Actuel / Comment s’est enflammée l’utopie
© Twitter John Deuf
La politique est un théâtre où les discours décollent souvent de la réalité, où se brassent les mythologies. On s’y fait, plus ou moins dupes. Mais là, en Catalogne, les leaders indépendantistes ont poussé le jeu à un paroxysme inimaginable. Ils ont créé, cultivé et imposé la fiction d’un nouvel Etat sans égards à la diversité des opinions, au cadre légal existant, aux réalités économiques. La bulle se dégonfle de jour en jour. Au sein même de ce camp, des voix s’élèvent maintenant pour dire que cet emballement était irréaliste. Mais comment a-t-on pu en arriver là? Sans refaire toute l’histoire, on peut s’arrêter à un aspect de la tragi-comédie qui donne à penser bien au-delà de la Catalogne. Les partisans de la sécession ont utilisé deux armes pour échauffer l’opinion ces dernières années: la télévision et l’école. Et face au déferlement de la propagande, non seulement le pouvoir espagnol mais aussi les médias de Madrid n’en ont pas pris la mesure à temps.
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Ne nous étonnons pas si la Suisse s’avise de suivre…</span></p> <p><span>Et voilà que des banques suisses font du zèle dans le même sens. <em>Le Courrier</em> de Genève révèle que le versement d’un particulier à l’UNRWA a été bloqué… par la Banque cantonale genevoise. Celle-ci s’en est expliquée: «Le paiement que vous avez ordonné le 25 février 2024 en faveur d’UNRWA en Palestine ne correspondant pas à notre politique d’affaires, nous n’avons pas été en mesure d’y donner suite.» Ce n’est pas tout. Dixit le quotidien: «L’affaire n’est pas un phénomène isolé. Présidente de l’association Parrainages d’enfants de Palestine, sise à Genève, Michèle Courvoisier ne parvient plus à faire de virements à son association partenaire en Cisjordanie depuis le 7 octobre (…) Depuis, l’organisation passe par une banque européenne, ce qui renchérit ses coûts d’envoi. Et ce ne sont pas seulement les virements vers la Cisjordanie ou Gaza qui sont visés. 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Ainsi donc la Suisse suspend son aide, comme les Etats-Unis, alors que des proches alliés d’Israël, comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, après avoir interrompu leurs versements au moment des premières accusations israéliennes, les ont repris ensuite. Et pour cause. La situation humanitaire reste catastrophique à Gaza. 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Mais souvent, malgré tous les efforts, on ne trouve pas assez pour porter plainte». Dans une autre interview, elle notait par exemple la multiplication des «barber shops» en ville, dont la faible rentabilité peine à justifier leur maintien dans des locaux que bien souvent les commerçants honnêtes ont dû quitter, ne parvenant pas à assumer les charges.</span></p> <p><span>Selon Nicoletta della Valle, si le crime organisé ne préoccupe pas davantage le public, c'est parce qu'il est invisible. «C’est pourquoi il ne dérange presque personne dans la vie de tous les jours» explique-t-elle. Mais ce cancer peut étendre des métastases insoupçonnables. 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En l’occurrence cela ne s’est pas passé ainsi. Les « Aînées pour le climat » ne sont pas adressées aux juridictions nationales, mais directement à la Cour européenne, avec l’appui financier et politique de Greenpeace.</p> <p>Il est permis aussi de s’interroger sur ces juges de Strasbourg. Chacun d’eux est choisi sur une liste de trois présentée par son pays. Tous ne sont pas magistrats, on compte aussi beaucoup de « représentants de la société civile ». Quant à l’ancrage politique et l’expérience démocratique de ces sages, ils laissent pour le moins perplexe à l’heure de la leçon qu’ils dispensent. De l’Azerbaïdjan à la Bosnie-Herzégovine, de la Bulgarie à l’Albanie…</p> <p>Pas étonnant donc que sur le terrain du droit, le jeu est souvent flottant. Ainsi, l’article 8, pivot de la convention permet toutes les interprétations. Il rappelle que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », mais que l'État peut surseoir à ces droits si cela « est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui». Au chapitre de la liberté d’expression, toutes sortes de réserves sont prévues pour la limiter. Quand la sécurité est en cause… et bien sûr la politique sanitaire… là, pas touche !</p> <p>Les juges ont donc bien tordu le droit pour condamner « le manque d’action climatique ». Porter un jugement sur la politique environnementale d’un pays en se basant sur un tel article, c’est du contorsionnisme. Mais cela ouvre de piquantes perspectives. Des paysans français irrités et appauvris par la concurrence étrangère obtiendront-ils la condamnation des échanges commerciaux ? Les adversaires de tel ou tel chantier autoroutier iront-ils sonner à la porte de Strasbourg ? Une cour de justice qui se laisse porter par les émotions collectives dûment choisies se rabaisse au niveau du cirque. Elle incite ainsi les gouvernements à ignorer ses arrêts même lorsque ceux-ci sont sages. Elle sape les espoirs de voir une arène respectée où l’on veille véritablement sur les droits humains. Bel autogoal.</p> <p>Enfin ces messieurs-dames posés en maîtres de conscience feraient bien de garder les pieds sur terre. L’entrelacs des lois nécessaires sur la gestion raisonnable des ressources énergétiques, sur la pollution, sur la biodiversité, c’est un défi compliqué. Entre les mains des gouvernements et des parlements, en Suisse, entre celles du peuple aussi. Pas une affaire de vague morale européenne. 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Avec la Constitution de 1978, l’Espagne a donné à plusieurs régions un statut d’autonomie élargi. Avec des compétences étendues: un parlement, un gouvernement, une police, des finances propres et deux domaines-clés, l’école et la télévision régionale.
Les pouvoirs catalans n’ont cessé de demander plus d’autonomie, avec plus ou moins de succès. Mais le projet de l’indépendance totale est récent. Ces dix dernières années, divers groupes minoritaires, de droite et de gauche ont fait monter la passion nationaliste et ont entraîné les modérés, en particulier dans la bourgeoisie au pouvoir, toute heureuse que le sujet éclipse les scandales de corruption et les fossés sociaux.
Pour gonfler le soufflé, le «Parlament» a utilisé deux armes d’une efficacité époustouflante: la télévision et l’école.
L'outil de propagande numéro 1
La Catalogne a toujours été une région bilingue. Mais depuis une vingtaine d’années, le système scolaire a imposé partout le catalan et tout fait pour marginaliser l’espagnol. Réduit à deux heures d’enseignement par semaine seulement! Pour les nouveaux arrivants d’autres régions, pour les étrangers, cela posa des difficultés considérables. Et surtout, une division s’installait entre les «vrais» Catalans et les habitants d’adoption. Dans les petites villes, des parents tentèrent de protester, d’exiger l’étude sérieuse du castillan. En vain. Beaucoup furent harcelés jusqu’à devoir envoyer leurs enfants dans des écoles privées.Même à l’université le catalan fut imposé, ce qui eut pour effet de la priver de nombreuses compétences académiques et de pousser bien des étudiants à aller voir ailleurs. Si l’on ajoute à la question linguistique celle de l’enseignement de l’histoire, orienté vers un passé catalan idéalisé, on voit bien comment la mythologie a été construite.
Mais l’outil de propagande numéro 1, c’était et c’est encore la télévision. La chaîne régionale TV3, financée aux trois quarts par le gouvernement catalan, a donné corps à cette «identité» unilatérale. Elle est dirigée par un des dirigeants de l’organisation Omnium Cultural (38’000 membres) qui promeut la langue et la culture catalane à travers une trentaine de bureaux dans toute la province. Suivre les événements sur ce canal en dit long sur le pouvoir manipulateur de la télévision. Les images diffusées en boucle exaltent les manifestations séparatistes, glorifient les leaders du mouvement et tentent de discréditer les opposants, souvent traités de «fachos». Les débats se déroulent tous en catalan seulement et les invités qui ne défendent pas la bonne ligne sont si mal traités que trois des courageux osant apporter une voix discordante ont finalement renoncé à participer. «Reporters sans frontières» vient de publier un rapport qui dénonce le climat irrespirable pour la liberté de presse dans la région catalane. Journalistes locaux et correspondants se plaignent de pression du pouvoir et de harcèlements sur les réseaux sociaux d’une ampleur inégalée.
Taire la vérité pour ne pas faire retomber le soufflé
Il faut dire cependant qu’à la différence de la télévision et de la radio, les journaux de Barcelone continuent de faire leur métier dans la dignité. La Vanguardia – publiée en deux langues – n’a cessé d’appeler au calme et à la raison. Elle se félicite que des élections libres et contrôlées soient en vue, alors qu’elles sont refusées par les jusqu’au-boutistes de l’indépendance immédiate. Elle n’a jamais caché les dissensions à l’intérieur du mouvement séparatiste, écartelé entre son aile modérée et l’extrême-gauche révolutionnaire. Ce journal vient de publier des extraits d’écoutes téléphoniques des leaders. Edifiant! Ils se disaient entre eux que certes le projet promet d’immenses difficultés économiques et politiques mais qu’il ne fallait rien en dire de crainte de faire retomber le soufflé. El Periodico s’efforce aussi d’apporter des informations et des commentaires équilibrés, certes durs à l’endroit du comportement de Madrid mais très critiques aussi à l’endroit des dirigeants catalans.
Mais cette approche intelligente pèse bien peu quand se forme une utopie émotionnelle. Celle-ci trouve un terreau favorable, pas seulement sur celui souvent évoqué de l’histoire tourmenté de la Catalogne, aussi et surtout sur celui des réalités d’aujourd’hui. En dépit de la prospérité relative de la province, la situation sociale du plus grand nombre n’est pas brillante: bas salaires, emplois précaires, chômage encore élevé et surtout absence de perspectives pour tant de jeunes gens souvent très bien formés, sortis d’études sans débouchés. Les thuriféraires de l’indépendance ont réussi à faire croire qu’avec la «République libérée», tout irait mieux. Dans une famille modeste, le reporter du Spiegel n’en croyait pas ses oreilles. On lui expliquait que le gouvernement prenait en charge la moitié des travaux nécessaires à la réfection de la maison. «Avec la République, la totalité serait payée», lança un jeune homme.
Que les lendemains sont durs, lorsque le rêve s’effrite, lorsque les masques tombent, lorsque les réalités honnies s’imposent...
Les médias de Madrid portent eux aussi leur responsabilité
La Catalogne, quel que soit l’avenir proche, n’en sortira pas indemne. L’Espagne non plus. Son gouvernement n’a pas voulu voir la montée de l’utopie. Il n’a pas su y répondre à temps et avec les mots qu’il fallait. Totalement désemparé par le phénomène de la fiction, il est tombé dans sa propre illusion: penser que des arguments juridiques suffiraient à désamorcer le mouvement. Les médias de Madrid portent eux aussi leur responsabilité. La télévision encore une fois en premier lieu. La chaîne La Sexta, «unioniste» pour reprendre le terme des indépendantistes, a mis de l’huile sur le feu, toujours en quête d’images-choc et de propos enflammés. La première chaîne publique, la TVE, a multiplié les débats dans ces jours de folie. En donnant la parole au compte-goutte aux Catalans tentés par la sécession. Nombre d’intervenants en appelaient au dialogue... sans le pratiquer sur les plateaux. Même le sage El Pais, riche d’analyses subtiles, indigné par la violation du droit, ne s’est pas distingué par une lecture approfondie des réalités sur le terrain.
Depuis la fin de la dictature franquiste (1976), depuis la tentative de coup d’Etat de 1981, jamais l’Espagne n’a été mis à ce point au défi de la démocratie. Durant ces dernières décennies, elle l’a assumé, non sans erreurs, mais avec un calme et une sagesse remarquables. Il est permis d’espérer qu’une fois encore, elle sortira de l’épreuve grandie, mûre, consciente de ses fautes passées, prête à des changements démocratiques nécessaires. Elle pourra alors voir en face et empoigner ses vrais problèmes qui n’ont rien à voir avec les querelles identitaires.
Au cœur de la manif anti indépendance #Barcelona #catalunya #espana @hugoclement @mweill pic.twitter.com/2LJpYyy7Ia
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Dimanche 29 octobre 2017, Barcelone: plusieurs centaines de milliers de personnes manifestent contre l'indépendance. © @axeldebeaumont/Twitter
Précédemment dans Bon pour la tête
Catalogne: l’utopie fait long feu, par Jacques Pilet (17 octobre)
Pas de Grand Soir en Catalogne, par Jacques Pilet (10 octobre)
«Les pizzas sont arrivées, elles seront bientôt prêtes...», par Marta Beltran (1er octobre)
L'affreuse journée de Barcelone, par Jacques Pilet (1er octobre)
«La catalanité n’est pas génétique», par Marta Beltran (30 septembre) En libre accès
La réalité multinationale n’a pas de place dans un Etat national, Josef Lang
«Au regard du droit international, le référendum catalan est légitime», Marta Beltran
Le nationalisme indécent de la Catalogne, Jacques Pilet
L’avenir de la Catalogne se joue aussi en Suisse, Marta Beltran
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Ainsi donc la Suisse suspend son aide, comme les Etats-Unis, alors que des proches alliés d’Israël, comme l’Allemagne – qui a même augmenté sa contribution –, la Grande-Bretagne et la France, après avoir interrompu leurs versements au moment des premières accusations israéliennes, les ont repris ensuite. Et pour cause. La situation humanitaire reste catastrophique à Gaza. Le nombre des camions autorisés à y entrer reste largement insuffisant. La plupart des hôpitaux ont été détruits. Les bombardements et les tirs se poursuivent, tuant, selon certaines estimations, entre 50 et 100 personnes par jour. Des dizaines de secouristes de l’UNRWA et des rares ONG encore actives ont été blessés, tués ou chassés. 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