’un dialogue tantôt fécond, tantôt heurté entre les soldats, les officiers et les généraux. Ces derniers, dans une logique de don et de contre-don, n’hésitent pas à récompenser ceux qui ont vaillamment combattu par une augmentation de leur rationnement. Ils disposent, à ce titre, d’une réelle latitude, celle de pouvoir stocker puis redistribuer selon leur volonté d’importantes quantités d’alcool. Parfois veillent-ils même à une alcoolisation des troupes avant l’assaut, afin de donner – par une annihilation des esprits – de la force pour se battre, de la force pour tuer. </p><p>En outre, la pratique des soldats s’approvisionnant sur leurs fonds propres, grâce à leur solde, auprès des cantines, des débits de boisson et des mercantis, s’effectue très souvent sans aucun contrôle. Du moins dans un premier temps. Selon Jules Isaac, dans une lettre datée du 5 septembre 1915, «la chasse au pinard est depuis le début de la guerre la principale occupation des poilus […] et ils n’en ont jamais assez.» Les experts et les hiérarques militaires, bien que responsables au premier chef de la situation, s’en inquiètent, modérément depuis 1915, plus sérieusement l’année suivante. À l’instar de Pétain qui, à Verdun, s’interroge sur les désordres éventuels provoqués par l’alcoolisation des troupes. Le rôle de cette dernière dans le déclenchement des mutineries de 1917 se pose ici: sont-elles déclenchées par une consommation excessive, désinhibant les soldats, et/ou par une insuffisance des approvisionnements? Les historien·ne·s sont très partagé·e·s sur le sujet.</p> <figure class="align-left zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/196165/original/file-20171123-18021-t6xtud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196165/original/file-20171123-18021-t6xtud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">Une du journal l’<em>Excelsior</em>, numéro du 13 janvier 1916</span></figcaption></h4><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption> </figure> <p>Un point fait consensus: les soldats ont besoin de l’alcool. L’ivresse des combattants est-elle généralisée? Sans doute pas. Mais il s’agit d’un adjuvant irremplaçable, bien qu’artificiel, pour supporter la pression, l’ennui, l’éloignement, la perte des camarades. Quel soulagement pour le soldat de recevoir un colis de sa famille contenant une fiole de son alcool préféré, à l’exemple des Antillais recevant une petite quantité de rhum accompagnée de denrées coloniales! Quel plaisir de bénéficier pour le Nouvel An ou le 14 juillet des «rations de fête», sous la forme de vins et d’alcools de qualité de leur région d’origine! Ces dons ciblés de négociants de tout le pays (bordelais, charentais, champenois, bourguignons, languedociens) sont habilement exploités par la propagande.</p> <p>Les alcools tissent de solides liens de fraternité et de solidarité. Associés à des moments festifs ou adossés à des pratiques cohésives (entrée dans une escouade, retour de permission, célébration d’une promotion), ils favorisent l’esprit de corps et participent à la construction d’une communauté combattante et d’une sociabilité masculine, toutes deux mises à mal par une guerre mécanique et industrielle, dont la brutalité oblitère la valeur de l’existence humaine.</p> <h2>Une économie et une société mobilisées à l’épreuve des pénuries</h2> <p>Approvisionner suffisamment et régulièrement les zones de combat, tout en veillant à maintenir les positions sur les marchés civils, tant en France qu’à l’étranger, est un véritable défi lancé aux viticulteur.trice.s, brasseur.euse.s et fabricante·e·s de liqueurs. Le challenge est relevé en 1914, grâce il est vrai à des récoltes et des stocks surabondants. La guerre purge les marchés. Mais les années qui suivent sont bien plus difficiles. Dans les vignobles, les récoltes de 1915, passant de 60 à 20 millions d’hectolitres, sont calamiteuses, péniblement compensées par l’achat de vins étrangers (espagnols, italiens, chiliens…). C’est alors que les ponctions militaires débutent. En Gironde, elles portent sur environ un tiers de la récolte en vins ordinaires, soit la même proportion relevée sur l’ensemble de la période et des territoires. Au total, les réquisitions portent sur une moyenne annuelle de 10 à 15 millions d’hectolitres de vins. Pour le rhum, le quota de 50% de la production réservée à l’intendance militaire est régulièrement dépassé.</p> <p>La pénurie imprime sa marque sur les systèmes productifs. En métropole, la mobilisation massive des hommes, producteurs, distillateurs, techniciens et ouvriers agricoles, réduit drastiquement le nombre de bras disponibles. La crainte de ne pas mener à bien les travaux agricoles (récoltes) et techniques (conditionnements, distillations) est constante. Dans les Antilles, l’incorporation des Martiniquais est tardive et ne débute réellement qu’en 1916: à peine un tiers des effectifs mobilisables part sur le front, le reste étant déployé dans les exploitations sucrières et les rhumeries. Il faut s’adapter à cette saignée démographique: outre l’investissement remarquable des femmes, sont mobilisés des étrangers et des prisonniers de guerre. Dans le Languedoc, le travail des Espagnols et des Algériens donne un résultat à ce point médiocre que les exploitants préfèrent faire appel aux prisonniers! Des permissions sont également octroyées, mais elles sont loin d’être systématiques. Dans le pays charentais, par exemple, 15 à 20 jours sont accordés en faveur de soldats distillateurs, quand 3 à 4 mois sont demandés!</p> <p>La pénurie est multiple. Les moyens de transport font défaut à leur tour. Les communications ferroviaires sont insuffisantes, en fréquence et en quantité de matériels disponibles. Les négociants de Cognac n’ont d’autres choix que de réutiliser les anciennes voies d’expédition par gabarre. Le verre, le sucre, le liège, le charbon pour les verreries, le bois pour les futailles manquent également: leur usage est d’abord militaire. Les alcools industriels sont orientés eux aussi prioritairement vers la satisfaction des besoins stratégiques des industries chimiques (explosifs) et mécaniques (lubrifiants). Dans ses colonnes, _Le Vigneron champenois _se fait régulièrement écho des inquiétudes des vigneron·ne·s, qui manquent cruellement de produits anticryptogamiques et phytosanitaires. À cause du rationnement et de l’inflation, les outils et produits nécessaires au sulfatage sont peu accessibles. La vigne souffre et la qualité des vins se pose. En Gironde, cette qualité oscille grandement d’une année sur l’autre. D’après le courtier bordelais Tastet-Lawton, les vins rouges sont «bons» en 1914, mais «très médiocres» en 1915. Les 1917 ne laissent pas un grand souvenir: «Année ordinaire; vins plutôt maigres, certains n’ont pas été soignés comme il convenait.»</p> <h2>Les vins et alcools, une trace sociale et une image mentale de la Grande Guerre</h2> <p>L’image du vin et des alcools se modifie-t-elle durant le conflit? Les historien·ne·s soulignent l’existence d’un paradoxe, surtout concernant le vin, dans la mesure où celui-ci apparaît pour certains comme un alcool dangereux et pour d’autres comme un produit hautement patriotique. À dire vrai, la seconde acception l’emporte sur la première. L’année 1916 marque bien un tournant relatif: l’alcool est présenté par d’aucuns comme «un ennemi de l’intérieur». La Société française d’action contre l’alcoolisme n’hésite pas, dans son bulletin <em>L’Alarme</em>, à associer les effets de l’alcool aux exactions allemandes et souhaite que les autorités françaises imitent les Russes qui ont interdit toute consommation dès 1914. Des mesures sont certes prises, mais elles sont tardives: une <a href="http://www.lhistoire.fr/1917-la-guerre-contre-le-vin-est-d%C3%A9clar%C3%A9e">loi du 1ᵉʳ octobre 1917</a> renforce la répression contre l’ivresse. Les autorités restreignent alors les quantités de pinard achetées par les soldats chez les commerçants, mais les quantités tolérées demeurent importantes (pas plus de 10 litres!). Un chiffre impressionne: les débits de boisson en France, environ 480 000 en 1913, ne sont plus que 360 000 en 1918. Mais cette baisse est trompeuse, dans la mesure où les résultats de la réglementation, d’ailleurs mal ou peu appliquée, se combinent certainement ici aux conséquences de la délicate réinsertion dans le tissu commercial des hommes démobilisés.</p> <figure class="align-center zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/196167/original/file-20171123-18017-6yjhfa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196167/original/file-20171123-18017-6yjhfa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></a> Une d’un bulletin de <em>L’Alarme</em>, daté de 1916</h4><br><p>Le «vinisme» est-il sur le point de remplacer l’absinthisme? La tempérance s’inscrit moins dans les actes que dans les discours, dont le contenu ne fait d’ailleurs pas consensus. Des professionnels, négociants et producteurs, s’émeuvent bien d’une possible «guerre contre les vins», mais l’opinion ne bascule pas, et pour plusieurs raisons. D’abord, les systèmes productifs des vins et alcools, entre ceux et celles qui les produisent puis en assurent le conditionnement, le transport et la vente, emploient des millions de personnes. Il n’est guère étonnant de voir des syndicats disposer de solides contacts auprès d’hommes politiques influents (notamment Édouard Barthe, Étienne Camuzet et Joseph Capus). Même originaires de régions concurrentes, les responsables professionnels et politiques savent se réunir pendant et après la guerre pour défendre des marchés jugés essentiels.</p></figure><figure class="align-left zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/196169/original/file-20171123-17988-1uiuh24.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196169/original/file-20171123-17988-1uiuh24.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">«Le vin de la revanche», Une du <em>Petit Journal</em>, numéro du 14 septembre 1919</span></figcaption></h4><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption> </figure> <p>Ensuite, les alcools fermentés jouissent toujours d’une bonne image, y compris auprès des généraux français. Dans leur grande majorité, malgré quelques inquiétudes formulées, ils rendent hommage au vin, qui prend les traits – pour reprendre les mots de Roland Barthes – d’une «boisson-totem». Pour le maréchal Joffre, lui-même fils de tonnelier, le vin est demeuré le fidèle compagnon du soldat; lui aussi a contribué à la victoire. La une du <em>Petit Journal</em> du 14 septembre 1919 n’est-il pas consacré au «vin de la revanche», instrument de glorification nationale contre le «phylloxera allemand»? Le «bon vin de 1919» a un arrière-goût fort agréable, celui de la victoire.</p><p>(...)</p><p></p><hr><p></p> <h4><em>Vins et alcools pendant la Première Guerre mondiale</em>, <a href="http://centenaire.org/fr/espace-scientifique/colloquesseminaires/vins-et-alcools-pendant-la-premiere-guerre-mondiale">colloque tenu à Bordeaux les 2 et 3 octobre 2017</a> et organisé par le professeur Hubert Bonin. Publication en cours aux Éditions Féret<!-- Below is The Conversation's page counter tag. 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More info: http://theconversation.com/republishing-guidelines --></h4> <h4><span></span></h4><h4><span></span></h4> <h4>Retrouvez l’<a href="https://theconversation.com/produire-et-consommer-les-vins-et-alcools-en-france-de-1914-a-1918-une-autre-maniere-de-comprendre-la-premiere-guerre-mondiale-87722?utm_medium=email&utm_campaign=Newsletter%20thmatique%20VIN%20Whisky%20178%20-%20106569448&utm_content=Newsletter%20thmatique%20VIN%20Whisky%20178%20-%20106569448+CID_bc0d08c47cefcf8688a6b95be9093d4c&utm_source=campaign_monitor_fr&utm_term=Produire%20et%20consommer%20les%20vins%20et%20alcools%20en%20France%20de%201914%20%201918%20%20une%20autre%20manire%20de%20comprendre%20la%20Premire%20Guerre%20mondiale">article original</a> dans son intégralité sur <em><a href="http://theconversation.com">The Conversation</a></em> <br></h4> ', 'content_edition' => null, 'slug' => 'le-vin-en-france-pendant-la-pemiere-guerre-mondiale', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 751, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1328, 'homepage_order' => (int) 1560, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4861, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'La démocratie, oui… si elle convient', 'subtitle' => 'Le site Infosperber a publié une provocante réflexion de Walter Langenegger, ex-chef de la rubrique suisse au « St.Galler Tagblatt » et chef de la communication de la ville de Berne. 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Le Tribunal fédéral n'est pas habilité à contrôler les lois fédérales. Le gardien suprême de la Constitution est le Parlement lui-même. Il est à la fois législateur et juge et peut, de fait, édicter des lois fédérales non conformes à la Constitution sans avoir à craindre de sanctions. Les membres du Conseil des États et du Conseil national portent donc une grande responsabilité et devraient d'autant plus être un exemple en matière de respect de la Constitution et d'esprit démocratique. Mais beaucoup ne le sont pas !</span></p> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que de nombreux représentants bourgeois du peuple se soient détournés de cette attitude fondamentale est probablement dû surtout à l'évolution politique des dernières décennies. 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Si l’Allemagne et les autres membres de l’alliance nouent bien des partenariats avec des Etats du Pacifique, et conduisent des exercices militaires dans la zone, ce n’est pas à la hauteur de la «menace chinoise».</p> <p>La nature de cette menace? Elle n’est pas directement militaire mais plutôt économique. «Si Pékin était en mesure de bloquer les voies commerciales dans la mer de Chine méridionale, la circulation des marchandises en Europe serait en péril».</p> <p>Autre question qui n’était pas d’actualité il y a 75 ans: la contribution des Etats-Unis. Le <a href="https://www.telegraph.co.uk/opinion/2024/04/03/europe-must-step-up-to-keep-the-us-in-nato/" target="_blank" rel="noopener"><em>Daily Telegraph</em></a> regrette que l’Europe ne fasse aucun effort pour s’assurer que le plus grand contributeur de l’OTAN ne s’en détache pas. L’heure est grave, puisqu’on parle de «passer à la caisse». La menace qui plane sur l’avenir de l’organisation n’est pas seulement la perspective d’une réélection de Donald Trump et de la ligne isolationniste, c’est celle du mécontentement général des Etats-Unis qui «contribuent bien plus à la défense de l’Europe que le continent ne le fait lui-même... On aurait tort de penser que l’aide américaine coule de source.»</p> <p>Les dissensions internes sont toujours un péril sous-estimé, comme le confirme <a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">le mensuel lituanien </a><em><a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">IQ</a>. </em>Au cœur de la discorde, le droit de veto. Ce dernier a rendu «complètement inefficace» l’ONU, constate <em>IQ</em>, car le risque est constant de s’en servir pour exercer pressions ou intrigues diplomatiques. «Démocratie, droit international et Etat de droit forment le socle de l'alliance la plus puissante au monde. Mais un certain nombre d'Etats oublieux de ces valeurs tentent depuis longtemps de placer leur intérêts mercantilistes au-dessus des décisions cruciales de l’OTAN.»</p> <p>Cela revient à poser une question essentielle, dans toute organisation: qu’est-ce qui lie entre eux les Etats membres? Au-delà de la coopération militaire, ce sont des «valeurs», celles mêmes que les pays occidentaux s’emploient à défendre en ce moment en Ukraine. La députée Renaissance Anne Genetet plaide même pour la création d’un centre de l’OTAN chargé de défendre de concert les valeurs occidentales et la «résilience démocratique». 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Si le cadre institutionnel, les techniques de soin et les méthodes de recherche scientifique ont une longue (et passionnante) histoire, il n’en demeure pas moins que leur évolution est définie par des principes sociaux stables, qui trouvent leur première formulation à l’aube de notre civilisation.</p> <p>De même que <a href="https://theconversation.com/aux-origines-de-lirresponsabilite-penale-des-fous-160654">l’irresponsabilité pénale</a> des individus dont le jugement est aboli est une règle de droit observée dès le sortir de la Préhistoire, de même, il existe bien une psychiatrie antique, pensée et nommée comme telle. Les auteurs de langue latine la désignent comme « soin des aliénés » (<em>curatio furiosi</em>). Elle est le reflet, dans la sphère médicale, du traitement civique des malades désigné par les auteurs juridiques comme « protection des déments » (<em>cura furiosi</em>).</p> <h3>Naissance de la psychiatrie</h3> <p>Les modalités du traitement médical des personnes atteintes de trouble mental sévère (les <em>furiosi</em>) sont élaborées par des auteurs de langue et souvent d’origine grecque, puisque la médecine est une discipline enracinée dans la culture de la civilisation grecque. Mais cette invention a lieu dans un contexte romain, c’est-à-dire à l’époque romaine et dans la ville de Rome, dans le milieu sénatorial et bourgeois de la fin de la République (du temps de César et Cicéron, ou peu avant).</p> <p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p> <p>La naissance de cette psychiatrie est inséparable du nom d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ascl%C3%A9piade_de_Bithynie">Asclépiade de Bithynie</a> (dans l’actuelle Turquie), un personnage singulier, orateur peut-être dans les premières années de sa vie professionnelle, venu ensuite exercer la médecine dans la Ville éternelle où il évolue dans l’entourage de Crassus le Riche. Mais dans l’ombre d’Asclépiade, les soins médicamenteux, incluant notamment le recours aux psychotropes et aux sédatifs, s’étaient sans doute déjà diffusés, dans une mesure qu’il est impossible d’évaluer.</p> <p>Par la suite, la méthode du soin psychiatrique se développe et se consolide dans le contexte impérial, notamment à l’apogée de l’Empire incarné par la dynastie antonine (Trajan, Hadrien, Marc Aurèle…). Dans ce sens, la psychiatrie antique est moins une invention romaine qu’une invention du philhellénisme romain : une invention proprement « impériale », dans le sens où elle naît de la rencontre entre l’art d’une civilisation conquise (l’art médical grec, mais aussi sa culture gymnique ou son art oratoire) et les usages d’une société conquérante, dont les élites acquièrent des niveaux de fortune inédits, au point de pouvoir financer pour leurs malades des soins quotidiens sur la longue durée. La naissance de la psychiatrie bénéficie aussi de la première « mondialisation » d’époque hellénistique et romaine, qui donne accès à de nouvelles épices et à de nouveaux médicaments.</p> <p>Dans ses modalités, la psychiatrie ancienne est avant tout un art de la discipline. En plus des purges au cœur de tout traitement médical, le soin des déments articule discipline alimentaire, discipline comportementale et exercices physiques, sensoriels et intellectuels. La parole y tient une part non négligeable et l’état émotionnel du patient est l’objet d’une attention permanente. Si les médecins restent pudiques à leur sujet, les médicaments, spécialité d’une profession pharmacienne concurrente, semblent aussi, bien souvent, tenir un rôle central.</p> <h3>Corps et esprit, raison et sentiments</h3> <p>Comme son nom l’indique, la psychiatrie romaine (ou <em>curatio furiosi</em>) s’adresse en premier lieu aux « déments », aux « aliénés » (<em>furiosi</em>) : une catégorie médicale tardive et peu définie, dont le nom latin comme son équivalent grec (<em>mainomenos</em>) sont empruntés aux catégories de la vie sociale et juridique.</p> <p>Comme le dit encore le droit français du XX<sup>e</sup> siècle, le « dément », c’est d’abord l’individu dont la volonté est troublée au point de justifier un statut juridique spécial, combinant incapacité au civil et irresponsabilité au pénal. La situation exceptionnelle de ces personnes était déjà prise en considération par le <a href="https://theconversation.com/aux-origines-de-lirresponsabilite-penale-des-fous-160654">droit pré-historique</a> : ce n’est donc que dans un second temps que les médecins de l’Antiquité développent une prise en charge thérapeutique pour les individus en état de « démence », dont la maladie correspond dans ses grandes largeurs à la notion de psychose en médecine moderne.</p> <p>Mais la méthode de soins que les médecins gréco-romains mettent en place pour les guérir, ou pour les soulager, s’applique aussi, sous certains aspects, à des états voisins, désignés comme « phrénite » et comme « mélancolie ». La première, la « phrénite », est une catégorie médicale très ancienne qui désigne une affection fulgurante, et souvent mortelle, associée à des symptômes de confusion mentale sévère. Des auteurs modernes ont pensé y reconnaître l’encéphalite, la méningite, la malaria ou le syndrome délirant organique.</p> <p>Au contraire, la « mélancolie » est une catégorie d’invention tardive et incertaine, dont le sens varie considérablement d’un auteur à l’autre. Chez les auteurs d’époque romaine, elle entretient le plus souvent un lien étroit avec la « démence », avec laquelle elle a en commun d’être un trouble psychique grave et de longue durée. Mais par différence avec la « démence », elle en vient à désigner les désordres d’ordre affectif (phobiques, paranoïaques, dépressifs…) plutôt que d’ordre cognitif ou intellectuel (délire, illusions, déraison…).</p> <p>Les soins prodigués par la psychiatrie varient d’une maladie à l’autre, et en un sens, c’est la méthode de soin qui définit les maladies. Mais le corps malade est toujours le premier objet de l’action thérapeutique des médecins. Par exemple contre la phrénite, qui est nettement une affection du corps, la psychiatrie antique mobilise d’abord les remèdes ordinaires de la médecine ancienne, tels que la saignée ou les purges. Contre cette maladie, les soins de l’esprit, destinés à soulager les symptômes confusionnels, ne sont appliqués que de manière superficielle, pour la même raison qu’aujourd’hui, la méningite n’est pas prise en charge par nos services de psychiatrie : l’une et l’autre sont des affections aiguës, qui relèvent de la seule médecine organique.</p> <p>Le soin des « déments » est lui aussi, en premier lieu, un soin du corps, parce qu’il est pensé au départ sur le modèle du soin corporel des phrénitiques : la démence, catégorie d’abord étrangère à la médecine, tardivement naturalisée dans la classification des maladies, est conçue par comparaison avec cette vieille catégorie de « phrénite » et reçoit donc aussi les traitements de base prévus contre cette autre maladie « de l’intérieur » qu’il s’agit d’évacuer. Cet aspect de la psychiatrie ancienne est, en d’autres termes, le produit d’un syllogisme : soigner une maladie, c’est purger le corps, donc si le dément est un malade, son corps doit être purgé. Mais la démence reçoit en outre une multiplicité de soins destinés à redresser la raison et à apaiser les émotions : des soins que nous pourrions qualifier de « psychothérapie ».</p> <p>Les « mélancoliques » sont les principaux bénéficiaires de cette « psychothérapie », bien qu’ils soient nettement distingués des « déments » par la médecine ancienne selon une logique qui reflète celle du droit. En effet devant les tribunaux, les mélancoliques qui souffrent de leurs émotions ne bénéficient pas du régime juridique d’exception des déments, parce que leur mal n’abolit ni la capacité de comprendre, ni la volonté. Pour autant, les soins psychiques appliqués aux « déments » sont aussi (et davantage encore) prodigués aux mélancoliques, pour la même raison que nos services psychiatriques prennent en charge la dépression : c’est-à-dire en raison de la gravité de leur mal-être et de la menace qu’il fait peser sur la vie de ceux qui en souffrent.</p> <p>Pour les « déments » à proprement parler, l’aliénisme antique qui se structure à Rome associe donc un <a href="https://journals.openedition.org/crdf/1910">régime de protection juridique</a> (<em>cura furiosi</em>) à un régime médical (<em>curatio furiosi</em>), selon une distinction qui tient compte du double aspect individuel et civique de la psychose, et qui en confie la charge à des professions différentes. Constater l’origine antique, voire préhistorique, de ce double rapport à la maladie mentale, c’est y reconnaître un principe fondamental de notre vie sociale.</p> <hr /> <h4>Cet article puise en bonne partie dans les sources rassemblées dans l’ouvrage <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251455419/la-psychiatrie-a-rome"><em>La psychiatrie à Rome, Comprendre et soigner la folie d’après Celse et Caelius Aurelianus</em></a>.<img src="https://counter.theconversation.com/content/224658/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></h4> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/pierre-henri-ortiz-1228625">Pierre-Henri Ortiz</a>, Maître de conférences en histoire romaine, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/universite-dangers-2619">Université d'Angers</a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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1 Commentaire
@Lagom 06.11.2018 | 22h15
«Excellent article qui fait le tour de la question, mais curieusement, il ne mentionne pas la faible dose d'alcool qui se trouva dans ces vins. Aujourd'hui entre 12,5 et 14 degrés, alors qu'à l'époque, je pense que le taux était entre 3 et 6 ou 7 degrés maximum. »