Actuel / «Le Grand Continent»: un médium au service d’une élite?
"Le Grand Continent", rubrique "Europe", extrait capturé le 14 juillet 2022. © DR
Trois ans après la création de la plateforme de débat politique «Le Grand Continent», et à l’occasion de la publication de tous ses contenus en espagnol, nous présentons son fonctionnement, et nous vérifions la leçon de McLuhan sur la détermination par le médium du message. Ici il s’agit de celui élaboré par des universitaires et des intellectuels, qui bien qu’ils soient d’horizons idéologiques différents appartiennent au même réseau, et étaient restés quelque peu en deçà du débat public.
En 2018, ferme la revue Les Temps modernes. En 2020, c’est le tour de la revue Le Débat, dont les fondateurs déplorent «un désintérêt des élites pour les humanités» et «que la polémique médiatique [a] pris le pas sur la discussion démocratique1». Ces deux revues n’ont pas survécu au tournant numérique. D’autres, comme la revue Esprit poursuivent leur chemin, et proposent maintenant la classique édition papier mensuelle en complément de l’édition numérique.
Une plateforme au centre d'un réseau
En 2018, un petit groupe de jeunes élèves de la très française Ecole normale supérieure (ENS) a initié un travail qui a mené à la création de la plateforme Le Grand Continent (GC), qui stimule maintenant le débat politique et intellectuel à l’échelle continentale. La plateforme diffuse la voix d’un nombre important de chercheurs en sciences humaines et sociales, qui avaient du mal à intéresser un public large. En effet, elle se place au centre d’un réseau où elle valorise des résultats scientifiques dispersés. A ce jour, ce sont plus de 1'300 signatures et 3'000 contributeurs de haut niveau qui ont participé au GC, parmi lesquels l’historien italien Carlo Ginzburg, Henry Kissinger, le prix Nobel d’économie Jean Tirole, les prix Nobel de littérature Olga Tokarczuk et Mario Vargas Llosa. Nous verrons pourtant que le GC n’est pas seulement un canal pour la diffusion de savoirs académiques.
Processus de création d’un médium hybride
Gilles Gressani, 31 ans, originaire de la Vallée d'Aoste en Italie, directeur éditorial du GC, nous a raconté comment, après un séjour d’études aux Etats Unis, il a d’abord publié avec quelques autres une simple newsletter en ligne. Après cette Lettre du dimanche, suit l’organisation de soirées de débats à l’ENS, tous les mardis. Puis, sont organisées des leçons magistrales, avec des orateurs de grand renom, qui atteignent le grand public grâce à un format mixte. Comptent parmi les orateurs Patrick Boucheron, Toni Negri, Thomas Piketty et Elisabeth Roudinesco. Les conférences sont retransmises dans quinze villes européennes et à New York, avec un accompagnement local assuré en grande partie par le réseau des Instituts français et de doctorants ou de jeunes professeurs liés à l’ENS. Dans une étape ultérieure, la Lettre du dimanche se scinde en deux, donnant naissance à la Lettre du lundi, qui se focalise sur les aspects plus techniques de la première. Au printemps de cette année est paru chez Gallimard le premier volume papier du GC, sous le titre Politiques de l’interrègne. Ainsi se présente la plateforme du GC, dans son format actuel.
Une ambition européenne
Depuis le début, toutes les publications du GC sont en français, mais il est prévu de les traduire dans quatre autres langues: espagnol, italien, allemand, et polonais. «Pas en anglais pour le moment, parce que le lectorat anglophone a déjà des revues de référence, comme Foreign Affairs, The Atlantic, ou The Economist». La version intégrale en espagnol a été lancée début juin. On lit à travers ce choix linguistique une ambition continentale. En effet, dès le départ, la question de «l’échelle pertinente» s’est posée. L’Europe se présente d’abord ici, non pas comme objet d’étude, ou objectif politique, mais plutôt comme le cadre ayant l’échelle correcte pour aborder un certain nombre de questions, telles que la gestion de la crise du Covid.
Proche du pouvoir
Un pic d’audience du GC a été atteint avec la diffusion du texte d’une interview accordée par le Président de la République française, Emmanuel Macron, en novembre 2020, et qui a porté sur sa vision du monde post-Covid. L’interview, lue par plus d'un million de personnes dans les cinq langues, a suscité des réponses, des critiques, et des analyses à l’échelle européenne. Ainsi, le GC a obtenu une sorte d’onction de l’Elysée. Cependant, politiquement, le GC ne revendique aucun positionnement particulier. Gilles Kepel, professeur à l’ENS, qui a accueilli dans la collection qu’il dirige la version papier du GC, le voit même comme un «antidote au poison de l’idéologie, qui intoxique l’université en sciences humaines».
Influencer le débat
De fait, le GC va jusqu’à influencer le débat, en créant l’actualité. «Tout récemment, nous dit Gressani, la question de la planification écologique a été discutée dans un texte paru dans le volume papier, ainsi que dans plusieurs publications dans la revue en ligne, et les newsletters etc. Ce thème a été repris par une partie importante de l'espace politique et institutionnel, dont l'Elysée, et a fini par faire l'objet de la couverture et d’une double page du Monde». Il est intéressant de comparer cette façon de fonctionner avec celui de la revue Foreign Affairs (FA), qui est une des références pour l’équipe du GC. Créée dans les années 1920, produite par un think tank composé de diplomates, financiers, universitaires et avocats, elle est proche des sphères du pouvoir américain, sur lesquelles elle a une influence considérable. Contrairement au GC, le rayonnement de FA a une source centrale, tandis que le GC rayonne grâce au réseau diffus construit à partir de celui des institutions qui le portent réuni autour du Groupe d’études géopolitiques.
Elargir l'audience
Gressani est conscient que pour l’instant le GC est un produit d’élite, même si chaque mois plus de 350'000 personnes reviennent sur la plateforme après une première visite, et plus de 40'000 lecteurs sont abonnés à sa newsletter. Le GC prévoit de créer des formats vidéo et des podcasts, pour atteindre de nouveaux publics. Là aussi il est intéressant de comparer avec le développement suivi par FA, qui après être passé au format numérique en 2009, depuis 2013 a souhaité étendre son influence et présenter ses produits à un public plus large, en allant au-delà de son «appel trimestriel bancal», comme l’a dit son éditeur Gideon Rose dans un entretien avec POLITICO.
Pas de médium, pas de message
A première vue, en créant le GC, Gressani et co. auraient simplement fourni à la communauté universitaire un moyen de diffusion des savoirs qu’elle a élaborés. Il apparaît au contraire que la plateforme a rendu plus visibles, opérationnels et efficaces des réseaux liés à l'une des institutions d’où sortent les élites intellectuelles de l’Hexagone. Ce faisant, ce sont précisément les membres de ces réseaux qui s’expriment à travers le GC, avec le discours qui leur est propre. C’est d’ailleurs ce que peut signifier une affirmation souvent répétée par Gressani, à savoir que «le GC se veut structurant du débat, plutôt que structuré». Quoi qu’on en pense, avant la création du GC, le message qu’il porte était difficilement audible, et … il manquait au débat.
1Le Monde, 20 septembre 2020.
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Le chômage à Gaza est de l’ordre de 85%, ainsi le fait que l’UNRWA donne du travail à de nombreux palestiniens est une source d’espoir, notamment pour les jeunes qui ont eu une formation avancée. Notre témoin, elle, considère avoir reçu une très bonne éducation: elle parle couramment l’anglais, et est actuellement inscrite à l’Université de Bâle, où elle suit les cours en allemand et s’est fait beaucoup d’amis et amies suisses. Lorsque quelqu’un lui demande s’il est vrai que dans les écoles de Gaza on prône l’antisémitisme, elle trouve la question ridicule car l’islam auquel elle a été formée s’inscrit dans la voie tracée par les traditions juive et chrétienne. «Nous croyons au judaïsme, dit-elle, nous ne faisons pas de différence entre les religions». Les autorités politiques palestiniennes sont absentes de son discours, elle semblent n’avoir joué aucun rôle important dans sa vie.</p> <p>Bien qu’émouvant, il ne s'agit là que d’un témoignage auquel on peut – si on veut – nier toute valeur objective ou probante. Il pointait néanmoins vers l’enracinement profond de l’agence onusienne dans la vie des Palestiniens de Gaza, qui est lui bien réel. Quelques chiffres suffisent pour appréhender la situation. L’UNRWA emploie une douzaine de milliers de personnes à Gaza, dont 99% sont des Palestiniens descendants de réfugiés. D’après un diplomate suisse, l’ONG ayant le plus grand nombre de personnes actives à Gaza, mis à part l’UNRWA, en compte 35! Comment peut-on donc imaginer sortir aujourd’hui l’UNRWA du jeu sans qu’il y ait encore plus de souffrance et de morts?</p> <h3>La livre de chair</h3> <p>Dans <em>Le Marchand de Venise</em> de Shakespeare, l’usurier Shylock demande une livre de chair comme garantie pour un prêt d’argent qu’il concède au marchand Antonio. Lorsque celui-ci ne peut pas rembourser sa dette, Shylock réclame son dû, malgré qu’un ami d’Antonio lui offre le double de la somme empruntée. L’usurier n’obtiendra pourtant pas ce à quoi il pensait avoir droit par contrat. En effet, un jeune «docteur de loi» (en réalité la femme d’un ami d’Antonio, déguisée) arrive à le convaincre qu’il sera en tort si, avec le prélèvement de la livre de chair, une seule goutte de sang était versée. Or on ne coupe pas la chair sans verser le sang. 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Le jour précédent recourrait le cinquantième anniversaire du début de la Guerre du Kippour. Surtout, la cruauté des actes perpétrés à cette occasion rappelle les razzia des tribus habitant la Péninsule arabe qui, en tuant et en violant, attaquaient les tribus adverses et repartaient en emportant les enfants. L’attaque du 7 octobre fut nommée en arabe par ses initiateurs le «Déluge d’al-Aqsa», qui invoque celui, envoyé par Allah, qui noya tous les mécréants. La référence au déluge souligne le caractère virtuose du massacre. En 628, Mahomet a lui-même mené une razzia contre les Juifs vivant dans l’oasis de Khaïbar, pendant laquelle les hommes furent torturés, passés au fil de l’épée, les femmes capturées et réparties dans les harems des vainqueurs, les enfants réduits en esclavage.</p> <p><strong>Comment s’expliquer qu’une telle opération ait pu réussir?</strong></p> <p>Le Premier ministre israélien Netanyahou est otage d’une minorité, qui occupe seulement 14 sièges sur 120 à la Knesset, mais qui a la capacité de dicter son agenda. Au centre de ce programme figure l’accélération de la colonisation en Cisjordanie. Ceci s’est traduit en une stratégie qui a amené à renforcer le Hamas afin d’affaiblir l’Autorité palestinienne. Ce faisant, Netanyahou a largement sous-estimé Sinwar, qu’il avait lui-même libéré en 2011 dans le cadre d’un échange de 1'027 prisonniers palestiniens contre le caporal Gilad Shalit. Jusqu’aux Printemps arabes, le Hamas était proche de la ligne des Frères musulmans, et suivait une stratégie que l’un pourrait dire gestionnaire: il vitupérait Israël, mais avait instauré un <i>modus vivendi</i> qui semblait s’accommoder de la situation. Ceci faisait le jeu d’Israël. Après 2011, le Hamas se radicalise et s’éloigne des Frères, en se rapprochant de l’Iran, grâce à l’unique voyage à l’étranger de Sinwar. Netanyahou continue de croire que «chien qui aboie, ne mord pas», et fait en sorte que chaque semaine passent par l’aéroport Ben Gurion 40 millions de dollars en cash, provenant du Qatar à destination de Gaza. Une partie de ces sommes servira à construire les tunnels dont maintenant tout le monde est au courant. L’aveuglement du gouvernement israélien a été absolument remarquable. En octobre 2023, le mandataire Sinwar a pris l’ascendant sur ses mandants iraniens, et a marqué un énorme coup symbolique, qui ne fait pas forcément les intérêts de l’Iran, ni peut-être même pas des Palestiniens, en tout cas à court-terme. On peut penser que les services de renseignement israéliens avaient idée de ce qui allait venir, mais ils n’ont pas été entendus par Netanyahou.</p> <p><strong>Vu que la razzia du Hamas a été menée en grande autonomie et que la riposte d’Israël n’avait pas été planifiée, n’est-il pas étonnant que ces actions aient été inscrites dans un affrontement Nord-Sud?</strong></p> <p>La razzia du 7 octobre a mis à mal un des fondements de la création de l’Etat d’Israël. Elle a remis en question le «plus jamais ça» référé aux exterminations subies par les Juifs à travers les âges. Or, la création de l’Etat juif et le déplacement de la population palestinienne sont une des conséquences de l’organisation du monde voulu par les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. La Guerre contre l’Occident est menée par les pays de ce qui est appelé Sud Global sur le front des valeurs morales. Il s’agit essentiellement des pays BRICS+: Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Egypte, Emirats arabes unis, Ethiopie et Iran. D’après eux, la Shoah ne serait pas le pire qui soit arrivé: la colonisation est bien pire. De plus, la Shoah serait un «truc entre Blancs», qui a eu lieu il y a longtemps, et dont certains doutent même qu’elle ait eu lieu. Voilà le genre de position qui est soutenu par les leaders <i></i>de ces pays, et qui demandent maintenant aux colonisateurs de payer pour leurs méfaits. Je ne mets pas en doute la gravité de l’Apartheid, ni la posture morale d’un Mandela, mais je m’interroge sur le bien-fondé de telles revendications faites au nom de populations qui pour la plupart vivent sous des régimes autoritaires, et dont une grande partie n’a qu’une aspiration, à savoir émigrer vers le Nord tant vilipendé, qui semble donc encore fournir un espoir. C’est pourquoi je souligne l’inanité du clivage entre le Sud Global et le Nord occidental. Au nom de la morale on occulte la question démocratique, faisant ainsi le jeu de personnages comme Netanyahou ou Trump. 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Vu que les paysans dépendent de manière importante de paiements directs, certains les considèrent comme des sortes de fonctionnaires à leur service. Ainsi, si ces citadins pensent qu’il faut faire place au loup dans les montagnes au loin, les paysans n’ont qu’à s’exécuter. D’autres considèrent les paysans comme des paysagistes, ou pensent qu’ils sont carrément inutiles vu que la Suisse aurait les moyens d’acheter à l’étranger ce dont sa population a besoin. Ceux qui ne les connaissent pas peuvent avoir été surpris ou dérangés par les manifestations que les paysans ont organisées depuis le début de l’année.</p> <p>Lorsqu’ils ont commencé à manifester ils ont simplement retourné des panneaux à l’entrée de villages, pour dire que le monde marche sur la tête. Plus tard ils se sont réunis autour de feux avec leurs tracteurs, et ont explicité leur appel, leur SOS. Au dire des organisateurs les manifestations avaient pour objectif de rompre l’isolement, demander une plus grande reconnaissance, et rassembler afin de souder une profession traditionnellement morcelée, ainsi qu’établir un dialogue avec la population. Il s’est donc agi d’un appel pour attirer l’attention sur une situation ressentie comme difficile. Ce n’était pas une plainte, ni une demande de moyens. Cet appel quelque peu vague laisse transparaître un malaise profond, que les revendications plus précises, transmises au Conseil fédéral et à quatre détaillants, ne capturent pas complètement, même si elles ont été soutenues par 65'000 signatures récoltées en seulement 15 jours. L’appel demande une réflexion d’ensemble pour une refonte du système. 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Malgré leur adhésion aux principes du libre marché, les pays exercent des contrôles aux douanes et pratiquent par exemple des tarifs préférentiels pour le gasoil agricole. Une caractéristique importante de notre système est le droit foncier rural, qui a jusqu’ici contribué à éviter une trop grande concentration des exploitations agricoles et à faire en sorte que les propriétaires des terres agricoles soient les agriculteurs eux-mêmes.</p> <p>On peut dire que le système suisse fonctionne convenablement, tout en exerçant une grande pression sur les paysans. Le système est efficace: la production agricole indigène couvre près de la moitié de le demande intérieure. Ceci est remarquable dans la mesure où la population suisse n’est pas obligée de consommer des produits nationaux, qui sont souvent plus chers que les produits étrangers. Rappelons que même avec le Plan Wahlen lancé pendant la Deuxième Guerre mondiale le taux d’auto-ravitaillement n’a pas dépassé 60%. 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Ce serait déjà un bon début!</p> <p><strong>Reprenons, si vous le voulez-bien, ces différents points.</strong></p> <p>Notre système est centré sur les soins aux malades et la réparation de la santé, mais pas sur la production de la santé. Notre santé est pourtant déterminée par bien d’autres facteurs que les traitements médicaux et les médicaments, et on oublie trop souvent l’importance des déterminants sociaux et environnementaux. Cela s’est vu avec la gestion du Covid-19. En fait notre société produit des malades d’un côté et on rame pour les guérir de l’autre. Pour certains, ce marché des soins rapporte beaucoup et la maladie contribue au PIB. Mais c’est mal apprécier la situation, car une société ne fonctionne plus si sa population est malade.</p> <p>Actuellement, notre système d’assurance sociale se concentre, non plus sur le financement de soins, mais sur celui de prestations qui figurent dans un catalogue, et ceux qui détiennent les clés du catalogue n’ont pas intérêt à le faire évoluer ou accueillir d’autres prestataires dans le jeu. Le système est donc figé et le rôle de l’Etat malheureusement peu clair. La Confédération n’a pas de compétence générale en matière de santé, et n'est tentée d’intervenir que quand les autres acteurs ne s’entendent pas. Les Cantons, qui devraient en principe être souverains pour la gestion de leur système de santé, sont dans des rôles multiples: ils sont propriétaires d’hôpitaux, planificateurs, financeurs, et subventionneurs de primes, tout ceci dans un cadre LAMal fédéral auquel il ne peuvent déroger. Cette fausse souveraineté ne leur permet pas d’avoir le recul nécessaire pour défendre une vision cohérente et réellement modeler leur système de santé.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«On ne peut pas uniquement prôner la responsabilité des individus et la liberté économique, comme c’est le cas actuellement.»</em></h3> <hr /> <p>Ainsi, notre système est faussement démocratique. La machine tourne, mais le système est bloqué et sans réels contrôles démocratiques. Plus de 50 milliards issus de nos poches, sans compter les contributions étatiques via nos impôts, circulent chaque année dans le système sans arbitrages sur l’allocation des ressources! S’il s’agissait de nos impôts les parlements en débattraient. </p> <p><strong>Laissons en suspens la question du retour à une médecine humaniste. Comment pourrions-nous procéder afin de corriger ces défauts?</strong></p> <p>C’est à la fois simple et compliqué. Il faudrait intervenir à plusieurs niveaux. Il faudrait inscrire dans la Constitution que la santé est une tâche publique et que l’Etat fédéral a une responsabilité en matière de santé. On ne peut pas uniquement prôner la responsabilité des individus et la liberté économique, comme c’est le cas actuellement. Seulement l’Etat peut espérer contrôler la teneur en sucre ou l’excès de graisses dans notre alimentation, de même que veiller sur la consommation de tabac et autres nuisibles pour la santé.</p> <p>La Confédération et les Cantons devraient aussi repenser la coordination de leurs actions, sans arriver pour autant à un pur fédéralisme d’exécution. La Confédération pourrait s’occuper de la planification hospitalière, des soins très spécialisés, de la convergence des systèmes d’information, ainsi que de la gestion des risques environnementaux comme la pollution. Les Cantons garderaient la main sur la prévention, l’accès aux soins, les soins de longue durée, et les dispositifs communautaires autour des médecins de famille.</p> <p>Dans mon livre je propose la tenue d’états généraux de la santé. Il faudrait que le Département fédéral de l’intérieur et la Conférence des directeurs de santé définissent ensemble une vision santé et une stratégie de réponse aux enjeux actuels du système de santé. L’initiative du Centre qui sera en votation le 9 juin propose bien que les Cantons et la Confédération discutent des coûts du système, mais sans dire la direction vers laquelle on veut aller. Il faudrait aussi plus de participation citoyenne. Pas de simples assemblées citoyennes hors-sol. Il faut éviter un exercice alibi et organiser un large débat, impulsé par les médias et les associations de consommateurs et de patients, qu’il faudrait financer. En parallèle, il faudrait créer une instance indépendante qui puisse disposer de toutes les données nécessaires pour informer le politique dans ses décisions. Pour terminer, il faudrait que les acteurs-clés du système et les parlementaires s’engagent à être force de proposition, et à être liés par une charte d’engagement. Nous devrions aussi changer notre imaginaire, en sortant par exemple de la toute-puissance de l’hôpital.</p> <p><strong>Qu’entendez-vous par toute-puissance de l’hôpital?</strong></p> <p>D’après mon expérience, pour la population et pour les administrations il y a l’hôpital et puis le reste. On le voit dans les batailles menées par les communes pour garder les hôpitaux sur leurs territoires. Ceci explique en partie le fait qu’il y a encore trop d’hospitalisations en Suisse. L’hôpital est important, mais ça devrait se jouer davantage dans la communauté, avec les soins à domicile, les EMS, la médecine de premier recours. Il nous manque des institutions communautaires interprofessionnelles. Lorsque j’ai été à la Direction de la santé vaudoise nous avons essayé de voir comment éviter le recours à l’hôpital pour assurer une meilleure qualité des soins, et pour éviter l’engorgement des urgences. Nous avons par exemple conçu des plateformes de coordination des soins, et des organisations régionales, mais nous n’avons pas eu le temps politique d’aller jusqu’au bout de ces réformes.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«Réaliser un nouveau cadre pour la santé n'est pas étatiser»</em></h3> <hr /> <p><strong>Je perçois dans vos propos une fibre étatiste.</strong></p> <p>Je lance un appel au politique. Ce serait un vœu pieux de penser que sans une vision politique claire les acteurs-clés seraient capables de repenser le fonctionnement global du système, de réarticuler les besoins de promotion de santé et de soins, de réajuster les structures tarifaires au profit des généralistes et des soins infirmiers, et de revaloriser la Médecine humaniste. Surtout que cela va comporter la re-discussion de certains privilèges historiques. Réaliser un nouveau cadre légal pour la santé n’est pas étatiser. Mais la loi ne peut pas tout. Mon activité de médecin m’a enseigné la solidarité, le respect de l’humain, et la compassion. Il faut déconstruire le pouvoir médical tel qu’il s’est érigé et le ramener vers plus d’humilité. Il y a actuellement une perte de sens chez les professionnels. Les médecins et les soignants en général sont écartelés entre des contraintes administratives et le besoin de temps pour les soins. C’est criant en particulier dans les hôpitaux qui sont devenus des industries pénétrées par tout un vocabulaire économique. Il faudrait repenser l’éducation des soignants en soulignant la communauté de destin entre professionnels de santé et patient, pour que cette vision humaniste se réalise.</p> <p><strong>Quelles seront les prochaines étapes pour vous?</strong></p> <p>D’ici peu sortira un rapport de Unisanté réalisé sous mandat de l’Académie des sciences médicales, qui élabore les idées de réformes légales que j’ai exposées. Ce sera un travail scientifique. Puis en juin est attendue une prise de position plus offensive de l’Académie elle-même, qui contiendra notre rapport en annexe. Nous, experts, aurons alors fait notre part du travail. La population devrait revendiquer une prise de position de l’Etat démocratique: elle est attendue. Les politiques ont besoin d’un engagement citoyen. L’avenir de la santé et des soins est dans la communauté.</p> <hr /> <h4><sup>1</sup><i>Crise du système de santé: Cantons et Confédération, il est encore temps!</i> Kraft, n°2, Georg Editeur, 2023.</h4> <h4><sup>2</sup>Stéfanie Monod est Professeure titulaire à l’Université de Lausanne-Unisanté, où elle co-dirige, comme médecin cheffe, le Département épidémiologie et système de santé. Elle a travaillé une vingtaine d’années au CHUV, en gériatrie et au développement des soins des personnes âgées dans la communauté. 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