Actuel / Conversation avec une femme invisible
Publicité pour des services d'escort-girls. Nadia, qui s'exprime dans cet entretien, ne figure pas sur cet échantillon. © DR
Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.
Notice (8): Trying to access array offset on value of type null [APP/Template/Posts/view.ctp, line 123]Code Context<div class="post__article">
<? if ($post->free || $connected['active'] || $crawler || defined('IP_MATCH') || ($this->request->getParam('prefix') == 'smd')): ?>
<?= $post->content ?>
$viewFile = '/data01/sites/bonpourlatete.com/dev/bonpourlatete.com/src/Template/Posts/view.ctp' $dataForView = [ 'referer' => '/', 'OneSignal' => '8a2ea76e-2c65-48ce-92e5-098c4cb86093', '_serialize' => [ (int) 0 => 'post' ], 'post' => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4537, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Conversation avec une femme invisible', 'subtitle' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'subtitle_edition' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée et le quotidien de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'content' => '<p>Nous savons tous que Nadia existe. Nous choisissons simplement de l’ignorer, elle et ses collègues, ainsi que les raisons pour lesquelles ces <i>travailleuses du sexe</i> sont à la fois vilipendées et utiles. Nadia n'est que l'une des milliers d'escorts russes qui vivent et travaillent en Europe. Parce que la prostitution demeure souvent illégale, sa véritable identité est protégée. Et comme la prostitution est illégale, des milliers de femmes comme Nadia peuvent être brutalisées ou battues par leurs clients. La plupart sont impitoyablement exploitées par leurs agents et des propriétaires d'appartements véreux. Et les polices corrompues les harcèlent et les maltraitent, avec le pouvoir de les expulser du territoire. Mais Nadia ne se pose pas en victime, elle ne rejette pas la faute sur les autres. Elle a choisi son chemin. Comme la plupart des gens, elle travaille pour gagner sa vie et déteste souvent son travail. Mais il y a des moments où elle y trouve aussi du plaisir. Derrière son corps élancé, son maquillage épais, ses faux cils, ses ongles démesurés et son sourire timide, se cache une jeune femme déterminée et brutalement honnête qui s'est ouverte pour raconter son histoire aussi clairement qu'on pourrait le souhaiter.</p> <p><strong>David Laufer</strong>: <strong>Depuis combien de temps exerces-tu ce métier?</strong></p> <p><strong>Nadia</strong>: Cela fait cinq ans maintenant. Au début c'était uniquement à Moscou, mais après quelque temps je me suis aventurée en Europe.</p> <p><strong>Au début, quelle était ta motivation pour te lancer dans ce métier?</strong></p> <p>J'avais besoin d'argent. Ma famille n'a pas d'argent et ne m'aide pas. J'avais un emploi mais je gagnais 200 euros par mois à Moscou, la ville la plus chère d'Europe ou du monde à cette époque. Et puis j'ai rencontré un homme qui m'a parlé de cette possibilité. Alors j'ai trouvé un agent, qui me trouvait des clients. Et toutes les filles qui font ça le font pour les mêmes raisons.</p> <p><strong>En Russie, comment les gens considèrent-ils ce métier?</strong></p> <p>Les clients, en Russie, sont la plupart du temps des millionnaires, qui consomment énormément de filles, chaque jour une fille différente. Ils nous traitent comme des putes. Et beaucoup cherchent surtout à se procurer des vierges. Alors l'agent nous dit: «Aujourd'hui, tu dois être vierge». Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.</p> <p><strong>Quel était le rythme de travail à Moscou?</strong></p> <p>C'était irrégulier. On ne fonctionne pas comme en Serbie ou en Europe, avec des tarifs horaires. On peut se faire 1'000 euros, ou 500 euros, mais sans limite de temps. On vient, le client nous dit la somme d'argent et c'est lui qui décide du temps. Quelques heures, un jour entier, ça dépend.</p> <p><strong>Quand et pourquoi est-ce que tu es partie en Europe?</strong></p> <p>Après environ une année, la pandémie a commencé. Je ne faisais rien, assise à attendre chez moi. Et c'est à ce moment qu'un ami m'a présentée à un agent qui m'a proposé de partir en Europe. Pour moi c'était un rêve, je n'avais jamais quitté la Russie. L'agent m'a tout arrangé, le billet d'avion, l'appartement, tout. Et je suis partie en Italie. Mais c'était très compliqué à cause du Covid-19. Donc le vol a fait Moscou-Istanbul-Athènes-Vienne, et puis j'ai fait le reste en train. Dans le train les douaniers ont pensé que j'étais étudiante, et je n'ai pas nié.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«L'agent nous dit: "Aujourd'hui, tu dois être vierge". Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Comment s'est déroulé ce premier séjour en Europe?</strong></p> <p>J'avais toujours mon agent, c'est lui dirigeait mes contacts et s'occupait de ma page sur Internet. Je lui devais 50% de mes gains et je chargeais, comme je continue aujourd'hui, 250 euros de l'heure. Mais l'appartement coûtait 800 euros par semaine, même si l'agent payait 50% du loyer. Donc en gros, par mois, je pouvais espérer gagner environ 15'000 euros, dont je devais retirer la moitié pour l'agent, plus le loyer. Je me retrouvais avec à peu près 6'000 euros par mois dans la poche pour toutes mes dépenses et pour l'épargne. Au début j'étais à Milan et le business était bon. Je travaillais beaucoup. Ensuite j'ai essayé Naples, pendant deux semaines, mais ça ne marchait pas du tout alors je suis retournée à Milan. En gros c'était des Italiens et presque pas d'étrangers parce qu'on était en plein <em>lockdown</em>. Quelques fois des jeunes mais en général des hommes plus âgés et assez riches.<br /><br /><strong>Comment se comportent les clients italiens?</strong></p> <p>Je ne les aime pas du tout. La plupart se fendent de grandes déclarations, «tu es l'amour de ma vie», «je suis fou de toi«, «je t'aime», «je veux t'épouser» et toutes ces bêtises, alors que nous savons tous les deux pourquoi je suis venue chez lui. Et vraiment, tous les Italiens se comportent comme ça, comme des grands enfants. J'ai passé trois mois à Milan et j'en suis revenue avec 3'000 euros épargnés.</p> <p><strong>Tu as dû expliquer ce voyage à tes parents?</strong></p> <p>Non, j'ai juste dit que j'avais trouvé un boyfriend qui m'avait emmenée en voyage, ils n'ont jamais posé de questions. Mais j'ai eu une mauvaise expérience à Milan. Je suis tombée sur un sale type, le propriétaire de l'appartement. Après quelques jours, il s'est pointé à ma porte et a essayé de me faire dire que je l'avais payé en fausse monnaie, ce qui était faux. Comme il voyait que ça ne marchait pas, il m'a fait comprendre qu'il savait ce que je faisais et qu'il pouvait me dénoncer à la police. J'ai éclaté en sanglots, j'étais hors de moi, terrorisée. S'il allait à la police, ça voulait dire que je serais expulsée de l'UE et que je ne pourrais pas revenir pendant des années. Il a appelé mon agent, et mon agent m'a dit de lui donner 500 euros, juste pour le faire taire. Mais ça n'a pas suffi. Il est souvent revenu me voir et me demandait de le sucer, et sans le dire à mon agent, ce que j'ai toujours réussi à éviter. Il a souvent essayé ce petit manège. Ça me plongeait dans des dépressions sévères.</p> <p><strong>Et après ce retour à Moscou, où es-tu allée?</strong></p> <p>Une amie m'a encouragée à la rejoindre à Tbilissi en Géorgie. J'ai dit que ça ne m'intéressait pas, que je voulais aller en France. Je ne sais pas pourquoi, j'avais un mauvais pressentiment à propos de ce pays. Et j'ai eu du flair. Un jour avant mon arrivée prévue en Géorgie, un client est venu chez mon amie. Ils ont eu un rapport sexuel, puis il lui a montré sa plaque de policier. Il ne l'a évidemment pas payée et lui a également volé tout le liquide qu'elle avait. Et puis il a ouvert la porte et ses collègues sont arrivés pour arrêter mon amie et l'emmener en prison, où elle est restée environ deux mois, sans téléphone, sans rien, à devoir attendre une décision de justice. Et encore elle a eu une chance relative. Je connais une autre fille qui est restée deux ans en prison en Géorgie. Cela ne m'est jamais arrivé, je touche du bois, ni en Russie où les clients sont assez riches pour acheter la police, ni en France ou ailleurs. Mais j'ai toujours peur, je fais toujours très attention, je vérifie tout plusieurs fois.</p> <p><strong>Donc tu es allée en France. </strong></p> <p>Oui, j'ai commencé par Bordeaux, où le business était très bon, puis Toulouse, où c'était totalement mort, puis Marseille, également très faible, puis Montpellier, sans aucun intérêt, peuplé de gens très bizarres et malsains, et puis Lyon, où ça marchait assez bien. On faisait le tour des grandes villes pour voir où le marché était preneur. A Bordeaux par exemple, je peux travailler quelques jours mais ensuite je suis connue, j'ai fait le tour des clients. Alors je dois repartir et trouver un autre marché. Quand ça marchait bien, je faisais environ deux clients par jour, c'était comparable à l'Italie, donc je gagnais environ 6 ou 7'000 euros par mois avant dépenses. Et puis je montée à Paris.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Comment est Paris par rapport au reste de la France?</strong><br /><br />Evidemment je gagnais beaucoup mieux. Mais je devais constamment changer d'appartement, c'était un enfer, parce que je voulais payer en liquide mais la compétition était trop forte. Et puis la ville est tellement chère, chaque trajet en taxi coûte 30 euros. En plus je devais faire très attention, ne jamais faire monter quelqu'un mais descendre d'abord voir le client dans la rue, s'assurer que tout est en ordre. D'autre part à Paris tout dépend du quartier. Si je vis dans un quartier riche, j'ai de bons clients, propres et convenables. Mais si je vis dans un quartier pauvre, c'est bien plus risqué. Parce qu'à Paris, contrairement à la France, mes clients venaient du monde entier. A Bordeaux ce n'était que des Français, à Paris beaucoup d'étrangers. Mais le business était très bon, alors je suis restée quatre mois à Paris.</p> <p><strong>Et comment sont les clients français?</strong></p> <p>Les meilleurs! Ils ne pensent pas qu'à eux-mêmes. Ils pensent à la fille. Ils arrivent et te disent: «Tu n'as besoin de rien faire, allonge-toi là, je vais te lécher la chatte, je vais t'embrasser, tu te laisses faire». Ils arrivent avec une bouteille de vin et des fleurs et paient pour une heure mais peuvent partir après vingt minutes s'ils ont terminé. En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.</p> <p><strong>Quatre mois à Paris, c'est long. Tu as eu le temps de voir la ville?</strong></p> <p>Je m'arrangeais avec mon agent, je lui disais que je serais disponible de telle à telle heure, et je prenais mon temps pour me balader et découvrir la ville. Et je n'ai eu aucun problème avec la police, alors même que c'était le confinement et que je n'avais pas les permis pour me déplacer au milieu de la nuit. J'ai eu de la chance et personne ne m'a jamais arrêtée. Et puis j'ai eu assez souvent des clients qui payaient pour la nuit, c'était 1'200 euros. Mais j'étais trop seule, j'étais souvent déprimée. Mon agent me disait que c'était bien pour moi d'être seule, que ça me permettait de me concentrer sur mon travail.</p> <p><strong>Combien as-tu réussi à épargner à Paris? </strong></p> <p>Presque rien, à peu près 1'000 euros. J'étais furieuse. J'avais eu environ 170 clients pendant quatre mois, donc j'avais en tout gagné plus de 40'000 euros en liquide! Et malgré tout, tout mon argent était parti, d'abord dans la commission de 50% de mon agent mais aussi en factures, loyer, taxi, repas, des bêtises. Beaucoup de filles travaillent pour aider leurs familles restées au pays. Quand je travaillais à Paris, je ne savais tout simplement pas quoi faire de ma vie. Je n’ai donc pas économisé, et c’était mon problème. Si j'avais économisé, je serais riche maintenant. Mais j'ai juste tout dépensé, j'ai acheté des trucs et j'ai voyagé et pendant tout ce temps, je pensais, c'est bon, je dois juste travailler encore un peu pour tout récupérer. Parce que ce travail est une drogue. C'est de l'argent facile. En Russie, je gagnais 200 euros par mois. Et avec ce métier, je gagnais 6 ou 7'000 par mois. C'est donc très difficile d'arrêter. Et ça m'a fait comprendre que je devais travailler en indépendante, sans agent.</p> <p><strong>Après la France, quel autre pays as-tu visité?</strong></p> <p>Je suis allée à Vienne, c'était très bien. Les clients étaient souvent étrangers mais en gros très sympas, respectueux. Il y avait beaucoup de clients suisses, qui se comportaient toujours très bien. Et puis j'aimais beaucoup Vienne, j'étais dans un joli hôtel, je travaillais à mon rythme, c'était agréable. J'ai également travaillé à Madrid et Barcelone. A Madrid c'était la mort, aucun client, à Barcelone un petit peu plus. Les Espagnols n'ont pas d'argent je crois. Ils préfèrent les Colombiennes et les Brésiliennes, qui sont vraiment beaucoup moins chères. J'ai malheureusement dû éviter la Suisse parce que je connais pas mal de gens à Zurich et je voulais éviter les rencontres désagréables.</p> <p><strong>As-tu également travaillé en dehors de l'Europe?</strong></p> <p>Uniquement à Dubai. C'était très, très bizarre. J'ai été payée pendant des semaines par deux cheikh différents, environ 300 euros pas jour, pour vivre dans une villa avec une dizaine d'autres filles et sans jamais coucher avec qui que ce soit. On passait nos journées au bord de la piscine, à faire du shopping et à aller au restaurant. J'ai tenté avec une copine de travailler en privé, mais sans aucun succès, et ça m'a beaucoup déplu. C'était dégradant, on se retrouvait derrière des restaurants avec des types qui me disaient que c'était trop cher, ça ne menait à rien.</p> <p><strong>Pourquoi as-tu décidé d'aller à Belgrade?</strong></p> <p>A cette époque, il y a un peu moins de trois ans, j'avais une amie qui était déjà à Belgrade. Elle m'a dit que c'était très bien, alors j'ai essayé. On était trois filles dans un appartement, c'était sympa.</p> <p><strong>Puisque ta profession est illégale, tu es ici avec un visa touristique, comment procèdes-tu?</strong></p> <p>Chaque mois, je dois traverser la frontière, obtenir le tampon et revenir.</p> <p><strong>Tu étais ici avant le début de la guerre en Ukraine. Combien d’escorts y avait-il ici avant la guerre, et combien depuis le début de la guerre? Et combien parmi elles sont des Russes?</strong></p> <p>Avant la guerre, il y avait un peu de concurrence, mais pas trop. Depuis le début de la guerre, il n'y a presque plus d'emplois tellement la concurrence est forte. Et je ne suis pas sûr qu’il reste beaucoup de filles serbes. On peut vérifier (elle sort son téléphone et va sur un site d'escort populaire). Si je sélectionne la Serbie ici, je vois qu'il y a maintenant 1'447 escorts qui opèrent à Belgrade. Mais beaucoup de ces comptes sont inactifs, ou faux, disons environ 50%. Cela laisse donc environ 750 filles, pour la plupart russes. Ce qui est bien trop pour Belgrade, il n'y a pas de marché pour autant d'escorts. Et du coup les prix baissent. Certaines filles sont désormais prêtes à travailler pour 150 euros, et alors toutes les filles se sentent obligées de baisser leurs prix. Et c'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.</p> <p><strong>Je dois te poser cette question, mais à quel point ce travail est-il agréable?</strong></p> <p>Cela dépend. Parfois, j'ai juste besoin d'argent, je dois travailler. Alors je deviens une personne différente. Je ferme mon esprit et je fais ce que je dois faire, d'une façon automatique, même si je ne veux pas le faire. Mais d'autres fois, j'ai vraiment envie de faire l'amour et comme c'est mon métier, ça peut être agréable. Dans ces situations, si l'homme sait s'y prendre je peux jouir, mais s'il est mauvais, alors je ne jouis pas. C'est exactement comme la vie normale.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«C'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Y a-t-il des histoires d'abus, de violence?</strong></p> <p>Bien sûr. Quand j’ai commencé, je ne savais pas à quoi m’attendre. Parfois, un homme me frappait, alors j'appelais l'agence et ils me disaient: «Non, c'est impossible, c'est un bon client, il n'y a jamais eu de plainte le concernant». Vous savez donc que vous ne pouvez pas être protégée. Un jour un Ukrainien m'a appelée dans un restaurant et nous nous sommes retrouvés chez lui. Il m'a payée en dollars. Mais quand je suis rentrée chez moi, j’ai réalisé qu’il s’agissait de fausse monnaie. Chaque fois que quelque chose de vraiment grave arrive, c'est soit un client russe, soit un client ukrainien. Mais une de mes amies, une jolie blonde, a été appelée par un client serbe, qui n'aime pas les blondes. Il l'a appelée et l'a battue jusqu'à ce qu'elle soit réduite en bouillie, elle était couverte de sang. A tel point qu’elle a quitté le pays par la suite. Une autre copine a été trompée par un client qui ne lui a pas dit qu'il était policier, qui lui a pris tout son argent et l'a expulsée de Serbie. Or j'ai appris par la suite que ce flic travaillait en réalité pour une agence concurrente, pour laquelle il nettoyait le marché en se servant grassement au passage.</p> <p><strong>Quel type de service te demande-t-on habituellement de pratiquer?</strong></p> <p>Je ne travaille jamais avec des sextoys ou des uniformes. Parfois, les clients me demandent de me présenter en lingerie ou en talons, mais ce n'est pas vraiment un uniforme. En général, c'est du sexe assez régulier. Je refuse la sodomie, mais beaucoup de filles acceptent avec un supplément. Certains clients demandent à coucher sans préservatif, ce que je refuse également.</p> <p><strong>Comment juges-tu le regard de la société et des médias sur ton métier?</strong></p> <p>Les médias et la société en général ne comprennent pas du tout la différence entre escort et prostituée. Escort, c'est un métier, quand bien même c'est illégal. Je choisis mes clients, je dois savoir m'y prendre techniquement sur le plan sexuel, savoir envisager mes clients sur des tas de fantasmes et de scénarios. Une prostituée ne travaille que sur le court terme, et uniquement pour l'argent. Une escort doit savoir discuter, passer la soirée avec des hommes très différents, de cultures très variées. C'est un métier difficile, qui exige un engagement complet, du corps mais aussi de l'esprit. Oui, c'est vraiment un métier. Le mot le plus adapté, c'est geisha, c'est-à-dire une femme qui doit savoir faire plaisir à un homme, pour de l'argent, en réalisant tout un éventail de tâches complexes et délicates. Et évidemment que la société condamne ce métier. La chose est simple: qui serait d'accord de savoir que sa propre épouse fait ce métier? Les hommes sont obsédés par la pureté des femmes. De savoir que telle ou telle femme a vu des centaines de bites, ça les dégoûte en général. En ce qui me concerne, je reste très discrète, je ne montre jamais ma photo sur les sites Internet, et je sais que cette partie de ma vie restera toujours un secret si je veux trouver un mari ou fonder une famille.</p> <p><strong>Combien de temps penses-tu pouvoir continuer ce métier?</strong></p> <p>Encore quelques mois, le temps pour que je puisse mettre de l'argent de côté. Comme je l'ai dit, avant, je gaspillais tout, maintenant j'essaie de le mettre de côté et d'en faire quelque chose de significatif.</p> <p><strong>Quel est ton rapport à ton travail?</strong></p> <p>Je voudrais ne pas devoir le faire. Je suis souvent déprimée. Quand j'ai des relations sexuelles régulières avec un petit ami, je suis très confuse: est-ce que c'est pour le travail, ou pour le plaisir? Je me sens perdue avec moi-même. Je voudrais aussi ressentir quelque chose, pas seulement parce que je dois le faire pour un homme. Et la plupart des autres filles ressentent la même chose, nous parlons beaucoup ensemble.</p> <p><strong><span>Y a-t-il quelque chose que tu as appris en faisant ce métier?</span></strong></p> <p>Oui, beaucoup de choses. Par exemple, je sais très bien faire l'amour. Cela peut paraître dégradant, mais je suis devenue une professionnelle, je sais comment réaliser la pipe parfaite. Et plus important encore, je connais les hommes maintenant. Je ne suis plus timide avec les hommes, je sais de quoi je peux parler. Je sais à qui je peux accorder ma confiance, ou pas. Cela m'a souvent aidée, je vois tout de suite qui est la personne, de quoi on doit parler, comment les choses vont se passer. D’une certaine manière, on peut dire que j’ai plus de pouvoir maintenant.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'conversation-avec-une-femme-invisible', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 117, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'David Laufer', 'description' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'title' => 'Conversation avec une femme invisible', 'crawler' => true, 'connected' => null, 'menu_blocks' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Block) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Block) {} ], 'menu' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 5 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 6 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 7 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 8 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 9 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 10 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 11 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 12 => object(App\Model\Entity\Category) {} ] ] $bufferLevel = (int) 1 $referer = '/' $OneSignal = '8a2ea76e-2c65-48ce-92e5-098c4cb86093' $_serialize = [ (int) 0 => 'post' ] $post = object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4537, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Conversation avec une femme invisible', 'subtitle' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'subtitle_edition' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée et le quotidien de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'content' => '<p>Nous savons tous que Nadia existe. Nous choisissons simplement de l’ignorer, elle et ses collègues, ainsi que les raisons pour lesquelles ces <i>travailleuses du sexe</i> sont à la fois vilipendées et utiles. Nadia n'est que l'une des milliers d'escorts russes qui vivent et travaillent en Europe. Parce que la prostitution demeure souvent illégale, sa véritable identité est protégée. Et comme la prostitution est illégale, des milliers de femmes comme Nadia peuvent être brutalisées ou battues par leurs clients. La plupart sont impitoyablement exploitées par leurs agents et des propriétaires d'appartements véreux. Et les polices corrompues les harcèlent et les maltraitent, avec le pouvoir de les expulser du territoire. Mais Nadia ne se pose pas en victime, elle ne rejette pas la faute sur les autres. Elle a choisi son chemin. Comme la plupart des gens, elle travaille pour gagner sa vie et déteste souvent son travail. Mais il y a des moments où elle y trouve aussi du plaisir. Derrière son corps élancé, son maquillage épais, ses faux cils, ses ongles démesurés et son sourire timide, se cache une jeune femme déterminée et brutalement honnête qui s'est ouverte pour raconter son histoire aussi clairement qu'on pourrait le souhaiter.</p> <p><strong>David Laufer</strong>: <strong>Depuis combien de temps exerces-tu ce métier?</strong></p> <p><strong>Nadia</strong>: Cela fait cinq ans maintenant. Au début c'était uniquement à Moscou, mais après quelque temps je me suis aventurée en Europe.</p> <p><strong>Au début, quelle était ta motivation pour te lancer dans ce métier?</strong></p> <p>J'avais besoin d'argent. Ma famille n'a pas d'argent et ne m'aide pas. J'avais un emploi mais je gagnais 200 euros par mois à Moscou, la ville la plus chère d'Europe ou du monde à cette époque. Et puis j'ai rencontré un homme qui m'a parlé de cette possibilité. Alors j'ai trouvé un agent, qui me trouvait des clients. Et toutes les filles qui font ça le font pour les mêmes raisons.</p> <p><strong>En Russie, comment les gens considèrent-ils ce métier?</strong></p> <p>Les clients, en Russie, sont la plupart du temps des millionnaires, qui consomment énormément de filles, chaque jour une fille différente. Ils nous traitent comme des putes. Et beaucoup cherchent surtout à se procurer des vierges. Alors l'agent nous dit: «Aujourd'hui, tu dois être vierge». Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.</p> <p><strong>Quel était le rythme de travail à Moscou?</strong></p> <p>C'était irrégulier. On ne fonctionne pas comme en Serbie ou en Europe, avec des tarifs horaires. On peut se faire 1'000 euros, ou 500 euros, mais sans limite de temps. On vient, le client nous dit la somme d'argent et c'est lui qui décide du temps. Quelques heures, un jour entier, ça dépend.</p> <p><strong>Quand et pourquoi est-ce que tu es partie en Europe?</strong></p> <p>Après environ une année, la pandémie a commencé. Je ne faisais rien, assise à attendre chez moi. Et c'est à ce moment qu'un ami m'a présentée à un agent qui m'a proposé de partir en Europe. Pour moi c'était un rêve, je n'avais jamais quitté la Russie. L'agent m'a tout arrangé, le billet d'avion, l'appartement, tout. Et je suis partie en Italie. Mais c'était très compliqué à cause du Covid-19. Donc le vol a fait Moscou-Istanbul-Athènes-Vienne, et puis j'ai fait le reste en train. Dans le train les douaniers ont pensé que j'étais étudiante, et je n'ai pas nié.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«L'agent nous dit: "Aujourd'hui, tu dois être vierge". Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Comment s'est déroulé ce premier séjour en Europe?</strong></p> <p>J'avais toujours mon agent, c'est lui dirigeait mes contacts et s'occupait de ma page sur Internet. Je lui devais 50% de mes gains et je chargeais, comme je continue aujourd'hui, 250 euros de l'heure. Mais l'appartement coûtait 800 euros par semaine, même si l'agent payait 50% du loyer. Donc en gros, par mois, je pouvais espérer gagner environ 15'000 euros, dont je devais retirer la moitié pour l'agent, plus le loyer. Je me retrouvais avec à peu près 6'000 euros par mois dans la poche pour toutes mes dépenses et pour l'épargne. Au début j'étais à Milan et le business était bon. Je travaillais beaucoup. Ensuite j'ai essayé Naples, pendant deux semaines, mais ça ne marchait pas du tout alors je suis retournée à Milan. En gros c'était des Italiens et presque pas d'étrangers parce qu'on était en plein <em>lockdown</em>. Quelques fois des jeunes mais en général des hommes plus âgés et assez riches.<br /><br /><strong>Comment se comportent les clients italiens?</strong></p> <p>Je ne les aime pas du tout. La plupart se fendent de grandes déclarations, «tu es l'amour de ma vie», «je suis fou de toi«, «je t'aime», «je veux t'épouser» et toutes ces bêtises, alors que nous savons tous les deux pourquoi je suis venue chez lui. Et vraiment, tous les Italiens se comportent comme ça, comme des grands enfants. J'ai passé trois mois à Milan et j'en suis revenue avec 3'000 euros épargnés.</p> <p><strong>Tu as dû expliquer ce voyage à tes parents?</strong></p> <p>Non, j'ai juste dit que j'avais trouvé un boyfriend qui m'avait emmenée en voyage, ils n'ont jamais posé de questions. Mais j'ai eu une mauvaise expérience à Milan. Je suis tombée sur un sale type, le propriétaire de l'appartement. Après quelques jours, il s'est pointé à ma porte et a essayé de me faire dire que je l'avais payé en fausse monnaie, ce qui était faux. Comme il voyait que ça ne marchait pas, il m'a fait comprendre qu'il savait ce que je faisais et qu'il pouvait me dénoncer à la police. J'ai éclaté en sanglots, j'étais hors de moi, terrorisée. S'il allait à la police, ça voulait dire que je serais expulsée de l'UE et que je ne pourrais pas revenir pendant des années. Il a appelé mon agent, et mon agent m'a dit de lui donner 500 euros, juste pour le faire taire. Mais ça n'a pas suffi. Il est souvent revenu me voir et me demandait de le sucer, et sans le dire à mon agent, ce que j'ai toujours réussi à éviter. Il a souvent essayé ce petit manège. Ça me plongeait dans des dépressions sévères.</p> <p><strong>Et après ce retour à Moscou, où es-tu allée?</strong></p> <p>Une amie m'a encouragée à la rejoindre à Tbilissi en Géorgie. J'ai dit que ça ne m'intéressait pas, que je voulais aller en France. Je ne sais pas pourquoi, j'avais un mauvais pressentiment à propos de ce pays. Et j'ai eu du flair. Un jour avant mon arrivée prévue en Géorgie, un client est venu chez mon amie. Ils ont eu un rapport sexuel, puis il lui a montré sa plaque de policier. Il ne l'a évidemment pas payée et lui a également volé tout le liquide qu'elle avait. Et puis il a ouvert la porte et ses collègues sont arrivés pour arrêter mon amie et l'emmener en prison, où elle est restée environ deux mois, sans téléphone, sans rien, à devoir attendre une décision de justice. Et encore elle a eu une chance relative. Je connais une autre fille qui est restée deux ans en prison en Géorgie. Cela ne m'est jamais arrivé, je touche du bois, ni en Russie où les clients sont assez riches pour acheter la police, ni en France ou ailleurs. Mais j'ai toujours peur, je fais toujours très attention, je vérifie tout plusieurs fois.</p> <p><strong>Donc tu es allée en France. </strong></p> <p>Oui, j'ai commencé par Bordeaux, où le business était très bon, puis Toulouse, où c'était totalement mort, puis Marseille, également très faible, puis Montpellier, sans aucun intérêt, peuplé de gens très bizarres et malsains, et puis Lyon, où ça marchait assez bien. On faisait le tour des grandes villes pour voir où le marché était preneur. A Bordeaux par exemple, je peux travailler quelques jours mais ensuite je suis connue, j'ai fait le tour des clients. Alors je dois repartir et trouver un autre marché. Quand ça marchait bien, je faisais environ deux clients par jour, c'était comparable à l'Italie, donc je gagnais environ 6 ou 7'000 euros par mois avant dépenses. Et puis je montée à Paris.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Comment est Paris par rapport au reste de la France?</strong><br /><br />Evidemment je gagnais beaucoup mieux. Mais je devais constamment changer d'appartement, c'était un enfer, parce que je voulais payer en liquide mais la compétition était trop forte. Et puis la ville est tellement chère, chaque trajet en taxi coûte 30 euros. En plus je devais faire très attention, ne jamais faire monter quelqu'un mais descendre d'abord voir le client dans la rue, s'assurer que tout est en ordre. D'autre part à Paris tout dépend du quartier. Si je vis dans un quartier riche, j'ai de bons clients, propres et convenables. Mais si je vis dans un quartier pauvre, c'est bien plus risqué. Parce qu'à Paris, contrairement à la France, mes clients venaient du monde entier. A Bordeaux ce n'était que des Français, à Paris beaucoup d'étrangers. Mais le business était très bon, alors je suis restée quatre mois à Paris.</p> <p><strong>Et comment sont les clients français?</strong></p> <p>Les meilleurs! Ils ne pensent pas qu'à eux-mêmes. Ils pensent à la fille. Ils arrivent et te disent: «Tu n'as besoin de rien faire, allonge-toi là, je vais te lécher la chatte, je vais t'embrasser, tu te laisses faire». Ils arrivent avec une bouteille de vin et des fleurs et paient pour une heure mais peuvent partir après vingt minutes s'ils ont terminé. En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.</p> <p><strong>Quatre mois à Paris, c'est long. Tu as eu le temps de voir la ville?</strong></p> <p>Je m'arrangeais avec mon agent, je lui disais que je serais disponible de telle à telle heure, et je prenais mon temps pour me balader et découvrir la ville. Et je n'ai eu aucun problème avec la police, alors même que c'était le confinement et que je n'avais pas les permis pour me déplacer au milieu de la nuit. J'ai eu de la chance et personne ne m'a jamais arrêtée. Et puis j'ai eu assez souvent des clients qui payaient pour la nuit, c'était 1'200 euros. Mais j'étais trop seule, j'étais souvent déprimée. Mon agent me disait que c'était bien pour moi d'être seule, que ça me permettait de me concentrer sur mon travail.</p> <p><strong>Combien as-tu réussi à épargner à Paris? </strong></p> <p>Presque rien, à peu près 1'000 euros. J'étais furieuse. J'avais eu environ 170 clients pendant quatre mois, donc j'avais en tout gagné plus de 40'000 euros en liquide! Et malgré tout, tout mon argent était parti, d'abord dans la commission de 50% de mon agent mais aussi en factures, loyer, taxi, repas, des bêtises. Beaucoup de filles travaillent pour aider leurs familles restées au pays. Quand je travaillais à Paris, je ne savais tout simplement pas quoi faire de ma vie. Je n’ai donc pas économisé, et c’était mon problème. Si j'avais économisé, je serais riche maintenant. Mais j'ai juste tout dépensé, j'ai acheté des trucs et j'ai voyagé et pendant tout ce temps, je pensais, c'est bon, je dois juste travailler encore un peu pour tout récupérer. Parce que ce travail est une drogue. C'est de l'argent facile. En Russie, je gagnais 200 euros par mois. Et avec ce métier, je gagnais 6 ou 7'000 par mois. C'est donc très difficile d'arrêter. Et ça m'a fait comprendre que je devais travailler en indépendante, sans agent.</p> <p><strong>Après la France, quel autre pays as-tu visité?</strong></p> <p>Je suis allée à Vienne, c'était très bien. Les clients étaient souvent étrangers mais en gros très sympas, respectueux. Il y avait beaucoup de clients suisses, qui se comportaient toujours très bien. Et puis j'aimais beaucoup Vienne, j'étais dans un joli hôtel, je travaillais à mon rythme, c'était agréable. J'ai également travaillé à Madrid et Barcelone. A Madrid c'était la mort, aucun client, à Barcelone un petit peu plus. Les Espagnols n'ont pas d'argent je crois. Ils préfèrent les Colombiennes et les Brésiliennes, qui sont vraiment beaucoup moins chères. J'ai malheureusement dû éviter la Suisse parce que je connais pas mal de gens à Zurich et je voulais éviter les rencontres désagréables.</p> <p><strong>As-tu également travaillé en dehors de l'Europe?</strong></p> <p>Uniquement à Dubai. C'était très, très bizarre. J'ai été payée pendant des semaines par deux cheikh différents, environ 300 euros pas jour, pour vivre dans une villa avec une dizaine d'autres filles et sans jamais coucher avec qui que ce soit. On passait nos journées au bord de la piscine, à faire du shopping et à aller au restaurant. J'ai tenté avec une copine de travailler en privé, mais sans aucun succès, et ça m'a beaucoup déplu. C'était dégradant, on se retrouvait derrière des restaurants avec des types qui me disaient que c'était trop cher, ça ne menait à rien.</p> <p><strong>Pourquoi as-tu décidé d'aller à Belgrade?</strong></p> <p>A cette époque, il y a un peu moins de trois ans, j'avais une amie qui était déjà à Belgrade. Elle m'a dit que c'était très bien, alors j'ai essayé. On était trois filles dans un appartement, c'était sympa.</p> <p><strong>Puisque ta profession est illégale, tu es ici avec un visa touristique, comment procèdes-tu?</strong></p> <p>Chaque mois, je dois traverser la frontière, obtenir le tampon et revenir.</p> <p><strong>Tu étais ici avant le début de la guerre en Ukraine. Combien d’escorts y avait-il ici avant la guerre, et combien depuis le début de la guerre? Et combien parmi elles sont des Russes?</strong></p> <p>Avant la guerre, il y avait un peu de concurrence, mais pas trop. Depuis le début de la guerre, il n'y a presque plus d'emplois tellement la concurrence est forte. Et je ne suis pas sûr qu’il reste beaucoup de filles serbes. On peut vérifier (elle sort son téléphone et va sur un site d'escort populaire). Si je sélectionne la Serbie ici, je vois qu'il y a maintenant 1'447 escorts qui opèrent à Belgrade. Mais beaucoup de ces comptes sont inactifs, ou faux, disons environ 50%. Cela laisse donc environ 750 filles, pour la plupart russes. Ce qui est bien trop pour Belgrade, il n'y a pas de marché pour autant d'escorts. Et du coup les prix baissent. Certaines filles sont désormais prêtes à travailler pour 150 euros, et alors toutes les filles se sentent obligées de baisser leurs prix. Et c'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.</p> <p><strong>Je dois te poser cette question, mais à quel point ce travail est-il agréable?</strong></p> <p>Cela dépend. Parfois, j'ai juste besoin d'argent, je dois travailler. Alors je deviens une personne différente. Je ferme mon esprit et je fais ce que je dois faire, d'une façon automatique, même si je ne veux pas le faire. Mais d'autres fois, j'ai vraiment envie de faire l'amour et comme c'est mon métier, ça peut être agréable. Dans ces situations, si l'homme sait s'y prendre je peux jouir, mais s'il est mauvais, alors je ne jouis pas. C'est exactement comme la vie normale.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«C'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Y a-t-il des histoires d'abus, de violence?</strong></p> <p>Bien sûr. Quand j’ai commencé, je ne savais pas à quoi m’attendre. Parfois, un homme me frappait, alors j'appelais l'agence et ils me disaient: «Non, c'est impossible, c'est un bon client, il n'y a jamais eu de plainte le concernant». Vous savez donc que vous ne pouvez pas être protégée. Un jour un Ukrainien m'a appelée dans un restaurant et nous nous sommes retrouvés chez lui. Il m'a payée en dollars. Mais quand je suis rentrée chez moi, j’ai réalisé qu’il s’agissait de fausse monnaie. Chaque fois que quelque chose de vraiment grave arrive, c'est soit un client russe, soit un client ukrainien. Mais une de mes amies, une jolie blonde, a été appelée par un client serbe, qui n'aime pas les blondes. Il l'a appelée et l'a battue jusqu'à ce qu'elle soit réduite en bouillie, elle était couverte de sang. A tel point qu’elle a quitté le pays par la suite. Une autre copine a été trompée par un client qui ne lui a pas dit qu'il était policier, qui lui a pris tout son argent et l'a expulsée de Serbie. Or j'ai appris par la suite que ce flic travaillait en réalité pour une agence concurrente, pour laquelle il nettoyait le marché en se servant grassement au passage.</p> <p><strong>Quel type de service te demande-t-on habituellement de pratiquer?</strong></p> <p>Je ne travaille jamais avec des sextoys ou des uniformes. Parfois, les clients me demandent de me présenter en lingerie ou en talons, mais ce n'est pas vraiment un uniforme. En général, c'est du sexe assez régulier. Je refuse la sodomie, mais beaucoup de filles acceptent avec un supplément. Certains clients demandent à coucher sans préservatif, ce que je refuse également.</p> <p><strong>Comment juges-tu le regard de la société et des médias sur ton métier?</strong></p> <p>Les médias et la société en général ne comprennent pas du tout la différence entre escort et prostituée. Escort, c'est un métier, quand bien même c'est illégal. Je choisis mes clients, je dois savoir m'y prendre techniquement sur le plan sexuel, savoir envisager mes clients sur des tas de fantasmes et de scénarios. Une prostituée ne travaille que sur le court terme, et uniquement pour l'argent. Une escort doit savoir discuter, passer la soirée avec des hommes très différents, de cultures très variées. C'est un métier difficile, qui exige un engagement complet, du corps mais aussi de l'esprit. Oui, c'est vraiment un métier. Le mot le plus adapté, c'est geisha, c'est-à-dire une femme qui doit savoir faire plaisir à un homme, pour de l'argent, en réalisant tout un éventail de tâches complexes et délicates. Et évidemment que la société condamne ce métier. La chose est simple: qui serait d'accord de savoir que sa propre épouse fait ce métier? Les hommes sont obsédés par la pureté des femmes. De savoir que telle ou telle femme a vu des centaines de bites, ça les dégoûte en général. En ce qui me concerne, je reste très discrète, je ne montre jamais ma photo sur les sites Internet, et je sais que cette partie de ma vie restera toujours un secret si je veux trouver un mari ou fonder une famille.</p> <p><strong>Combien de temps penses-tu pouvoir continuer ce métier?</strong></p> <p>Encore quelques mois, le temps pour que je puisse mettre de l'argent de côté. Comme je l'ai dit, avant, je gaspillais tout, maintenant j'essaie de le mettre de côté et d'en faire quelque chose de significatif.</p> <p><strong>Quel est ton rapport à ton travail?</strong></p> <p>Je voudrais ne pas devoir le faire. Je suis souvent déprimée. Quand j'ai des relations sexuelles régulières avec un petit ami, je suis très confuse: est-ce que c'est pour le travail, ou pour le plaisir? Je me sens perdue avec moi-même. Je voudrais aussi ressentir quelque chose, pas seulement parce que je dois le faire pour un homme. Et la plupart des autres filles ressentent la même chose, nous parlons beaucoup ensemble.</p> <p><strong><span>Y a-t-il quelque chose que tu as appris en faisant ce métier?</span></strong></p> <p>Oui, beaucoup de choses. Par exemple, je sais très bien faire l'amour. Cela peut paraître dégradant, mais je suis devenue une professionnelle, je sais comment réaliser la pipe parfaite. Et plus important encore, je connais les hommes maintenant. Je ne suis plus timide avec les hommes, je sais de quoi je peux parler. Je sais à qui je peux accorder ma confiance, ou pas. Cela m'a souvent aidée, je vois tout de suite qui est la personne, de quoi on doit parler, comment les choses vont se passer. D’une certaine manière, on peut dire que j’ai plus de pouvoir maintenant.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'conversation-avec-une-femme-invisible', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 117, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4867, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'La guerre, ce véritable objet de notre désir', 'subtitle' => 'Diffusée par Netflix depuis mars, la première saison du "Problème à trois corps" a pris le monde d'assaut. Sur la base d'un roman écrit par un auteur chinois à succès, cette fable apocalyptique nous raconte énormément de choses sur nous et notre société.', 'subtitle_edition' => 'Diffusée par Netflix depuis mars, la première saison du "Problème à trois corps" a pris le monde d'assaut. Sur la base d'un roman écrit par un auteur chinois à succès, cette fable apocalyptique nous raconte énormément de choses sur nous et notre société.', 'content' => '<p>Le philosophe slovène Slavoj Zizek étaye souvent ses théories sociales et politiques de blagues, mais surtout d'exemples de la culture de masse et populaire. En illustrant son propos avec des séries télévisées ou la politique marketing de Starbucks, il nous permet de distinguer le discours, ou disons la petite musique de fond de notre époque, avec bien plus d'acuité que toutes les œuvres dites de haute culture. Ainsi la série Netflix <em>Le</em> <em>Problème à trois corps </em>offre un résumé saisissant des passions qui nous agitent depuis quelques années. On pourrait presque y voir un évangile tant son scénario est lisible comme un résumé de toutes nos craintes, de nos désirs et de nos croyances.</p> <p>Cette <a href="https://www.netflix.com/title/81024821" target="_blank" rel="noopener">série</a> en neuf épisodes, pour lequel nous attendons la seconde saison, est un morceau de bravoure télévisuelle incontestable. On s'amuse bien en la regardant, la production est léchée, les acteurs sont crédibles et les dialogues sont prenants. Lorsque l'on sait que l'auteur des livres qui ont inspiré cette série est chinois, on est également prié de comprendre que la domination absolue de l'Amérique sur la culture de masse ne sera bientôt plus qu'un lointain d'un souvenir. Ce que "Squid Game", la série coréenne, nous avait déjà permis d'entrevoir.</p> <p>La science-fiction permet à un auteur de projeter dans une œuvre sa vision de la société et de son avenir. L'éclosion de ce genre a eu lieu sous l'effet combiné de notre soudaine connaissance de l'histoire à partir du XIXe siècle, puis des idéologies et des massacres de masse du XXe siècle, qui nous ont fait perdre notre innocence. Dans un monde devenu dangereux et mouvant, l'artiste avait soudain reçu le commandement d'imaginer l'issue de ce chaos.</p> <p>Après les débuts fabuleux et enfantins de Jules Verne, les boucheries de Verdun puis du Troisième Reich ont définitivement assombri le genre vers les dystopies orwelliennes, mais aussi celles de Huxley, de Clarke, de Bradbury en passant par Philippe K. Dick, jusqu'à Liu Cixin, auteur du <em>Problème à trois corps</em>. Comme si l'optimisme était considéré comme un péché mortel, la totalité de ces auteurs, dont certains sont des géants de la littérature mondiale, ont en commun de nous imaginer un avenir épouvantable, où l'univers concentrationnaire allemand est utilisé comme mètre-étalon de ce que le cerveau humain peut engendrer à son nadir. Le <em>Problème à trois corps</em> n'échappe pas à cette règle.</p> <p>On pourrait s'arrêter sur trois éléments centraux du <em>Problème à trois corps</em>, réunis sous un dénominateur commun. Le premier élément, c'est la nature même de l'ennemi. Le second élément, ce sont ceux parmi les êtres humains dont on attend la solution. Et le troisième élément, c'est le genre de monde dans lequel on nous promet la victoire sur l'Ennemi. Le dénominateur commun, celui qui résume et englobe tous les autres, c'est ce désir de guerre, central dans un nombre incalculable de productions culturelles de masse depuis des années déjà.<br /><br />Le premier élément, l'Ennemi, est un miroir parfait des craintes combinées de nos sociétés depuis quelques années. Dans la série, l'Ennemi est une espèce intelligente, lointaine, dont il semble possible qu'elle soit animée des pires intentions concernant la race humaine. Condamnée à des cataclysmes sans fin dans son système planétaire à trois corps, origine du titre, cette espèce a pour projet de conquérir la terre et d'en déloger l'humanité. Les intentions exactes de cette espèce restent floues, mais potentiellement néfastes. Ce qui correspond exactement aux ennemis que nos sociétés affrontent ou croient devoir affronter depuis plusieurs années. Nous ne craignons plus l'invasion de l'Allemagne ou une armée régulière quelconque. Nous craignons désormais le changement climatique ou les pandémies. Comme dans le <em>Problème à trois corps</em>, ces ennemis menacent l'humanité dans son ensemble, n'ont pas de nom ou de visage et semblent invincibles.</p> <p>Le second élément concerne ceux parmi les humains dont on doit attendre une solution contre l'Ennemi. La série concentre son récit sur un aréopage de jeunes scientifiques, surdoués et nécessairement multiethniques. Torturés par des dilemmes éthiques de façade, ceux-ci vont néanmoins diligemment offrir leurs compétences à un pouvoir qui n'est plus politique, mais financier, sorte de démiurge à la Elon Musk qui prend des décisions discrétionnaires pour la planète entière. La pandémie de COVID nous l'avait déjà appris, comme le discours climatique. Ce ne sont plus de nos jours les papes, les princes et les généraux dont on doit attendre la parole et l'ordre, mais les scientifiques. « <em>Il faut croire les docteurs !</em> » s'époumonait une cliente âgée d'un restaurant lémanique la semaine dernière. Durant toute la pandémie de COVID, cette antienne nous a été répétée sur tous les plateaux de télévision et dans tous les journaux : il faut croire en la science. Sans jamais relever que cette injonction est en soi contradictoire, puisque la science n'est pas affaire de foi. 2 + 2 font 4, qu'on y croie ou non.</p> <p>Le troisième élément, déjà visible dans le second, c'est le monde dans lequel on nous annonce que se trouve la victoire contre l'Ennemi. Il serait facile de pointer le fait que l'auteur du livre est chinois, que cela explique pourquoi le problème à trois corps est traversé par un tel dédain de la démocratie. Mais il est également probable que ce mépris pour l'organisation politique traditionnelle soit le fruit même des craintes qui nous hantent. Que ce soit le démiurge aux poches sans fond qui finance les jeunes scientifiques, ou la décision des Nations Unies de confier le sort de l'humanité à trois personnes, sans aucun droit de regard, tout cela illustre notre désarroi face à des instances politiques qui se perdent en des débats interminables qui accouchent de souris.</p> <p>La guerre qui oppose l'Occident à la Russie en Ukraine fait apparaître que le pouvoir direct d'un seul, même plus faible et plus petit, offre des avantages considérables lorsque l'on est soi-même soumis à des contrôles et des élections interminables. « <em>Je veux que vous paniquiez</em> », criait d'une voix étouffée Greta Thunberg. La panique est incompatible avec la démocratie, avec la discussion et le consensus. Elle exige une action immédiate et irréfléchie. Et pourtant, alors même que cette série se veut une sorte de miroir du début de la Seconde Guerre mondiale, elle ignore complètement que, précisément, c'est la solidité du système démocratique anglo-saxon qui a permis la victoire sur l'Allemagne dictatoriale.</p> <p>Enfin, parlons du dénominateur commun. Que ce soit dans le <em>Problème à trois corps</em> ou dans les myriades de séries et de films que Netflix nous propose depuis des années au sujet de la Seconde Guerre mondiale, que ce soit dans l'hystérie collective délirante au sujet de la Russie en Ukraine, que ce soit dans les décisions martiales et apocalyptiques prises au début de la pandémie, il est difficile d'échapper à l'omniprésence de ce désir de guerre, du moins en Occident.</p> <p>La guerre, que l'on assimile inconsciemment toujours à la Seconde Guerre mondiale, mais jamais à la Première, ou à celle de Crimée ou d'Irak, représente ce moment d'union absolue contre le mal absolu, cet instant magique où sont suspendus les divisions et les doutes abyssaux d'une société en perte de sens et de motivation. Enfin, chacun peut se sacrifier pour la collectivité, trouver un sens à sa vie, échapper à l'anémie de la société de consommation, aux exigences de bonheur des médias sociaux, et se jeter dans la fournaise du combat des Justes contre la Bête immonde. Voilà ce qui me passait par la tête, avachi dans mon fauteuil, sirotant mon gin tonic et passant impatiemment d'un épisode à l'autre pour savoir comment se terminerait la première saison.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'la-guerre-ce-veritable-objet-de-notre-desir', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 46, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4847, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Anatomie d'une mauvaise chute', 'subtitle' => 'Le dernier film de Justine Triet, qui vient de recevoir les hommages extatiques de l'officialité cinématographique, est aussi un monument d'idéologie à la gloire des femmes et à la charge des hommes. Si l'on cherchait un évangile pour ce nouveau féminisme de confrontation perpétuelle entre les sexes, «Anatomie d'une chute» remplit tous les critères. (Attention spoiler!)', 'subtitle_edition' => 'Le dernier film de Justine Triet, qui vient de recevoir les hommages extatiques de l'officialité cinématographique, est aussi un monument d'idéologie à la gloire des femmes et à la charge des hommes. Si l'on cherchait un évangile pour ce nouveau féminisme de confrontation perpétuelle entre les sexes, «Anatomie d'une chute» remplit tous les critères. (Attention spoiler!)', 'content' => '<p>Disparu il y a deux ans, le prix Nobel de physique Steven Weinberg est surtout connu du grand public pour cet aphorisme: «Il y aura toujours des gens bien qui font de bonnes choses, et des mauvaises gens qui font de mauvaises choses. Mais pour que des gens bien agissent mal, il faut la religion». Que l'on soit chrétien ou athée, cette phrase conserve toute sa pertinence si l'on remplace le mot religion par idéologie. Et l'idéologie est le personnage principal d'<em>Anatomie d'une chute</em>. L'histoire se résume une seule phrase: Un homme meurt, comment est-il mort? C'est le genre classique du «<em>whodunnit</em>» américain, contraction de «<em>who's done it</em>», ou qui l'a fait. Et comme dans tous les <em>whodunnit</em>, le spectateur est délibérément entraîné sur de fausses pistes les unes après les autres. Agatha Christie était maître du genre et parvenait à maintenir le mystère complet jusqu'à la révélation du coupable par l'inébranlable et moustachu Hercule Poirot. Ce <em>whodunnit</em> échappe hélas à cette règle tant son dénouement est prévisible.</p> <p>Dans un chalet isolé de haute montagne, non loin de Grenoble, un couple vit avec un enfant d'une dizaine d'années et presque aveugle. Au retour d'une promenade avec son chien, l'enfant découvre le corps de son père, une plaie sanglante à la tête, allongé devant le chalet, mort. Cette plaie ouverte au crâne donne lieu à une enquête de police, puis à une mise en examen de l'épouse. Au terme d'un procès hautement émotionnel, l'épouse est acquittée et la thèse du suicide s'impose. </p> <p>Le film est construit en deux parties, la première servant d'alibi à la seconde. La première partie pourrait s'appeler «apparence conventionnelle de la femme en tant qu'épouse et mère». La seconde partie pourrait s'appeler «découverte de l'inhérente perversité de l'homme à tous points de vue». Ainsi, dans la première partie, la réalisatrice Justine Triet s'attarde sur la maladresse et l'apparente froideur de l'épouse, une écrivaine allemande exilée en France, pour nous amener à douter de son innocence de façade. Nous ne voyons même pas le mari, nous ne faisons qu'entendre la musique qu'il fait jouer beaucoup trop fort dans son grenier, afin de rendre impossible un entretien que sa femme donne à une jeune étudiante. Toute la personnalité du mari est contenue dans cette scène. Il est volontairement absent, manipulateur et passif-agressif. A mesure qu'avance l'enquête, l'épouse multiplie les maladresses à sa propre décharge. Nous ne savons encore rien du mari, sinon qu'il traîne un lourd sentiment de culpabilité envers son fils, rendu aveugle à la suite d'un accident dont il se sent responsable.</p> <p>Lors du procès nous découvrons comment fonctionne le couple. Il ressort que l'épouse est une écrivaine à succès. Tandis que le mari, lui-même aspirant écrivain, ne parvient pas à écrire quoi que ce soit. Il est donc rongé à parts égales de frustration et de jalousie envers sa femme. A cela s'ajoute la jalousie sexuelle qu'il éprouve pour elle qui, bisexuelle, l'a trompé avec une autre femme. Pourtant, avant même que ce procès commence, il est manifeste que les preuves matérielles d'un éventuel assassinat sont plus que ténues – quelques gouttes de sang – mais surtout que les motifs de l'épouse pour tuer son mari sont inexistants. Si l'un des deux se nourrit de haines et de jalousie, c'est lui, pas elle.</p> <p>Alors que le procès touche à sa fin, nous découvrons – enfin! – qui est cet homme. Ainsi celui-ci provoque et enregistre des querelles violentes avec sa femme, qu'il retranscrit ensuite pour les envoyer à un éditeur. Autrement dit, un esprit profondément tordu et retors, atrocement jaloux de sa propre épouse et recourant à des méthodes scélérates pour tenter de lui damner le pion. Enfin intervient le Deus Ex Machina, le fils aveugle. Protégeant sa mère de son innocence et de sa clairvoyance Saint-Exupérienne («l'essentiel est invisible pour les yeux»), il déclare à la Cour que du suicide de son père ou de l'assassinat par sa mère, seul le suicide est crédible. En sortant du tribunal, tout le monde jubile, la femme est innocente, le mari suicidé n'était qu'un salaud et le fils est un génie juridique qui a sauvé sa mère d'un père indigne.</p> <p>Revenons à Weinberg et à son «pour que des gens bien agissent mal, il faut la religion». A travers 2h31 de film, Justine Triet nous propose des personnages féminins uniformément vertueux et des personnages masculins uniformément mauvais, ou douteux. Même l'avocat, qui a pourtant fait preuve de courage et d'ingéniosité, se livre à deux reprises à des approches sexuelles envers sa cliente. Il est lui-même secondé d'une consœur qui, elle, n'a rien à se reprocher. Le procureur est d'une cruauté sarcastique insoutenable. La présidente du tribunal est juste et sage. La mère est maladroite, ce qui est toujours retenu contre elle, mais c'est une femme forte qui a du succès. Comme épilogue, le spectateur est convié à se réjouir de la mort tragique d'un homme malheureux. Il est mort mais c'est sa femme qui est la vraie victime. Il s'est suicidé, tant mieux. </p> <p>Emmanuel Todd a publié en 2022 un essai sur le féminisme actuel intitulé <em>Où en sont-elles?</em>. Il y détaille un mouvement non plus fondé, comme ses incarnation précédentes, sur un désir de progrès collectif, mais sur une volonté de confrontation perpétuelle entre les sexes. <em>Anatomie d'une chute</em> se situe exactement dans cette idéologie. La réalisatrice inverse les moralités les plus évidentes et fait d'une tragédie une victoire. Elle nous explique que si le mari s'est suicidé, c'était forcément d'abord pour nuire à sa femme et à son succès qu'il ne supportait plus. La compassion pour le geste extrême de cet homme n’est jamais envisagée, il n’a eu que ce qu’il méritait. Même le fils aveugle est parvenu à déceler les intentions maléfiques de son père pour pouvoir sauver sa mère.</p> <p>La production actuelle cinématographique va très souvent puiser à cette idéologie: <em>Poor Things</em>, <em>Barbie</em>, les dernières grandes productions sont toutes frappées de ce sceau. Que cela participe d'un sexisme plus extrême encore que le machisme déprimant des films français d'après-guerre (<em>Les Valseuses</em>, <em>Les Tontons Flingueurs</em>) semble ne choquer personne. Ce nouveau sexisme est grave. Il est évangélique dans son désir de nous y soumettre tous et toutes. Ce sexisme, qu'<em>Anatomie d'une chute</em> incarne si parfaitement, est absolu dans sa conviction que le principe féminin est par nature vertueux, et que le principe masculin est par nature vicié et ne peut trouver de rédemption qu'à travers le principe féminin.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'anatomie-d-une-mauvaise-chute', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 54, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4811, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Pour l'Europe, le passé a de l'avenir', 'subtitle' => 'Ayant exporté ses usines, sa pollution et ses ouvriers aux quatre coins de la planète, l'Europe est devenue le décor scénarisé d'un tourisme global. Elle peut imaginer en tirer désormais une rente confortable. Ce que n'avaient probablement pas imaginé les bâtisseurs de nos cathédrales et palais.', 'subtitle_edition' => 'Ayant exporté ses usines, sa pollution et ses ouvriers aux quatre coins de la planète, l'Europe est devenue le décor scénarisé d'un tourisme global. Elle peut imaginer en tirer désormais une rente confortable. Ce que n'avaient probablement pas imaginé les bâtisseurs de nos cathédrales et palais.', 'content' => '<p>C'est par un soir brumeux, illuminé par des alignements de lampadaires étouffés, que nous avons pénétré, mon fils et moi, dans Kødbyen, à l'est du quartier de Vesterbro. Le brouillard, à Copenhague, n'est pas une vaporeuse guirlande de Noël, c'est un tunnel d'octobre en avril. Parti de Stockholm le matin même, pendant cinq heures et sur plus de 500 kilomètres, le train avait longé des toundras détrempées, des milliers de lacs, des forêts d'avant l'apparition d'<em>homo sapiens</em> et des petites maisons couleur vanille, pistache ou framboise.</p> <p>Notre hôtel se trouvait au cœur du quartier le plus excitant de la capitale danoise. Retranché du centre historique par une gare centrale héritière d'un temps où le transport en commun était grandiose, Kødbyen, les anciens abattoirs, n'est que la version danoise d'une réalité désormais ubiquitaire: les zones industrielles et les docks rhabillés en centres gastronomiques et culturels. Là où des hommes souffraient pour gagner une misère avant de s'en aller sans bruit vers une mort hâtive, on boit et on s'amuse aujourd'hui. Dans ce bar à cocktails baigné d'une lumière rosâtre, le sol de pavés éraflés par les machine-outils et les murs de briques constellés de trous de vis racontent une autre histoire: les tâches monotones et dures, les ordres glapis, les pauses furtives, le vacarme incessant. Dans toutes les villes du monde occidental, surtout les centres portuaires, ces quartiers exhibent les mêmes hangars de briques et de béton aux mêmes fenêtres quadrillées, aux mêmes luminaires zingués. Et la même foule vespérale, vêtue de cuir, de laine et de jean, maigre, tatouée, piercée.</p> <p>Post-industriel est le nom que l'on donne à ces hangars et ces docks et à leur esthétique. C'était industriel, l'usage premier était productif, et ne l'est plus. Ces lieux ne sont plus fréquentés de jour, mais de nuit. Et la grande majorité de ceux qu'on y rencontre n'y produisent rien. Ils y dépensent leur argent. Comme moi d'ailleurs, et sans bouder mon plaisir.</p> <p>Tous les jours, comme tous les touristes besogneux, je me rendais dans le centre historique de Copenhague pour y écumer les musées, les restaurants et les lieux célèbres comme le Nyhaven ou le château de Rosenborg. En descendant Købmagergade, la grande rue commerçante, on passe devant les enseignes que l'on croise désormais dans le monde entier, des marques américaines et européennes, géants du luxe ou du vêtement de masse qui souvent se confondent. Et le soir je rentrais dans Kødbyen pour manger et dormir.</p> <p>Voilà ce que l'on fait lorsqu'on visite une grande ville. Avant Copenhague, nous avions passé quelques jours à Stockholm où nous avons fait exactement la même chose, avec autant de plaisir. Nous avons visité, admiré, acheté, mangé, bu et dormi. Et puis marché, plus de 14'000 pas par jour, tous les jours. Dans toutes ces villes, surtout les villes d'Europe, on visite les mêmes centres historiques léchés, les mêmes musées remplis jusqu'aux cimaises de peintres français, les mêmes châteaux, les mêmes rues commerçantes et les mêmes restaurants impeccables. Et les mêmes halles post-industrielles garnies de bars à cocktails et de galeries.</p> <p>Car tout est post, en réalité. Le centre historique est post-féodal, ou post-pauvre. Une seule chose est certaine, il n'est plus ce qu'il fut et n'a plus les mêmes fonctions. Ce que l'on en voit n'est plus qu'une façade, ce qui est sa raison d'être, elle n'existe que pour paraître. Dans les magasins de fripes fabriquées au Vietnam, les solives au plafond sont décorées de gentils dragons du XXème siècle. Dans un bar à burgers, on passe les plats par une élégante fenêtre à meneaux d'où pendent des néons bleu électrique. Les zones post-industrielles ne sont que les dernières, dans le temps, à avoir été muséifiées. Elles sont les seules à être officiellement post-quelque chose, mais elles trahissent la réalité économique et sociale de toute une ville, ou peut-être même, de notre continent, tout entier post-productif.</p> <p>Mais pourquoi regretter le temps où des hommes presque illettrés travaillaient 80 heures par semaine à se rompre les os, laissant derrière eux des épouses débordées de tâches éreintantes, les deux mourant à moins de 60 ans. Plutôt que de croupir dans les cachots de la Conciergerie, ou du Château de Chillon, ou Palais ducal de Mantoue, il est plus agréable de les visiter avant de déguster le plat du jour dans une jolie brasserie de la place. Les tourments et les souffrances de nos lointains devanciers ne feront qu'augmenter notre satisfaction de pouvoir apprécier un si bon déjeuner sans contrainte ni douleur. Et c'est tout, absolument tout, ce que nous en retirerons: une <em>expérience</em>, comme on dit désormais. Ces décors du passé n'existent plus que pour notre plaisir, presque pour nous désennuyer. Qui s'inquiète vraiment de savoir ce qui se passait dans le château de Rosenborg de Copenhague, dans les Invalides ou dans la Ca' d'Oro de Venise. On passe devant, on s'extasie, on prend une ou deux photos et on continue.</p> <p>Ces lieux ne sont plus productifs. Tout au moins ne remplissent-ils plus leurs fonctions premières. Le tourisme est pourtant une industrie. Celle-ci compte pour presque 10% du PIB de l'UE. Cela va de la Croatie, qui doit un quart de son économie (en réalité pas loin de la moitié si l'on prend en compte les acteurs indirects) au tourisme, tandis que l'Irlande ne lui doit que 3%. On estime qu'un emploi sur onze dans le monde est aujourd'hui lié au tourisme. Et l'Europe, avec son histoire, sa géographie et son infinie richesse architecturale et artistique, peut se réjouir d'un avenir brillant de ce point de vue. Les projections sont d'ailleurs exponentielles. En 2010, 500 millions de personnes étaient venues admirer notre continent. On compte que l'an prochain, leur nombre sera de 750 millions. L'Europe, qui a inventé les musées, est en train d'appliquer le concept à sa totalité. Petit à petit, elle devient le parc à thème et le restaurant du reste du monde, qui vient y admirer la maison-mère de la modernité et de la mondialisation. On peut le regretter ou s'en réjouir, aujourd'hui. L'avenir seul nous dira si cette transition, qui semble inéluctable et ne l'est pourtant pas, était heureuse ou malheureuse.</p> <p>Ainsi l'Europe se repose désormais, et se fait admirer derrière une paroi de verre. Elle a sué sang et eau, porté le fer aux quatre coins du globe pour les raisons les plus fantaisistes. Elle a cru à sa propre universalité et inventé l'alphabétisation et le moteur à explosion. Puis elle s'est consciencieusement suicidée dans un déluge d'acier et de feu de 1914 à 1945. Ce qui ne signifie pas qu'elle est devenue improductive. Aujourd'hui elle produit majoritairement des <em>services aux individus</em>: comptables, avocats, banquiers, tatoueurs, psychologues et coachs, coiffeurs, gestionnaires et médiateurs. Ce n'est pas sans intérêt ni noblesse. Après des siècles de guerres en continu, on devrait presque parler de soins post-traumatiques collectifs. Mais elle doit compter sur les autres pour les voitures, les bateaux, les téléphones et les cardigans 50% cachemire. Là où tous ces biens sont produits, avec des Codes du travail élastiques et des taux de pollution robustes, on ne s'embarrasse pas vraiment de ces questions. On s'intéresse à l'avenir. Les Européens, eux, s'occupent du passé. Leur richesse repose désormais sur les zones post-industrielles, les centres historiques post-aristocratiques, les palais post-coloniaux, les geôles post-arbitraires et les cathédrales post-chrétiennes.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'pour-l-europe-le-passe-a-de-l-avenir', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 337, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4768, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Sava Shoumanovitch, la vertu de l'obsession', 'subtitle' => 'Cela fait plus de vingt ans maintenant que le nom de Sava Shoumanovitch (1896-1942) m'est connu. Je vois ses tableaux aux cimaises de tous les musées de Serbie. Et aucun autre peintre serbe ne m'a jamais moins ému que Shoumanovitch. Ses nus rose crustacé, ses paysages aplatis et sa débauche de matière appliquée à la truelle m'abattaient. Je me disais que les Serbes, qui trop souvent confondent malheur et grandeur, avaient peut-être moins de considération pour ses toiles que pour son martyr en 1942, aux mains des Oustachis croates. J'entretenais donc un mépris bruyant pour Sava. Il représentait pour moi l'exemple même de la gloire locale, mélange de sous-Matisse de province et d'Utrillo du dimanche. ', 'subtitle_edition' => 'Cela fait plus de vingt ans maintenant que le nom de Sava Shoumanovitch (1896-1942) m'est connu. Je vois ses tableaux aux cimaises de tous les musées de Serbie. Et aucun autre peintre serbe ne m'a jamais moins ému que Shoumanovitch. Ses nus rose crustacé, ses paysages aplatis et sa débauche de matière appliquée à la truelle m'abattaient. Je me disais que les Serbes, qui trop souvent confondent malheur et grandeur, avaient peut-être moins de considération pour ses toiles que pour son martyr en 1942, aux mains des Oustachis croates.', 'content' => '<p>C'est dans cet état d'esprit, du haut de mes visites annuelles au Rijksmuseum ou au MoMA, que j'ai fait résonner mes pas dans les salles vides du musée Shoumanovitch de Shid, à 100 kilomètres à l'ouest de Belgrade. Dans ce qui fut l'Autriche-Hongrie, Shid n'a pas grand chose d'autre que Shoumanovitch pour se distinguer des autres villes du Srem, ce sandwich de forêts et de champs entre le Danube et la Save. Installé dans une ancienne maison villageoise, doublée sur sa façade arrière par une longue aile d'exposition, le musée est bien conçu et plaisant à visiter.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521819_lextrieurdumuse.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>L'extérieur du musée. © D.L.</em></h4> <p>Assassiné avec 150 autres hommes de Shid à 46 ans, Shoumanovitch est un artiste très connu en Serbie, mais l'homme reste secret. Fils de bonne famille, il a vécu un temps à Paris où il a fréquenté les artistes de Montparnasse (il a décoré un des piliers du restaurant la Coupole). Sa réputation était celle d'un bourreau de travail plutôt solitaire, sans vices connus, sans excès, sorte de fonctionnaire tempérant de la peinture. Il est mort sans bruit, abattu un matin d'août 42 parce qu'il était serbe, laissant derrière lui un frénétique empilement de 800 toiles et 400 dessins, dont le musée conserve plus de la moitié.</p> <p>On y découvre, dans les premières salles, des dizaines de versions d'un même paysage à travers toutes les saisons et toutes les heures du jour. Or ce paysage, aussi féconde que soit l'imagination, est d'une abrutissante monotonie. C'est le Srem, sans surprise et sans éclat, des champs, des rues, des arbres et des petites maisons à pignons. Et rien, si ce n'est la mort violente de l'artiste, n'a jamais perturbé ces paysages qui semblent abandonnés de toute éternité. Mais quelque chose s'est passé alors que mon regard glissait de plus en plus intrigué d'un paysage désert à un autre paysage désert. C'est précisément cette lancinante répétition qui m'en découvrait le secret intérêt, non pas en tant que représentation du réel, mais comme objet d'une obsession lentement contagieuse. On est saisi du même sursaut en découvrant les dizaines de toiles de Giorgio Morandi, représentant les mêmes petites bouteilles sur la même petite table. Ces bouteilles ne sont rien. Mais en les alignant, jour après jour, des décennies durant, devant le même mur pour en faire le portrait, Morandi a créé, non pas plusieurs toiles, mais un ensemble kaléidoscopique. Bout à bout, les toiles de Morandi, comme celles de Shoumanovitch, produisent ainsi dans l'œil puis sur l'âme un effet à la fois dément et méditatif, furieux et suprêmement apaisé. C'est le pouvoir de l'obsession, à laquelle l'artiste ose se rendre sans résister. En sans nous faire partager sa souffrance, il ne nous en restitue que la sublimation, comme un alambic transforme la pourriture en liquide clair et parfumé.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521862_paysagedhiver1935.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Paysage d'hiver 1935. © D.L.</em></h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521904_paysage1934.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Paysage, 1934. © D.L.</em></h4> <p>En entendant mes pas faire grincer le parquet de la longue pièce principale, la gardienne s'est précipitée pour en allumer les lumières. C'est là, seul dans ce musée désert, que j'ai découvert l'invraisemblable série de nus que Shoumanovitch a réalisée au tournant des années 20 et 30, les Baigneuses de Shid. Le long d'un mur d'une quinzaine de mètres, cadre contre cadre, ces formats grandeur nature mettent en scène une seule et unique femme, parfois nue et parfois en maillot de bain, assise, debout ou couchée. Cette même femme aux cheveux blonds permanentés est ainsi représentée en 61 exemplaires, plusieurs par toile, sur treize toiles de même hauteur. Elle était la seule habitante de Shid à avoir accepté de poser pour le peintre dans le plus simple appareil. Sava n'avait pas cherché plus loin, décidé à reproduire ce long corps autant de fois qu'il le faudrait sans qu'on saisisse jamais la raison de cette fantastique absurdité. Le résultat est ce mur de nus, l'un des plus hypnotiques que l'on puisse admirer, digne de Morandi, digne de Vallotton ou de Vuillard. C'est dans cette salle que j'ai compris que je n'avais jamais compris Shoumanovitch. Qu'il était l'un des peintres les plus excitants et les plus originaux, non pas de Serbie, mais de l'Europe du XXème siècle.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521945_lagaleriedesnusdumusedeshid.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>La galerie des nus du musée de Shid. © D.L.</em></h4> <p>Le Rijksmuseum et le MoMA renferment des trésors indiscutables. Mais ce sont des trésors évidents, filtrés par le temps, désignés comme tels par des armées de critiques et des millions d'adorateurs anonymes. Le petit musée Shoumanovitch de Shid, en Serbie occidentale, dans ce Rivage des Syrtes, malgré sa taille, malgré son inexistence au-delà des frontières, malgré son absence de visiteurs, offre pourtant un trésor à l'égal de ces géants. Le force d'attraction du centre sur la périphérie n'est pas une illusion et l'on peut vivre toute une vie en se satisfaisant de l'idée que seuls les grands musées du monde occidental offrent la somme de tout ce qui doit être admiré. On risque alors de ne jamais être transformé par la patiente obsession d'un homme seul à la frontière de nulle part, les yeux crevés par une femme inconnue et des champs aplatis.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'sava-shoumanovitch-la-vertu-de-l-obsession', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 49, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 10606, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Capture d’écran 2023-10-14 à 09.14.43.png', 'type' => 'image', 'subtype' => 'png', 'size' => (int) 1040857, 'md5' => '893e70665c066e8abc3617de10a13307', 'width' => (int) 1280, 'height' => (int) 817, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Publicité pour des services d'escort-girls. Nadia, qui s'exprime dans cet entretien, ne figure pas sur cet échantillon.', 'author' => '', 'copyright' => '© DR', 'path' => '1697467505_capturedcran2023101409.14.43.png', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 6520, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => '22 ans quel bel âge tout est possible encore, difficile de revenir dans la vraie vie ou les salaires sont nettement inférieurs et déclarés. Bon courage ! De la à se comparer à une geisha……sourire… « Oui, c'est vraiment un métier. Le mot le plus adapté, c'est geisha, c'est-à-dire une femme qui doit savoir faire plaisir à un homme, pour de l'argent, en réalisant tout un éventail de tâches complexes et délicates »', 'post_id' => (int) 4537, 'user_id' => (int) 13096, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' } ] $author = 'David Laufer' $description = 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.' $title = 'Conversation avec une femme invisible' $crawler = true $connected = null $menu_blocks = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Block) { 'id' => (int) 56, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'active' => true, 'name' => '#Trends', 'subtitle' => null, 'description' => null, 'color' => null, 'order' => null, 'position' => null, 'type' => 'menu', 'slug' => 'menu_tags', 'extern_url' => null, 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'posts' => [[maximum depth reached]], '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Blocks' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Block) { 'id' => (int) 55, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'active' => true, 'name' => 'Les plus lus cette semaine', 'subtitle' => null, 'description' => null, 'color' => null, 'order' => null, 'position' => null, 'type' => 'menu', 'slug' => 'menu_highlight', 'extern_url' => null, 'tags' => [[maximum depth reached]], 'posts' => [ [maximum depth reached] ], '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Blocks' } ] $menu = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 2, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'A vif', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 4, 'description' => 'Lorsque nos auteurs ont envie de réagir sur le vif à un événement, des concerts aux disparitions célèbres, ils confient leurs écrits à la rubrique "A vif", afin que ceux-ci soient publiés dans l’instant.', 'slug' => 'a-vif', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 3, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Chronique', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 5, 'description' => '<p>La réputation des chroniqueurs de Bon pour la tête n’est plus à faire: Tout va bien, Le billet du Vaurien, la chronique de JLK, ou encore Migraine et In#actuel, il y en a pour tous les goûts!</p>', 'slug' => 'chroniques', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 4, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Lu ailleurs', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 5, 'description' => 'Pourquoi ne pas mettre en avant nos collègues lorsque l'on est sensibles à leur travail? Dans la rubrique « Lu ailleurs » vous trouverez des reprises choisies par la rédaction et remaniées façon BPLT.', 'slug' => 'ailleurs', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 5, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Actuel', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 1, 'description' => 'Bon pour la tête n’a pas vocation à être un site d’actualité à proprement parler, car son équipe prend le temps et le recul nécessaire pour réagir à l’information.', 'slug' => 'actuel', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 6, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Culture', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 3, 'description' => '', 'slug' => 'culture', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 5 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 7, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Vos lettres', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 6, 'description' => 'Bon pour la tête donne la parole à ses lecteurs, qu’ils aient envie de partager leur avis, pousser un coup de gueule ou contribuer à la palette diversifiée d’articles publiés. A vous de jouer!', 'slug' => 'vos-lettres-a-bon-pour-la-tete', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 6 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 8, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Analyse', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 3, 'description' => '', 'slug' => 'analyse', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 7 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 10, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Science', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'sciences', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 1, 'rght' => (int) 2, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 8 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 11, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Histoire', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'histoire', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 3, 'rght' => (int) 4, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 9 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 12, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Humour', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'humour', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 5, 'rght' => (int) 6, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 10 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 13, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Débat', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'debat', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 7, 'rght' => (int) 8, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 11 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 14, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Opinion', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'opinion', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 9, 'rght' => (int) 10, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 12 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 15, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Reportage', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'reportage', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 11, 'rght' => (int) 12, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' } ] $tag = object(App\Model\Entity\Tag) { 'id' => (int) 896, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'prostitution', 'slug' => 'prostitution', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Tags' } $edition = object(App\Model\Entity\Edition) { 'id' => (int) 136, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'num' => (int) 135, 'active' => true, 'title' => 'Edition 135', 'header' => null, '_joinData' => object(App\Model\Entity\EditionsPost) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Editions' }include - APP/Template/Posts/view.ctp, line 123 Cake\View\View::_evaluate() - CORE/src/View/View.php, line 1435 Cake\View\View::_render() - CORE/src/View/View.php, line 1393 Cake\View\View::render() - CORE/src/View/View.php, line 892 Cake\Controller\Controller::render() - CORE/src/Controller/Controller.php, line 791 Cake\Http\ActionDispatcher::_invoke() - CORE/src/Http/ActionDispatcher.php, line 126 Cake\Http\ActionDispatcher::dispatch() - CORE/src/Http/ActionDispatcher.php, line 94 Cake\Http\BaseApplication::__invoke() - CORE/src/Http/BaseApplication.php, line 256 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 App\Middleware\IpMatchMiddleware::__invoke() - APP/Middleware/IpMatchMiddleware.php, line 28 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 Cake\Routing\Middleware\RoutingMiddleware::__invoke() - CORE/src/Routing/Middleware/RoutingMiddleware.php, line 164 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 Cors\Routing\Middleware\CorsMiddleware::__invoke() - ROOT/vendor/ozee31/cakephp-cors/src/Routing/Middleware/CorsMiddleware.php, line 32 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 Cake\Routing\Middleware\AssetMiddleware::__invoke() - CORE/src/Routing/Middleware/AssetMiddleware.php, line 88 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65
Warning: file_put_contents(/data01/sites/bonpourlatete.com/dev/bonpourlatete.com/logs/debug.log) [function.file-put-contents]: failed to open stream: Permission denied in /data01/sites/bonpourlatete.com/dev/bonpourlatete.com/vendor/cakephp/cakephp/src/Log/Engine/FileLog.php on line 133
Nous savons tous que Nadia existe. Nous choisissons simplement de l’ignorer, elle et ses collègues, ainsi que les raisons pour lesquelles ces travailleuses du sexe sont à la fois vilipendées et utiles. Nadia n'est que l'une des milliers d'escorts russes qui vivent et travaillent en Europe. Parce que la prostitution demeure souvent illégale, sa véritable identité est protégée. Et comme la prostitution est illégale, des milliers de femmes comme Nadia peuvent être brutalisées ou battues par leurs clients. La plupart sont impitoyablement exploitées par leurs agents et des propriétaires d'appartements véreux. Et les polices corrompues les harcèlent et les maltraitent, avec le pouvoir de les expulser du territoire. Mais Nadia ne se pose pas en victime, elle ne rejette pas la faute sur les autres. Elle a choisi son chemin. Comme la plupart des gens, elle travaille pour gagner sa vie et déteste souvent son travail. Mais il y a des moments où elle y trouve aussi du plaisir. Derrière son corps élancé, son maquillage épais, ses faux cils, ses ongles démesurés et son sourire timide, se cache une jeune femme déterminée et brutalement honnête qui s'est ouverte pour raconter son histoire aussi clairement qu'on pourrait le souhaiter.
David Laufer: Depuis combien de temps exerces-tu ce métier?
Nadia: Cela fait cinq ans maintenant. Au début c'était uniquement à Moscou, mais après quelque temps je me suis aventurée en Europe.
Au début, quelle était ta motivation pour te lancer dans ce métier?
J'avais besoin d'argent. Ma famille n'a pas d'argent et ne m'aide pas. J'avais un emploi mais je gagnais 200 euros par mois à Moscou, la ville la plus chère d'Europe ou du monde à cette époque. Et puis j'ai rencontré un homme qui m'a parlé de cette possibilité. Alors j'ai trouvé un agent, qui me trouvait des clients. Et toutes les filles qui font ça le font pour les mêmes raisons.
En Russie, comment les gens considèrent-ils ce métier?
Les clients, en Russie, sont la plupart du temps des millionnaires, qui consomment énormément de filles, chaque jour une fille différente. Ils nous traitent comme des putes. Et beaucoup cherchent surtout à se procurer des vierges. Alors l'agent nous dit: «Aujourd'hui, tu dois être vierge». Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.
Quel était le rythme de travail à Moscou?
C'était irrégulier. On ne fonctionne pas comme en Serbie ou en Europe, avec des tarifs horaires. On peut se faire 1'000 euros, ou 500 euros, mais sans limite de temps. On vient, le client nous dit la somme d'argent et c'est lui qui décide du temps. Quelques heures, un jour entier, ça dépend.
Quand et pourquoi est-ce que tu es partie en Europe?
Après environ une année, la pandémie a commencé. Je ne faisais rien, assise à attendre chez moi. Et c'est à ce moment qu'un ami m'a présentée à un agent qui m'a proposé de partir en Europe. Pour moi c'était un rêve, je n'avais jamais quitté la Russie. L'agent m'a tout arrangé, le billet d'avion, l'appartement, tout. Et je suis partie en Italie. Mais c'était très compliqué à cause du Covid-19. Donc le vol a fait Moscou-Istanbul-Athènes-Vienne, et puis j'ai fait le reste en train. Dans le train les douaniers ont pensé que j'étais étudiante, et je n'ai pas nié.
«L'agent nous dit: "Aujourd'hui, tu dois être vierge". Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.»
Comment s'est déroulé ce premier séjour en Europe?
J'avais toujours mon agent, c'est lui dirigeait mes contacts et s'occupait de ma page sur Internet. Je lui devais 50% de mes gains et je chargeais, comme je continue aujourd'hui, 250 euros de l'heure. Mais l'appartement coûtait 800 euros par semaine, même si l'agent payait 50% du loyer. Donc en gros, par mois, je pouvais espérer gagner environ 15'000 euros, dont je devais retirer la moitié pour l'agent, plus le loyer. Je me retrouvais avec à peu près 6'000 euros par mois dans la poche pour toutes mes dépenses et pour l'épargne. Au début j'étais à Milan et le business était bon. Je travaillais beaucoup. Ensuite j'ai essayé Naples, pendant deux semaines, mais ça ne marchait pas du tout alors je suis retournée à Milan. En gros c'était des Italiens et presque pas d'étrangers parce qu'on était en plein lockdown. Quelques fois des jeunes mais en général des hommes plus âgés et assez riches.
Comment se comportent les clients italiens?
Je ne les aime pas du tout. La plupart se fendent de grandes déclarations, «tu es l'amour de ma vie», «je suis fou de toi«, «je t'aime», «je veux t'épouser» et toutes ces bêtises, alors que nous savons tous les deux pourquoi je suis venue chez lui. Et vraiment, tous les Italiens se comportent comme ça, comme des grands enfants. J'ai passé trois mois à Milan et j'en suis revenue avec 3'000 euros épargnés.
Tu as dû expliquer ce voyage à tes parents?
Non, j'ai juste dit que j'avais trouvé un boyfriend qui m'avait emmenée en voyage, ils n'ont jamais posé de questions. Mais j'ai eu une mauvaise expérience à Milan. Je suis tombée sur un sale type, le propriétaire de l'appartement. Après quelques jours, il s'est pointé à ma porte et a essayé de me faire dire que je l'avais payé en fausse monnaie, ce qui était faux. Comme il voyait que ça ne marchait pas, il m'a fait comprendre qu'il savait ce que je faisais et qu'il pouvait me dénoncer à la police. J'ai éclaté en sanglots, j'étais hors de moi, terrorisée. S'il allait à la police, ça voulait dire que je serais expulsée de l'UE et que je ne pourrais pas revenir pendant des années. Il a appelé mon agent, et mon agent m'a dit de lui donner 500 euros, juste pour le faire taire. Mais ça n'a pas suffi. Il est souvent revenu me voir et me demandait de le sucer, et sans le dire à mon agent, ce que j'ai toujours réussi à éviter. Il a souvent essayé ce petit manège. Ça me plongeait dans des dépressions sévères.
Et après ce retour à Moscou, où es-tu allée?
Une amie m'a encouragée à la rejoindre à Tbilissi en Géorgie. J'ai dit que ça ne m'intéressait pas, que je voulais aller en France. Je ne sais pas pourquoi, j'avais un mauvais pressentiment à propos de ce pays. Et j'ai eu du flair. Un jour avant mon arrivée prévue en Géorgie, un client est venu chez mon amie. Ils ont eu un rapport sexuel, puis il lui a montré sa plaque de policier. Il ne l'a évidemment pas payée et lui a également volé tout le liquide qu'elle avait. Et puis il a ouvert la porte et ses collègues sont arrivés pour arrêter mon amie et l'emmener en prison, où elle est restée environ deux mois, sans téléphone, sans rien, à devoir attendre une décision de justice. Et encore elle a eu une chance relative. Je connais une autre fille qui est restée deux ans en prison en Géorgie. Cela ne m'est jamais arrivé, je touche du bois, ni en Russie où les clients sont assez riches pour acheter la police, ni en France ou ailleurs. Mais j'ai toujours peur, je fais toujours très attention, je vérifie tout plusieurs fois.
Donc tu es allée en France.
Oui, j'ai commencé par Bordeaux, où le business était très bon, puis Toulouse, où c'était totalement mort, puis Marseille, également très faible, puis Montpellier, sans aucun intérêt, peuplé de gens très bizarres et malsains, et puis Lyon, où ça marchait assez bien. On faisait le tour des grandes villes pour voir où le marché était preneur. A Bordeaux par exemple, je peux travailler quelques jours mais ensuite je suis connue, j'ai fait le tour des clients. Alors je dois repartir et trouver un autre marché. Quand ça marchait bien, je faisais environ deux clients par jour, c'était comparable à l'Italie, donc je gagnais environ 6 ou 7'000 euros par mois avant dépenses. Et puis je montée à Paris.
«En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.»
Comment est Paris par rapport au reste de la France?
Evidemment je gagnais beaucoup mieux. Mais je devais constamment changer d'appartement, c'était un enfer, parce que je voulais payer en liquide mais la compétition était trop forte. Et puis la ville est tellement chère, chaque trajet en taxi coûte 30 euros. En plus je devais faire très attention, ne jamais faire monter quelqu'un mais descendre d'abord voir le client dans la rue, s'assurer que tout est en ordre. D'autre part à Paris tout dépend du quartier. Si je vis dans un quartier riche, j'ai de bons clients, propres et convenables. Mais si je vis dans un quartier pauvre, c'est bien plus risqué. Parce qu'à Paris, contrairement à la France, mes clients venaient du monde entier. A Bordeaux ce n'était que des Français, à Paris beaucoup d'étrangers. Mais le business était très bon, alors je suis restée quatre mois à Paris.
Et comment sont les clients français?
Les meilleurs! Ils ne pensent pas qu'à eux-mêmes. Ils pensent à la fille. Ils arrivent et te disent: «Tu n'as besoin de rien faire, allonge-toi là, je vais te lécher la chatte, je vais t'embrasser, tu te laisses faire». Ils arrivent avec une bouteille de vin et des fleurs et paient pour une heure mais peuvent partir après vingt minutes s'ils ont terminé. En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.
Quatre mois à Paris, c'est long. Tu as eu le temps de voir la ville?
Je m'arrangeais avec mon agent, je lui disais que je serais disponible de telle à telle heure, et je prenais mon temps pour me balader et découvrir la ville. Et je n'ai eu aucun problème avec la police, alors même que c'était le confinement et que je n'avais pas les permis pour me déplacer au milieu de la nuit. J'ai eu de la chance et personne ne m'a jamais arrêtée. Et puis j'ai eu assez souvent des clients qui payaient pour la nuit, c'était 1'200 euros. Mais j'étais trop seule, j'étais souvent déprimée. Mon agent me disait que c'était bien pour moi d'être seule, que ça me permettait de me concentrer sur mon travail.
Combien as-tu réussi à épargner à Paris?
Presque rien, à peu près 1'000 euros. J'étais furieuse. J'avais eu environ 170 clients pendant quatre mois, donc j'avais en tout gagné plus de 40'000 euros en liquide! Et malgré tout, tout mon argent était parti, d'abord dans la commission de 50% de mon agent mais aussi en factures, loyer, taxi, repas, des bêtises. Beaucoup de filles travaillent pour aider leurs familles restées au pays. Quand je travaillais à Paris, je ne savais tout simplement pas quoi faire de ma vie. Je n’ai donc pas économisé, et c’était mon problème. Si j'avais économisé, je serais riche maintenant. Mais j'ai juste tout dépensé, j'ai acheté des trucs et j'ai voyagé et pendant tout ce temps, je pensais, c'est bon, je dois juste travailler encore un peu pour tout récupérer. Parce que ce travail est une drogue. C'est de l'argent facile. En Russie, je gagnais 200 euros par mois. Et avec ce métier, je gagnais 6 ou 7'000 par mois. C'est donc très difficile d'arrêter. Et ça m'a fait comprendre que je devais travailler en indépendante, sans agent.
Après la France, quel autre pays as-tu visité?
Je suis allée à Vienne, c'était très bien. Les clients étaient souvent étrangers mais en gros très sympas, respectueux. Il y avait beaucoup de clients suisses, qui se comportaient toujours très bien. Et puis j'aimais beaucoup Vienne, j'étais dans un joli hôtel, je travaillais à mon rythme, c'était agréable. J'ai également travaillé à Madrid et Barcelone. A Madrid c'était la mort, aucun client, à Barcelone un petit peu plus. Les Espagnols n'ont pas d'argent je crois. Ils préfèrent les Colombiennes et les Brésiliennes, qui sont vraiment beaucoup moins chères. J'ai malheureusement dû éviter la Suisse parce que je connais pas mal de gens à Zurich et je voulais éviter les rencontres désagréables.
As-tu également travaillé en dehors de l'Europe?
Uniquement à Dubai. C'était très, très bizarre. J'ai été payée pendant des semaines par deux cheikh différents, environ 300 euros pas jour, pour vivre dans une villa avec une dizaine d'autres filles et sans jamais coucher avec qui que ce soit. On passait nos journées au bord de la piscine, à faire du shopping et à aller au restaurant. J'ai tenté avec une copine de travailler en privé, mais sans aucun succès, et ça m'a beaucoup déplu. C'était dégradant, on se retrouvait derrière des restaurants avec des types qui me disaient que c'était trop cher, ça ne menait à rien.
Pourquoi as-tu décidé d'aller à Belgrade?
A cette époque, il y a un peu moins de trois ans, j'avais une amie qui était déjà à Belgrade. Elle m'a dit que c'était très bien, alors j'ai essayé. On était trois filles dans un appartement, c'était sympa.
Puisque ta profession est illégale, tu es ici avec un visa touristique, comment procèdes-tu?
Chaque mois, je dois traverser la frontière, obtenir le tampon et revenir.
Tu étais ici avant le début de la guerre en Ukraine. Combien d’escorts y avait-il ici avant la guerre, et combien depuis le début de la guerre? Et combien parmi elles sont des Russes?
Avant la guerre, il y avait un peu de concurrence, mais pas trop. Depuis le début de la guerre, il n'y a presque plus d'emplois tellement la concurrence est forte. Et je ne suis pas sûr qu’il reste beaucoup de filles serbes. On peut vérifier (elle sort son téléphone et va sur un site d'escort populaire). Si je sélectionne la Serbie ici, je vois qu'il y a maintenant 1'447 escorts qui opèrent à Belgrade. Mais beaucoup de ces comptes sont inactifs, ou faux, disons environ 50%. Cela laisse donc environ 750 filles, pour la plupart russes. Ce qui est bien trop pour Belgrade, il n'y a pas de marché pour autant d'escorts. Et du coup les prix baissent. Certaines filles sont désormais prêtes à travailler pour 150 euros, et alors toutes les filles se sentent obligées de baisser leurs prix. Et c'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.
Je dois te poser cette question, mais à quel point ce travail est-il agréable?
Cela dépend. Parfois, j'ai juste besoin d'argent, je dois travailler. Alors je deviens une personne différente. Je ferme mon esprit et je fais ce que je dois faire, d'une façon automatique, même si je ne veux pas le faire. Mais d'autres fois, j'ai vraiment envie de faire l'amour et comme c'est mon métier, ça peut être agréable. Dans ces situations, si l'homme sait s'y prendre je peux jouir, mais s'il est mauvais, alors je ne jouis pas. C'est exactement comme la vie normale.
«C'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.»
Y a-t-il des histoires d'abus, de violence?
Bien sûr. Quand j’ai commencé, je ne savais pas à quoi m’attendre. Parfois, un homme me frappait, alors j'appelais l'agence et ils me disaient: «Non, c'est impossible, c'est un bon client, il n'y a jamais eu de plainte le concernant». Vous savez donc que vous ne pouvez pas être protégée. Un jour un Ukrainien m'a appelée dans un restaurant et nous nous sommes retrouvés chez lui. Il m'a payée en dollars. Mais quand je suis rentrée chez moi, j’ai réalisé qu’il s’agissait de fausse monnaie. Chaque fois que quelque chose de vraiment grave arrive, c'est soit un client russe, soit un client ukrainien. Mais une de mes amies, une jolie blonde, a été appelée par un client serbe, qui n'aime pas les blondes. Il l'a appelée et l'a battue jusqu'à ce qu'elle soit réduite en bouillie, elle était couverte de sang. A tel point qu’elle a quitté le pays par la suite. Une autre copine a été trompée par un client qui ne lui a pas dit qu'il était policier, qui lui a pris tout son argent et l'a expulsée de Serbie. Or j'ai appris par la suite que ce flic travaillait en réalité pour une agence concurrente, pour laquelle il nettoyait le marché en se servant grassement au passage.
Quel type de service te demande-t-on habituellement de pratiquer?
Je ne travaille jamais avec des sextoys ou des uniformes. Parfois, les clients me demandent de me présenter en lingerie ou en talons, mais ce n'est pas vraiment un uniforme. En général, c'est du sexe assez régulier. Je refuse la sodomie, mais beaucoup de filles acceptent avec un supplément. Certains clients demandent à coucher sans préservatif, ce que je refuse également.
Comment juges-tu le regard de la société et des médias sur ton métier?
Les médias et la société en général ne comprennent pas du tout la différence entre escort et prostituée. Escort, c'est un métier, quand bien même c'est illégal. Je choisis mes clients, je dois savoir m'y prendre techniquement sur le plan sexuel, savoir envisager mes clients sur des tas de fantasmes et de scénarios. Une prostituée ne travaille que sur le court terme, et uniquement pour l'argent. Une escort doit savoir discuter, passer la soirée avec des hommes très différents, de cultures très variées. C'est un métier difficile, qui exige un engagement complet, du corps mais aussi de l'esprit. Oui, c'est vraiment un métier. Le mot le plus adapté, c'est geisha, c'est-à-dire une femme qui doit savoir faire plaisir à un homme, pour de l'argent, en réalisant tout un éventail de tâches complexes et délicates. Et évidemment que la société condamne ce métier. La chose est simple: qui serait d'accord de savoir que sa propre épouse fait ce métier? Les hommes sont obsédés par la pureté des femmes. De savoir que telle ou telle femme a vu des centaines de bites, ça les dégoûte en général. En ce qui me concerne, je reste très discrète, je ne montre jamais ma photo sur les sites Internet, et je sais que cette partie de ma vie restera toujours un secret si je veux trouver un mari ou fonder une famille.
Combien de temps penses-tu pouvoir continuer ce métier?
Encore quelques mois, le temps pour que je puisse mettre de l'argent de côté. Comme je l'ai dit, avant, je gaspillais tout, maintenant j'essaie de le mettre de côté et d'en faire quelque chose de significatif.
Quel est ton rapport à ton travail?
Je voudrais ne pas devoir le faire. Je suis souvent déprimée. Quand j'ai des relations sexuelles régulières avec un petit ami, je suis très confuse: est-ce que c'est pour le travail, ou pour le plaisir? Je me sens perdue avec moi-même. Je voudrais aussi ressentir quelque chose, pas seulement parce que je dois le faire pour un homme. Et la plupart des autres filles ressentent la même chose, nous parlons beaucoup ensemble.
Y a-t-il quelque chose que tu as appris en faisant ce métier?
Oui, beaucoup de choses. Par exemple, je sais très bien faire l'amour. Cela peut paraître dégradant, mais je suis devenue une professionnelle, je sais comment réaliser la pipe parfaite. Et plus important encore, je connais les hommes maintenant. Je ne suis plus timide avec les hommes, je sais de quoi je peux parler. Je sais à qui je peux accorder ma confiance, ou pas. Cela m'a souvent aidée, je vois tout de suite qui est la personne, de quoi on doit parler, comment les choses vont se passer. D’une certaine manière, on peut dire que j’ai plus de pouvoir maintenant.
Notice (8): Trying to access array offset on value of type null [APP/Template/Posts/view.ctp, line 147]Code Context<div class="col-lg-12 order-lg-4 order-md-4">
<? if(!$connected['active']): ?>
<div class="utils__spacer--default"></div>
$viewFile = '/data01/sites/bonpourlatete.com/dev/bonpourlatete.com/src/Template/Posts/view.ctp' $dataForView = [ 'referer' => '/', 'OneSignal' => '8a2ea76e-2c65-48ce-92e5-098c4cb86093', '_serialize' => [ (int) 0 => 'post' ], 'post' => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4537, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Conversation avec une femme invisible', 'subtitle' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'subtitle_edition' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée et le quotidien de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'content' => '<p>Nous savons tous que Nadia existe. Nous choisissons simplement de l’ignorer, elle et ses collègues, ainsi que les raisons pour lesquelles ces <i>travailleuses du sexe</i> sont à la fois vilipendées et utiles. Nadia n'est que l'une des milliers d'escorts russes qui vivent et travaillent en Europe. Parce que la prostitution demeure souvent illégale, sa véritable identité est protégée. Et comme la prostitution est illégale, des milliers de femmes comme Nadia peuvent être brutalisées ou battues par leurs clients. La plupart sont impitoyablement exploitées par leurs agents et des propriétaires d'appartements véreux. Et les polices corrompues les harcèlent et les maltraitent, avec le pouvoir de les expulser du territoire. Mais Nadia ne se pose pas en victime, elle ne rejette pas la faute sur les autres. Elle a choisi son chemin. Comme la plupart des gens, elle travaille pour gagner sa vie et déteste souvent son travail. Mais il y a des moments où elle y trouve aussi du plaisir. Derrière son corps élancé, son maquillage épais, ses faux cils, ses ongles démesurés et son sourire timide, se cache une jeune femme déterminée et brutalement honnête qui s'est ouverte pour raconter son histoire aussi clairement qu'on pourrait le souhaiter.</p> <p><strong>David Laufer</strong>: <strong>Depuis combien de temps exerces-tu ce métier?</strong></p> <p><strong>Nadia</strong>: Cela fait cinq ans maintenant. Au début c'était uniquement à Moscou, mais après quelque temps je me suis aventurée en Europe.</p> <p><strong>Au début, quelle était ta motivation pour te lancer dans ce métier?</strong></p> <p>J'avais besoin d'argent. Ma famille n'a pas d'argent et ne m'aide pas. J'avais un emploi mais je gagnais 200 euros par mois à Moscou, la ville la plus chère d'Europe ou du monde à cette époque. Et puis j'ai rencontré un homme qui m'a parlé de cette possibilité. Alors j'ai trouvé un agent, qui me trouvait des clients. Et toutes les filles qui font ça le font pour les mêmes raisons.</p> <p><strong>En Russie, comment les gens considèrent-ils ce métier?</strong></p> <p>Les clients, en Russie, sont la plupart du temps des millionnaires, qui consomment énormément de filles, chaque jour une fille différente. Ils nous traitent comme des putes. Et beaucoup cherchent surtout à se procurer des vierges. Alors l'agent nous dit: «Aujourd'hui, tu dois être vierge». Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.</p> <p><strong>Quel était le rythme de travail à Moscou?</strong></p> <p>C'était irrégulier. On ne fonctionne pas comme en Serbie ou en Europe, avec des tarifs horaires. On peut se faire 1'000 euros, ou 500 euros, mais sans limite de temps. On vient, le client nous dit la somme d'argent et c'est lui qui décide du temps. Quelques heures, un jour entier, ça dépend.</p> <p><strong>Quand et pourquoi est-ce que tu es partie en Europe?</strong></p> <p>Après environ une année, la pandémie a commencé. Je ne faisais rien, assise à attendre chez moi. Et c'est à ce moment qu'un ami m'a présentée à un agent qui m'a proposé de partir en Europe. Pour moi c'était un rêve, je n'avais jamais quitté la Russie. L'agent m'a tout arrangé, le billet d'avion, l'appartement, tout. Et je suis partie en Italie. Mais c'était très compliqué à cause du Covid-19. Donc le vol a fait Moscou-Istanbul-Athènes-Vienne, et puis j'ai fait le reste en train. Dans le train les douaniers ont pensé que j'étais étudiante, et je n'ai pas nié.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«L'agent nous dit: "Aujourd'hui, tu dois être vierge". Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Comment s'est déroulé ce premier séjour en Europe?</strong></p> <p>J'avais toujours mon agent, c'est lui dirigeait mes contacts et s'occupait de ma page sur Internet. Je lui devais 50% de mes gains et je chargeais, comme je continue aujourd'hui, 250 euros de l'heure. Mais l'appartement coûtait 800 euros par semaine, même si l'agent payait 50% du loyer. Donc en gros, par mois, je pouvais espérer gagner environ 15'000 euros, dont je devais retirer la moitié pour l'agent, plus le loyer. Je me retrouvais avec à peu près 6'000 euros par mois dans la poche pour toutes mes dépenses et pour l'épargne. Au début j'étais à Milan et le business était bon. Je travaillais beaucoup. Ensuite j'ai essayé Naples, pendant deux semaines, mais ça ne marchait pas du tout alors je suis retournée à Milan. En gros c'était des Italiens et presque pas d'étrangers parce qu'on était en plein <em>lockdown</em>. Quelques fois des jeunes mais en général des hommes plus âgés et assez riches.<br /><br /><strong>Comment se comportent les clients italiens?</strong></p> <p>Je ne les aime pas du tout. La plupart se fendent de grandes déclarations, «tu es l'amour de ma vie», «je suis fou de toi«, «je t'aime», «je veux t'épouser» et toutes ces bêtises, alors que nous savons tous les deux pourquoi je suis venue chez lui. Et vraiment, tous les Italiens se comportent comme ça, comme des grands enfants. J'ai passé trois mois à Milan et j'en suis revenue avec 3'000 euros épargnés.</p> <p><strong>Tu as dû expliquer ce voyage à tes parents?</strong></p> <p>Non, j'ai juste dit que j'avais trouvé un boyfriend qui m'avait emmenée en voyage, ils n'ont jamais posé de questions. Mais j'ai eu une mauvaise expérience à Milan. Je suis tombée sur un sale type, le propriétaire de l'appartement. Après quelques jours, il s'est pointé à ma porte et a essayé de me faire dire que je l'avais payé en fausse monnaie, ce qui était faux. Comme il voyait que ça ne marchait pas, il m'a fait comprendre qu'il savait ce que je faisais et qu'il pouvait me dénoncer à la police. J'ai éclaté en sanglots, j'étais hors de moi, terrorisée. S'il allait à la police, ça voulait dire que je serais expulsée de l'UE et que je ne pourrais pas revenir pendant des années. Il a appelé mon agent, et mon agent m'a dit de lui donner 500 euros, juste pour le faire taire. Mais ça n'a pas suffi. Il est souvent revenu me voir et me demandait de le sucer, et sans le dire à mon agent, ce que j'ai toujours réussi à éviter. Il a souvent essayé ce petit manège. Ça me plongeait dans des dépressions sévères.</p> <p><strong>Et après ce retour à Moscou, où es-tu allée?</strong></p> <p>Une amie m'a encouragée à la rejoindre à Tbilissi en Géorgie. J'ai dit que ça ne m'intéressait pas, que je voulais aller en France. Je ne sais pas pourquoi, j'avais un mauvais pressentiment à propos de ce pays. Et j'ai eu du flair. Un jour avant mon arrivée prévue en Géorgie, un client est venu chez mon amie. Ils ont eu un rapport sexuel, puis il lui a montré sa plaque de policier. Il ne l'a évidemment pas payée et lui a également volé tout le liquide qu'elle avait. Et puis il a ouvert la porte et ses collègues sont arrivés pour arrêter mon amie et l'emmener en prison, où elle est restée environ deux mois, sans téléphone, sans rien, à devoir attendre une décision de justice. Et encore elle a eu une chance relative. Je connais une autre fille qui est restée deux ans en prison en Géorgie. Cela ne m'est jamais arrivé, je touche du bois, ni en Russie où les clients sont assez riches pour acheter la police, ni en France ou ailleurs. Mais j'ai toujours peur, je fais toujours très attention, je vérifie tout plusieurs fois.</p> <p><strong>Donc tu es allée en France. </strong></p> <p>Oui, j'ai commencé par Bordeaux, où le business était très bon, puis Toulouse, où c'était totalement mort, puis Marseille, également très faible, puis Montpellier, sans aucun intérêt, peuplé de gens très bizarres et malsains, et puis Lyon, où ça marchait assez bien. On faisait le tour des grandes villes pour voir où le marché était preneur. A Bordeaux par exemple, je peux travailler quelques jours mais ensuite je suis connue, j'ai fait le tour des clients. Alors je dois repartir et trouver un autre marché. Quand ça marchait bien, je faisais environ deux clients par jour, c'était comparable à l'Italie, donc je gagnais environ 6 ou 7'000 euros par mois avant dépenses. Et puis je montée à Paris.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Comment est Paris par rapport au reste de la France?</strong><br /><br />Evidemment je gagnais beaucoup mieux. Mais je devais constamment changer d'appartement, c'était un enfer, parce que je voulais payer en liquide mais la compétition était trop forte. Et puis la ville est tellement chère, chaque trajet en taxi coûte 30 euros. En plus je devais faire très attention, ne jamais faire monter quelqu'un mais descendre d'abord voir le client dans la rue, s'assurer que tout est en ordre. D'autre part à Paris tout dépend du quartier. Si je vis dans un quartier riche, j'ai de bons clients, propres et convenables. Mais si je vis dans un quartier pauvre, c'est bien plus risqué. Parce qu'à Paris, contrairement à la France, mes clients venaient du monde entier. A Bordeaux ce n'était que des Français, à Paris beaucoup d'étrangers. Mais le business était très bon, alors je suis restée quatre mois à Paris.</p> <p><strong>Et comment sont les clients français?</strong></p> <p>Les meilleurs! Ils ne pensent pas qu'à eux-mêmes. Ils pensent à la fille. Ils arrivent et te disent: «Tu n'as besoin de rien faire, allonge-toi là, je vais te lécher la chatte, je vais t'embrasser, tu te laisses faire». Ils arrivent avec une bouteille de vin et des fleurs et paient pour une heure mais peuvent partir après vingt minutes s'ils ont terminé. En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.</p> <p><strong>Quatre mois à Paris, c'est long. Tu as eu le temps de voir la ville?</strong></p> <p>Je m'arrangeais avec mon agent, je lui disais que je serais disponible de telle à telle heure, et je prenais mon temps pour me balader et découvrir la ville. Et je n'ai eu aucun problème avec la police, alors même que c'était le confinement et que je n'avais pas les permis pour me déplacer au milieu de la nuit. J'ai eu de la chance et personne ne m'a jamais arrêtée. Et puis j'ai eu assez souvent des clients qui payaient pour la nuit, c'était 1'200 euros. Mais j'étais trop seule, j'étais souvent déprimée. Mon agent me disait que c'était bien pour moi d'être seule, que ça me permettait de me concentrer sur mon travail.</p> <p><strong>Combien as-tu réussi à épargner à Paris? </strong></p> <p>Presque rien, à peu près 1'000 euros. J'étais furieuse. J'avais eu environ 170 clients pendant quatre mois, donc j'avais en tout gagné plus de 40'000 euros en liquide! Et malgré tout, tout mon argent était parti, d'abord dans la commission de 50% de mon agent mais aussi en factures, loyer, taxi, repas, des bêtises. Beaucoup de filles travaillent pour aider leurs familles restées au pays. Quand je travaillais à Paris, je ne savais tout simplement pas quoi faire de ma vie. Je n’ai donc pas économisé, et c’était mon problème. Si j'avais économisé, je serais riche maintenant. Mais j'ai juste tout dépensé, j'ai acheté des trucs et j'ai voyagé et pendant tout ce temps, je pensais, c'est bon, je dois juste travailler encore un peu pour tout récupérer. Parce que ce travail est une drogue. C'est de l'argent facile. En Russie, je gagnais 200 euros par mois. Et avec ce métier, je gagnais 6 ou 7'000 par mois. C'est donc très difficile d'arrêter. Et ça m'a fait comprendre que je devais travailler en indépendante, sans agent.</p> <p><strong>Après la France, quel autre pays as-tu visité?</strong></p> <p>Je suis allée à Vienne, c'était très bien. Les clients étaient souvent étrangers mais en gros très sympas, respectueux. Il y avait beaucoup de clients suisses, qui se comportaient toujours très bien. Et puis j'aimais beaucoup Vienne, j'étais dans un joli hôtel, je travaillais à mon rythme, c'était agréable. J'ai également travaillé à Madrid et Barcelone. A Madrid c'était la mort, aucun client, à Barcelone un petit peu plus. Les Espagnols n'ont pas d'argent je crois. Ils préfèrent les Colombiennes et les Brésiliennes, qui sont vraiment beaucoup moins chères. J'ai malheureusement dû éviter la Suisse parce que je connais pas mal de gens à Zurich et je voulais éviter les rencontres désagréables.</p> <p><strong>As-tu également travaillé en dehors de l'Europe?</strong></p> <p>Uniquement à Dubai. C'était très, très bizarre. J'ai été payée pendant des semaines par deux cheikh différents, environ 300 euros pas jour, pour vivre dans une villa avec une dizaine d'autres filles et sans jamais coucher avec qui que ce soit. On passait nos journées au bord de la piscine, à faire du shopping et à aller au restaurant. J'ai tenté avec une copine de travailler en privé, mais sans aucun succès, et ça m'a beaucoup déplu. C'était dégradant, on se retrouvait derrière des restaurants avec des types qui me disaient que c'était trop cher, ça ne menait à rien.</p> <p><strong>Pourquoi as-tu décidé d'aller à Belgrade?</strong></p> <p>A cette époque, il y a un peu moins de trois ans, j'avais une amie qui était déjà à Belgrade. Elle m'a dit que c'était très bien, alors j'ai essayé. On était trois filles dans un appartement, c'était sympa.</p> <p><strong>Puisque ta profession est illégale, tu es ici avec un visa touristique, comment procèdes-tu?</strong></p> <p>Chaque mois, je dois traverser la frontière, obtenir le tampon et revenir.</p> <p><strong>Tu étais ici avant le début de la guerre en Ukraine. Combien d’escorts y avait-il ici avant la guerre, et combien depuis le début de la guerre? Et combien parmi elles sont des Russes?</strong></p> <p>Avant la guerre, il y avait un peu de concurrence, mais pas trop. Depuis le début de la guerre, il n'y a presque plus d'emplois tellement la concurrence est forte. Et je ne suis pas sûr qu’il reste beaucoup de filles serbes. On peut vérifier (elle sort son téléphone et va sur un site d'escort populaire). Si je sélectionne la Serbie ici, je vois qu'il y a maintenant 1'447 escorts qui opèrent à Belgrade. Mais beaucoup de ces comptes sont inactifs, ou faux, disons environ 50%. Cela laisse donc environ 750 filles, pour la plupart russes. Ce qui est bien trop pour Belgrade, il n'y a pas de marché pour autant d'escorts. Et du coup les prix baissent. Certaines filles sont désormais prêtes à travailler pour 150 euros, et alors toutes les filles se sentent obligées de baisser leurs prix. Et c'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.</p> <p><strong>Je dois te poser cette question, mais à quel point ce travail est-il agréable?</strong></p> <p>Cela dépend. Parfois, j'ai juste besoin d'argent, je dois travailler. Alors je deviens une personne différente. Je ferme mon esprit et je fais ce que je dois faire, d'une façon automatique, même si je ne veux pas le faire. Mais d'autres fois, j'ai vraiment envie de faire l'amour et comme c'est mon métier, ça peut être agréable. Dans ces situations, si l'homme sait s'y prendre je peux jouir, mais s'il est mauvais, alors je ne jouis pas. C'est exactement comme la vie normale.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«C'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Y a-t-il des histoires d'abus, de violence?</strong></p> <p>Bien sûr. Quand j’ai commencé, je ne savais pas à quoi m’attendre. Parfois, un homme me frappait, alors j'appelais l'agence et ils me disaient: «Non, c'est impossible, c'est un bon client, il n'y a jamais eu de plainte le concernant». Vous savez donc que vous ne pouvez pas être protégée. Un jour un Ukrainien m'a appelée dans un restaurant et nous nous sommes retrouvés chez lui. Il m'a payée en dollars. Mais quand je suis rentrée chez moi, j’ai réalisé qu’il s’agissait de fausse monnaie. Chaque fois que quelque chose de vraiment grave arrive, c'est soit un client russe, soit un client ukrainien. Mais une de mes amies, une jolie blonde, a été appelée par un client serbe, qui n'aime pas les blondes. Il l'a appelée et l'a battue jusqu'à ce qu'elle soit réduite en bouillie, elle était couverte de sang. A tel point qu’elle a quitté le pays par la suite. Une autre copine a été trompée par un client qui ne lui a pas dit qu'il était policier, qui lui a pris tout son argent et l'a expulsée de Serbie. Or j'ai appris par la suite que ce flic travaillait en réalité pour une agence concurrente, pour laquelle il nettoyait le marché en se servant grassement au passage.</p> <p><strong>Quel type de service te demande-t-on habituellement de pratiquer?</strong></p> <p>Je ne travaille jamais avec des sextoys ou des uniformes. Parfois, les clients me demandent de me présenter en lingerie ou en talons, mais ce n'est pas vraiment un uniforme. En général, c'est du sexe assez régulier. Je refuse la sodomie, mais beaucoup de filles acceptent avec un supplément. Certains clients demandent à coucher sans préservatif, ce que je refuse également.</p> <p><strong>Comment juges-tu le regard de la société et des médias sur ton métier?</strong></p> <p>Les médias et la société en général ne comprennent pas du tout la différence entre escort et prostituée. Escort, c'est un métier, quand bien même c'est illégal. Je choisis mes clients, je dois savoir m'y prendre techniquement sur le plan sexuel, savoir envisager mes clients sur des tas de fantasmes et de scénarios. Une prostituée ne travaille que sur le court terme, et uniquement pour l'argent. Une escort doit savoir discuter, passer la soirée avec des hommes très différents, de cultures très variées. C'est un métier difficile, qui exige un engagement complet, du corps mais aussi de l'esprit. Oui, c'est vraiment un métier. Le mot le plus adapté, c'est geisha, c'est-à-dire une femme qui doit savoir faire plaisir à un homme, pour de l'argent, en réalisant tout un éventail de tâches complexes et délicates. Et évidemment que la société condamne ce métier. La chose est simple: qui serait d'accord de savoir que sa propre épouse fait ce métier? Les hommes sont obsédés par la pureté des femmes. De savoir que telle ou telle femme a vu des centaines de bites, ça les dégoûte en général. En ce qui me concerne, je reste très discrète, je ne montre jamais ma photo sur les sites Internet, et je sais que cette partie de ma vie restera toujours un secret si je veux trouver un mari ou fonder une famille.</p> <p><strong>Combien de temps penses-tu pouvoir continuer ce métier?</strong></p> <p>Encore quelques mois, le temps pour que je puisse mettre de l'argent de côté. Comme je l'ai dit, avant, je gaspillais tout, maintenant j'essaie de le mettre de côté et d'en faire quelque chose de significatif.</p> <p><strong>Quel est ton rapport à ton travail?</strong></p> <p>Je voudrais ne pas devoir le faire. Je suis souvent déprimée. Quand j'ai des relations sexuelles régulières avec un petit ami, je suis très confuse: est-ce que c'est pour le travail, ou pour le plaisir? Je me sens perdue avec moi-même. Je voudrais aussi ressentir quelque chose, pas seulement parce que je dois le faire pour un homme. Et la plupart des autres filles ressentent la même chose, nous parlons beaucoup ensemble.</p> <p><strong><span>Y a-t-il quelque chose que tu as appris en faisant ce métier?</span></strong></p> <p>Oui, beaucoup de choses. Par exemple, je sais très bien faire l'amour. Cela peut paraître dégradant, mais je suis devenue une professionnelle, je sais comment réaliser la pipe parfaite. Et plus important encore, je connais les hommes maintenant. Je ne suis plus timide avec les hommes, je sais de quoi je peux parler. Je sais à qui je peux accorder ma confiance, ou pas. Cela m'a souvent aidée, je vois tout de suite qui est la personne, de quoi on doit parler, comment les choses vont se passer. D’une certaine manière, on peut dire que j’ai plus de pouvoir maintenant.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'conversation-avec-une-femme-invisible', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 117, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'David Laufer', 'description' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'title' => 'Conversation avec une femme invisible', 'crawler' => true, 'connected' => null, 'menu_blocks' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Block) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Block) {} ], 'menu' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 5 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 6 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 7 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 8 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 9 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 10 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 11 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 12 => object(App\Model\Entity\Category) {} ] ] $bufferLevel = (int) 1 $referer = '/' $OneSignal = '8a2ea76e-2c65-48ce-92e5-098c4cb86093' $_serialize = [ (int) 0 => 'post' ] $post = object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4537, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Conversation avec une femme invisible', 'subtitle' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'subtitle_edition' => 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée et le quotidien de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.', 'content' => '<p>Nous savons tous que Nadia existe. Nous choisissons simplement de l’ignorer, elle et ses collègues, ainsi que les raisons pour lesquelles ces <i>travailleuses du sexe</i> sont à la fois vilipendées et utiles. Nadia n'est que l'une des milliers d'escorts russes qui vivent et travaillent en Europe. Parce que la prostitution demeure souvent illégale, sa véritable identité est protégée. Et comme la prostitution est illégale, des milliers de femmes comme Nadia peuvent être brutalisées ou battues par leurs clients. La plupart sont impitoyablement exploitées par leurs agents et des propriétaires d'appartements véreux. Et les polices corrompues les harcèlent et les maltraitent, avec le pouvoir de les expulser du territoire. Mais Nadia ne se pose pas en victime, elle ne rejette pas la faute sur les autres. Elle a choisi son chemin. Comme la plupart des gens, elle travaille pour gagner sa vie et déteste souvent son travail. Mais il y a des moments où elle y trouve aussi du plaisir. Derrière son corps élancé, son maquillage épais, ses faux cils, ses ongles démesurés et son sourire timide, se cache une jeune femme déterminée et brutalement honnête qui s'est ouverte pour raconter son histoire aussi clairement qu'on pourrait le souhaiter.</p> <p><strong>David Laufer</strong>: <strong>Depuis combien de temps exerces-tu ce métier?</strong></p> <p><strong>Nadia</strong>: Cela fait cinq ans maintenant. Au début c'était uniquement à Moscou, mais après quelque temps je me suis aventurée en Europe.</p> <p><strong>Au début, quelle était ta motivation pour te lancer dans ce métier?</strong></p> <p>J'avais besoin d'argent. Ma famille n'a pas d'argent et ne m'aide pas. J'avais un emploi mais je gagnais 200 euros par mois à Moscou, la ville la plus chère d'Europe ou du monde à cette époque. Et puis j'ai rencontré un homme qui m'a parlé de cette possibilité. Alors j'ai trouvé un agent, qui me trouvait des clients. Et toutes les filles qui font ça le font pour les mêmes raisons.</p> <p><strong>En Russie, comment les gens considèrent-ils ce métier?</strong></p> <p>Les clients, en Russie, sont la plupart du temps des millionnaires, qui consomment énormément de filles, chaque jour une fille différente. Ils nous traitent comme des putes. Et beaucoup cherchent surtout à se procurer des vierges. Alors l'agent nous dit: «Aujourd'hui, tu dois être vierge». Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.</p> <p><strong>Quel était le rythme de travail à Moscou?</strong></p> <p>C'était irrégulier. On ne fonctionne pas comme en Serbie ou en Europe, avec des tarifs horaires. On peut se faire 1'000 euros, ou 500 euros, mais sans limite de temps. On vient, le client nous dit la somme d'argent et c'est lui qui décide du temps. Quelques heures, un jour entier, ça dépend.</p> <p><strong>Quand et pourquoi est-ce que tu es partie en Europe?</strong></p> <p>Après environ une année, la pandémie a commencé. Je ne faisais rien, assise à attendre chez moi. Et c'est à ce moment qu'un ami m'a présentée à un agent qui m'a proposé de partir en Europe. Pour moi c'était un rêve, je n'avais jamais quitté la Russie. L'agent m'a tout arrangé, le billet d'avion, l'appartement, tout. Et je suis partie en Italie. Mais c'était très compliqué à cause du Covid-19. Donc le vol a fait Moscou-Istanbul-Athènes-Vienne, et puis j'ai fait le reste en train. Dans le train les douaniers ont pensé que j'étais étudiante, et je n'ai pas nié.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«L'agent nous dit: "Aujourd'hui, tu dois être vierge". Ce qui signifie qu'on doit se mettre du faux sang à l'intérieur du vagin, dans des petites capsules de plastique, pour simuler la virginité.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Comment s'est déroulé ce premier séjour en Europe?</strong></p> <p>J'avais toujours mon agent, c'est lui dirigeait mes contacts et s'occupait de ma page sur Internet. Je lui devais 50% de mes gains et je chargeais, comme je continue aujourd'hui, 250 euros de l'heure. Mais l'appartement coûtait 800 euros par semaine, même si l'agent payait 50% du loyer. Donc en gros, par mois, je pouvais espérer gagner environ 15'000 euros, dont je devais retirer la moitié pour l'agent, plus le loyer. Je me retrouvais avec à peu près 6'000 euros par mois dans la poche pour toutes mes dépenses et pour l'épargne. Au début j'étais à Milan et le business était bon. Je travaillais beaucoup. Ensuite j'ai essayé Naples, pendant deux semaines, mais ça ne marchait pas du tout alors je suis retournée à Milan. En gros c'était des Italiens et presque pas d'étrangers parce qu'on était en plein <em>lockdown</em>. Quelques fois des jeunes mais en général des hommes plus âgés et assez riches.<br /><br /><strong>Comment se comportent les clients italiens?</strong></p> <p>Je ne les aime pas du tout. La plupart se fendent de grandes déclarations, «tu es l'amour de ma vie», «je suis fou de toi«, «je t'aime», «je veux t'épouser» et toutes ces bêtises, alors que nous savons tous les deux pourquoi je suis venue chez lui. Et vraiment, tous les Italiens se comportent comme ça, comme des grands enfants. J'ai passé trois mois à Milan et j'en suis revenue avec 3'000 euros épargnés.</p> <p><strong>Tu as dû expliquer ce voyage à tes parents?</strong></p> <p>Non, j'ai juste dit que j'avais trouvé un boyfriend qui m'avait emmenée en voyage, ils n'ont jamais posé de questions. Mais j'ai eu une mauvaise expérience à Milan. Je suis tombée sur un sale type, le propriétaire de l'appartement. Après quelques jours, il s'est pointé à ma porte et a essayé de me faire dire que je l'avais payé en fausse monnaie, ce qui était faux. Comme il voyait que ça ne marchait pas, il m'a fait comprendre qu'il savait ce que je faisais et qu'il pouvait me dénoncer à la police. J'ai éclaté en sanglots, j'étais hors de moi, terrorisée. S'il allait à la police, ça voulait dire que je serais expulsée de l'UE et que je ne pourrais pas revenir pendant des années. Il a appelé mon agent, et mon agent m'a dit de lui donner 500 euros, juste pour le faire taire. Mais ça n'a pas suffi. Il est souvent revenu me voir et me demandait de le sucer, et sans le dire à mon agent, ce que j'ai toujours réussi à éviter. Il a souvent essayé ce petit manège. Ça me plongeait dans des dépressions sévères.</p> <p><strong>Et après ce retour à Moscou, où es-tu allée?</strong></p> <p>Une amie m'a encouragée à la rejoindre à Tbilissi en Géorgie. J'ai dit que ça ne m'intéressait pas, que je voulais aller en France. Je ne sais pas pourquoi, j'avais un mauvais pressentiment à propos de ce pays. Et j'ai eu du flair. Un jour avant mon arrivée prévue en Géorgie, un client est venu chez mon amie. Ils ont eu un rapport sexuel, puis il lui a montré sa plaque de policier. Il ne l'a évidemment pas payée et lui a également volé tout le liquide qu'elle avait. Et puis il a ouvert la porte et ses collègues sont arrivés pour arrêter mon amie et l'emmener en prison, où elle est restée environ deux mois, sans téléphone, sans rien, à devoir attendre une décision de justice. Et encore elle a eu une chance relative. Je connais une autre fille qui est restée deux ans en prison en Géorgie. Cela ne m'est jamais arrivé, je touche du bois, ni en Russie où les clients sont assez riches pour acheter la police, ni en France ou ailleurs. Mais j'ai toujours peur, je fais toujours très attention, je vérifie tout plusieurs fois.</p> <p><strong>Donc tu es allée en France. </strong></p> <p>Oui, j'ai commencé par Bordeaux, où le business était très bon, puis Toulouse, où c'était totalement mort, puis Marseille, également très faible, puis Montpellier, sans aucun intérêt, peuplé de gens très bizarres et malsains, et puis Lyon, où ça marchait assez bien. On faisait le tour des grandes villes pour voir où le marché était preneur. A Bordeaux par exemple, je peux travailler quelques jours mais ensuite je suis connue, j'ai fait le tour des clients. Alors je dois repartir et trouver un autre marché. Quand ça marchait bien, je faisais environ deux clients par jour, c'était comparable à l'Italie, donc je gagnais environ 6 ou 7'000 euros par mois avant dépenses. Et puis je montée à Paris.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Comment est Paris par rapport au reste de la France?</strong><br /><br />Evidemment je gagnais beaucoup mieux. Mais je devais constamment changer d'appartement, c'était un enfer, parce que je voulais payer en liquide mais la compétition était trop forte. Et puis la ville est tellement chère, chaque trajet en taxi coûte 30 euros. En plus je devais faire très attention, ne jamais faire monter quelqu'un mais descendre d'abord voir le client dans la rue, s'assurer que tout est en ordre. D'autre part à Paris tout dépend du quartier. Si je vis dans un quartier riche, j'ai de bons clients, propres et convenables. Mais si je vis dans un quartier pauvre, c'est bien plus risqué. Parce qu'à Paris, contrairement à la France, mes clients venaient du monde entier. A Bordeaux ce n'était que des Français, à Paris beaucoup d'étrangers. Mais le business était très bon, alors je suis restée quatre mois à Paris.</p> <p><strong>Et comment sont les clients français?</strong></p> <p>Les meilleurs! Ils ne pensent pas qu'à eux-mêmes. Ils pensent à la fille. Ils arrivent et te disent: «Tu n'as besoin de rien faire, allonge-toi là, je vais te lécher la chatte, je vais t'embrasser, tu te laisses faire». Ils arrivent avec une bouteille de vin et des fleurs et paient pour une heure mais peuvent partir après vingt minutes s'ils ont terminé. En Italie les types comptent les minutes et les secondes comme des épiciers, mais à Paris ils s'en fichent complètement.</p> <p><strong>Quatre mois à Paris, c'est long. Tu as eu le temps de voir la ville?</strong></p> <p>Je m'arrangeais avec mon agent, je lui disais que je serais disponible de telle à telle heure, et je prenais mon temps pour me balader et découvrir la ville. Et je n'ai eu aucun problème avec la police, alors même que c'était le confinement et que je n'avais pas les permis pour me déplacer au milieu de la nuit. J'ai eu de la chance et personne ne m'a jamais arrêtée. Et puis j'ai eu assez souvent des clients qui payaient pour la nuit, c'était 1'200 euros. Mais j'étais trop seule, j'étais souvent déprimée. Mon agent me disait que c'était bien pour moi d'être seule, que ça me permettait de me concentrer sur mon travail.</p> <p><strong>Combien as-tu réussi à épargner à Paris? </strong></p> <p>Presque rien, à peu près 1'000 euros. J'étais furieuse. J'avais eu environ 170 clients pendant quatre mois, donc j'avais en tout gagné plus de 40'000 euros en liquide! Et malgré tout, tout mon argent était parti, d'abord dans la commission de 50% de mon agent mais aussi en factures, loyer, taxi, repas, des bêtises. Beaucoup de filles travaillent pour aider leurs familles restées au pays. Quand je travaillais à Paris, je ne savais tout simplement pas quoi faire de ma vie. Je n’ai donc pas économisé, et c’était mon problème. Si j'avais économisé, je serais riche maintenant. Mais j'ai juste tout dépensé, j'ai acheté des trucs et j'ai voyagé et pendant tout ce temps, je pensais, c'est bon, je dois juste travailler encore un peu pour tout récupérer. Parce que ce travail est une drogue. C'est de l'argent facile. En Russie, je gagnais 200 euros par mois. Et avec ce métier, je gagnais 6 ou 7'000 par mois. C'est donc très difficile d'arrêter. Et ça m'a fait comprendre que je devais travailler en indépendante, sans agent.</p> <p><strong>Après la France, quel autre pays as-tu visité?</strong></p> <p>Je suis allée à Vienne, c'était très bien. Les clients étaient souvent étrangers mais en gros très sympas, respectueux. Il y avait beaucoup de clients suisses, qui se comportaient toujours très bien. Et puis j'aimais beaucoup Vienne, j'étais dans un joli hôtel, je travaillais à mon rythme, c'était agréable. J'ai également travaillé à Madrid et Barcelone. A Madrid c'était la mort, aucun client, à Barcelone un petit peu plus. Les Espagnols n'ont pas d'argent je crois. Ils préfèrent les Colombiennes et les Brésiliennes, qui sont vraiment beaucoup moins chères. J'ai malheureusement dû éviter la Suisse parce que je connais pas mal de gens à Zurich et je voulais éviter les rencontres désagréables.</p> <p><strong>As-tu également travaillé en dehors de l'Europe?</strong></p> <p>Uniquement à Dubai. C'était très, très bizarre. J'ai été payée pendant des semaines par deux cheikh différents, environ 300 euros pas jour, pour vivre dans une villa avec une dizaine d'autres filles et sans jamais coucher avec qui que ce soit. On passait nos journées au bord de la piscine, à faire du shopping et à aller au restaurant. J'ai tenté avec une copine de travailler en privé, mais sans aucun succès, et ça m'a beaucoup déplu. C'était dégradant, on se retrouvait derrière des restaurants avec des types qui me disaient que c'était trop cher, ça ne menait à rien.</p> <p><strong>Pourquoi as-tu décidé d'aller à Belgrade?</strong></p> <p>A cette époque, il y a un peu moins de trois ans, j'avais une amie qui était déjà à Belgrade. Elle m'a dit que c'était très bien, alors j'ai essayé. On était trois filles dans un appartement, c'était sympa.</p> <p><strong>Puisque ta profession est illégale, tu es ici avec un visa touristique, comment procèdes-tu?</strong></p> <p>Chaque mois, je dois traverser la frontière, obtenir le tampon et revenir.</p> <p><strong>Tu étais ici avant le début de la guerre en Ukraine. Combien d’escorts y avait-il ici avant la guerre, et combien depuis le début de la guerre? Et combien parmi elles sont des Russes?</strong></p> <p>Avant la guerre, il y avait un peu de concurrence, mais pas trop. Depuis le début de la guerre, il n'y a presque plus d'emplois tellement la concurrence est forte. Et je ne suis pas sûr qu’il reste beaucoup de filles serbes. On peut vérifier (elle sort son téléphone et va sur un site d'escort populaire). Si je sélectionne la Serbie ici, je vois qu'il y a maintenant 1'447 escorts qui opèrent à Belgrade. Mais beaucoup de ces comptes sont inactifs, ou faux, disons environ 50%. Cela laisse donc environ 750 filles, pour la plupart russes. Ce qui est bien trop pour Belgrade, il n'y a pas de marché pour autant d'escorts. Et du coup les prix baissent. Certaines filles sont désormais prêtes à travailler pour 150 euros, et alors toutes les filles se sentent obligées de baisser leurs prix. Et c'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.</p> <p><strong>Je dois te poser cette question, mais à quel point ce travail est-il agréable?</strong></p> <p>Cela dépend. Parfois, j'ai juste besoin d'argent, je dois travailler. Alors je deviens une personne différente. Je ferme mon esprit et je fais ce que je dois faire, d'une façon automatique, même si je ne veux pas le faire. Mais d'autres fois, j'ai vraiment envie de faire l'amour et comme c'est mon métier, ça peut être agréable. Dans ces situations, si l'homme sait s'y prendre je peux jouir, mais s'il est mauvais, alors je ne jouis pas. C'est exactement comme la vie normale.</p> <hr /> <h3 style="text-align: center;"><em>«C'est pareil partout en Europe, les Russes sont coincées en-dehors de Russie et inondent le marché, ce qui fait sombrer les prix et qui pousse un grand nombre d'entre elles à prendre des emplois réels et à ne faire ce métier que de manière complémentaire, pour s'en sortir.»</em></h3> <hr /> <p><strong>Y a-t-il des histoires d'abus, de violence?</strong></p> <p>Bien sûr. Quand j’ai commencé, je ne savais pas à quoi m’attendre. Parfois, un homme me frappait, alors j'appelais l'agence et ils me disaient: «Non, c'est impossible, c'est un bon client, il n'y a jamais eu de plainte le concernant». Vous savez donc que vous ne pouvez pas être protégée. Un jour un Ukrainien m'a appelée dans un restaurant et nous nous sommes retrouvés chez lui. Il m'a payée en dollars. Mais quand je suis rentrée chez moi, j’ai réalisé qu’il s’agissait de fausse monnaie. Chaque fois que quelque chose de vraiment grave arrive, c'est soit un client russe, soit un client ukrainien. Mais une de mes amies, une jolie blonde, a été appelée par un client serbe, qui n'aime pas les blondes. Il l'a appelée et l'a battue jusqu'à ce qu'elle soit réduite en bouillie, elle était couverte de sang. A tel point qu’elle a quitté le pays par la suite. Une autre copine a été trompée par un client qui ne lui a pas dit qu'il était policier, qui lui a pris tout son argent et l'a expulsée de Serbie. Or j'ai appris par la suite que ce flic travaillait en réalité pour une agence concurrente, pour laquelle il nettoyait le marché en se servant grassement au passage.</p> <p><strong>Quel type de service te demande-t-on habituellement de pratiquer?</strong></p> <p>Je ne travaille jamais avec des sextoys ou des uniformes. Parfois, les clients me demandent de me présenter en lingerie ou en talons, mais ce n'est pas vraiment un uniforme. En général, c'est du sexe assez régulier. Je refuse la sodomie, mais beaucoup de filles acceptent avec un supplément. Certains clients demandent à coucher sans préservatif, ce que je refuse également.</p> <p><strong>Comment juges-tu le regard de la société et des médias sur ton métier?</strong></p> <p>Les médias et la société en général ne comprennent pas du tout la différence entre escort et prostituée. Escort, c'est un métier, quand bien même c'est illégal. Je choisis mes clients, je dois savoir m'y prendre techniquement sur le plan sexuel, savoir envisager mes clients sur des tas de fantasmes et de scénarios. Une prostituée ne travaille que sur le court terme, et uniquement pour l'argent. Une escort doit savoir discuter, passer la soirée avec des hommes très différents, de cultures très variées. C'est un métier difficile, qui exige un engagement complet, du corps mais aussi de l'esprit. Oui, c'est vraiment un métier. Le mot le plus adapté, c'est geisha, c'est-à-dire une femme qui doit savoir faire plaisir à un homme, pour de l'argent, en réalisant tout un éventail de tâches complexes et délicates. Et évidemment que la société condamne ce métier. La chose est simple: qui serait d'accord de savoir que sa propre épouse fait ce métier? Les hommes sont obsédés par la pureté des femmes. De savoir que telle ou telle femme a vu des centaines de bites, ça les dégoûte en général. En ce qui me concerne, je reste très discrète, je ne montre jamais ma photo sur les sites Internet, et je sais que cette partie de ma vie restera toujours un secret si je veux trouver un mari ou fonder une famille.</p> <p><strong>Combien de temps penses-tu pouvoir continuer ce métier?</strong></p> <p>Encore quelques mois, le temps pour que je puisse mettre de l'argent de côté. Comme je l'ai dit, avant, je gaspillais tout, maintenant j'essaie de le mettre de côté et d'en faire quelque chose de significatif.</p> <p><strong>Quel est ton rapport à ton travail?</strong></p> <p>Je voudrais ne pas devoir le faire. Je suis souvent déprimée. Quand j'ai des relations sexuelles régulières avec un petit ami, je suis très confuse: est-ce que c'est pour le travail, ou pour le plaisir? Je me sens perdue avec moi-même. Je voudrais aussi ressentir quelque chose, pas seulement parce que je dois le faire pour un homme. Et la plupart des autres filles ressentent la même chose, nous parlons beaucoup ensemble.</p> <p><strong><span>Y a-t-il quelque chose que tu as appris en faisant ce métier?</span></strong></p> <p>Oui, beaucoup de choses. Par exemple, je sais très bien faire l'amour. Cela peut paraître dégradant, mais je suis devenue une professionnelle, je sais comment réaliser la pipe parfaite. Et plus important encore, je connais les hommes maintenant. Je ne suis plus timide avec les hommes, je sais de quoi je peux parler. Je sais à qui je peux accorder ma confiance, ou pas. Cela m'a souvent aidée, je vois tout de suite qui est la personne, de quoi on doit parler, comment les choses vont se passer. D’une certaine manière, on peut dire que j’ai plus de pouvoir maintenant.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'conversation-avec-une-femme-invisible', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 117, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4867, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'La guerre, ce véritable objet de notre désir', 'subtitle' => 'Diffusée par Netflix depuis mars, la première saison du "Problème à trois corps" a pris le monde d'assaut. Sur la base d'un roman écrit par un auteur chinois à succès, cette fable apocalyptique nous raconte énormément de choses sur nous et notre société.', 'subtitle_edition' => 'Diffusée par Netflix depuis mars, la première saison du "Problème à trois corps" a pris le monde d'assaut. Sur la base d'un roman écrit par un auteur chinois à succès, cette fable apocalyptique nous raconte énormément de choses sur nous et notre société.', 'content' => '<p>Le philosophe slovène Slavoj Zizek étaye souvent ses théories sociales et politiques de blagues, mais surtout d'exemples de la culture de masse et populaire. En illustrant son propos avec des séries télévisées ou la politique marketing de Starbucks, il nous permet de distinguer le discours, ou disons la petite musique de fond de notre époque, avec bien plus d'acuité que toutes les œuvres dites de haute culture. Ainsi la série Netflix <em>Le</em> <em>Problème à trois corps </em>offre un résumé saisissant des passions qui nous agitent depuis quelques années. On pourrait presque y voir un évangile tant son scénario est lisible comme un résumé de toutes nos craintes, de nos désirs et de nos croyances.</p> <p>Cette <a href="https://www.netflix.com/title/81024821" target="_blank" rel="noopener">série</a> en neuf épisodes, pour lequel nous attendons la seconde saison, est un morceau de bravoure télévisuelle incontestable. On s'amuse bien en la regardant, la production est léchée, les acteurs sont crédibles et les dialogues sont prenants. Lorsque l'on sait que l'auteur des livres qui ont inspiré cette série est chinois, on est également prié de comprendre que la domination absolue de l'Amérique sur la culture de masse ne sera bientôt plus qu'un lointain d'un souvenir. Ce que "Squid Game", la série coréenne, nous avait déjà permis d'entrevoir.</p> <p>La science-fiction permet à un auteur de projeter dans une œuvre sa vision de la société et de son avenir. L'éclosion de ce genre a eu lieu sous l'effet combiné de notre soudaine connaissance de l'histoire à partir du XIXe siècle, puis des idéologies et des massacres de masse du XXe siècle, qui nous ont fait perdre notre innocence. Dans un monde devenu dangereux et mouvant, l'artiste avait soudain reçu le commandement d'imaginer l'issue de ce chaos.</p> <p>Après les débuts fabuleux et enfantins de Jules Verne, les boucheries de Verdun puis du Troisième Reich ont définitivement assombri le genre vers les dystopies orwelliennes, mais aussi celles de Huxley, de Clarke, de Bradbury en passant par Philippe K. Dick, jusqu'à Liu Cixin, auteur du <em>Problème à trois corps</em>. Comme si l'optimisme était considéré comme un péché mortel, la totalité de ces auteurs, dont certains sont des géants de la littérature mondiale, ont en commun de nous imaginer un avenir épouvantable, où l'univers concentrationnaire allemand est utilisé comme mètre-étalon de ce que le cerveau humain peut engendrer à son nadir. Le <em>Problème à trois corps</em> n'échappe pas à cette règle.</p> <p>On pourrait s'arrêter sur trois éléments centraux du <em>Problème à trois corps</em>, réunis sous un dénominateur commun. Le premier élément, c'est la nature même de l'ennemi. Le second élément, ce sont ceux parmi les êtres humains dont on attend la solution. Et le troisième élément, c'est le genre de monde dans lequel on nous promet la victoire sur l'Ennemi. Le dénominateur commun, celui qui résume et englobe tous les autres, c'est ce désir de guerre, central dans un nombre incalculable de productions culturelles de masse depuis des années déjà.<br /><br />Le premier élément, l'Ennemi, est un miroir parfait des craintes combinées de nos sociétés depuis quelques années. Dans la série, l'Ennemi est une espèce intelligente, lointaine, dont il semble possible qu'elle soit animée des pires intentions concernant la race humaine. Condamnée à des cataclysmes sans fin dans son système planétaire à trois corps, origine du titre, cette espèce a pour projet de conquérir la terre et d'en déloger l'humanité. Les intentions exactes de cette espèce restent floues, mais potentiellement néfastes. Ce qui correspond exactement aux ennemis que nos sociétés affrontent ou croient devoir affronter depuis plusieurs années. Nous ne craignons plus l'invasion de l'Allemagne ou une armée régulière quelconque. Nous craignons désormais le changement climatique ou les pandémies. Comme dans le <em>Problème à trois corps</em>, ces ennemis menacent l'humanité dans son ensemble, n'ont pas de nom ou de visage et semblent invincibles.</p> <p>Le second élément concerne ceux parmi les humains dont on doit attendre une solution contre l'Ennemi. La série concentre son récit sur un aréopage de jeunes scientifiques, surdoués et nécessairement multiethniques. Torturés par des dilemmes éthiques de façade, ceux-ci vont néanmoins diligemment offrir leurs compétences à un pouvoir qui n'est plus politique, mais financier, sorte de démiurge à la Elon Musk qui prend des décisions discrétionnaires pour la planète entière. La pandémie de COVID nous l'avait déjà appris, comme le discours climatique. Ce ne sont plus de nos jours les papes, les princes et les généraux dont on doit attendre la parole et l'ordre, mais les scientifiques. « <em>Il faut croire les docteurs !</em> » s'époumonait une cliente âgée d'un restaurant lémanique la semaine dernière. Durant toute la pandémie de COVID, cette antienne nous a été répétée sur tous les plateaux de télévision et dans tous les journaux : il faut croire en la science. Sans jamais relever que cette injonction est en soi contradictoire, puisque la science n'est pas affaire de foi. 2 + 2 font 4, qu'on y croie ou non.</p> <p>Le troisième élément, déjà visible dans le second, c'est le monde dans lequel on nous annonce que se trouve la victoire contre l'Ennemi. Il serait facile de pointer le fait que l'auteur du livre est chinois, que cela explique pourquoi le problème à trois corps est traversé par un tel dédain de la démocratie. Mais il est également probable que ce mépris pour l'organisation politique traditionnelle soit le fruit même des craintes qui nous hantent. Que ce soit le démiurge aux poches sans fond qui finance les jeunes scientifiques, ou la décision des Nations Unies de confier le sort de l'humanité à trois personnes, sans aucun droit de regard, tout cela illustre notre désarroi face à des instances politiques qui se perdent en des débats interminables qui accouchent de souris.</p> <p>La guerre qui oppose l'Occident à la Russie en Ukraine fait apparaître que le pouvoir direct d'un seul, même plus faible et plus petit, offre des avantages considérables lorsque l'on est soi-même soumis à des contrôles et des élections interminables. « <em>Je veux que vous paniquiez</em> », criait d'une voix étouffée Greta Thunberg. La panique est incompatible avec la démocratie, avec la discussion et le consensus. Elle exige une action immédiate et irréfléchie. Et pourtant, alors même que cette série se veut une sorte de miroir du début de la Seconde Guerre mondiale, elle ignore complètement que, précisément, c'est la solidité du système démocratique anglo-saxon qui a permis la victoire sur l'Allemagne dictatoriale.</p> <p>Enfin, parlons du dénominateur commun. Que ce soit dans le <em>Problème à trois corps</em> ou dans les myriades de séries et de films que Netflix nous propose depuis des années au sujet de la Seconde Guerre mondiale, que ce soit dans l'hystérie collective délirante au sujet de la Russie en Ukraine, que ce soit dans les décisions martiales et apocalyptiques prises au début de la pandémie, il est difficile d'échapper à l'omniprésence de ce désir de guerre, du moins en Occident.</p> <p>La guerre, que l'on assimile inconsciemment toujours à la Seconde Guerre mondiale, mais jamais à la Première, ou à celle de Crimée ou d'Irak, représente ce moment d'union absolue contre le mal absolu, cet instant magique où sont suspendus les divisions et les doutes abyssaux d'une société en perte de sens et de motivation. Enfin, chacun peut se sacrifier pour la collectivité, trouver un sens à sa vie, échapper à l'anémie de la société de consommation, aux exigences de bonheur des médias sociaux, et se jeter dans la fournaise du combat des Justes contre la Bête immonde. Voilà ce qui me passait par la tête, avachi dans mon fauteuil, sirotant mon gin tonic et passant impatiemment d'un épisode à l'autre pour savoir comment se terminerait la première saison.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'la-guerre-ce-veritable-objet-de-notre-desir', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 46, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4847, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Anatomie d'une mauvaise chute', 'subtitle' => 'Le dernier film de Justine Triet, qui vient de recevoir les hommages extatiques de l'officialité cinématographique, est aussi un monument d'idéologie à la gloire des femmes et à la charge des hommes. Si l'on cherchait un évangile pour ce nouveau féminisme de confrontation perpétuelle entre les sexes, «Anatomie d'une chute» remplit tous les critères. (Attention spoiler!)', 'subtitle_edition' => 'Le dernier film de Justine Triet, qui vient de recevoir les hommages extatiques de l'officialité cinématographique, est aussi un monument d'idéologie à la gloire des femmes et à la charge des hommes. Si l'on cherchait un évangile pour ce nouveau féminisme de confrontation perpétuelle entre les sexes, «Anatomie d'une chute» remplit tous les critères. (Attention spoiler!)', 'content' => '<p>Disparu il y a deux ans, le prix Nobel de physique Steven Weinberg est surtout connu du grand public pour cet aphorisme: «Il y aura toujours des gens bien qui font de bonnes choses, et des mauvaises gens qui font de mauvaises choses. Mais pour que des gens bien agissent mal, il faut la religion». Que l'on soit chrétien ou athée, cette phrase conserve toute sa pertinence si l'on remplace le mot religion par idéologie. Et l'idéologie est le personnage principal d'<em>Anatomie d'une chute</em>. L'histoire se résume une seule phrase: Un homme meurt, comment est-il mort? C'est le genre classique du «<em>whodunnit</em>» américain, contraction de «<em>who's done it</em>», ou qui l'a fait. Et comme dans tous les <em>whodunnit</em>, le spectateur est délibérément entraîné sur de fausses pistes les unes après les autres. Agatha Christie était maître du genre et parvenait à maintenir le mystère complet jusqu'à la révélation du coupable par l'inébranlable et moustachu Hercule Poirot. Ce <em>whodunnit</em> échappe hélas à cette règle tant son dénouement est prévisible.</p> <p>Dans un chalet isolé de haute montagne, non loin de Grenoble, un couple vit avec un enfant d'une dizaine d'années et presque aveugle. Au retour d'une promenade avec son chien, l'enfant découvre le corps de son père, une plaie sanglante à la tête, allongé devant le chalet, mort. Cette plaie ouverte au crâne donne lieu à une enquête de police, puis à une mise en examen de l'épouse. Au terme d'un procès hautement émotionnel, l'épouse est acquittée et la thèse du suicide s'impose. </p> <p>Le film est construit en deux parties, la première servant d'alibi à la seconde. La première partie pourrait s'appeler «apparence conventionnelle de la femme en tant qu'épouse et mère». La seconde partie pourrait s'appeler «découverte de l'inhérente perversité de l'homme à tous points de vue». Ainsi, dans la première partie, la réalisatrice Justine Triet s'attarde sur la maladresse et l'apparente froideur de l'épouse, une écrivaine allemande exilée en France, pour nous amener à douter de son innocence de façade. Nous ne voyons même pas le mari, nous ne faisons qu'entendre la musique qu'il fait jouer beaucoup trop fort dans son grenier, afin de rendre impossible un entretien que sa femme donne à une jeune étudiante. Toute la personnalité du mari est contenue dans cette scène. Il est volontairement absent, manipulateur et passif-agressif. A mesure qu'avance l'enquête, l'épouse multiplie les maladresses à sa propre décharge. Nous ne savons encore rien du mari, sinon qu'il traîne un lourd sentiment de culpabilité envers son fils, rendu aveugle à la suite d'un accident dont il se sent responsable.</p> <p>Lors du procès nous découvrons comment fonctionne le couple. Il ressort que l'épouse est une écrivaine à succès. Tandis que le mari, lui-même aspirant écrivain, ne parvient pas à écrire quoi que ce soit. Il est donc rongé à parts égales de frustration et de jalousie envers sa femme. A cela s'ajoute la jalousie sexuelle qu'il éprouve pour elle qui, bisexuelle, l'a trompé avec une autre femme. Pourtant, avant même que ce procès commence, il est manifeste que les preuves matérielles d'un éventuel assassinat sont plus que ténues – quelques gouttes de sang – mais surtout que les motifs de l'épouse pour tuer son mari sont inexistants. Si l'un des deux se nourrit de haines et de jalousie, c'est lui, pas elle.</p> <p>Alors que le procès touche à sa fin, nous découvrons – enfin! – qui est cet homme. Ainsi celui-ci provoque et enregistre des querelles violentes avec sa femme, qu'il retranscrit ensuite pour les envoyer à un éditeur. Autrement dit, un esprit profondément tordu et retors, atrocement jaloux de sa propre épouse et recourant à des méthodes scélérates pour tenter de lui damner le pion. Enfin intervient le Deus Ex Machina, le fils aveugle. Protégeant sa mère de son innocence et de sa clairvoyance Saint-Exupérienne («l'essentiel est invisible pour les yeux»), il déclare à la Cour que du suicide de son père ou de l'assassinat par sa mère, seul le suicide est crédible. En sortant du tribunal, tout le monde jubile, la femme est innocente, le mari suicidé n'était qu'un salaud et le fils est un génie juridique qui a sauvé sa mère d'un père indigne.</p> <p>Revenons à Weinberg et à son «pour que des gens bien agissent mal, il faut la religion». A travers 2h31 de film, Justine Triet nous propose des personnages féminins uniformément vertueux et des personnages masculins uniformément mauvais, ou douteux. Même l'avocat, qui a pourtant fait preuve de courage et d'ingéniosité, se livre à deux reprises à des approches sexuelles envers sa cliente. Il est lui-même secondé d'une consœur qui, elle, n'a rien à se reprocher. Le procureur est d'une cruauté sarcastique insoutenable. La présidente du tribunal est juste et sage. La mère est maladroite, ce qui est toujours retenu contre elle, mais c'est une femme forte qui a du succès. Comme épilogue, le spectateur est convié à se réjouir de la mort tragique d'un homme malheureux. Il est mort mais c'est sa femme qui est la vraie victime. Il s'est suicidé, tant mieux. </p> <p>Emmanuel Todd a publié en 2022 un essai sur le féminisme actuel intitulé <em>Où en sont-elles?</em>. Il y détaille un mouvement non plus fondé, comme ses incarnation précédentes, sur un désir de progrès collectif, mais sur une volonté de confrontation perpétuelle entre les sexes. <em>Anatomie d'une chute</em> se situe exactement dans cette idéologie. La réalisatrice inverse les moralités les plus évidentes et fait d'une tragédie une victoire. Elle nous explique que si le mari s'est suicidé, c'était forcément d'abord pour nuire à sa femme et à son succès qu'il ne supportait plus. La compassion pour le geste extrême de cet homme n’est jamais envisagée, il n’a eu que ce qu’il méritait. Même le fils aveugle est parvenu à déceler les intentions maléfiques de son père pour pouvoir sauver sa mère.</p> <p>La production actuelle cinématographique va très souvent puiser à cette idéologie: <em>Poor Things</em>, <em>Barbie</em>, les dernières grandes productions sont toutes frappées de ce sceau. Que cela participe d'un sexisme plus extrême encore que le machisme déprimant des films français d'après-guerre (<em>Les Valseuses</em>, <em>Les Tontons Flingueurs</em>) semble ne choquer personne. Ce nouveau sexisme est grave. Il est évangélique dans son désir de nous y soumettre tous et toutes. Ce sexisme, qu'<em>Anatomie d'une chute</em> incarne si parfaitement, est absolu dans sa conviction que le principe féminin est par nature vertueux, et que le principe masculin est par nature vicié et ne peut trouver de rédemption qu'à travers le principe féminin.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'anatomie-d-une-mauvaise-chute', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 54, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4811, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Pour l'Europe, le passé a de l'avenir', 'subtitle' => 'Ayant exporté ses usines, sa pollution et ses ouvriers aux quatre coins de la planète, l'Europe est devenue le décor scénarisé d'un tourisme global. Elle peut imaginer en tirer désormais une rente confortable. Ce que n'avaient probablement pas imaginé les bâtisseurs de nos cathédrales et palais.', 'subtitle_edition' => 'Ayant exporté ses usines, sa pollution et ses ouvriers aux quatre coins de la planète, l'Europe est devenue le décor scénarisé d'un tourisme global. Elle peut imaginer en tirer désormais une rente confortable. Ce que n'avaient probablement pas imaginé les bâtisseurs de nos cathédrales et palais.', 'content' => '<p>C'est par un soir brumeux, illuminé par des alignements de lampadaires étouffés, que nous avons pénétré, mon fils et moi, dans Kødbyen, à l'est du quartier de Vesterbro. Le brouillard, à Copenhague, n'est pas une vaporeuse guirlande de Noël, c'est un tunnel d'octobre en avril. Parti de Stockholm le matin même, pendant cinq heures et sur plus de 500 kilomètres, le train avait longé des toundras détrempées, des milliers de lacs, des forêts d'avant l'apparition d'<em>homo sapiens</em> et des petites maisons couleur vanille, pistache ou framboise.</p> <p>Notre hôtel se trouvait au cœur du quartier le plus excitant de la capitale danoise. Retranché du centre historique par une gare centrale héritière d'un temps où le transport en commun était grandiose, Kødbyen, les anciens abattoirs, n'est que la version danoise d'une réalité désormais ubiquitaire: les zones industrielles et les docks rhabillés en centres gastronomiques et culturels. Là où des hommes souffraient pour gagner une misère avant de s'en aller sans bruit vers une mort hâtive, on boit et on s'amuse aujourd'hui. Dans ce bar à cocktails baigné d'une lumière rosâtre, le sol de pavés éraflés par les machine-outils et les murs de briques constellés de trous de vis racontent une autre histoire: les tâches monotones et dures, les ordres glapis, les pauses furtives, le vacarme incessant. Dans toutes les villes du monde occidental, surtout les centres portuaires, ces quartiers exhibent les mêmes hangars de briques et de béton aux mêmes fenêtres quadrillées, aux mêmes luminaires zingués. Et la même foule vespérale, vêtue de cuir, de laine et de jean, maigre, tatouée, piercée.</p> <p>Post-industriel est le nom que l'on donne à ces hangars et ces docks et à leur esthétique. C'était industriel, l'usage premier était productif, et ne l'est plus. Ces lieux ne sont plus fréquentés de jour, mais de nuit. Et la grande majorité de ceux qu'on y rencontre n'y produisent rien. Ils y dépensent leur argent. Comme moi d'ailleurs, et sans bouder mon plaisir.</p> <p>Tous les jours, comme tous les touristes besogneux, je me rendais dans le centre historique de Copenhague pour y écumer les musées, les restaurants et les lieux célèbres comme le Nyhaven ou le château de Rosenborg. En descendant Købmagergade, la grande rue commerçante, on passe devant les enseignes que l'on croise désormais dans le monde entier, des marques américaines et européennes, géants du luxe ou du vêtement de masse qui souvent se confondent. Et le soir je rentrais dans Kødbyen pour manger et dormir.</p> <p>Voilà ce que l'on fait lorsqu'on visite une grande ville. Avant Copenhague, nous avions passé quelques jours à Stockholm où nous avons fait exactement la même chose, avec autant de plaisir. Nous avons visité, admiré, acheté, mangé, bu et dormi. Et puis marché, plus de 14'000 pas par jour, tous les jours. Dans toutes ces villes, surtout les villes d'Europe, on visite les mêmes centres historiques léchés, les mêmes musées remplis jusqu'aux cimaises de peintres français, les mêmes châteaux, les mêmes rues commerçantes et les mêmes restaurants impeccables. Et les mêmes halles post-industrielles garnies de bars à cocktails et de galeries.</p> <p>Car tout est post, en réalité. Le centre historique est post-féodal, ou post-pauvre. Une seule chose est certaine, il n'est plus ce qu'il fut et n'a plus les mêmes fonctions. Ce que l'on en voit n'est plus qu'une façade, ce qui est sa raison d'être, elle n'existe que pour paraître. Dans les magasins de fripes fabriquées au Vietnam, les solives au plafond sont décorées de gentils dragons du XXème siècle. Dans un bar à burgers, on passe les plats par une élégante fenêtre à meneaux d'où pendent des néons bleu électrique. Les zones post-industrielles ne sont que les dernières, dans le temps, à avoir été muséifiées. Elles sont les seules à être officiellement post-quelque chose, mais elles trahissent la réalité économique et sociale de toute une ville, ou peut-être même, de notre continent, tout entier post-productif.</p> <p>Mais pourquoi regretter le temps où des hommes presque illettrés travaillaient 80 heures par semaine à se rompre les os, laissant derrière eux des épouses débordées de tâches éreintantes, les deux mourant à moins de 60 ans. Plutôt que de croupir dans les cachots de la Conciergerie, ou du Château de Chillon, ou Palais ducal de Mantoue, il est plus agréable de les visiter avant de déguster le plat du jour dans une jolie brasserie de la place. Les tourments et les souffrances de nos lointains devanciers ne feront qu'augmenter notre satisfaction de pouvoir apprécier un si bon déjeuner sans contrainte ni douleur. Et c'est tout, absolument tout, ce que nous en retirerons: une <em>expérience</em>, comme on dit désormais. Ces décors du passé n'existent plus que pour notre plaisir, presque pour nous désennuyer. Qui s'inquiète vraiment de savoir ce qui se passait dans le château de Rosenborg de Copenhague, dans les Invalides ou dans la Ca' d'Oro de Venise. On passe devant, on s'extasie, on prend une ou deux photos et on continue.</p> <p>Ces lieux ne sont plus productifs. Tout au moins ne remplissent-ils plus leurs fonctions premières. Le tourisme est pourtant une industrie. Celle-ci compte pour presque 10% du PIB de l'UE. Cela va de la Croatie, qui doit un quart de son économie (en réalité pas loin de la moitié si l'on prend en compte les acteurs indirects) au tourisme, tandis que l'Irlande ne lui doit que 3%. On estime qu'un emploi sur onze dans le monde est aujourd'hui lié au tourisme. Et l'Europe, avec son histoire, sa géographie et son infinie richesse architecturale et artistique, peut se réjouir d'un avenir brillant de ce point de vue. Les projections sont d'ailleurs exponentielles. En 2010, 500 millions de personnes étaient venues admirer notre continent. On compte que l'an prochain, leur nombre sera de 750 millions. L'Europe, qui a inventé les musées, est en train d'appliquer le concept à sa totalité. Petit à petit, elle devient le parc à thème et le restaurant du reste du monde, qui vient y admirer la maison-mère de la modernité et de la mondialisation. On peut le regretter ou s'en réjouir, aujourd'hui. L'avenir seul nous dira si cette transition, qui semble inéluctable et ne l'est pourtant pas, était heureuse ou malheureuse.</p> <p>Ainsi l'Europe se repose désormais, et se fait admirer derrière une paroi de verre. Elle a sué sang et eau, porté le fer aux quatre coins du globe pour les raisons les plus fantaisistes. Elle a cru à sa propre universalité et inventé l'alphabétisation et le moteur à explosion. Puis elle s'est consciencieusement suicidée dans un déluge d'acier et de feu de 1914 à 1945. Ce qui ne signifie pas qu'elle est devenue improductive. Aujourd'hui elle produit majoritairement des <em>services aux individus</em>: comptables, avocats, banquiers, tatoueurs, psychologues et coachs, coiffeurs, gestionnaires et médiateurs. Ce n'est pas sans intérêt ni noblesse. Après des siècles de guerres en continu, on devrait presque parler de soins post-traumatiques collectifs. Mais elle doit compter sur les autres pour les voitures, les bateaux, les téléphones et les cardigans 50% cachemire. Là où tous ces biens sont produits, avec des Codes du travail élastiques et des taux de pollution robustes, on ne s'embarrasse pas vraiment de ces questions. On s'intéresse à l'avenir. Les Européens, eux, s'occupent du passé. Leur richesse repose désormais sur les zones post-industrielles, les centres historiques post-aristocratiques, les palais post-coloniaux, les geôles post-arbitraires et les cathédrales post-chrétiennes.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'pour-l-europe-le-passe-a-de-l-avenir', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 337, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4768, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Sava Shoumanovitch, la vertu de l'obsession', 'subtitle' => 'Cela fait plus de vingt ans maintenant que le nom de Sava Shoumanovitch (1896-1942) m'est connu. Je vois ses tableaux aux cimaises de tous les musées de Serbie. Et aucun autre peintre serbe ne m'a jamais moins ému que Shoumanovitch. Ses nus rose crustacé, ses paysages aplatis et sa débauche de matière appliquée à la truelle m'abattaient. Je me disais que les Serbes, qui trop souvent confondent malheur et grandeur, avaient peut-être moins de considération pour ses toiles que pour son martyr en 1942, aux mains des Oustachis croates. J'entretenais donc un mépris bruyant pour Sava. Il représentait pour moi l'exemple même de la gloire locale, mélange de sous-Matisse de province et d'Utrillo du dimanche. ', 'subtitle_edition' => 'Cela fait plus de vingt ans maintenant que le nom de Sava Shoumanovitch (1896-1942) m'est connu. Je vois ses tableaux aux cimaises de tous les musées de Serbie. Et aucun autre peintre serbe ne m'a jamais moins ému que Shoumanovitch. Ses nus rose crustacé, ses paysages aplatis et sa débauche de matière appliquée à la truelle m'abattaient. Je me disais que les Serbes, qui trop souvent confondent malheur et grandeur, avaient peut-être moins de considération pour ses toiles que pour son martyr en 1942, aux mains des Oustachis croates.', 'content' => '<p>C'est dans cet état d'esprit, du haut de mes visites annuelles au Rijksmuseum ou au MoMA, que j'ai fait résonner mes pas dans les salles vides du musée Shoumanovitch de Shid, à 100 kilomètres à l'ouest de Belgrade. Dans ce qui fut l'Autriche-Hongrie, Shid n'a pas grand chose d'autre que Shoumanovitch pour se distinguer des autres villes du Srem, ce sandwich de forêts et de champs entre le Danube et la Save. Installé dans une ancienne maison villageoise, doublée sur sa façade arrière par une longue aile d'exposition, le musée est bien conçu et plaisant à visiter.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521819_lextrieurdumuse.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>L'extérieur du musée. © D.L.</em></h4> <p>Assassiné avec 150 autres hommes de Shid à 46 ans, Shoumanovitch est un artiste très connu en Serbie, mais l'homme reste secret. Fils de bonne famille, il a vécu un temps à Paris où il a fréquenté les artistes de Montparnasse (il a décoré un des piliers du restaurant la Coupole). Sa réputation était celle d'un bourreau de travail plutôt solitaire, sans vices connus, sans excès, sorte de fonctionnaire tempérant de la peinture. Il est mort sans bruit, abattu un matin d'août 42 parce qu'il était serbe, laissant derrière lui un frénétique empilement de 800 toiles et 400 dessins, dont le musée conserve plus de la moitié.</p> <p>On y découvre, dans les premières salles, des dizaines de versions d'un même paysage à travers toutes les saisons et toutes les heures du jour. Or ce paysage, aussi féconde que soit l'imagination, est d'une abrutissante monotonie. C'est le Srem, sans surprise et sans éclat, des champs, des rues, des arbres et des petites maisons à pignons. Et rien, si ce n'est la mort violente de l'artiste, n'a jamais perturbé ces paysages qui semblent abandonnés de toute éternité. Mais quelque chose s'est passé alors que mon regard glissait de plus en plus intrigué d'un paysage désert à un autre paysage désert. C'est précisément cette lancinante répétition qui m'en découvrait le secret intérêt, non pas en tant que représentation du réel, mais comme objet d'une obsession lentement contagieuse. On est saisi du même sursaut en découvrant les dizaines de toiles de Giorgio Morandi, représentant les mêmes petites bouteilles sur la même petite table. Ces bouteilles ne sont rien. Mais en les alignant, jour après jour, des décennies durant, devant le même mur pour en faire le portrait, Morandi a créé, non pas plusieurs toiles, mais un ensemble kaléidoscopique. Bout à bout, les toiles de Morandi, comme celles de Shoumanovitch, produisent ainsi dans l'œil puis sur l'âme un effet à la fois dément et méditatif, furieux et suprêmement apaisé. C'est le pouvoir de l'obsession, à laquelle l'artiste ose se rendre sans résister. En sans nous faire partager sa souffrance, il ne nous en restitue que la sublimation, comme un alambic transforme la pourriture en liquide clair et parfumé.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521862_paysagedhiver1935.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Paysage d'hiver 1935. © D.L.</em></h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521904_paysage1934.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Paysage, 1934. © D.L.</em></h4> <p>En entendant mes pas faire grincer le parquet de la longue pièce principale, la gardienne s'est précipitée pour en allumer les lumières. C'est là, seul dans ce musée désert, que j'ai découvert l'invraisemblable série de nus que Shoumanovitch a réalisée au tournant des années 20 et 30, les Baigneuses de Shid. Le long d'un mur d'une quinzaine de mètres, cadre contre cadre, ces formats grandeur nature mettent en scène une seule et unique femme, parfois nue et parfois en maillot de bain, assise, debout ou couchée. Cette même femme aux cheveux blonds permanentés est ainsi représentée en 61 exemplaires, plusieurs par toile, sur treize toiles de même hauteur. Elle était la seule habitante de Shid à avoir accepté de poser pour le peintre dans le plus simple appareil. Sava n'avait pas cherché plus loin, décidé à reproduire ce long corps autant de fois qu'il le faudrait sans qu'on saisisse jamais la raison de cette fantastique absurdité. Le résultat est ce mur de nus, l'un des plus hypnotiques que l'on puisse admirer, digne de Morandi, digne de Vallotton ou de Vuillard. C'est dans cette salle que j'ai compris que je n'avais jamais compris Shoumanovitch. Qu'il était l'un des peintres les plus excitants et les plus originaux, non pas de Serbie, mais de l'Europe du XXème siècle.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521945_lagaleriedesnusdumusedeshid.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>La galerie des nus du musée de Shid. © D.L.</em></h4> <p>Le Rijksmuseum et le MoMA renferment des trésors indiscutables. Mais ce sont des trésors évidents, filtrés par le temps, désignés comme tels par des armées de critiques et des millions d'adorateurs anonymes. Le petit musée Shoumanovitch de Shid, en Serbie occidentale, dans ce Rivage des Syrtes, malgré sa taille, malgré son inexistence au-delà des frontières, malgré son absence de visiteurs, offre pourtant un trésor à l'égal de ces géants. Le force d'attraction du centre sur la périphérie n'est pas une illusion et l'on peut vivre toute une vie en se satisfaisant de l'idée que seuls les grands musées du monde occidental offrent la somme de tout ce qui doit être admiré. On risque alors de ne jamais être transformé par la patiente obsession d'un homme seul à la frontière de nulle part, les yeux crevés par une femme inconnue et des champs aplatis.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'sava-shoumanovitch-la-vertu-de-l-obsession', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 49, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 10606, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Capture d’écran 2023-10-14 à 09.14.43.png', 'type' => 'image', 'subtype' => 'png', 'size' => (int) 1040857, 'md5' => '893e70665c066e8abc3617de10a13307', 'width' => (int) 1280, 'height' => (int) 817, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Publicité pour des services d'escort-girls. Nadia, qui s'exprime dans cet entretien, ne figure pas sur cet échantillon.', 'author' => '', 'copyright' => '© DR', 'path' => '1697467505_capturedcran2023101409.14.43.png', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 6520, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => '22 ans quel bel âge tout est possible encore, difficile de revenir dans la vraie vie ou les salaires sont nettement inférieurs et déclarés. Bon courage ! De la à se comparer à une geisha……sourire… « Oui, c'est vraiment un métier. Le mot le plus adapté, c'est geisha, c'est-à-dire une femme qui doit savoir faire plaisir à un homme, pour de l'argent, en réalisant tout un éventail de tâches complexes et délicates »', 'post_id' => (int) 4537, 'user_id' => (int) 13096, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' } ] $author = 'David Laufer' $description = 'Lors d'une série de discussions sans fausse pudeur, une jeune escort-girl russe de 22 ans explique la réalité cachée de milliers de ses consœurs et compatriotes en Europe, que la guerre en Ukraine a piégées hors de chez elles.' $title = 'Conversation avec une femme invisible' $crawler = true $connected = null $menu_blocks = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Block) { 'id' => (int) 56, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'active' => true, 'name' => '#Trends', 'subtitle' => null, 'description' => null, 'color' => null, 'order' => null, 'position' => null, 'type' => 'menu', 'slug' => 'menu_tags', 'extern_url' => null, 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'posts' => [[maximum depth reached]], '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Blocks' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Block) { 'id' => (int) 55, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'active' => true, 'name' => 'Les plus lus cette semaine', 'subtitle' => null, 'description' => null, 'color' => null, 'order' => null, 'position' => null, 'type' => 'menu', 'slug' => 'menu_highlight', 'extern_url' => null, 'tags' => [[maximum depth reached]], 'posts' => [ [maximum depth reached] ], '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Blocks' } ] $menu = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 2, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'A vif', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 4, 'description' => 'Lorsque nos auteurs ont envie de réagir sur le vif à un événement, des concerts aux disparitions célèbres, ils confient leurs écrits à la rubrique "A vif", afin que ceux-ci soient publiés dans l’instant.', 'slug' => 'a-vif', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 3, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Chronique', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 5, 'description' => '<p>La réputation des chroniqueurs de Bon pour la tête n’est plus à faire: Tout va bien, Le billet du Vaurien, la chronique de JLK, ou encore Migraine et In#actuel, il y en a pour tous les goûts!</p>', 'slug' => 'chroniques', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 4, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Lu ailleurs', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 5, 'description' => 'Pourquoi ne pas mettre en avant nos collègues lorsque l'on est sensibles à leur travail? Dans la rubrique « Lu ailleurs » vous trouverez des reprises choisies par la rédaction et remaniées façon BPLT.', 'slug' => 'ailleurs', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 5, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Actuel', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 1, 'description' => 'Bon pour la tête n’a pas vocation à être un site d’actualité à proprement parler, car son équipe prend le temps et le recul nécessaire pour réagir à l’information.', 'slug' => 'actuel', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 6, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Culture', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 3, 'description' => '', 'slug' => 'culture', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 5 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 7, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Vos lettres', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 6, 'description' => 'Bon pour la tête donne la parole à ses lecteurs, qu’ils aient envie de partager leur avis, pousser un coup de gueule ou contribuer à la palette diversifiée d’articles publiés. A vous de jouer!', 'slug' => 'vos-lettres-a-bon-pour-la-tete', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 6 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 8, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Analyse', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 3, 'description' => '', 'slug' => 'analyse', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 7 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 10, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Science', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'sciences', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 1, 'rght' => (int) 2, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 8 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 11, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Histoire', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'histoire', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 3, 'rght' => (int) 4, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 9 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 12, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Humour', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'humour', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 5, 'rght' => (int) 6, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 10 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 13, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Débat', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'debat', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 7, 'rght' => (int) 8, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 11 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 14, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Opinion', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'opinion', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 9, 'rght' => (int) 10, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 12 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 15, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Reportage', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'reportage', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 11, 'rght' => (int) 12, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' } ] $tag = object(App\Model\Entity\Tag) { 'id' => (int) 896, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'prostitution', 'slug' => 'prostitution', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Tags' } $edition = object(App\Model\Entity\Edition) { 'id' => (int) 136, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'num' => (int) 135, 'active' => true, 'title' => 'Edition 135', 'header' => null, '_joinData' => object(App\Model\Entity\EditionsPost) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Editions' }include - APP/Template/Posts/view.ctp, line 147 Cake\View\View::_evaluate() - CORE/src/View/View.php, line 1435 Cake\View\View::_render() - CORE/src/View/View.php, line 1393 Cake\View\View::render() - CORE/src/View/View.php, line 892 Cake\Controller\Controller::render() - CORE/src/Controller/Controller.php, line 791 Cake\Http\ActionDispatcher::_invoke() - CORE/src/Http/ActionDispatcher.php, line 126 Cake\Http\ActionDispatcher::dispatch() - CORE/src/Http/ActionDispatcher.php, line 94 Cake\Http\BaseApplication::__invoke() - CORE/src/Http/BaseApplication.php, line 256 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 App\Middleware\IpMatchMiddleware::__invoke() - APP/Middleware/IpMatchMiddleware.php, line 28 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 Cake\Routing\Middleware\RoutingMiddleware::__invoke() - CORE/src/Routing/Middleware/RoutingMiddleware.php, line 164 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 Cors\Routing\Middleware\CorsMiddleware::__invoke() - ROOT/vendor/ozee31/cakephp-cors/src/Routing/Middleware/CorsMiddleware.php, line 32 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 Cake\Routing\Middleware\AssetMiddleware::__invoke() - CORE/src/Routing/Middleware/AssetMiddleware.php, line 88 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65
Warning: file_put_contents(/data01/sites/bonpourlatete.com/dev/bonpourlatete.com/logs/debug.log) [function.file-put-contents]: failed to open stream: Permission denied in /data01/sites/bonpourlatete.com/dev/bonpourlatete.com/vendor/cakephp/cakephp/src/Log/Engine/FileLog.php on line 133
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Chan clear 21.10.2023 | 09h14
«22 ans quel bel âge tout est possible encore, difficile de revenir dans la vraie vie ou les salaires sont nettement inférieurs et déclarés. Bon courage !
De la à se comparer à une geisha……sourire…
« Oui, c'est vraiment un métier. Le mot le plus adapté, c'est geisha, c'est-à-dire une femme qui doit savoir faire plaisir à un homme, pour de l'argent, en réalisant tout un éventail de tâches complexes et délicates »»