Actuel / «L’idéal serait de trouver le côté humaniste dans la recherche»
Lia Rosso a renoncé à la recherche, mais pas à la science. © DR
Brillante scientifique à la carrière prometteuse, titulaire d’un doctorat en sciences de la vie, Lia Rosso a renoncé à la recherche pour des raisons éthiques après avoir travaillé au Centre Intégratif de Génomique de l’Unil. Trois ans plus tard, elle crée sa propre maison d’édition et ne tarde pas à publier un auteur qui fera beaucoup parler de lui: Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie. Interview.
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Je trouve terrible cette injonction à faire du sport pour être quelqu’un de bien. Je me demande si ne rien faire, jouer, rêver, n’est pas le plus important dans la vie.</p> <p><strong>Le grand-écart de la petite sœur sur le tapis de la Migros de Sion a marqué le début d’un engrenage fatal. Est-ce que la possibilité d’y échapper s’est présentée une fois ou l’autre au cours des onze ans que vous relatez dans <i>Mon Dieu, faites que je gagne?</i></strong></p> <p>Il y a un moment où tout risque de s’arrêter quand la gymnaste n’est pas qualifiée pour Macolin sur un malentendu. L’aînée espère d’un côté pouvoir sortir de l’engrenage, mais elle se rend compte que ça va nuire à son autonomie naissante. A la longue, elle a fini par y trouver son compte.</p> <p><strong>Chaque époque, y compris la nôtre, a imposé aux filles et aux femmes une façon de vivre leur féminité. Est-ce que c’est encore plus pernicieux quand on nous persuade que ces diktats sont l’expression de notre liberté?</strong></p> <p>A l’époque dans laquelle j’inscris ce livre, il ne fallait pas être trop fille. J’avais l’impression que le modèle du garçon manqué incarnait le summum de la liberté. Ce genre de filles savaient plaire aux garçons, parce qu’elles leur ressemblaient.</p> <p><strong>Vous nous présentez l’athlète, la star comme une simple marchandise au service d’intérêts qui le dépassent. Peut-il s’en rendre compte avant de tomber du podium?</strong></p> <p>Ça dépend de nombreux facteurs. Mes parents n’avaient pas pu réaliser leurs rêves. C’est une faille que la réussite de la gymnaste est venue combler. J’aime l’image de l’eau qui gèle dans les failles en hiver. Mes parents sont entrés dans une sorte d’aveuglement et m’y ont embarquée. On ne voit que les sportifs qui réussissent, ça occulte tout le reste. L’enfant qui vit ça est certain d’être quelqu’un d’exceptionnel. Il se laisse prendre dans une spirale de réussite et de fierté de soi, même si la pratique de son sport ne lui procure plus de plaisir.</p> <p><strong>Un enfant ne peut pas se rendre compte que ce qu’il vit n’est pas normal, ni donc verbaliser son mal-être, puisqu’il n’a rien connu d’autre. Est-ce que ce non-dit ne cherche pas à s’exprimer à travers des troubles du comportement par exemple?</strong></p> <p>Je ne suis pas experte, ni psychiatre, mais j’ai vu des filles tomber dans l’anorexie, voire les addictions. Tout enfant qui ne se sent pas à l’aise avec l’activité qu’il pratique doit le faire entendre d’une manière ou d’une autre.</p> <p><strong>Comment vos parents ont-ils accueilli ce livre?</strong></p> <p>C’est un roman basé sur des choses qu’on a pu vivre. J’avais quelque chose à dire au sujet des méfaits du sport à outrance, un questionnement à exprimer par rapport au dogme «le sport, c’est la santé». Est-ce que c’est sain de porter aux nuées des héros du sport? 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Des gens me parlent de leur difficulté quand tout tourne autour d’une personne, que même les vacances dépendent des possibilités d’entraînement. J’ai aussi lu le témoignage d’une mère qui pratiquait un sport à haut niveau et trouvait formidable que toute sa famille la suive, sans se demander si ses proches en avaient réellement envie. Je n’ai de réponse à rien, c’est déjà un grand pas si on peut se poser plus de questions. Beaucoup d’anciens gymnastes deviennent entraîneurs, comme s’il leur était impossible d’en sortir. Ce qui me dérange le plus, c’est la certitude de faire juste.</p> <p><strong>Notre société condamne sans pitié toute forme de jalousie. N’y a-t-il pas pourtant une forme de jalousie saine et légitime?</strong></p> <p>Je pense que oui. C’est humain, on ne se fait pas du bien à vouloir masquer tout le temps ce genre de sentiments. 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BPLT: Lia Rosso, vous citez volontiers François Rabelais et son célèbre «science sans conscience n'est que ruine de l'âme.» L’intelligence artificielle n’est-elle pas justement le paroxysme de cette science sans conscience?
L.R: Comme toute technologie, on peut l’utiliser bien ou mal, avec ou sans conscience. L’intelligence artificielle porte en elle toutes les potentialités. L’être humain n’a même pas fini de découvrir l’intelligence de la vie et il se lance déjà dans la création d’une autre forme d’intelligence.
Vous avez pourtant renoncé à la recherche?
Les grecs anciens trouvaient que le plus gros péché, c’est l’arrogance. J’ai compris que j’étais aussi dans cette arrogance avec ma façon de concevoir et d’étudier la vie. Aujourd’hui, je ne veux plus tout comprendre et modifier. Je suis intriguée plutôt par la communication. Dans la vie, tout semble communiquer. J’ai envie de respecter la nature et de me sentir en faire partie. Il me semble que ce besoin est de plus en plus partagé. Nous sommes dans l’urgence de changer notre attitude et certains s’en rendent compte.
Quelles sont les questions éthiques qui vous ont amenée à prendre de la distance par rapport à la recherche?
Je me suis d’abord interrogée sur l’expérimentation animale, sur l’utilité des souffrances infligées aux animaux. Je m’étais attachée à un rat de laboratoire que j’ai fini par tuer. Pour moi, ça a été l’animal sacrifié de trop.
Peut-on faire de la recherche sur les sciences de la vie sans passer par l’expérimentation animale?
Avant, c’était très difficile, maintenant on peut commencer à l’envisager. Grâce aux technologies qui permettent de créer des organes en 3D. Ça dépend aussi du domaine d’étude. Dans la génétique par exemple, l’expérimentation animale n’est pas nécessaire.
Pour éviter l’expérimentation animale, vous vous êtes tournée vers l’analyse de tissus humains, mais la boîte de Pandore était ouverte et les questions n’ont pas tardé à vous rattraper.
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Comment vos questionnements éthiques ont-ils été accueillis dans le milieu?
Ce n’est pas très courant de parler d’éthique en science, mais je veux croire que ça s’améliorera petit à petit. Dans la recherche, on a souvent la tête dans le guidon. Il faut produire des résultats et avancer. Certains scientifiques sont prêts à s’arranger avec la vérité pour pouvoir publier. On travaille comme des fourmis, on peut passer sa vie à étudier une seule protéine. Et on ne mesure pas forcément tout de suite l’impact de nos résultats, tous les usages qu’on peut en faire. Dans ces conditions, la responsabilité est difficile à saisir pour les chercheurs.
Vous étiez donc très seule?
Non, car j’ai aussi eu la chance de rencontrer des gens comme Jacques Dubochet, qui partageaient les mêmes préoccupations, et d’enseigner dans le cadre du module Biologie et Société de l’Unil. J’y ai rencontré de nombreux étudiants sensibles aux responsabilités des scientifiques en tant que citoyens.
L’un des personnages de votre roman scientifique intitulé Le Pituicyte déclare: «L’être humain ne s’arrêtera probablement jamais de modifier la nature, car il se croira toujours supérieur et meilleur qu’elle. Il continuera à se piéger lui-même dans son arrogance.» Est-ce que vous vous identifiez à son propos?
Des découvertes paléontologiques montrent qu’il y a eu plusieurs espèces d’hommes. L’homo sapiens a peu à peu massacré toutes les autres. C’est l’homo destructor. Le paléontologue Jean-Jacques Hublin dit que «L'homme sapiens porte en lui les caractéristiques de l'homme prédateur... » J’ajoute qu’il invente aussi, il découvre... il faudrait juste arrêter de détruire pour découvrir... retrouver un équilibre et du bon sens.
Qu’avez-vous gagné en renonçant non pas à la science, mais à la recherche?
Du temps pour acquérir de nouvelles connaissances générales et pour prendre soin des relations humaines. Je me suis lancée dans le journalisme scientifique, j’ai repris en main le côté humaniste de la science. Dommage qu’il ait fallu quitter la recherche pour ça, l’idéal serait de trouver le côté humaniste dans la recherche. Il faudrait que l’aspect éthique soit obligatoire pour tous les étudiants.
Comment vous est venue l’idée de créer votre maison d’édition?
J’avais envie de recueillir les écrits des autres. Comme dans la pièce Les chaises d’Ionesco, j’étais en quête du message à transmettre. Jacques Dubochet et deux autres amis venaient de me confier leur désir d’écrire un livre! Dix jours après notre discussion, les éditions Rosso étaient inscrites au Registre du commerce.
Qu’est-ce que ça fait pour une toute jeune maison d’édition de publier un Prix Nobel?
J’ai d’abord pensé que Jacques Dubochet publierait ailleurs, avec toutes les sollicitations dont il a fait l’objet. Mais il tenu parole. C’était magnifique, un rêve, une preuve qu’il y a des belles choses en l’humanité. Le Prix Nobel a rendu Jacques encore plus attentif à ses actions, à ses paroles. Son livre est plein de messages positifs, il l’a écrit en essayant de contribuer au bien de la société. Pour ma maison d’édition, c’était un formidable tremplin.
Parcours de Jacques Dubochet a-t-il été un best-seller?
Il s’est bien vendu pour la Suisse. Mais je regrette de n’avoir pas pu faire plus de promotion. On touche ici aux limites de la petite maison d’édition.
Après Le Pituicyte, vous allez bientôt sortir un deuxième livre en tant qu’auteure?
Oui, un essai scientifique-philosophique-spirituel à paraître chez Slatkine, le 17 mai, sous le titre La nature en nous. Cet ouvrage aborde d’ailleurs la question de l’intelligence de la nature. Je l’ai écrit pour partager mon étonnement. Je suis convaincue qu’en prenant conscience de ce qu’est la nature, on peut changer notre façon d’agir et avoir envie de la respecter davantage.
Le Pituicyte, Rosso Editions.
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Comme dans la pièce <em>Les chaises</em> d’Ionesco, j’étais en quête du message à transmettre. Jacques Dubochet et deux autres amis venaient de me confier leur désir d’écrire un livre! Dix jours après notre discussion, les éditions Rosso étaient inscrites au Registre du commerce.</p> <p><strong>Qu’est-ce que ça fait pour une toute jeune maison d’édition de publier un Prix Nobel?</strong></p> <p>J’ai d’abord pensé que Jacques Dubochet publierait ailleurs, avec toutes les sollicitations dont il a fait l’objet. Mais il tenu parole. C’était magnifique, un rêve, une preuve qu’il y a des belles choses en l’humanité. Le Prix Nobel a rendu Jacques encore plus attentif à ses actions, à ses paroles. Son livre est plein de messages positifs, il l’a écrit en essayant de contribuer au bien de la société. Pour ma maison d’édition, c’était un formidable tremplin.</p> <p><strong><em>Parcours</em> de Jacques Dubochet a-t-il été un best-seller?</strong></p> <p>Il s’est bien vendu pour la Suisse. Mais je regrette de n’avoir pas pu faire plus de promotion. On touche ici aux limites de la petite maison d’édition.</p> <p><strong>Après <em>Le Pituicyte</em>, vous allez bientôt sortir un deuxième livre en tant qu’auteure?</strong></p> <p>Oui, un essai scientifique-philosophique-spirituel à paraître chez Slatkine, le 17 mai, sous le titre <em>La nature en nous</em>. Cet ouvrage aborde d’ailleurs la question de l’intelligence de la nature. Je l’ai écrit pour partager mon étonnement. 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Je trouve terrible cette injonction à faire du sport pour être quelqu’un de bien. Je me demande si ne rien faire, jouer, rêver, n’est pas le plus important dans la vie.</p> <p><strong>Le grand-écart de la petite sœur sur le tapis de la Migros de Sion a marqué le début d’un engrenage fatal. Est-ce que la possibilité d’y échapper s’est présentée une fois ou l’autre au cours des onze ans que vous relatez dans <i>Mon Dieu, faites que je gagne?</i></strong></p> <p>Il y a un moment où tout risque de s’arrêter quand la gymnaste n’est pas qualifiée pour Macolin sur un malentendu. L’aînée espère d’un côté pouvoir sortir de l’engrenage, mais elle se rend compte que ça va nuire à son autonomie naissante. A la longue, elle a fini par y trouver son compte.</p> <p><strong>Chaque époque, y compris la nôtre, a imposé aux filles et aux femmes une façon de vivre leur féminité. 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