Actuel / La France refuse d’acter sa perte d’influence dans ses ex-colonies
Le président camerounais Paul Biya accueille Emmanuel Macron à Yaoundé, le 26 juillet dernier. Capture d'écran France24/© France24/YouTube
Contrer l’avancée de la Russie sur le continent africain; reconquérir de nouvelles parts de marché pour les entreprises françaises qui perdent du terrain face à la Chine; repositionner le dispositif militaire français pour contenir la progression du terrorisme djihadiste dans la region… L’avenir dira si ce programme ambitieux relève ou non de la mission impossible. Il a en tout cas été décliné par le président français Emmanuel Macron cette semaine, à chacune de ses étapes lors de sa première tournée sur le continent africain depuis sa réélection - au Cameroun, au Bénin, ainsi qu’en Guinée-Bissau, un pays lusophone dont le président vient de prendre la tête de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest).
A son arrivée à l’Elysée, Emmanuel Macron avait cru pouvoir prendre quelques distances avec les inamovibles «présidents à vie» du pré-carré francophone, tout particulièrement en Afrique centrale, tel Paul Biya au Cameroun, 89 ans, et 40 ans de pouvoir autoritaire au compteur; ou encore Denis Sassou N’Guesso, 78 ans, aux commandes du Congo-Brazzaville durant 38 ans. Mais les «vieux crocodiles» ne sont pas restés inactifs face à la disgrâce dans laquelle semblait vouloir les confiner le jeune président français. En avril dernier, deux mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le président camerounais signait un accord de coopération militaire avec Moscou. Et cette semaine, alors qu’Emmanuel Macron se trouvait dans la capitale camerounaise Yaoundé, première étape de sa tournée africaine, Brazzaville accueillait au même moment et en grande pompe le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov. Histoire de bien faire comprendre à la France que si elle les estime «infréquentables», d’autres pays, moins regardants sur les questions d’alternance démocratique et de respect des droits humains, sont prêts à prendre la relève.
Une stratégie qui avait déjà fait ses preuves par le passé: au temps de l’ex-URSS, les pays africains jouaient le bloc communiste contre le bloc occidental pour faire monter les enchères. Aujourd’hui, à l’heure où Moscou étend son influence en Afrique francophone – tout particulièrement au Mali et en République centrafricaine – le président Macron a multiplié les critiques acerbes tout au long de sa tournée. Il a ainsi accusé la Russie d’être «l’une des dernières puissances impériales coloniales» et qualifié d’«hypocrite» la position des pays africains à son encontre dans le contexte de la guerre en Ukraine. Des affirmations qui ont fait bondir les internautes sur les réseaux sociaux, lesquels ont ironisé sur son attitude «condescendante» et «méprisante».
«Heu, est-il sérieux? Qui maintient des dictateurs au pouvoir en Afrique depuis 50 ans?» demande un certain Verlaine. «C’est l’hôpital qui se moque de la charité», renchérit modibokeita. «Macron ne peut s’empêcher de donner des leçons aux Africains et les considère incapables de discernement face à la Russie», s’exclame encore un autre internaute.
Outre la perte d’influence de la France face à la Russie dans ses ex-colonies, un autre «bras d’honneur diplomatique» a récemment été envoyé à Paris par le Gabon et le Togo. Ces deux piliers «historiques» de l’Afrique francophone, dont les présidents ont tous deux succédé à leur père à la tête du pays, ont choisi de rejoindre la communauté des pays anglophones. Leur adhésion officielle a été actée le 25 juin dernier, à l’occasion du Sommet du Commonwealth qui s’est déroulé à Kigali au Rwanda, un pays ex-francophone devenu anglophone, dont la réussite économique inspire sur le continent.
Pour Emmanuel Macron, le fait d’avoir dû reprendre le chemin de Yaoundé et faire allégeance à Paul Biya marque en quelque sorte «la fin de la récréation»: celle de sa volonté, réelle ou supposée, de renouveler les relations entre la France et l’Afrique, comme il s’y était engagé en novembre 2017 devant plusieurs centaines d'étudiants de l’Université de Ouagadougou au Burkina Faso; comme s’y étaient déjà engagés avant lui ses prédécesseurs en début de mandat, avant de revenir à une realpolitik, qui passe par le soutien à des «présidents à vie» contestés, mais bienveillants à l’égard de la France et de ses entreprises; à l’heure où la Chine taille chaque jour de nouvelles croupières aux entreprises tricolores, en rafflant de juteux marchés autrefois captifs.
Le président camerounais Paul Biya n’a d’ailleurs pas boudé son plaisir de se retrouver en position de force face à celui qui l’avait à plusieurs reprises tancé publiquement. Lors d’une conférence de presse lunaire mardi aux côtés d’Emmanuel Macron, il s’est même payé le luxe de faire planer le doute quant à sa volonté de briguer un nouveau mandat en 2025. Et ce alors que circulent depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux des vidéos appelant son fils aîné Franck Biya à se présenter aux prochaines présidentielles pour lui succéder. Se dirige-t-on vers un scénario «à la tchadienne», où Emmanuel Macron s’était retrouvé l’année dernière en train d’adouber un fils à papa, Mahmat Deby, à la mort de son président de père Idriss Deby?
Si la France n’a alors pas hésité à valider une transmission de pouvoir dynastique au Tchad, c’est avant tout en raison de l’appui sans faille de ce pays d’Afrique centrale à ses côtés pour lutter contre les groupes extremistes, tel Boko Haram, qui sévit au Tchad comme au Cameroun voisin et ailleurs dans la région. La lutte contre l’avancée des «terroristes djihadistes» vers les pays côtiers ouest-africains fut également au cœur des discussions d’Emmanuel Macron avec Patrice Talon, président du Bénin, un pays qui a dû affronter au cours de ces derniers mois plusieurs attaques de djihadistes dans le nord du pays. Chassée du Mali, la France est en train de repenser tout son dispositif militaire «antiterroriste» dans la région. La politique africaine d’Emmanuel Macron durant son deuxième mandat ne s’annonce en tout cas guère comme un long fleuve tranquille, mais bien plutôt comme un chemin de crête périlleux, avec une marge de manœuvre particulièrement étroite.
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Dans l’inconscient collectif de la population, l’armée française bombardant le palais présidentiel où s’était retranché le président Laurent Gbagbo en avril 2011 demeure une image marquante.</p> <h3><strong>«Camouflet» ou sens de l’Histoire?</strong></h3> <p>Après l’annonce, le 29 novembre dernier, par le Tchad et le Sénégal de leur volonté de mettre un terme à la présence sur leur sol de militaires français – à la suite du Mali, du Burkina Faso et du Niger – la Côte d’Ivoire et le Gabon demeurent les derniers, avec Djibouti, à ne pas remettre en question, pour l’instant, cette présence. Les médias de l’Hexagone ont aussitôt parlé de «camouflet», d’«humiliation» pour la France, d’un «nouveau revers» pour la politique africaine d’Emmanuel Macron. Oubliant peut-être un peu vite qu’il s’agit avant tout du sens de l’Histoire et que des troupes françaises stationnées en permanence sur le continent africain relèvent davantage d’un anachronisme datant de la période coloniale plutôt que d’une situation immuable qu’il s’agirait de préserver à tout prix.</p> <p>Une nouvelle génération de chefs d’Etat, chacun à sa manière, demeure en tout cas soucieuse de poser des actes symboliques visant à recouvrer la souveraineté de leur pays et à redéfinir leurs relations avec l’ex puissance coloniale, comme l’expriment régulièrement leurs concitoyens. L’échec attribué aux troupes françaises de l’opération Barkhane dans leur lutte contre les djihadistes au Mali a par ailleurs battu en brèche la confiance qu’avaient leurs prédécesseurs dans les compétences et le savoir-faire militaire français, poussant les nouveaux dirigeants à se tourner résolument vers d’autres partenaires pour combattre l’insécurité qui gangrène leur pays. </p> <h3><strong>Macron a tenté de reprendre la main, en vain </strong></h3> <p>Lors de ses déplacements sur le continent africain, Emmanuel Macron avait senti que le vent tournait, que la France perdait du terrain, et avait essayé de reprendre la main. En proposant par exemple de réduire le nombre de militaires stationnés dans les pays demeurés «amis». Afin de préparer cette réduction, il avait dernièrement dépêché auprès des présidents africains concernés l’ancien Secrétaire d’Etat à la coopération du président Nicolas Sarkozy, Jean-François Bockel, qui, visiblement, n’y a vu que du feu. Dans son rapport remis le 25 novembre à la présidence, il affirme qu’il n’y a pas de «demande de départ» des troupes françaises de la part des chefs d’Etat ivoirien, gabonais et tchadien, le Sénégal ayant refusé de le recevoir à la veille d’élections.</p> <p>Si la décision du Sénégal était relativement attendue, tant ses nouveaux dirigeants avaient, lors de la campagne présidentielle déjà, annoncé vouloir redéfinir leurs relations avec la France, celle du Tchad, en revanche, a sidéré les autorités françaises. Paris s’était en effet montré pleine d’égards et de compréhension à l’égard de son président Mahamat Idriss Deby, arrivé au pouvoir en piétinant la Constitution de son pays après la mort de son père. Emmanuel Macron s’était d’ailleurs personnellement déplacé à N’Djamena pour l’adouber, suscitant ainsi de nombreuses critiques. Début octobre à Paris, il lui avait prodigué moultes attentions en l’accueillant au Sommet de la Francophonie.</p> <p>C’est que le Tchad, depuis l’époque coloniale, était une pièce maîtresse de la présence militaire de la France en Afrique. Des générations d’officiers français s’y sont succédées depuis l’indépendance en 1960. C’est du Tchad que partirent de nombreuses opérations extérieures, mais aussi intérieures: les troupes françaises sont intervenues à plusieurs reprises pour prêter main forte au pouvoir en place. Un millier de soldats y sont toujours stationnés.</p> <h3><strong>A quoi sert l’armée française en Afrique? </strong></h3> <p>Avec tout de même cette question: mais que font donc les militaires français en Afrique, y compris dans des pays où les intérêts de la France sont peu importants? Paris met en avant son rôle d’entraînement, de formation des armées nationales, de partage d’informations pour, entre autres, lutter contre le «terrorisme». Les entreprises françaises, et plus largement européennes, comptant sur eux pour les protéger en cas de troubles, voire d’exfiltrer leurs ressortissants si nécessaire.</p> <p>Mais les beaux jours de l’armée française en Afrique semblent résolument appartenir au passé. Celle-ci n’y a plus sa place. Et tôt ou tard, les derniers bastions de la «Coloniale» (surnom donné aux troupes coloniales), en Côte d’Ivoire et au Gabon, sans compter Djibouti qui a un statut à part, partiront de manière inéluctable. Leurs responsables politiques parviendront-ils à l’organiser ou y seront-ils contraints par la volonté populaire? Quant à la France, est-elle prête à opérer de profonds changements dans ses relations avec ses ex-colonies, sans forcément les rayer de sa liste de «pays amis» si elles cherchent à diversifier leur coopération, y compris avec la Russie? 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Un des points sur lesquels Donald Trump est particulièrement attendu est celui de la prolongation de l’AGOA, l’African Growth and Opportunity Act, qui permet à des pays «amis», respectant certains critères, d’exporter leurs produits vers les Etats-Unis sans payer de taxes. Or, lors de son premier mandat, il avait déclaré que le programme ne serait pas renouvelé à son expiration en 2025. Une perspective qui inquiète plusieurs pays, parmi lesquels l’Afrique du Sud, l’un des plus grands exportateurs vers les Etats-Unis dans le cadre de l’AGOA.</p> <h3>Quelles conséquences du retour de Trump?</h3> <p>L’Afrique du Sud fait en tout cas partie des pays africains qui voient avec appréhension un retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Son président Cyril Ramaphosa est en effet mal vu de certains ténors du Parti républicain pour avoir déposé une plainte contre l’Etat d’Israël auprès de la Cour internationale de justice. 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Pourtant, durant des décennies, des dictateurs ont mené la vie dure à leurs compatriotes, sans que ni les USA, ni les pays européens ne songent à les déloger. «C’est un salaud, mais c’est notre salaud»: la formule qui eut son heure de gloire durant la Guerre froide conserve toute son actualité. Durant cette période en effet, les pays occidentaux soutinrent sans vergogne des autocrates sanguinaires, dont le seul mérite était de leur rester fidèles, sans céder aux sirènes de Moscou.</p> <h3>Deux poids, deux mesures</h3> <p>Depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie, c’est une sorte de retour vers le passé. Les pays du Sud sont sommés de choisir leur camp. S’ils refusent de condamner la Russie, favorisent ses intérêts au détriment de ceux des pays occidentaux, ils sont vite considérés comme «ennemis». Si les relations devaient encore se durcir entre les Etats-Unis et la Chine, les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine auraient également à choisir leur camp. 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C’est également le cas du Mali, du Burkina Faso et du Niger, où des militaires putschistes semblent peu pressés de rendre le pouvoir aux civils et d’organiser des élections, comme les en presse la «communauté internationale». Pour s’en débarrasser et bien marquer leur volonté de rupture totale, ces trois pays se sont regroupés au sein d’une Alliance des Etats du Sahel (AES) et se sont rapprochés de la Russie, de l’Iran, de la Corée du Nord – en gros, des pays mis au ban par les Etats-Unis et l’Union européenne. </p> <p>L’exemple du Niger est particulièrement éclairant. Lorsque les putschistes ont renversé le président Mohamed Bazoum, démocratiquement élu, dont ils supportaient mal les velléités d’améliorer la gouvernance et de lutter contre la corruption, ils ont repris à leur compte un discours anticolonialiste et anti-occidental pour expliquer leur geste, et séduire leurs concitoyens. Le Mali et le Burkina Faso les ont précédés sur la même voie. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@willoft 30.07.2022 | 03h07
«Bah, le Jihad ne sert que celui qui s'en sert.
La France est le drame européen, bien avant le brexit, mais ...!»