Actuel / François d’Assise, premier patron du WWF?
Fresque de Giotto, fin XIIIe siècle, dans la basilique Saint-François d’Assise, qui représente ce dernier en train de prêcher auprès des oiseaux. © DR
La question animale se fait de plus en plus présente dans le débat public : on réfléchit, on discute et parfois on s’écharpe au sujet de la préservation des espèces menacées, du bouleversement des équilibres écologiques, ou encore des conditions de l’élevage et la place de la viande dans les régimes alimentaires. La maltraitance animale est également un sujet brûlant, auquel un public toujours plus large est sensibilisé grâce à des initiatives, des reportages et des enquêtes de qualité.
Simon Hasdenteufel, Doctorant en histoire médiévale, Sorbonne Université
On voit souvent le Moyen Âge comme une époque carnassière et peu respectueuse de la condition animale. Nous serions toutefois bien mal placés pour émettre un tel jugement! En effet, les relations entre individus et animaux étaient alors bien plus complexes qu’on ne peut le croire. Les animaux faisaient partie de la vie quotidienne des médiévaux: ils se trouvaient bien sûr à la campagne, mais aussi en ville et jusque dans les églises quand un seigneur y entrait par exemple avec son faucon de chasse favori. Plus largement, êtres humains comme animaux étaient alors considérés comme appartenant à la Création divine. D’ailleurs, il n’était pas rare de reconnaître une personnalité, voire une âme aux animaux. Enfin, dès cette époque, des défenseurs de la nature se faisaient remarquer!
«Une mémoire d’éléphant»: l’intelligence des animaux au Moyen Âge
À l’époque, on mange de la viande – surtout quand l’on est un aristocrate – et on utilise la force animale pour les travaux ou la guerre. Pourtant, les médiévaux ne sont pas seulement de vilains bouchers. Ils se représentaient en effet les animaux d’une façon différente de la nôtre. L’animal est doté d’une intelligence et les bêtes ont en commun avec l’être humain une «raison sensible» – à savoir la prudence, le jugement, l’instinct. On prête volontiers à chaque espèce des qualités et des défauts: le cerf est subtil, le cheval est doté d’une grande intelligence, de beaucoup de jugement et de mémoire. Le cas du cochon est également très intéressant. En effet, pour les sociétés anciennes, ce n’est pas le singe mais le cochon qui est l’animal le plus proche de l’homme. La médecine antique et médiévale estime que les deux êtres présentent la même organisation anatomique interne et, à partir de là, des similitudes spirituelles et morales. Cependant, dans les représentations de l’époque le cochon fait souvent figure de mal-aimé, symbole de débauche et de luxure, venant nourrir les discours moraux des prédicateurs contre le péché.
Il n’en reste que, selon certains médiévaux, les animaux peuvent être beaucoup plus doués que les hommes. Plus efficace qu’une horloge, l’âne sauvage passe pour savoir compter les heures, tandis que, selon le comte Gaston Phébus, auteur d’un Livre de chasse dans la seconde moitié du XIVe siècle, «je parle à mes chiens comme je ferais à un homme. Et ils me comprennent mieux qu’aucun de mes serviteurs». Enfin, au XVIe siècle, l’humaniste Montaigne louait la force, l’intelligence et la sensibilité de l’éléphant. Toutes ces aptitudes prêtées aux animaux ont rarement des fondements scientifiques et reposent plutôt sur des observations, des idées reçues ou encore des considérations morales. Pour autant, elles n’en montrent pas moins le souci de l’animal chez l’individu médiéval. À cet égard, rappelons que notre vision contemporaine selon laquelle l’animal n’agirait jamais par raison mais uniquement par instinct mécanique et serait donc inférieur à l’être humain, est héritée de Descartes, à l’époque moderne – et non au Moyen Âge!
La pensée sauvage
La proximité entre les animaux et les individus médiévaux se retrouvait aussi à un niveau spirituel. Certaines personnes pouvaient prendre un prénom tiré de celui d’un animal – ainsi pour les Léo (le petit lion) et Léonard (le lion fort), les Arthur (le petit ours) ou encore les Ursule (Petite Ourse). Tous ces prénoms font référence à des bêtes admirées par les gens du Moyen Âge. Porter le nom d’un animal sauvage ou domestique n’a d’ailleurs rien de déshonorant et une figure prestigieuse comme le patron des bergers se nommait ni plus ni moins «saint Loup».
Plus encore, il arrive que l’on baptise des animaux destinés à vivre âgés et dans l’intimité des individus – par exemple, les chats, chiens, chevaux, chèvres ou vaches à lait. C’est un acte fort dans une société chrétienne où le baptême intègre les individus à une communauté de vie et de croyance. Enfin, si dans leur immense majorité les bêtes finissent jetées dans un fossé, il arrive que les animaux familiers soient pleurés et enterrés dans le jardin. On prie alors pour eux et on se plaît à imaginer un paradis où ils sont bienheureux. Témoignage visuel de cette proximité: plusieurs chapiteaux d’églises romanes où l’harmonie entre êtres humains et animaux est parfois représentée, par exemple dans le prieuré de Chanteuges en Auvergne où l’on retrouve les «bons bergers» portant avec amour leurs brebis sur les épaules. Tout cela ne signifie évidemment pas qu’êtres humains et animaux vivaient toujours en symbiose parfaite; néanmoins, on entrevoit à travers ces pratiques une conception typiquement médiévale du monde animal.
François d’Assise et la cause animale
À certains égards, le frère franciscain du début du XIIIe siècle, François d’Assise, pourrait passer pour le protecteur des animaux de l’époque. C’était tout d’abord un grand admirateur de la nature, œuvre de Dieu dont il chantait les louanges. Il faisait attention à ne pas marcher sur les vers de terre, racheta à des bergers plusieurs moutons conduits à la boucherie ou fit l’acquisition d’une brebis égarée au milieu d’un troupeau de chèvres et de boucs afin de la donner à des religieuses pour qu’elles veillent sur elle – une anecdote digne de l’histoire de la vache hollandaise Hermien qui a ému l’opinion récemment!.
Toutefois, prenons tous ces témoignages avec le recul critique de l’historien. Les auteurs du XIXe siècle qui ont redécouvert la figure de François se sont empressés d’en faire un ami des bêtes – le modèle d’un homme en symbiose parfaite avec la nature. Mais la réalité est évidemment plus complexe. Les textes qui nous parlent de François sont pour partie des hagiographies destinées à idéaliser un personnage pour sa sainteté et son dévouement religieux. Ils insistent sur son rapport aux animaux dans une perspective religieuse: François est décrit comme faisant attention aux vers de terre car ces derniers, rampant au sol sont des figures de l’humilité; il s’émeut du sort de la brebis car c’est tout à la fois le reflet de l’innocence christique au milieu des méchants – selon l’image de l’Agnus Dei – et le membre du troupeau des fidèles. Enfin, François aime tout particulièrement les oiseaux car ils sont pour lui comme les religieux qui, humbles, se consacrent à la contemplation et au chant, dans la joie, sur leur branche, loin du tumulte du monde.
Tous les animaux sont ainsi convoqués comme des modèles à imiter pour mener une vie pieuse. Dans les représentations médiévales, les animaux sont soit des exemples à imiter, à l’image de l’oiseau ou de l’agneau, soit des contre-exemples à rejeter, à l’instar des loups tant redoutés par les bergers ou encore de ce pauvre cochon mis en procès pour le meurtre du jeune roi Philippe en 1131.
Ces modèles animaliers trouvent peut-être une résonance dans nos films d’animation actuels où l’on fait souvent porter des vices et vertus aux animaux – Le livre de la jungle ou Kung Fu Panda pourraient ainsi être les héritiers de l’animal médiéval!
Pour autant, ce qui est original dans la vision supposée de François, c’est que selon lui l’être humain ne se distinguait pas radicalement des animaux. Les relations entre eux devaient être fondées sur la non-violence et l’entente mutuelle. Il se refusait ainsi à participer aux expéditions contre les loups et n’hésitait pas à s’aventurer en pleine forêt sans crainte des animaux sauvages, considérant qu’ils étaient libres de le dévorer. Une telle vision d’égalité entre humains et animaux n’est pas sans rappeler les théories antispécistes qui se développent actuellement. Elle était novatrice pour l’époque car elle se distinguait des conceptions issues du droit canonique. À partir du récit de la Genèse où Dieu confie à l’homme la mission de régner sur l’ensemble de la Création, les autorités pontificales affirmaient en effet que l’être humain disposait d’un droit de domestication totale sur la nature dont il est légitimement le maître. La position du frère franciscain semble au contraire plus humble.
Néanmoins, à nouveau, prenons ces témoignages sur François avec un recul critique et rappelons d’ailleurs que ce dernier consommait de la viande, comme la majorité de ses contemporains. Ceci n’est pas incohérent, dans la mesure où il estimait que, réciproquement, les bêtes sauvages avaient tout à fait le droit de manger sa chair. Il n’en reste pas moins que pour un certain nombre de religieux, limiter voire prohiber la consommation de la viande est un moyen d’atteindre une pureté morale et spirituelle, en maîtrisant ses pulsions carnassières. Au VIe siècle, la règle de Saint-Benoît impose ainsi aux moines un régime sans viande – avant de connaître des assouplissements par la suite. En tout cas, on voit que le végétarisme médiéval est avant tout une affaire de religieux !
L’animal était au cœur de la vie médiévale. Compagnon des paysans, force de travail, source de nourriture, monture de guerre, sa place est complexe et paradoxale dans la société du Moyen Âge. Au demeurant, ce qui est certain, c’est que les liens entre êtres humains et animaux étaient étroits – peut-être plus qu’à notre époque où l’urbanisation, l’élevage intensif et les logiques industrielles ont éloigné l’animal de l’humain. À cela s’ajoute un changement dans nos conceptions du monde puisque, après le Moyen Âge, l’Occident moderne a progressivement instauré la distinction entre nature et culture, séparant l’individu civilisé de l’animal sauvage.
De manière étonnante et peut-être paradoxale, les éleveurs comme les militants de la cause animale – que l’on oppose trop souvent en deux camps ennemis – partagent pourtant le fait d’avoir conservé ce lien étroit avec les animaux, à une époque où le monde animal est justement devenu petit à petit étranger à notre monde humain, moderne et urbain.
Ces réflexions historiques restent encore en suspens car si les questions de violence animale et les modes d’alimentation qui en découlent connaissent une popularité grandissante dans l’opinion ainsi que dans certaines sciences humaines, il reste encore beaucoup à explorer dans le champ de l’histoire des animaux. Or, pour repenser notre rapport aux animaux à l’avenir et peut-être mettre en place un droit de l’animal, le Moyen Âge peut être riche de leçons!
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Nous serions toutefois bien mal placés pour émettre un tel jugement! En effet, les relations entre individus et animaux étaient alors bien plus complexes qu’on ne peut le croire. <a href="https://www.him-mag.com/frequence-medievale-les-animaux-au-moyen-age/">Les animaux faisaient partie de la vie quotidienne des médiévaux</a>: ils se trouvaient bien sûr à la campagne, mais aussi en ville et jusque dans les églises quand un seigneur y entrait par exemple avec son faucon de chasse favori. Plus largement, êtres humains comme animaux étaient alors considérés comme appartenant à la Création divine. D’ailleurs, il n’était pas rare de reconnaître une personnalité, voire une âme aux animaux. 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On prête volontiers à chaque espèce des qualités et des défauts: le cerf est subtil, le cheval est doté d’une grande intelligence, de beaucoup de jugement et de mémoire. Le cas du cochon est également très intéressant. En effet, pour les sociétés anciennes, ce n’est pas le singe mais le cochon qui est l’animal le plus proche de l’homme. La médecine antique et médiévale estime que les deux êtres présentent la même organisation anatomique interne et, à partir de là, des similitudes spirituelles et morales. Cependant, dans les représentations de l’époque le cochon fait souvent figure de mal-aimé, symbole de débauche et de luxure, venant nourrir les discours moraux des prédicateurs contre le péché.</p> <p>Il n’en reste que, selon certains médiévaux, les animaux peuvent être beaucoup plus doués que les hommes. Plus efficace qu’une horloge, l’âne sauvage passe pour savoir compter les heures, tandis que, selon le comte Gaston Phébus, auteur d’un <em>Livre de chasse</em> dans la seconde moitié du XIV<sup>e</sup> siècle, «je parle à mes chiens comme je ferais à un homme. Et ils me comprennent mieux qu’aucun de mes serviteurs». Enfin, au XVI<sup>e</sup> siècle, l’<a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Essais/Livre_II/Chapitre_12">humaniste Montaigne louait la force, l’intelligence et la sensibilité de l’éléphant</a>. Toutes ces aptitudes prêtées aux animaux ont rarement des fondements scientifiques et reposent plutôt sur des observations, des idées reçues ou encore des considérations morales. Pour autant, elles n’en montrent pas moins le souci de l’animal chez l’individu médiéval. À cet égard, rappelons que notre vision contemporaine selon laquelle l’animal n’agirait jamais par raison mais uniquement par instinct mécanique et serait donc inférieur à l’être humain, est héritée de Descartes, à l’époque moderne – et non au Moyen Âge!<br><br></p><h2>La pensée sauvage<br></h2> <figure class="align-left zoomable"> <a href="https://images.theconversation.com/files/219934/original/file-20180522-51130-1vv5puo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219934/original/file-20180522-51130-1vv5puo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a></figure><figure class="align-left zoomable"><span class="caption" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Au Moyen Âge, les animaux aussi ont l’âme musicienne comme le « Lièvre musicien » issu du Recueil des Romans de la Table Ronde, c. 1220.</span><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"> © </span><span class="attribution" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bibliotheque-leschampslibres-rennes/13949025406">Flickr</a></span></figure> <br><p>La proximité entre les animaux et les individus médiévaux se retrouvait aussi à un niveau spirituel. Certaines personnes pouvaient prendre un prénom tiré de celui d’un animal – ainsi pour les Léo (le petit lion) et Léonard (le lion fort), les Arthur (le petit ours) ou encore les Ursule (Petite Ourse). Tous ces prénoms font référence à des bêtes admirées par les gens du Moyen Âge. Porter le nom d’un animal sauvage ou domestique n’a d’ailleurs rien de déshonorant et une figure prestigieuse comme le patron des bergers se nommait ni plus ni moins «saint Loup».</p> <p>Plus encore, il arrive que l’on baptise des animaux destinés à vivre âgés et dans l’intimité des individus – par exemple, les chats, chiens, chevaux, chèvres ou vaches à lait. C’est un acte fort dans une société chrétienne où le baptême intègre les individus à une communauté de vie et de croyance. Enfin, si dans leur immense majorité les bêtes finissent jetées dans un fossé, il arrive que les animaux familiers soient pleurés et enterrés dans le jardin. On prie alors pour eux et on se plaît à imaginer un paradis où ils sont bienheureux. Témoignage visuel de cette proximité: <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/lessai-et-la-revue-du-jour-14-15/le-monde-roman-revue-mirabilia">plusieurs chapiteaux d’églises romanes</a> où l’harmonie entre êtres humains et animaux est parfois représentée, par exemple dans le prieuré de Chanteuges en Auvergne où l’on retrouve les «bons bergers» portant avec amour leurs brebis sur les épaules. Tout cela ne signifie évidemment pas qu’êtres humains et animaux vivaient toujours en symbiose parfaite; néanmoins, on entrevoit à travers ces pratiques une conception typiquement médiévale du monde animal.</p><br> <figure class="align-right zoomable"> <a href="https://images.theconversation.com/files/226583/original/file-20180708-122250-1fk8uhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226583/original/file-20180708-122250-1fk8uhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a></figure><figure class="align-right zoomable"><span class="caption" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Le chapiteau du Prieuré de Chanteuges, représentant les bergers portant leurs brebis.</span><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"> © </span><span class="attribution" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Prieur%C3%A9_de_Chanteuges#/media/File:Chanteuges-_Prieur%C3%A9_-_Chapiteau_-3.jpg">Mossot/Flickr</a><br><br></span></figure><h2>François d’Assise et la cause animale<br></h2> <p>À certains égards, le frère franciscain du début du XIII<sup>e</sup> siècle, François d’Assise, pourrait passer <a href="https://www.lemonde.fr/voyage/article/2007/03/01/dans-l-rsquo-antre-du-loup-de-gubbio_1338894_3546.html">pour le protecteur des animaux de l’époque</a>. C’était tout d’abord un grand admirateur de la nature, œuvre de Dieu dont il chantait les louanges. Il faisait attention à ne pas marcher sur les vers de terre, racheta à des bergers plusieurs moutons conduits à la boucherie ou fit l’acquisition d’une brebis égarée au milieu d’un troupeau de chèvres et de boucs afin de la donner à des religieuses pour qu’elles veillent sur elle – une anecdote digne de l’histoire de la <a href="http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2018/02/05/hermien-la-vache-rebelle-qui-suscite-la-solidarite-des-internautes-neerlandais_5252038_4832693.html">vache hollandaise Hermien qui a ému l’opinion récemment!</a>.</p> <p>Toutefois, prenons tous ces témoignages avec le recul critique de l’historien. Les auteurs du XIX<sup>e</sup> siècle qui ont redécouvert la figure de François se sont empressés d’en faire un ami des bêtes – le modèle d’un homme en symbiose parfaite avec la nature. Mais la réalité est évidemment plus complexe. Les textes qui nous parlent de François sont pour partie des hagiographies destinées à idéaliser un personnage pour sa sainteté et son dévouement religieux. Ils insistent sur son rapport aux animaux dans une perspective religieuse: François est décrit comme faisant attention aux vers de terre car ces derniers, rampant au sol sont des figures de l’humilité; il s’émeut du sort de la brebis car c’est tout à la fois le reflet de l’innocence christique au milieu des méchants – selon l’image de l’Agnus Dei – et le membre du troupeau des fidèles. Enfin, François aime tout particulièrement les oiseaux car ils sont pour lui comme les religieux qui, humbles, se consacrent à la contemplation et au chant, dans la joie, sur leur branche, loin du tumulte du monde.</p><br> <figure class="align-center "> <img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226590/original/file-20180708-122280-frs2mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></figure><figure class="align-center "><span class="caption" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">De l’ours et de toute sa nature. Gaston Phébus, Livre de chasse France, début du XVᵉ siècle Paris, BNF, département des Manuscrits, Français 616, fol. 27v.</span><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"> © </span><span class="attribution" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"><a class="source" href="https://biblogotheque.wordpress.com/2010/09/19/les-animaux-au-moyen-age-premiere-partie/">BnF</a></span></figure><figure class="align-center "><figcaption><br></figcaption> </figure> <p>Tous les animaux sont ainsi convoqués comme des modèles à imiter pour mener une vie pieuse. Dans les représentations médiévales, les animaux sont soit des exemples à imiter, à l’image de l’oiseau ou de l’agneau, soit des contre-exemples à rejeter, à l’instar des loups tant redoutés par les bergers ou encore de <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/le-roi-tue-par-un-cochon-michel-pastoureau/9782021035285">ce pauvre cochon mis en procès pour le meurtre du jeune roi Philippe en 1131</a>.</p> <p>Ces modèles animaliers trouvent peut-être une résonance dans nos films d’animation actuels où l’on fait souvent porter des vices et vertus aux animaux – <em>Le livre de la jungle</em> ou <em>Kung Fu Panda</em> pourraient ainsi être les héritiers de l’animal médiéval!</p> <p>Pour autant, ce qui est original dans la vision supposée de François, c’est que selon lui l’être humain ne se distinguait pas radicalement des animaux. Les relations entre eux devaient être fondées sur la non-violence et l’entente mutuelle. Il se refusait ainsi à participer aux expéditions contre les loups et n’hésitait pas à s’aventurer en pleine forêt sans crainte des animaux sauvages, considérant qu’ils étaient libres de le dévorer. Une telle vision d’égalité entre humains et animaux n’est pas sans rappeler les <a href="http://www.rfi.fr/france/20170827-journee-mondiale-anti-specisme-animal-aymeric-caron">théories antispécistes qui se développent actuellement</a>. Elle était novatrice pour l’époque car elle se distinguait des conceptions issues du droit canonique. À partir du récit de la Genèse où Dieu confie à l’homme la mission de régner sur l’ensemble de la Création, les autorités pontificales affirmaient en effet que l’être humain disposait d’un droit de domestication totale sur la nature dont il est légitimement le maître. La position du frère franciscain semble au contraire plus humble.</p> <p>Néanmoins, à nouveau, prenons ces témoignages sur François avec un recul critique et rappelons d’ailleurs que ce dernier consommait de la viande, comme la majorité de ses contemporains. Ceci n’est pas incohérent, dans la mesure où il estimait que, réciproquement, les bêtes sauvages avaient tout à fait le droit de manger sa chair. Il n’en reste pas moins que pour un certain nombre de religieux, limiter voire prohiber la consommation de la viande est un moyen d’atteindre une pureté morale et spirituelle, en maîtrisant ses pulsions carnassières. Au VI<sup>e</sup> siècle, la règle de Saint-Benoît impose ainsi aux moines un régime sans viande – avant de connaître des assouplissements par la suite. En tout cas, on voit que le <a href="https://www.nonfiction.fr/article-8640-actuel-moyen-age-48-le-christ-les-legumes-et-jose-bove.htm">végétarisme médiéval est avant tout une affaire de religieux !</a></p> <p>L’animal était au cœur de la vie médiévale. Compagnon des paysans, force de travail, source de nourriture, monture de guerre, sa place est complexe et paradoxale dans la société du Moyen Âge. Au demeurant, ce qui est certain, c’est que les liens entre êtres humains et animaux étaient étroits – peut-être plus qu’à notre époque où l’urbanisation, l’élevage intensif et les logiques industrielles ont éloigné l’animal de l’humain. 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Nous serions toutefois bien mal placés pour émettre un tel jugement! En effet, les relations entre individus et animaux étaient alors bien plus complexes qu’on ne peut le croire. <a href="https://www.him-mag.com/frequence-medievale-les-animaux-au-moyen-age/">Les animaux faisaient partie de la vie quotidienne des médiévaux</a>: ils se trouvaient bien sûr à la campagne, mais aussi en ville et jusque dans les églises quand un seigneur y entrait par exemple avec son faucon de chasse favori. Plus largement, êtres humains comme animaux étaient alors considérés comme appartenant à la Création divine. D’ailleurs, il n’était pas rare de reconnaître une personnalité, voire une âme aux animaux. 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On prête volontiers à chaque espèce des qualités et des défauts: le cerf est subtil, le cheval est doté d’une grande intelligence, de beaucoup de jugement et de mémoire. Le cas du cochon est également très intéressant. En effet, pour les sociétés anciennes, ce n’est pas le singe mais le cochon qui est l’animal le plus proche de l’homme. La médecine antique et médiévale estime que les deux êtres présentent la même organisation anatomique interne et, à partir de là, des similitudes spirituelles et morales. Cependant, dans les représentations de l’époque le cochon fait souvent figure de mal-aimé, symbole de débauche et de luxure, venant nourrir les discours moraux des prédicateurs contre le péché.</p> <p>Il n’en reste que, selon certains médiévaux, les animaux peuvent être beaucoup plus doués que les hommes. Plus efficace qu’une horloge, l’âne sauvage passe pour savoir compter les heures, tandis que, selon le comte Gaston Phébus, auteur d’un <em>Livre de chasse</em> dans la seconde moitié du XIV<sup>e</sup> siècle, «je parle à mes chiens comme je ferais à un homme. Et ils me comprennent mieux qu’aucun de mes serviteurs». Enfin, au XVI<sup>e</sup> siècle, l’<a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Essais/Livre_II/Chapitre_12">humaniste Montaigne louait la force, l’intelligence et la sensibilité de l’éléphant</a>. Toutes ces aptitudes prêtées aux animaux ont rarement des fondements scientifiques et reposent plutôt sur des observations, des idées reçues ou encore des considérations morales. Pour autant, elles n’en montrent pas moins le souci de l’animal chez l’individu médiéval. À cet égard, rappelons que notre vision contemporaine selon laquelle l’animal n’agirait jamais par raison mais uniquement par instinct mécanique et serait donc inférieur à l’être humain, est héritée de Descartes, à l’époque moderne – et non au Moyen Âge!<br><br></p><h2>La pensée sauvage<br></h2> <figure class="align-left zoomable"> <a href="https://images.theconversation.com/files/219934/original/file-20180522-51130-1vv5puo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219934/original/file-20180522-51130-1vv5puo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a></figure><figure class="align-left zoomable"><span class="caption" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Au Moyen Âge, les animaux aussi ont l’âme musicienne comme le « Lièvre musicien » issu du Recueil des Romans de la Table Ronde, c. 1220.</span><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"> © </span><span class="attribution" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bibliotheque-leschampslibres-rennes/13949025406">Flickr</a></span></figure> <br><p>La proximité entre les animaux et les individus médiévaux se retrouvait aussi à un niveau spirituel. Certaines personnes pouvaient prendre un prénom tiré de celui d’un animal – ainsi pour les Léo (le petit lion) et Léonard (le lion fort), les Arthur (le petit ours) ou encore les Ursule (Petite Ourse). Tous ces prénoms font référence à des bêtes admirées par les gens du Moyen Âge. Porter le nom d’un animal sauvage ou domestique n’a d’ailleurs rien de déshonorant et une figure prestigieuse comme le patron des bergers se nommait ni plus ni moins «saint Loup».</p> <p>Plus encore, il arrive que l’on baptise des animaux destinés à vivre âgés et dans l’intimité des individus – par exemple, les chats, chiens, chevaux, chèvres ou vaches à lait. C’est un acte fort dans une société chrétienne où le baptême intègre les individus à une communauté de vie et de croyance. Enfin, si dans leur immense majorité les bêtes finissent jetées dans un fossé, il arrive que les animaux familiers soient pleurés et enterrés dans le jardin. On prie alors pour eux et on se plaît à imaginer un paradis où ils sont bienheureux. Témoignage visuel de cette proximité: <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/lessai-et-la-revue-du-jour-14-15/le-monde-roman-revue-mirabilia">plusieurs chapiteaux d’églises romanes</a> où l’harmonie entre êtres humains et animaux est parfois représentée, par exemple dans le prieuré de Chanteuges en Auvergne où l’on retrouve les «bons bergers» portant avec amour leurs brebis sur les épaules. Tout cela ne signifie évidemment pas qu’êtres humains et animaux vivaient toujours en symbiose parfaite; néanmoins, on entrevoit à travers ces pratiques une conception typiquement médiévale du monde animal.</p><br> <figure class="align-right zoomable"> <a href="https://images.theconversation.com/files/226583/original/file-20180708-122250-1fk8uhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226583/original/file-20180708-122250-1fk8uhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"></a></figure><figure class="align-right zoomable"><span class="caption" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Le chapiteau du Prieuré de Chanteuges, représentant les bergers portant leurs brebis.</span><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"> © </span><span class="attribution" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Prieur%C3%A9_de_Chanteuges#/media/File:Chanteuges-_Prieur%C3%A9_-_Chapiteau_-3.jpg">Mossot/Flickr</a><br><br></span></figure><h2>François d’Assise et la cause animale<br></h2> <p>À certains égards, le frère franciscain du début du XIII<sup>e</sup> siècle, François d’Assise, pourrait passer <a href="https://www.lemonde.fr/voyage/article/2007/03/01/dans-l-rsquo-antre-du-loup-de-gubbio_1338894_3546.html">pour le protecteur des animaux de l’époque</a>. C’était tout d’abord un grand admirateur de la nature, œuvre de Dieu dont il chantait les louanges. Il faisait attention à ne pas marcher sur les vers de terre, racheta à des bergers plusieurs moutons conduits à la boucherie ou fit l’acquisition d’une brebis égarée au milieu d’un troupeau de chèvres et de boucs afin de la donner à des religieuses pour qu’elles veillent sur elle – une anecdote digne de l’histoire de la <a href="http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2018/02/05/hermien-la-vache-rebelle-qui-suscite-la-solidarite-des-internautes-neerlandais_5252038_4832693.html">vache hollandaise Hermien qui a ému l’opinion récemment!</a>.</p> <p>Toutefois, prenons tous ces témoignages avec le recul critique de l’historien. Les auteurs du XIX<sup>e</sup> siècle qui ont redécouvert la figure de François se sont empressés d’en faire un ami des bêtes – le modèle d’un homme en symbiose parfaite avec la nature. Mais la réalité est évidemment plus complexe. Les textes qui nous parlent de François sont pour partie des hagiographies destinées à idéaliser un personnage pour sa sainteté et son dévouement religieux. Ils insistent sur son rapport aux animaux dans une perspective religieuse: François est décrit comme faisant attention aux vers de terre car ces derniers, rampant au sol sont des figures de l’humilité; il s’émeut du sort de la brebis car c’est tout à la fois le reflet de l’innocence christique au milieu des méchants – selon l’image de l’Agnus Dei – et le membre du troupeau des fidèles. 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Dans les représentations médiévales, les animaux sont soit des exemples à imiter, à l’image de l’oiseau ou de l’agneau, soit des contre-exemples à rejeter, à l’instar des loups tant redoutés par les bergers ou encore de <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/le-roi-tue-par-un-cochon-michel-pastoureau/9782021035285">ce pauvre cochon mis en procès pour le meurtre du jeune roi Philippe en 1131</a>.</p> <p>Ces modèles animaliers trouvent peut-être une résonance dans nos films d’animation actuels où l’on fait souvent porter des vices et vertus aux animaux – <em>Le livre de la jungle</em> ou <em>Kung Fu Panda</em> pourraient ainsi être les héritiers de l’animal médiéval!</p> <p>Pour autant, ce qui est original dans la vision supposée de François, c’est que selon lui l’être humain ne se distinguait pas radicalement des animaux. Les relations entre eux devaient être fondées sur la non-violence et l’entente mutuelle. Il se refusait ainsi à participer aux expéditions contre les loups et n’hésitait pas à s’aventurer en pleine forêt sans crainte des animaux sauvages, considérant qu’ils étaient libres de le dévorer. Une telle vision d’égalité entre humains et animaux n’est pas sans rappeler les <a href="http://www.rfi.fr/france/20170827-journee-mondiale-anti-specisme-animal-aymeric-caron">théories antispécistes qui se développent actuellement</a>. Elle était novatrice pour l’époque car elle se distinguait des conceptions issues du droit canonique. À partir du récit de la Genèse où Dieu confie à l’homme la mission de régner sur l’ensemble de la Création, les autorités pontificales affirmaient en effet que l’être humain disposait d’un droit de domestication totale sur la nature dont il est légitimement le maître. La position du frère franciscain semble au contraire plus humble.</p> <p>Néanmoins, à nouveau, prenons ces témoignages sur François avec un recul critique et rappelons d’ailleurs que ce dernier consommait de la viande, comme la majorité de ses contemporains. Ceci n’est pas incohérent, dans la mesure où il estimait que, réciproquement, les bêtes sauvages avaient tout à fait le droit de manger sa chair. Il n’en reste pas moins que pour un certain nombre de religieux, limiter voire prohiber la consommation de la viande est un moyen d’atteindre une pureté morale et spirituelle, en maîtrisant ses pulsions carnassières. Au VI<sup>e</sup> siècle, la règle de Saint-Benoît impose ainsi aux moines un régime sans viande – avant de connaître des assouplissements par la suite. 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À cela s’ajoute un changement dans nos conceptions du monde puisque, après le Moyen Âge, l’<a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/par-dela-nature-et-culture">Occident moderne a progressivement instauré la distinction entre nature et culture</a>, séparant l’individu civilisé de l’animal sauvage.</p><br> <figure class="align-center "> <img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226592/original/file-20180708-122268-1dk8fw5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></figure><figure class="align-center "><span class="caption" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;">Calendrier agricole de Pietro Crescenzi, XVᵉ siècle, musée de Condé, Chantilly.</span><span style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"> © </span><span class="attribution" style="color: inherit; font-family: "GT America Standard Regular"; font-size: 1.4rem;"><a class="source" href="http://data.abuledu.org/wp/?LOM=4281">ressources éducatives libres</a></span></figure><figure class="align-center "><figcaption><br></figcaption> </figure> <p>De manière étonnante et peut-être paradoxale, les éleveurs comme les militants de la cause animale – que l’on oppose trop souvent en deux camps ennemis – partagent pourtant le fait d’avoir conservé ce lien étroit avec les animaux, à une époque où le monde animal est justement devenu petit à petit étranger à notre monde humain, moderne et urbain.</p> <p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97012/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1">Ces réflexions historiques restent encore en suspens car si les questions de violence animale et les modes d’alimentation qui en découlent connaissent une popularité grandissante dans l’opinion ainsi que dans certaines sciences humaines, il reste encore beaucoup à explorer dans le champ de l’histoire des animaux. 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Que je fasse du Pilates?</p> <p>- Non… Serge et toi avez raison…</p> <p>- A propos de quoi ma chérie?</p> <p>- Mais à propos de Pierre! Il est en train de se transformer en woke! Je ne sais pas quoi faire, je t’en supplie, aide-moi!</p> <p>Lorsque Mireille est arrivée à la maison, j’étais en larmes et elle en sueur. Elle m’a prise dans ses bras, c’est gentil mais elle sentait fort la transpiration. Lorsque je lui ai expliqué ce que j’avais trouvé dans l’ordinateur de Pierre, elle a secoué la tête et a voulu à nouveau me prendre dans ses bras mais j’ai esquivé ce rapprochement.</p> <p>- Pierre fait partie d’un groupe d’homme «en phase de déconstruction».</p> <p>- Ma pauvre chérie, c’est vraiment horrible. Je ne pensais pas que ça arriverait à l’une d’entre nous.</p> <p>Pourtant, cela ne faisait aucun doute. Depuis plusieurs semaines, Pierre correspondait avec une dizaine de personnes et toutes leurs conversations avaient pour sujet la critique du virilisme, la chasse au masculinisme, la volonté d’abattre le patriarcat «d’abord en nous». Rien que d’y penser, ça me donne envie de vomir. Je sais bien qu’une épidémie wokiste s’est abattue sur l’Occident mais je me pensais à l’abri. Eh bien, non! Cette épidémie a envahi mon salon, elle couche même dans mon lit! J’ai également découvert que Pierre me mentait. Alors qu’il prétendait aller jouer au badminton avec des copains, il participait à des <em>workshops</em> de déconstruction de virilité. «Je ne suis plus sûr de rien, écrivait-il sur le forum To-be-is-not-to-be-a-man. Suis-je un homme, une femme, un être mixte, double? Suis-je? Je ne me sens plus capable de vivre dans un monde dualiste, je veux rejoindre une autre dimension, me sentir dans les autres, sentir les autres en moi…»</p> <p>- En fait, il est peut-être gay… Cela fait combien de temps qu’il ne t’a plus fait l’amour?</p> <p>Mireille a raison. Pierre ne m’a plus touchée depuis au moins trois mois. Mais je crois que c’est encore plus grave que ça…</p> <p>- Si tu veux en avoir le cœur net, appelle Emmanuel de ma part. C’est un spécialiste.</p> <p>Emmanuel est le fils d’un ancien amant de Mireille qui était acteur de théâtre. Le fils, lui, a fait des études d’économie avant de se spécialiser dans la traque aux déviations woke et LGBT. Il est renommé dans toute la région. Très propre sur lui, on le sollicite beaucoup. Après des décennies de doxa social-démocrate, les médias découvrent comme un agréable vent nouveau que de jeunes réactionnaires remettent en question sans aucune gêne le bla-bla post-soixante-huitard. Je l’ai tout de suite trouvé à mon goût mais je n’étais pas là pour ça. Nous nous étions donnés rendez-vous dans un tea-room du centre-ville, j’avais pris avec moi l’ordinateur portable de Pierre. Pierre qui prétendait être parti en séminaire professionnel à Zurich mais, je l’avais découvert sans peine, se trouvait en fait à Tolochenaz où avait lieu une rencontre avec un guru de la déconstruction masculine: «De viril à viriel».</p> <p>- Vous avez donc des doutes concernant votre mari? Expliquez-moi ce qui vous inquiète...</p> <p>Ce vouvoiement a sonné très agréablement à mes oreilles. Avec son col roulé, son blaser et sa coupe de cheveux tout à la fois stricte et décontractée, Emmanuel me fit me rendre compte qu’autour de moi, les hommes avaient depuis longtemps renoncé à leur élégance, privilégiant des tenues décontractées ne mettant plus du tout leurs atouts masculins en valeur.</p> <p>Oui, je dois l’avouer, à moi aussi les jeunes réactionnaires faisaient de l’effet. Lorsque je songeais aux gauchistes à l’hygiène douteuse auxquels j’avais offert mon jeune corps dans les années 1980, des sanglots de regret me serraient la gorge. Sans compter tous ces festivals où nous fumions du cannabis, filles et garçons portant les mêmes vêtements et arborant les mêmes coupes des cheveux… </p> <p>- Vous voyez, Catherine, le wokisme se répand depuis fort longtemps dans la société occidentale. Personne n’a voulu le voir et c’est pourquoi aujourd’hui ses effets sont si pervers. Votre génération l’a laissé s’installer comme une plante invasive et il a pratiquement détruit tous les fondements de notre civilisation. C’est le dernier moment pour agir, ce sursaut est indispensable. C’est pourquoi je salue votre démarche. Vous êtes très courageuse, Catherine, je vais vous aider à libérer votre mari de cette infection, s’il en est encore temps, bien sûr…</p> <p>- Vous pensez qu’il pourrait être trop tard ?</p> <p>- Tout ce que vous me dites m’inquiète beaucoup. Pierre est déjà très perverti. Vous l’avez remarqué, dans ses messages il emploie l’écriture inclusive avec aisance. C’est la preuve que le mal a déjà atteint des couches profondes de sa conscience. De plus, il remet systématiquement en question les bienfaits de la civilisation occidentale dans le monde. Il milite pour la restitution des antiquités découvertes chez les peuples non-civilisés, il a participé au souillage de la statue de David de Pury à Neuchâtel, sous prétexte que celui-ci a participé à la traite d’esclaves…</p> <p>- Oui, je sais, c’est horrible. Tout ça alors que je le croyais occupé avec des clients. Les comptes de notre agence de communication sont dans le rouge. Cela fait des mois que Pierre ne prospecte plus de nouveaux clients et qu'il refuse les commandes au prétexte que la publicité est une aliénation capitalisto-patriarcale.</p> <p>- Et ça, Catherine, c’est très grave! S’attaquer à l’économie, c’est s’attaquer à nos valeurs premières. </p> <p>- Que faire? Mon Dieu, que faire?</p> <p>-Noël arrive, et je vois là une bonne occasion pour tenter quelque chose qui pourrait faire revenir votre mari à la raison. Il s’agit d’une thérapie de choc que je n’ai encore jamais utilisée mais que des camarades anti-wokes ont mise au point. Me faites-vous confiance, Catherine?</p> <p>Oui, bien sûr que je lui fais confiance à ce preux chevalier, à ce Lancelot des temps modernes, à ce nouveau croisé de la civilisation chrétienne. Même si, je le sais, ce qui va se passer à Noël chez nous va être excessivement éprouvant, et pas seulement pour Pierre…</p> <p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p> <hr /> <h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="133" height="184" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /> et de <br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="130" height="175" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a> </h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'un-bien-cruel-conte-de-noel-2', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 19, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5295, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Un bien cruel conte de Noël (1)', 'subtitle' => 'Catherine et Pierre forment un couple épanoui. 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De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p> <p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. 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En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p> <ul> <li> <p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p> </li> <li> <p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. 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Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.</p> <p>Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.</p> <p>Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.</p> <h3>Qui sont les ramasseurs informels de déchets?</h3> <p>Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344924001824#sec0021">grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale</a>. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p> <p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p> <ul> <li> <p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p> </li> <li> <p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p> </li> </ul> <p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. 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Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 44, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5283, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes', 'subtitle' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'subtitle_edition' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». 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Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p> <h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3> <p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p> <p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. 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