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'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Rachida El Azzouzi</strong>, article publié sur <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/191123/henry-laurens-est-sur-la-voie-d-un-processus-de-destruction-de-masse-gaza" target="_blank" rel="noopener"><em>Mediapart</em></a> le 19 novembre 2023</p>
<hr />
<p>L’historien et universitaire Henry Laurens est l’un des plus grands spécialistes du Moyen-Orient. Professeur au Collège de France où il est titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe, il a mis la question palestinienne au cœur de son travail. Il est l’auteur de très nombreux livres dont cinq tomes sans équivalent publiés entre 1999 et 2015, consacrés à <a href="https://www.fayard.fr/livre/la-question-de-palestine-tome-1-linvention-de-la-terre-sainte-1799-1922-9782213603490/"><em>La question de Palestine</em></a> (Fayard). </p>
<p>Dans un entretien à Mediapart, il éclaire de sa connaissance l’exceptionnalité du conflit israélo-palestinien et le <em>« corps à corps que même l’émotion n’arrive pas à séparer » </em>dans lesquels les deux peuples sont pris depuis des décennies. Il dit son pessimisme quant à la résolution du conflit qui peut durer <em>« des siècles » </em>:<em> « Vous ne pouvez espérer de sortie possible que par une décolonisation, mais à horizon immédiat, cette décolonisation n’est pas faisable. Dans les années 1990, elle l’était. Il y avait 30 000 colons. Aujourd’hui, ils sont 500 000 dont quelques dizaines de milliers qui sont des colons ultrareligieux et armés. »</em></p>
<p><strong>Rachida El Azzouzi: Plus d’une vingtaine de rapporteurs de l’organisation des Nations unies (ONU) s’inquiètent d’« un génocide en cours » à Gaza. Est-ce que vous employez ce terme ? </strong></p>
<p><strong>Henry Laurens</strong>: Il y a deux sens au terme de « génocide ». Il y a le génocide tel que défini par l’avocat polonais Raphael Lemkin en 1948, la seule définition juridique existante, aujourd’hui intégrée au protocole de Rome créant la CPI <em>[Cour pénale internationale – ndlr]</em>. Lemkin a été obligé, pour que ce soit voté par les Soviétiques et par le bloc de l’Est, d’éliminer les causes politiques du génocide – massacrer des gens dans le but de détruire une classe sociale –, parce qu’il aurait fallu reconnaître le massacre des <em>koulaks</em> par les Soviétiques.</p>
<p>La définition de Lemkin implique que ceux qui commettent un génocide appartiennent à un autre peuple que celui des victimes. D’où le problème aussi qu’on a eu avec le Cambodge, qu’on ne pouvait pas appeler un génocide parce que c’étaient des Cambodgiens qui avaient tué des Cambodgiens. Là, on est dans une définition étroite. C’était le prix à payer pour obtenir un accord entre les deux Blocs dans le contexte du début de la guerre froide.</p>
<p>Vous avez ensuite une définition plus large du terme, celui d’une destruction massive et intentionnelle de populations quelles qu’en soient les motivations.</p>
<p>Il existe donc deux choses distinctes : la première, ce sont les actes, et la seconde, c’est l’intention qui est derrière ces actes. Ainsi le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie a posé la différence entre les nettoyages ethniques dont la motivation n’est pas génocidaire parce que l’extermination n’était pas recherchée, même si le nombre de victimes était important, et les actes de génocide comme celui de Srebrenica, où l’intention était claire.</p>
<p>On voit ainsi que le nombre de victimes est secondaire. Pour Srebrenica, il est de l’ordre de 8 000 personnes.</p>
<p>L’inconvénient de cette logique judiciaire est de conduire à une casuistique de l’intentionnalité, ce qui ne change rien pour les victimes. </p>
<p>Au moment où nous parlons, le nombre de victimes dans la bande de Gaza est supérieur à celui de Srebrenica. On a, semble-t-il, dépassé la proportion de 0,5 % de la population totale. Si on compare avec la France, cela donnerait 350 000 morts.</p>
<p>Le discours israélien évoque des victimes collatérales et des boucliers humains. Mais de nombreux responsables israéliens tiennent des discours qui peuvent être qualifiés de génocidaires. L’effondrement des conditions sanitaires et l’absence même de ravitaillement à destination des populations concernées peuvent indiquer que l’on est sur la voie d’un processus de destruction de masse avec des controverses à n’en plus finir sur les intentionnalités. </p>
<p>La solution à deux États n’est plus possible.</p>
<p><strong>La crainte d’une seconde « Nakba » (catastrophe), en référence à l’exil massif et forcé à l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948, hante les Palestiniens. Peut-on faire le parallèle avec cette période ? </strong></p>
<p>La Nakba peut être considérée comme un nettoyage ethnique, en particulier dans les régions autour de l’actuelle bande de Gaza où l’intentionnalité d’expulsion est certaine. Des responsables israéliens appellent aujourd’hui à une expulsion de masse. C’est d’ailleurs pour cela que l’Égypte et la Jordanie ont fermé leurs frontières.</p>
<p>Dans l’affaire actuelle, les démons du passé hantent les acteurs. Les juifs voient dans le 7 octobre une réitération de la Shoah et les Palestiniens dans les événements suivants celle de la Nakba.</p>
<p><strong>Faut-il craindre une annexion de la bande de Gaza par Israël avec des militaires mais aussi des colons ? </strong></p>
<p>En fait, personne ne connaît la suite des événements. On ne voit personne de volontaire pour prendre la gestion de la bande de Gaza. Certains responsables israéliens parlent de <em>« dénazification » </em>et il y a une dimension de vengeance dans les actes israéliens actuels. Mais les vengeances n’engendrent que des cycles permanents de violence.</p>
<p><strong>Quelle est votre analyse des atrocités commises le 7 octobre 2023 par le Hamas ?</strong></p>
<p>Elles constituent un changement considérable, parce que la position de l’État d’Israël est profondément modifiée au moins sur deux plans : premièrement, le pays a subi une invasion pour quelques heures de son territoire, ce qui n’est pas arrivé depuis sa création ; deuxièmement, le 7 octobre marque l’échec du projet sioniste tel qu’il a été institué après la Seconde Guerre mondiale, un endroit dans le monde où les juifs seraient en position de sécurité. Aujourd’hui, non seulement l’État d’Israël est en danger, mais il met en danger les diasporas qui, dans le monde occidental, se trouvent menacées ou, en tout cas, éprouvent un sentiment de peur.</p>
<p><strong>Le dernier tome de votre série consacrée à « La question de Palestine » (Fayard) était intitulé « La paix impossible <em>»</em> et courait sur la période 1982-2001. Vous étiez déjà très pessimiste quant à la résolution de ce conflit, mais aussi concernant l’avenir de la région, comme si elle était condamnée à demeurer cette poudrière. Est-ce que vous êtes encore plus pessimiste aujourd’hui ? Ou est-ce que le conflit israélo-palestinien vous apparaît soluble, et si oui, quelle issue apercevez-vous ?</strong></p>
<p>La réelle solution théorique serait d’arriver à un système de gestion commune et équitable de l’ensemble du territoire. Mais un État unitaire est difficile à concevoir puisque les deux peuples ont maintenant plus d’un siècle d’affrontements.</p>
<p><strong>Qu’en est-il de la solution à deux États, dont le principe a été adopté en 1947 par l’ONU, après la fin du mandat britannique ? Est-elle possible ?</strong></p>
<p>La solution à deux États n’est plus possible dès lors que vous avez 500 000 colons, dont quelques dizaines de milliers qui sont des colons ultrareligieux et armés. Vous avez une violence quotidienne en Cisjordanie. La sécurité des colons ne peut se fonder que sur l’insécurité des Palestiniens. Et l’insécurité des Palestiniens provoque la violence qui engendre l’insécurité des colons.</p>
<p>C’est un cercle vicieux et vous ne pouvez espérer de sortie possible que par une décolonisation, mais à horizon immédiat, cette décolonisation n’est pas faisable. Dans les années 1990, elle l’était. Il y avait 30 000 colons. On pouvait, sans trop de dégâts, faire une décolonisation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. </p>
<p>Aujourd’hui, nous sommes dans une position de domination, et cette solution peut prendre des siècles parce qu’il y a l’exceptionnalité juive qui crée une exceptionnalité israélienne qui elle-même crée une exceptionnalité palestinienne. C’est-à-dire que sans être péjoratif, les Palestiniens deviennent des juifs bis.</p>
<p><strong>Qu’entendez-vous par là ?</strong></p>
<p>Nous sommes depuis le 7 octobre devant un grand nombre de victimes. Mais ces dernières années, nous en avons eu bien plus en Irak, en Syrie, au Soudan et en Éthiopie. Cela n’a pas provoqué l’émoi mondial que nous connaissons aujourd’hui. L’émotion a été suscitée parce que les victimes étaient juives, puis elle s’est déplacée sur les victimes palestiniennes. Les deux peuples sont dans un corps à corps que même l’émotion n’arrive pas à séparer.</p>
<p><strong>Les années 1990 ont été marquées par les accords d’Oslo en 1993. Relèvent-ils du mirage aujourd’hui ? </strong></p>
<p>Non, on pouvait gérer une décolonisation. Mais déjà à la fin des accords d’Oslo, il n’y a pas eu décolonisation mais doublement de la colonisation sous le gouvernement socialiste et ensuite sous le premier gouvernement Nétanyahou. Ce sont l’occupation, la colonisation, qui ont amené l’échec des processus. Il n’existe pas d’occupation, de colonisation pacifique et démocratique.</p>
<p>Aujourd’hui, c’est infiniment plus difficile à l’aune de la violence, des passions, des derniers événements, des chocs identitaires, de la haine tout simplement. Qui plus est, depuis une trentaine d’années, vous avez une évolution commune vers une vision religieuse et extrémiste, aussi bien chez les juifs que chez les Palestiniens.</p>
<p>La Palestine fonctionne en jeu à somme nulle, le progrès de l’un se fait au détriment de l’autre.</p>
<p><strong>Vous voulez dire que le conflit territorial est devenu un conflit religieux ?</strong></p>
<p>Il a toujours été religieux. Dès l’origine, le mouvement sioniste ne pouvait fonctionner qu’en utilisant des références religieuses, même si ses patrons étaient laïcs. La blague de l’époque disait que les sionistes ne croyaient pas en Dieu mais croyaient que Dieu leur avait promis la Terre promise.</p>
<p>Le projet sioniste, même s’il se présentait comme un mouvement de sauvetage du peuple juif, ne pouvait fonctionner qu’en manipulant les affects. Il était de nature religieuse puisqu’il renvoyait à la Terre sainte. Vous avez une myriade d’endroits qui sont des symboles religieux, mais qui sont aussi des symboles nationaux, aussi bien pour les juifs que pour les musulmans : l’esplanade des Mosquées, le tombeau des Patriarches, le mur des Lamentations. Et puis il y a les gens qui se sentent mandatés par Dieu.</p>
<p>De même, les musulmans ont cherché des alliés en jouant sur la solidarité islamique. Dès les années 1930, la défense de la mosquée Al-Aqsa est devenue un thème fédérateur.</p>
<p><strong>Pourquoi est-il devenu difficile d’invoquer une lecture coloniale du conflit depuis les massacres du Hamas du 7 octobre ?</strong></p>
<p>Le sionisme est à l’origine un corps étranger dans la région. Pour arriver à ses fins, il a eu besoin d’un soutien européen avant 1914, puis britannique et finalement américain. Israël s’est posé comme citadelle de l’Occident dans la région et conserve le discours colonial de la supériorité civilisatrice et démocratique. Cet anachronisme est douloureusement ressenti par les autres parties prenantes.</p>
<p>Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les responsables sionistes n’hésitaient pas à se comparer à la colonisation britannique en Afrique noire avec la nécessité de mater les protestations indigènes. </p>
<p>La Palestine fonctionne en jeu à somme nulle, le progrès de l’un se fait au détriment de l’autre. La constitution de l’État juif impliquait un « transfert » de la population arabe à l’extérieur, terme poli pour « expulsion ». La confiscation des terres détenues par les Arabes en est le corollaire. Les régions où ont eu lieu les atrocités du 7 octobre étaient peuplées d’Arabes qui ont été expulsés en 1948-1950.</p>
<p>Dire cela, c’est se faire accuser de trouver des excuses au terrorisme. Dès que vous essayez de donner des éléments de compréhension, vous vous confrontez à l’accusation : <em>« Comprendre, c’est excuser. »</em> Il faut bien admettre que le Hamas dans la bande de Gaza recrute majoritairement chez les descendants des expulsés. Cela ne veut pas dire approuver ce qui s’est passé.</p>
<p><strong>Le slogan « From the river to the sea, Palestine will be free » (« De la rivière à la mer, la Palestine sera libre ») utilisé par les soutiens de la Palestine fait polémique. Est-ce vouloir rayer de la carte Israël ou une revendication légitime d’un État palestinien ?</strong></p>
<p>Il a été utilisé par les deux parties et dans le même sens. Les mouvements sionistes, en particulier la droite sioniste, ont toujours dit que cette terre devait être juive et israélienne au moins jusqu’au fleuve. Le parti de l’ancêtre du Likoud voulait même annexer l’ensemble de la Jordanie.</p>
<p>Chez certains Palestiniens, on a une vision <em>soft</em> qui consiste à dire que <em>« si nous réclamons un État palestinien réunissant la bande de Gaza et la Cisjordanie, nous considérons l’ensemble de la terre comme la Palestine historique, comme partie de notre histoire, mais nous ne la revendiquons pas dans sa totalité »</em>.</p>
<p>Israël depuis sa fondation n’a pas de frontières définies internationalement. Il a toujours revendiqué la totalité de la Palestine mandataire, voire plus. Il a ainsi rejeté l’avis de la Cour internationale de justice qui faisait des lignes d’armistice de 1949 ses frontières permanentes.</p>
<p>Cette indétermination se retrouve de l’autre côté. La libération de la Palestine renvoie à la totalité du territoire. D’autres exigeaient la carte du plan de partage de 1947. Pour l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), faire l’État palestinien sur les territoires occupés en 1968 était la concession ultime.</p>
<p>Les Arabes en général ont reçu sans grand problème les réfugiés arméniens durant la Grande Guerre et les années suivantes. Ces Arméniens ont pu conserver l’essentiel de leur culture. Mais il n’y avait pas de question politique. Il n’était pas question de créer un État arménien au Levant.</p>
<p>Dès le départ, les Arabes de Palestine ont vu dans le projet sioniste une menace de dépossession et d’expulsion. On ne peut pas dire qu’ils ont eu tort…</p>
<p>Le meilleur moyen de contrer le Hamas est d’offrir aux Palestiniens une vraie perspective politique et non de bonnes paroles et quelques aides économiques qui sont des emplâtres sur des jambes de bois.</p>
<p><strong>Le mouvement islamiste palestinien, le Hamas, classé terroriste par l’Union européenne et les États-Unis, est aujourd’hui le principal acteur de la guerre avec Israël…</strong></p>
<p>Définir l’ennemi comme terroriste, c’est le placer hors la loi. Bien des épisodes de décolonisation ont vu des « terroristes » devenir du jour au lendemain des interlocuteurs valables. </p>
<p>Bien sûr, il existe des actes terroristes et les atrocités du 7 octobre le sont. Mais c’est plus une méthodologie qu’une idéologie. C’est une forme de guerre qui s’en prend aux civils selon les définitions les plus courantes. Jamais un terroriste ne s’est défini comme tel. Il se voit comme un combattant légitime et généralement son but est d’être considéré comme tel. Avec l’État islamique et le 7 octobre, on se trouve clairement devant un usage volontaire de la cruauté.</p>
<p>La rhétorique habituelle est de dire que l’on fait la guerre à un régime politique et non à un peuple. Mais si on n’offre pas une perspective politique à ce peuple, il a le sentiment que c’est lui que l’on a mis hors la loi. Il le voit bien quand on dit <em>« les Israéliens ont le droit de se défendre »</em>, mais apparemment pas quand il s’agit de Palestiniens.</p>
<p><strong>D’aucuns expliquent qu’Israël a favorisé l’ascension du Hamas pour qu’un vrai État palestinien indépendant ne voie jamais le jour au détriment de l’autorité palestinienne qui n’administre aujourd’hui plus que la Cisjordanie. Est-ce que le Hamas est le meilleur ennemi des Palestiniens ? </strong></p>
<p>Incontestablement,<strong> </strong>les Israéliens ont favorisé les Frères musulmans de la bande de Gaza dans les années 1970 et 1980 pour contrer les activités du Fatah. De même, après 2007, ils voulaient faire du Hamas un sous-traitant chargé de la bande de Gaza, comme l’Autorité palestinienne l’est pour la Cisjordanie. </p>
<p>Le meilleur moyen de contrer le Hamas est d’offrir aux Palestiniens une vraie perspective politique et non de bonnes paroles et quelques aides économiques qui sont des emplâtres sur des jambes de bois. </p>
<p><strong>Quel peut être l’avenir de l’Autorité palestinienne, aujourd’hui déconsidérée ? Et du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas, pressé par la base de renouer avec la lutte armée et le Hamas ? </strong></p>
<p>Le seul acquis de l’Autorité palestinienne, ou plus précisément de l’OLP, c’est sa légitimité diplomatique. Sur le terrain, elle est perçue comme un sous-traitant de l’occupation israélienne incapable de contrer un régime d’occupation de plus en plus dur. Elle est dans l’incapacité de protéger ses administrés. Le risque majeur pour elle est tout simplement de s’effondrer.</p>
<p><strong>Le Hamas appelle les Palestiniens de Cisjordanie à se soulever. Un soulèvement généralisé des Palestiniens peut-il advenir ? </strong></p>
<p>En Cisjordanie, on a surtout de petits groupes de jeunes armés totalement désorganisés. Mais la violence et la répression sont devenues quotidiennes et les violences permanentes. À l’extérieur, l’Occident apparaît complice de l’occupation et de la répression israéliennes. L’Iran, la Chine et la Russie en profitent.</p>
<p>Ben Gourion disait que la victoire du sionisme était d’avoir transformé la question juive en problème arabe. Les derniers événements semblent montrer que le problème arabe est en train de redevenir une question juive.</p>
<p><strong>Le premier tome de votre monumentale « Question de Palestine » s’ouvre sur 1799, lorsque l’armée de Napoléon Bonaparte entre en Palestine, il court jusqu’en 1922. Avec cette accroche : l’invention de la Terre sainte. En quoi cette année est-elle fondatrice ? </strong></p>
<p>En 1799, l’armée de Bonaparte parcourt le littoral palestinien jusqu’à Tyr. En Europe, certains y voient la possibilité de créer un État juif en Palestine. Mais l’ouverture de la Terre sainte aux Occidentaux est aussi l’occasion d’une lutte d’influences entre puissances chrétiennes. </p>
<p><strong>Dans le tome 4, « Le rameau d’olivier et le fusil du combattant » (1967-1982), vous revenez sur ce qui a été un conflit israélo-arabe, puis un conflit israélo-palestinien. Est-ce que cela peut le redevenir ? </strong></p>
<p>Jusqu’en 1948, c’est un conflit israélo-palestinien avant tout. En 1948, cela devient un conflit israélo-arabe avec une dimension palestinienne. À partir de la fin des années 1970, la dimension palestinienne redevient essentielle.</p>
<p>Ben Gourion disait que la victoire du sionisme était d’avoir transformé la question juive en problème arabe. Les derniers événements semblent montrer que le problème arabe est en train de redevenir une question juive.</p>
<p><strong>Le rôle des États-Unis a toujours été déterminant dans ce conflit. Que nous dit leur position aujourd’hui ? </strong></p>
<p>La question de Palestine est en même temps une question intérieure pour les pays occidentaux du fait de l’histoire de la Shoah et de la colonisation. Il s’y ajoute aux États-Unis une dimension religieuse du fait du biblisme protestant et du « pionniérisme ». Les Palestiniens leur semblent être quelque part entre les Indiens et les Mexicains…</p>
<p>La « République impériale » vient encore de montrer son impressionnante capacité de projection militaire dans la région, mais aussi son incapacité à obtenir un règlement politique satisfaisant.</p>
<p><strong>Pourquoi ce conflit déclenche-t-il autant de passions et clive-t-il autant dans le monde entier, où comme en France, le président appelle à « ne pas importer le conflit » ?</strong></p>
<p>C’est un conflit gorgé d’histoire. La Terre sainte est celle des trois religions monothéistes. Le conflit lui-même porte avec lui la mémoire de la Shoah et de la colonisation, d’où l’extraordinaire position d’exceptionnalité des acteurs.</p>
<p><strong>Vous avez écrit cinq tomes sur la question de Palestine. Après l’ultime « La Paix impossible », quel pourrait être le sixième ? </strong></p>
<p>Peut-être le retour de la question juive, mais c’est loin d’être une perspective encourageante.</p>',
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<hr />
<p>L’historien et universitaire Henry Laurens est l’un des plus grands spécialistes du Moyen-Orient. Professeur au Collège de France où il est titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe, il a mis la question palestinienne au cœur de son travail. Il est l’auteur de très nombreux livres dont cinq tomes sans équivalent publiés entre 1999 et 2015, consacrés à <a href="https://www.fayard.fr/livre/la-question-de-palestine-tome-1-linvention-de-la-terre-sainte-1799-1922-9782213603490/"><em>La question de Palestine</em></a> (Fayard). </p>
<p>Dans un entretien à Mediapart, il éclaire de sa connaissance l’exceptionnalité du conflit israélo-palestinien et le <em>« corps à corps que même l’émotion n’arrive pas à séparer » </em>dans lesquels les deux peuples sont pris depuis des décennies. Il dit son pessimisme quant à la résolution du conflit qui peut durer <em>« des siècles » </em>:<em> « Vous ne pouvez espérer de sortie possible que par une décolonisation, mais à horizon immédiat, cette décolonisation n’est pas faisable. Dans les années 1990, elle l’était. Il y avait 30 000 colons. Aujourd’hui, ils sont 500 000 dont quelques dizaines de milliers qui sont des colons ultrareligieux et armés. »</em></p>
<p><strong>Rachida El Azzouzi: Plus d’une vingtaine de rapporteurs de l’organisation des Nations unies (ONU) s’inquiètent d’« un génocide en cours » à Gaza. Est-ce que vous employez ce terme ? </strong></p>
<p><strong>Henry Laurens</strong>: Il y a deux sens au terme de « génocide ». Il y a le génocide tel que défini par l’avocat polonais Raphael Lemkin en 1948, la seule définition juridique existante, aujourd’hui intégrée au protocole de Rome créant la CPI <em>[Cour pénale internationale – ndlr]</em>. Lemkin a été obligé, pour que ce soit voté par les Soviétiques et par le bloc de l’Est, d’éliminer les causes politiques du génocide – massacrer des gens dans le but de détruire une classe sociale –, parce qu’il aurait fallu reconnaître le massacre des <em>koulaks</em> par les Soviétiques.</p>
<p>La définition de Lemkin implique que ceux qui commettent un génocide appartiennent à un autre peuple que celui des victimes. D’où le problème aussi qu’on a eu avec le Cambodge, qu’on ne pouvait pas appeler un génocide parce que c’étaient des Cambodgiens qui avaient tué des Cambodgiens. Là, on est dans une définition étroite. C’était le prix à payer pour obtenir un accord entre les deux Blocs dans le contexte du début de la guerre froide.</p>
<p>Vous avez ensuite une définition plus large du terme, celui d’une destruction massive et intentionnelle de populations quelles qu’en soient les motivations.</p>
<p>Il existe donc deux choses distinctes : la première, ce sont les actes, et la seconde, c’est l’intention qui est derrière ces actes. Ainsi le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie a posé la différence entre les nettoyages ethniques dont la motivation n’est pas génocidaire parce que l’extermination n’était pas recherchée, même si le nombre de victimes était important, et les actes de génocide comme celui de Srebrenica, où l’intention était claire.</p>
<p>On voit ainsi que le nombre de victimes est secondaire. Pour Srebrenica, il est de l’ordre de 8 000 personnes.</p>
<p>L’inconvénient de cette logique judiciaire est de conduire à une casuistique de l’intentionnalité, ce qui ne change rien pour les victimes. </p>
<p>Au moment où nous parlons, le nombre de victimes dans la bande de Gaza est supérieur à celui de Srebrenica. On a, semble-t-il, dépassé la proportion de 0,5 % de la population totale. Si on compare avec la France, cela donnerait 350 000 morts.</p>
<p>Le discours israélien évoque des victimes collatérales et des boucliers humains. Mais de nombreux responsables israéliens tiennent des discours qui peuvent être qualifiés de génocidaires. L’effondrement des conditions sanitaires et l’absence même de ravitaillement à destination des populations concernées peuvent indiquer que l’on est sur la voie d’un processus de destruction de masse avec des controverses à n’en plus finir sur les intentionnalités. </p>
<p>La solution à deux États n’est plus possible.</p>
<p><strong>La crainte d’une seconde « Nakba » (catastrophe), en référence à l’exil massif et forcé à l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948, hante les Palestiniens. Peut-on faire le parallèle avec cette période ? </strong></p>
<p>La Nakba peut être considérée comme un nettoyage ethnique, en particulier dans les régions autour de l’actuelle bande de Gaza où l’intentionnalité d’expulsion est certaine. Des responsables israéliens appellent aujourd’hui à une expulsion de masse. C’est d’ailleurs pour cela que l’Égypte et la Jordanie ont fermé leurs frontières.</p>
<p>Dans l’affaire actuelle, les démons du passé hantent les acteurs. Les juifs voient dans le 7 octobre une réitération de la Shoah et les Palestiniens dans les événements suivants celle de la Nakba.</p>
<p><strong>Faut-il craindre une annexion de la bande de Gaza par Israël avec des militaires mais aussi des colons ? </strong></p>
<p>En fait, personne ne connaît la suite des événements. On ne voit personne de volontaire pour prendre la gestion de la bande de Gaza. Certains responsables israéliens parlent de <em>« dénazification » </em>et il y a une dimension de vengeance dans les actes israéliens actuels. Mais les vengeances n’engendrent que des cycles permanents de violence.</p>
<p><strong>Quelle est votre analyse des atrocités commises le 7 octobre 2023 par le Hamas ?</strong></p>
<p>Elles constituent un changement considérable, parce que la position de l’État d’Israël est profondément modifiée au moins sur deux plans : premièrement, le pays a subi une invasion pour quelques heures de son territoire, ce qui n’est pas arrivé depuis sa création ; deuxièmement, le 7 octobre marque l’échec du projet sioniste tel qu’il a été institué après la Seconde Guerre mondiale, un endroit dans le monde où les juifs seraient en position de sécurité. Aujourd’hui, non seulement l’État d’Israël est en danger, mais il met en danger les diasporas qui, dans le monde occidental, se trouvent menacées ou, en tout cas, éprouvent un sentiment de peur.</p>
<p><strong>Le dernier tome de votre série consacrée à « La question de Palestine » (Fayard) était intitulé « La paix impossible <em>»</em> et courait sur la période 1982-2001. Vous étiez déjà très pessimiste quant à la résolution de ce conflit, mais aussi concernant l’avenir de la région, comme si elle était condamnée à demeurer cette poudrière. Est-ce que vous êtes encore plus pessimiste aujourd’hui ? Ou est-ce que le conflit israélo-palestinien vous apparaît soluble, et si oui, quelle issue apercevez-vous ?</strong></p>
<p>La réelle solution théorique serait d’arriver à un système de gestion commune et équitable de l’ensemble du territoire. Mais un État unitaire est difficile à concevoir puisque les deux peuples ont maintenant plus d’un siècle d’affrontements.</p>
<p><strong>Qu’en est-il de la solution à deux États, dont le principe a été adopté en 1947 par l’ONU, après la fin du mandat britannique ? Est-elle possible ?</strong></p>
<p>La solution à deux États n’est plus possible dès lors que vous avez 500 000 colons, dont quelques dizaines de milliers qui sont des colons ultrareligieux et armés. Vous avez une violence quotidienne en Cisjordanie. La sécurité des colons ne peut se fonder que sur l’insécurité des Palestiniens. Et l’insécurité des Palestiniens provoque la violence qui engendre l’insécurité des colons.</p>
<p>C’est un cercle vicieux et vous ne pouvez espérer de sortie possible que par une décolonisation, mais à horizon immédiat, cette décolonisation n’est pas faisable. Dans les années 1990, elle l’était. Il y avait 30 000 colons. On pouvait, sans trop de dégâts, faire une décolonisation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. </p>
<p>Aujourd’hui, nous sommes dans une position de domination, et cette solution peut prendre des siècles parce qu’il y a l’exceptionnalité juive qui crée une exceptionnalité israélienne qui elle-même crée une exceptionnalité palestinienne. C’est-à-dire que sans être péjoratif, les Palestiniens deviennent des juifs bis.</p>
<p><strong>Qu’entendez-vous par là ?</strong></p>
<p>Nous sommes depuis le 7 octobre devant un grand nombre de victimes. Mais ces dernières années, nous en avons eu bien plus en Irak, en Syrie, au Soudan et en Éthiopie. Cela n’a pas provoqué l’émoi mondial que nous connaissons aujourd’hui. L’émotion a été suscitée parce que les victimes étaient juives, puis elle s’est déplacée sur les victimes palestiniennes. Les deux peuples sont dans un corps à corps que même l’émotion n’arrive pas à séparer.</p>
<p><strong>Les années 1990 ont été marquées par les accords d’Oslo en 1993. Relèvent-ils du mirage aujourd’hui ? </strong></p>
<p>Non, on pouvait gérer une décolonisation. Mais déjà à la fin des accords d’Oslo, il n’y a pas eu décolonisation mais doublement de la colonisation sous le gouvernement socialiste et ensuite sous le premier gouvernement Nétanyahou. Ce sont l’occupation, la colonisation, qui ont amené l’échec des processus. Il n’existe pas d’occupation, de colonisation pacifique et démocratique.</p>
<p>Aujourd’hui, c’est infiniment plus difficile à l’aune de la violence, des passions, des derniers événements, des chocs identitaires, de la haine tout simplement. Qui plus est, depuis une trentaine d’années, vous avez une évolution commune vers une vision religieuse et extrémiste, aussi bien chez les juifs que chez les Palestiniens.</p>
<p>La Palestine fonctionne en jeu à somme nulle, le progrès de l’un se fait au détriment de l’autre.</p>
<p><strong>Vous voulez dire que le conflit territorial est devenu un conflit religieux ?</strong></p>
<p>Il a toujours été religieux. Dès l’origine, le mouvement sioniste ne pouvait fonctionner qu’en utilisant des références religieuses, même si ses patrons étaient laïcs. La blague de l’époque disait que les sionistes ne croyaient pas en Dieu mais croyaient que Dieu leur avait promis la Terre promise.</p>
<p>Le projet sioniste, même s’il se présentait comme un mouvement de sauvetage du peuple juif, ne pouvait fonctionner qu’en manipulant les affects. Il était de nature religieuse puisqu’il renvoyait à la Terre sainte. Vous avez une myriade d’endroits qui sont des symboles religieux, mais qui sont aussi des symboles nationaux, aussi bien pour les juifs que pour les musulmans : l’esplanade des Mosquées, le tombeau des Patriarches, le mur des Lamentations. Et puis il y a les gens qui se sentent mandatés par Dieu.</p>
<p>De même, les musulmans ont cherché des alliés en jouant sur la solidarité islamique. Dès les années 1930, la défense de la mosquée Al-Aqsa est devenue un thème fédérateur.</p>
<p><strong>Pourquoi est-il devenu difficile d’invoquer une lecture coloniale du conflit depuis les massacres du Hamas du 7 octobre ?</strong></p>
<p>Le sionisme est à l’origine un corps étranger dans la région. Pour arriver à ses fins, il a eu besoin d’un soutien européen avant 1914, puis britannique et finalement américain. Israël s’est posé comme citadelle de l’Occident dans la région et conserve le discours colonial de la supériorité civilisatrice et démocratique. Cet anachronisme est douloureusement ressenti par les autres parties prenantes.</p>
<p>Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les responsables sionistes n’hésitaient pas à se comparer à la colonisation britannique en Afrique noire avec la nécessité de mater les protestations indigènes. </p>
<p>La Palestine fonctionne en jeu à somme nulle, le progrès de l’un se fait au détriment de l’autre. La constitution de l’État juif impliquait un « transfert » de la population arabe à l’extérieur, terme poli pour « expulsion ». La confiscation des terres détenues par les Arabes en est le corollaire. Les régions où ont eu lieu les atrocités du 7 octobre étaient peuplées d’Arabes qui ont été expulsés en 1948-1950.</p>
<p>Dire cela, c’est se faire accuser de trouver des excuses au terrorisme. Dès que vous essayez de donner des éléments de compréhension, vous vous confrontez à l’accusation : <em>« Comprendre, c’est excuser. »</em> Il faut bien admettre que le Hamas dans la bande de Gaza recrute majoritairement chez les descendants des expulsés. Cela ne veut pas dire approuver ce qui s’est passé.</p>
<p><strong>Le slogan « From the river to the sea, Palestine will be free » (« De la rivière à la mer, la Palestine sera libre ») utilisé par les soutiens de la Palestine fait polémique. Est-ce vouloir rayer de la carte Israël ou une revendication légitime d’un État palestinien ?</strong></p>
<p>Il a été utilisé par les deux parties et dans le même sens. Les mouvements sionistes, en particulier la droite sioniste, ont toujours dit que cette terre devait être juive et israélienne au moins jusqu’au fleuve. Le parti de l’ancêtre du Likoud voulait même annexer l’ensemble de la Jordanie.</p>
<p>Chez certains Palestiniens, on a une vision <em>soft</em> qui consiste à dire que <em>« si nous réclamons un État palestinien réunissant la bande de Gaza et la Cisjordanie, nous considérons l’ensemble de la terre comme la Palestine historique, comme partie de notre histoire, mais nous ne la revendiquons pas dans sa totalité »</em>.</p>
<p>Israël depuis sa fondation n’a pas de frontières définies internationalement. Il a toujours revendiqué la totalité de la Palestine mandataire, voire plus. Il a ainsi rejeté l’avis de la Cour internationale de justice qui faisait des lignes d’armistice de 1949 ses frontières permanentes.</p>
<p>Cette indétermination se retrouve de l’autre côté. La libération de la Palestine renvoie à la totalité du territoire. D’autres exigeaient la carte du plan de partage de 1947. Pour l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), faire l’État palestinien sur les territoires occupés en 1968 était la concession ultime.</p>
<p>Les Arabes en général ont reçu sans grand problème les réfugiés arméniens durant la Grande Guerre et les années suivantes. Ces Arméniens ont pu conserver l’essentiel de leur culture. Mais il n’y avait pas de question politique. Il n’était pas question de créer un État arménien au Levant.</p>
<p>Dès le départ, les Arabes de Palestine ont vu dans le projet sioniste une menace de dépossession et d’expulsion. On ne peut pas dire qu’ils ont eu tort…</p>
<p>Le meilleur moyen de contrer le Hamas est d’offrir aux Palestiniens une vraie perspective politique et non de bonnes paroles et quelques aides économiques qui sont des emplâtres sur des jambes de bois.</p>
<p><strong>Le mouvement islamiste palestinien, le Hamas, classé terroriste par l’Union européenne et les États-Unis, est aujourd’hui le principal acteur de la guerre avec Israël…</strong></p>
<p>Définir l’ennemi comme terroriste, c’est le placer hors la loi. Bien des épisodes de décolonisation ont vu des « terroristes » devenir du jour au lendemain des interlocuteurs valables. </p>
<p>Bien sûr, il existe des actes terroristes et les atrocités du 7 octobre le sont. Mais c’est plus une méthodologie qu’une idéologie. C’est une forme de guerre qui s’en prend aux civils selon les définitions les plus courantes. Jamais un terroriste ne s’est défini comme tel. Il se voit comme un combattant légitime et généralement son but est d’être considéré comme tel. Avec l’État islamique et le 7 octobre, on se trouve clairement devant un usage volontaire de la cruauté.</p>
<p>La rhétorique habituelle est de dire que l’on fait la guerre à un régime politique et non à un peuple. Mais si on n’offre pas une perspective politique à ce peuple, il a le sentiment que c’est lui que l’on a mis hors la loi. Il le voit bien quand on dit <em>« les Israéliens ont le droit de se défendre »</em>, mais apparemment pas quand il s’agit de Palestiniens.</p>
<p><strong>D’aucuns expliquent qu’Israël a favorisé l’ascension du Hamas pour qu’un vrai État palestinien indépendant ne voie jamais le jour au détriment de l’autorité palestinienne qui n’administre aujourd’hui plus que la Cisjordanie. Est-ce que le Hamas est le meilleur ennemi des Palestiniens ? </strong></p>
<p>Incontestablement,<strong> </strong>les Israéliens ont favorisé les Frères musulmans de la bande de Gaza dans les années 1970 et 1980 pour contrer les activités du Fatah. De même, après 2007, ils voulaient faire du Hamas un sous-traitant chargé de la bande de Gaza, comme l’Autorité palestinienne l’est pour la Cisjordanie. </p>
<p>Le meilleur moyen de contrer le Hamas est d’offrir aux Palestiniens une vraie perspective politique et non de bonnes paroles et quelques aides économiques qui sont des emplâtres sur des jambes de bois. </p>
<p><strong>Quel peut être l’avenir de l’Autorité palestinienne, aujourd’hui déconsidérée ? Et du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas, pressé par la base de renouer avec la lutte armée et le Hamas ? </strong></p>
<p>Le seul acquis de l’Autorité palestinienne, ou plus précisément de l’OLP, c’est sa légitimité diplomatique. Sur le terrain, elle est perçue comme un sous-traitant de l’occupation israélienne incapable de contrer un régime d’occupation de plus en plus dur. Elle est dans l’incapacité de protéger ses administrés. Le risque majeur pour elle est tout simplement de s’effondrer.</p>
<p><strong>Le Hamas appelle les Palestiniens de Cisjordanie à se soulever. Un soulèvement généralisé des Palestiniens peut-il advenir ? </strong></p>
<p>En Cisjordanie, on a surtout de petits groupes de jeunes armés totalement désorganisés. Mais la violence et la répression sont devenues quotidiennes et les violences permanentes. À l’extérieur, l’Occident apparaît complice de l’occupation et de la répression israéliennes. L’Iran, la Chine et la Russie en profitent.</p>
<p>Ben Gourion disait que la victoire du sionisme était d’avoir transformé la question juive en problème arabe. Les derniers événements semblent montrer que le problème arabe est en train de redevenir une question juive.</p>
<p><strong>Le premier tome de votre monumentale « Question de Palestine » s’ouvre sur 1799, lorsque l’armée de Napoléon Bonaparte entre en Palestine, il court jusqu’en 1922. Avec cette accroche : l’invention de la Terre sainte. En quoi cette année est-elle fondatrice ? </strong></p>
<p>En 1799, l’armée de Bonaparte parcourt le littoral palestinien jusqu’à Tyr. En Europe, certains y voient la possibilité de créer un État juif en Palestine. Mais l’ouverture de la Terre sainte aux Occidentaux est aussi l’occasion d’une lutte d’influences entre puissances chrétiennes. </p>
<p><strong>Dans le tome 4, « Le rameau d’olivier et le fusil du combattant » (1967-1982), vous revenez sur ce qui a été un conflit israélo-arabe, puis un conflit israélo-palestinien. Est-ce que cela peut le redevenir ? </strong></p>
<p>Jusqu’en 1948, c’est un conflit israélo-palestinien avant tout. En 1948, cela devient un conflit israélo-arabe avec une dimension palestinienne. À partir de la fin des années 1970, la dimension palestinienne redevient essentielle.</p>
<p>Ben Gourion disait que la victoire du sionisme était d’avoir transformé la question juive en problème arabe. Les derniers événements semblent montrer que le problème arabe est en train de redevenir une question juive.</p>
<p><strong>Le rôle des États-Unis a toujours été déterminant dans ce conflit. Que nous dit leur position aujourd’hui ? </strong></p>
<p>La question de Palestine est en même temps une question intérieure pour les pays occidentaux du fait de l’histoire de la Shoah et de la colonisation. Il s’y ajoute aux États-Unis une dimension religieuse du fait du biblisme protestant et du « pionniérisme ». Les Palestiniens leur semblent être quelque part entre les Indiens et les Mexicains…</p>
<p>La « République impériale » vient encore de montrer son impressionnante capacité de projection militaire dans la région, mais aussi son incapacité à obtenir un règlement politique satisfaisant.</p>
<p><strong>Pourquoi ce conflit déclenche-t-il autant de passions et clive-t-il autant dans le monde entier, où comme en France, le président appelle à « ne pas importer le conflit » ?</strong></p>
<p>C’est un conflit gorgé d’histoire. La Terre sainte est celle des trois religions monothéistes. Le conflit lui-même porte avec lui la mémoire de la Shoah et de la colonisation, d’où l’extraordinaire position d’exceptionnalité des acteurs.</p>
<p><strong>Vous avez écrit cinq tomes sur la question de Palestine. Après l’ultime « La Paix impossible », quel pourrait être le sixième ? </strong></p>
<p>Peut-être le retour de la question juive, mais c’est loin d’être une perspective encourageante.</p>',
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<hr />
<p>Ce solipsisme contribue à la construction d’une illusion de masse encouragée par la substitution de modèles numériques virtuels à la réalité du monde. Par ce jugement, la CEDH semble vouloir enterrer toute démarche rationnelle appuyée sur des faits pour favoriser des croyances.</p>
<p>Accrochées à un mouvement généralisé autour du climat, qui favorise la foi d’une construction sociale de la réalité, à l’instar de la «justice climatique», ces plaignantes semblent avoir banni de leur plaidoyer tout ce qui pourrait résister au contrôle humain de la météo du jour, sans égards aux résultats scientifiques et leurs immenses incertitudes concernant les climats futurs. Les plaignantes ont accusé en substance les autorités suisses de mener une politique climatique aux objectifs et aux mesures insuffisantes, «en violation de leur droit à la vie», arguant de la vulnérabilité des personnes âgées face aux effets des changements en cours, et en particulier aux vagues de chaleur. Ce qui est visé, selon le jugement, serait l’incapacité de la Suisse à fournir une estimation des émissions de gaz à effet de serre futures afin de limiter «le réchauffement climatique» au fameux 1,5°C de l’Accord de Paris, valeur pourtant parfaitement arbitraire et dont les conséquences néfastes restent difficiles à identifier.</p>
<p>Mais qu’en est-il vraiment? Que disent les données des études démographiques sur la «violation du droit à la vie» que ce soit sous les climats helvétiques ou mondiaux? Le «réchauffement climatique» met-il réellement en péril le «droit à la vie» des femmes âgées de Suisse?</p>
<p>Premier constat, d’après les données de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), l’espérance de vie à la naissance des femmes suisses est passée de 79,3 ans en 1982 à 85,4 ans en 2022, et ce malgré «l’urgence climatique», soit un gain de 56 jours par an depuis 1982. Sur la même période, l’espérance de vie à 65 ans, âge minimal de ces militantes, est passée de 18,4 à 22,5 années. Il ne semble pas que «le climat» ait eu des conséquences fâcheuses sur leur droit à la vie.</p>
<p>En recoupant les données de l’OFS et de Météosuisse, on peut observer la nature cyclique du nombre de décès par semaine des personnes de plus de 65 ans en Suisse, de 2010 à 2024 (Figure).</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1713434705_capturedcran2024041812.04.17.png" class="img-responsive img-fluid center " width="784" height="554" /></p>
<p>La courbe noire pleine montre que les périodes hivernales restent les plus fatales, toutes causes confondues, pouvant parfois accroître la mortalité de 72% par rapport aux périodes estivales. Bien que les variabilités démographiques soient complexes à appréhender avec précision (comme les «effets moisson» ou les crises sanitaires telles la Covid-19), cette nature cyclique confirme simplement que «le froid tue».</p>
<p>Pour s’en convaincre, s’affichent en gris sur la figure et à titre d’exemple, les températures <i>maximales </i>quotidiennes de la station de Neuchâtel montrant de larges amplitudes au cours de l’année. A partir du printemps 2020, la courbe des décès-toutes-causes subit les perturbations du Coronavirus et ses conséquences, rendant hasardeuse toute interprétation de détail. Mais la forte anti-corrélation entre décès et saisonnalité demeure. Nous supportons bien plus aisément les températures non-optimales chaudes que froides. Une étude récente<strong><sup>1</sup></strong> publiée dans <i>The Lancet</i> sur les excès de mortalité dans les villes européennes entre 2000 et 2019, dus cette fois uniquement aux températures non-optimales chaudes ou froides, confirme la tendance générale: entre 65 et 74 ans, le froid tue en Suisse 3 fois plus que le chaud, entre 75 et 84 ans, 6 fois plus, et au-dessus de 85 ans, 7,6 fois davantage. Dans une autre étude du <i>Lancet</i><strong><sup>2</sup></strong> sur les températures non-optimales entre 2000 et 2019 au niveau mondial, le constat est identique: le taux mondial de surmortalité liée au froid a baissé de 0,5% alors que celui lié à la chaleur aurait augmenté de 0,2%, conduisant à une réduction nette du ratio mondial des décès liés aux températures extrêmes. Mais ces pourcentages ne touchent pas le même nombre de personnes, bien plus nombreuses à décéder durant les hivers, ce qui amplifie davantage le bénéfice d’un réchauffement climatique. Ces militantes du climat semblent donc avoir convaincu la CEDH de porter la justice dans un monde fantasmé, où seules les températures excessivement chaudes président à la destinée des femmes, en invitant la Suisse à rejeter la réalité des faits.</p>
<p>Pourtant, dans le monde réel, faut-il le rappeler, l’espérance de vie des Suissesses n’a cessé d’augmenter, et ce malgré le «dérèglement climatique», et grâce, pour l’essentiel, aux énergies fossiles. De plus, les décès directement liés aux températures non-optimales s’amenuisent grâce en grande partie à des hivers plus cléments.</p>
<p>Dans le monde réel, un pays riche comme la Suisse permet à sa population de s’adapter aisément aux inconforts météorologiques (chauffage ou climatisation, isolations, facilité d’accès aux soins, énergie toujours disponible, etc.). A cela peut s’ajouter une topographie bienveillante durant les étés avec de nombreux lacs et rivières, et une fraicheur montagnarde accessible.</p>
<p>Dans le monde réel, la Suisse a diminué de près de 40% ses émissions de CO<sub>2</sub> par habitant depuis 1980 et 91% de sa production électrique est bas-carbone. D’après la Banque Mondiale, les émissions de CO<sub>2</sub> par dollar de parité de pouvoir d’achat de PIB (ce qui ramène tous les pays du monde à une échelle comparable) placent la Suisse au 4ème<sup>.</sup>rang sur 181 pays, démontrant son efficience énergétique tout en maintenant des conditions de vie exceptionnelles, devant la Suède 6ème, la France 28ème, l’Allemagne 74ème (illustrant l’échec de l’<i>Energiewende</i>), les USA 126ème et la Chine 170ème.</p>
<p>Dans le monde réel, si la Suisse devait poursuivre ses émissions de CO<sub>2</sub> au niveau de 2019, elle ne contribuerait en 2100 qu’à une élévation de la température mondiale de quelques millièmes de degrés Celsius suivant les formules fournies par le GIEC. Ces valeurs restent non-mesurables et insignifiantes.</p>
<p>Mais les militantes du climat ne vivent pas dans le monde réel. Elles séjournent dans un univers peuplé d’illusions où seules les impressions du sujet construisent son milieu, où les slogans inconsistants balaient les données factuelles, où la Suisse parviendrait par sa «politique climatique» à influencer la régulation des climats de la Terre. Oui, la CEDH a bien approuvé la guerre contre la réalité menée par le climatisme, nouvelle religion de certaines classes aisées des pays les plus riches.</p>
<hr />
<h4><sup>1</sup>Masselot et al. (2023) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 7, e-271-281</h4>
<h4><sup>2</sup>Zhao et al. (2021) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 5, e415-425</h4>',
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'content' => '<p>Le commerce est d<span>irigé par un Cubano-américain, Frank Cuspinera Medina, dans le cadre d’une société enregistrée en Floride avec des capitaux de diverses sources, espagnoles notamment. Les vastes hangars se trouvent à une dizaine de kilomètres du centre, sans desserte de transports publics. Tous les jours, c’est là un défilé de belles voitures. Pas seulement à plaques diplomatiques. L’île en détresse a ses nouveaux riches. </span></p>
<p><span>«La plupart des Cubains seraient capables de faire un infarctus, tant il y a de nourriture et de produits qu’ils n’ont jamais vus de leur vie et qu’ils ne pourront jamais se payer», lâche une pharmacienne venue en side-car avec son mari «pour voir ça». Seuls moyens de paiement, le dollar, l’euro, les cartes Visa et Mastercard dans ces monnaies, non accessibles aux Cubains. Les amateurs de viande veillent à garder le ticket de caisse, car ailleurs il est interdit d’acheter du bœuf hors des restaurants et la police contrôle les voitures. Les caissières sont vêtues de tee-shirts estampillés Saint-Gobain, sans que personne ne sache quel est ici le rôle de cette entreprise. Toutes sont jeunes, blanches, souriantes. «Il n’y a qu’un jeune Noir, sûrement qu’ils s’en servent pour décharger les caisses», raille une cliente mulâtre. </span><span>Le Parti communiste au pouvoir a l’échine souple. Et s’accommode des arrangements les plus douteux.</span></p>
<hr />
<h4><a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/diplomarket-ce-supermarche-americain-qui-fait-fureur-a-cuba-20240414" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>',
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'content' => '<p style="text-align: justify;"><span>Ces derniers temps, la majorité bourgeoise a pris un cap discutable en matière de politique nationale : de plus en plus souvent, elle plie à sa volonté les plébiscites et les décisions démocratiques qui ne lui conviennent pas - au besoin contre les règles de procédure établies, la Constitution fédérale et la volonté du peuple. Oui à la démocratie - mais seulement au cas par cas ? On assiste ici à une dangereuse érosion de l'esprit démocratique.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La démocratie ne vit pas seulement d'une constitution fondée sur le principe de la majorité, les droits fondamentaux et les droits de l'homme et des règles de procédure équitables ; la démocratie vit aussi du fait que l'esprit de la constitution est déterminant et guide les acteurs politiques. Les principes démocratiques doivent primer sur l'idéologie et le programme des partis. Si cette attitude fondamentale fait défaut, la démocratie risque de devenir lettre morte.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Mauvais perdants</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que cette attitude fondamentale ne soit pas au mieux en Suisse se manifeste de plus en plus souvent, par exemple récemment après le "oui" à la 13e rente AVS. Bien que plusieurs semaines se soient écoulées entre-temps, les partis bourgeois n'arrivent pas à se résigner à leur défaite, restent en mode combat, se moquent de la décision populaire et la torpillent avec des propositions de financement abracadabrantes. </span></p>
<p style="text-align: justify;"><span>Cela a culminé récemment avec la NZZ, qui a suggéré avec malice d'introduire une réglementation permettant de renoncer volontairement au supplément de rente. On pourrait considérer cette rhétorique comme une manière de surmonter la douleur des perdants de la votation. Mais ce serait sous-estimer le phénomène. Car le discrédit jeté par la majorité bourgeoise sur les plébiscites indésirables fait désormais partie du système. Elle sert à préparer le terrain pour pouvoir attaquer plus tard les verdicts démocratiques au Parlement, à justifier les manœuvres douteuses du point de vue de la politique nationale ainsi que les atermoiements juridiques nécessaires et à leur donner une apparence de légitimité.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Une évolution inquiétante</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Les six décisions prises récemment par le Conseil des États et le Conseil national illustrent ce que l'on entend par là. Il y a un an, le Parlement bourgeois a permis au Conseil fédéral, dans le cadre d'une procédure sans précédent, de signer le contrat d'achat des avions de combat F-35, alors qu'une initiative populaire était en suspens. Une votation a ainsi été empêchée de facto, un droit populaire a été invalidé et les opposants ont été refroidis.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En 2021, le peuple a approuvé l'initiative sur les soins, contre la volonté des bourgeois. Elle est aujourd'hui encore bloquée. C'est précisément ce que les représentants du PLR avaient menacé de faire en cas de "oui" : repousser la décision du peuple aux calendes grecques. Le secteur des soins y voit à juste titre une violation de la Constitution.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Sous la pression de la majorité bourgeoise, le Conseil fédéral a présenté en janvier un projet visant à annuler les salaires minimaux cantonaux existants. Le Conseil fédéral lui-même a mis en garde contre cette intention et l'a qualifiée d'anticonstitutionnelle, car elle bafoue la souveraineté cantonale et le principe de légalité.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En mars de cette année, la majorité bourgeoise a fait échouer la mise en œuvre de l'initiative populaire contre la publicité pour le tabac, approuvée en 2022, en voulant imposer des règles spéciales qui étaient en retrait par rapport à l'ancienne loi. Même les médias bourgeois ont parlé d'une violation de la volonté populaire.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En mars également, les bourgeois ont troué la loi sur les résidences secondaires avec des exceptions si larges que le Conseil fédéral a dû constater que la Constitution était ici violée. La loi est issue d'une initiative populaire approuvée en 2012 et combattue par les bourgeois.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Enfin, lors de la dernière session, le Conseil des États a transmis une motion visant à contraindre toutes les communes à maintenir la vitesse maximale à 50 km/h dans les localités. Ce faisant, il a fait fi de deux piliers fondamentaux de notre système politique : l'autonomie communale et le fédéralisme.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En somme, cela montre clairement ce qui se passe dans le camp bourgeois : une profonde réticence à accepter les défaites et à mettre en œuvre les décisions populaires de manière constructive avec l'adversaire politique, conformément à notre démocratie de concordance. Au lieu de cela, il place de plus en plus souvent ses propres objectifs et intérêts au-dessus des principes démocratiques et adapte les règles du jeu dans le processus de décision parlementaire à ce qui sert ses propres intérêts, grâce à de larges majorités.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Un opportunisme dangereux</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>L'attitude de plus en plus opportuniste de la majorité bourgeoise vis-à-vis des principes de la politique étatique est dangereuse. Elle conduit à des décisions à la légitimité douteuse, déforme la législation, dévalorise nos fondements constitutionnels et endommage la confiance de la population dans le processus politique et dans le fonctionnement des institutions démocratiques.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Cette situation est d'autant plus grave que la Suisse ne connaît pas de juridiction constitutionnelle. Le Tribunal fédéral n'est pas habilité à contrôler les lois fédérales. Le gardien suprême de la Constitution est le Parlement lui-même. Il est à la fois législateur et juge et peut, de fait, édicter des lois fédérales non conformes à la Constitution sans avoir à craindre de sanctions. Les membres du Conseil des États et du Conseil national portent donc une grande responsabilité et devraient d'autant plus être un exemple en matière de respect de la Constitution et d'esprit démocratique. Mais beaucoup ne le sont pas !</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que de nombreux représentants bourgeois du peuple se soient détournés de cette attitude fondamentale est probablement dû surtout à l'évolution politique des dernières décennies. Celle-ci est marquée par deux courants profonds : premièrement, une politique économique, fiscale, financière et sociale néolibérale prononcée et, deuxièmement, une radicalisation dans l'éventail des partis de droite avec un effet d'aspiration sur les partis bourgeois. Ces deux phénomènes ont affaibli la conscience de la nécessité du respect de la Constitution et de l'esprit démocratique.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Néolibéraux et droits de l'Homme</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Tout d'abord, le néolibéralisme : il a conduit à un déchaînement du pouvoir économique, avec pour conséquence que l'État démocratique est devenu le serviteur de groupes et de branches et que le lobbying s'est propagé jusque dans les ramifications les plus fines de la politique et de l'administration. Il s'agit de moins en moins de concevoir la démocratie comme un moyen d'établir le bien commun et la justice, mais plutôt de la contourner et de la déformer pour mieux faire valoir des intérêts économiques particuliers.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Ensuite, concernant la radicalisation dans l'éventail politique de droite : elle a rendu les gens vulnérables à une mentalité autoritaire de "maître chez soi". L'importance de valeurs telles que les droits de l'homme et le principe d'égalité ainsi que le respect des principes de la politique d'État s'estompe. Dans ces milieux, la démocratie et la constitution ne sont invoquées que lorsqu'elles servent leur propre idéologie et peuvent être utilisées comme moyen pour atteindre une fin. Car ici aussi, seul compte le fait de s'imposer - avec ou contre la démocratie et la constitution.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La démocratie au cas par cas, en fonction de l'idéologie, des intérêts particuliers et des calculs de pouvoir ? Et ce à une époque où il serait plus que jamais nécessaire de défendre les valeurs et les principes démocratiques ? Sombres perspectives.</span><o:p></o:p></p>
<hr />
<p style="text-align: justify;"><a href="https://www.infosperber.ch/politik/demokratie-ja-aber-nur-wenns-passt/" target="_blank" rel="noopener">L'article original publié sur Infosperber</a></p>',
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'content' => '<p>La guerre froide pourrait pourtant changer de casting. Le quotidien allemand <a href="https://www.welt.de/debatte/kommentare/article250858622/75-Jahre-Atlantische-Allianz-Danke-Nato.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Die Welt</em></a> désigne en effet la Chine comme un futur «grand sujet» pour l’OTAN. «Le pays se remilitarise de plus en plus et gagne en assurance», ce qui inquiète l’Ouest. Or Berlin «freine des quatre fers» déplore le quotidien. Si l’Allemagne et les autres membres de l’alliance nouent bien des partenariats avec des Etats du Pacifique, et conduisent des exercices militaires dans la zone, ce n’est pas à la hauteur de la «menace chinoise».</p>
<p>La nature de cette menace? Elle n’est pas directement militaire mais plutôt économique. «Si Pékin était en mesure de bloquer les voies commerciales dans la mer de Chine méridionale, la circulation des marchandises en Europe serait en péril».</p>
<p>Autre question qui n’était pas d’actualité il y a 75 ans: la contribution des Etats-Unis. Le <a href="https://www.telegraph.co.uk/opinion/2024/04/03/europe-must-step-up-to-keep-the-us-in-nato/" target="_blank" rel="noopener"><em>Daily Telegraph</em></a> regrette que l’Europe ne fasse aucun effort pour s’assurer que le plus grand contributeur de l’OTAN ne s’en détache pas. L’heure est grave, puisqu’on parle de «passer à la caisse». La menace qui plane sur l’avenir de l’organisation n’est pas seulement la perspective d’une réélection de Donald Trump et de la ligne isolationniste, c’est celle du mécontentement général des Etats-Unis qui «contribuent bien plus à la défense de l’Europe que le continent ne le fait lui-même... On aurait tort de penser que l’aide américaine coule de source.»</p>
<p>Les dissensions internes sont toujours un péril sous-estimé, comme le confirme <a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">le mensuel lituanien </a><em><a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">IQ</a>. </em>Au cœur de la discorde, le droit de veto. Ce dernier a rendu «complètement inefficace» l’ONU, constate <em>IQ</em>, car le risque est constant de s’en servir pour exercer pressions ou intrigues diplomatiques. «Démocratie, droit international et Etat de droit forment le socle de l'alliance la plus puissante au monde. Mais un certain nombre d'Etats oublieux de ces valeurs tentent depuis longtemps de placer leur intérêts mercantilistes au-dessus des décisions cruciales de l’OTAN.»</p>
<p>Cela revient à poser une question essentielle, dans toute organisation: qu’est-ce qui lie entre eux les Etats membres? Au-delà de la coopération militaire, ce sont des «valeurs», celles mêmes que les pays occidentaux s’emploient à défendre en ce moment en Ukraine. La députée Renaissance Anne Genetet plaide même pour la création d’un centre de l’OTAN chargé de défendre de concert les valeurs occidentales et la «résilience démocratique». Dans <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-otan-a-75-ans-l-age-de-la-resilience-democratique-994366.html" target="_blank" rel="noopener">les colonnes de <em>La Tribune</em></a>, l’élue souligne que l’organisation «doit plus que jamais être notre bouclier face aux ennemis de la liberté».</p>
<p>Un avenir mitigé donc, porté par de beaux discours et une volonté de cohésion, entaché par des divergences internes, car tous les Etats membres ne voient pas toujours leurs intérêts converger. De manière plus pragmatique, le quotidien croate <em>Večernji list</em> remet l’église au centre du village: comment faire face à l’avenir lorsque manque la ressource principale, les soldats? </p>
<p>Le nombre de militaires actifs dans les différentes armées des pays membres est en effet en recul, jusqu’à atteindre un seuil inquiétant. Les solutions habituelles sont évoquées: augmenter les rémunérations, encourager les femmes à s’engager, améliorer les conditions de vie des soldats en proposant un meilleur équilibre entre l’armée et la vie de famille... et enfin, rétablir le service militaire obligatoire. On n’a rien sans rien. </p>',
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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@Bogner Shiva 212 24.11.2023 | 22h58
«Génocide ... ! Avec la bénédiction de gouvernements tenus par des engagements très très discutables .... je n'en dirais pas plus , quoique une piste de reflexion sérieuse, quel est le "retour sur investissement" de ce génocide ??? Allez au hasard ... un accès complet à la mer ? Je constate une chose que n'importe qui a des yeux peut voir ,le conflit Palestino-Israélien a fait plus de 14000 morts depuis 2000. 82% de ces morts sont Palestiniens, femmes et enfants compris ... le ratio est de combien ? Chiffres fournis par B'Tselem, organisation israélienne des droits de l'homme, je rajoute femmes et enfants . Je constate aussi que l'on a la mémoire très courte , à géométrie variable selon les intérêts, Sabra et Chatila...on a déjà oublié ? Bon chuuuuttt Big Brother veille ...»
@Bogner Shiva 212 24.11.2023 | 23h06
«Respect Monsieur Laurens , il y a heureusement des personnes qui voient clair, des faits vérifiables , des références indiscutables sur les exactions sanglantes d'Israël sur un peuple d'hommes de femmes d'enfants dont le seul tort c'est d'occuper une terre "promise"... à d'autres beaucoup plus légitimes...»
@simone 27.11.2023 | 18h52
«Merci de remettre l'histoire au centre. Cela permet de mieux comprendre le conflit sans juger et peut-être de chercher honnêtement des solutions. Mais qui, parmi les Etats impliqués, a intérêt à une solution? Ce sont peut-être les peuples, mais pas les chefs.»
@stef 31.12.2023 | 19h04
«Très bon papier, merci »