Actuel / Barbara Miller: «La situation des femmes en Suisse est préoccupante»
Barbara Miller, réalisatrice. © Mons Veneris
Barbara Miller, réalisatrice, évoque pour Bon Pour la tête sa pratique de cinéaste féministe engagée, révélant les coulisses de «#Female Pleasure», une des sensations cinématographiques de l’année 2018, primé dans plusieurs festivals internationaux.
Emmanuel Deonna
Chercheur en sciences sociales, journaliste indépendant et Président de la Commission Migration, intégration et Genève internationale
#Female Pleasure raconte de manière saisissante la résistance des femmes, aux quatre coins du monde, à la pensée misogyne, à la diabolisation de leur corps ainsi qu’aux violences psychologiques et sexuelles qui leur sont infligées par les hommes. Après s’être intéressée au clitoris et à l’exposition des jeunes, dès leur plus jeune âge, à la pornographie dans deux reportages pour la télévision publique suisse alémanique, Barbara Miller a consacré un long-métrage documentaire au combat pour les droits humains et la liberté d’expression de trois bloggeuses à Cuba, en Chine et en Iran (Forbidden Voices, 2012). Dans ce sillage, elle s’interroge sur la vie intime des femmes, la perception et le traitement réservés à leur corps et à leur sexualité dans différentes religions et cultures du monde. Elle a souhaité réaliser un tour d’horizon de ces phénomènes au niveau global. Et explorer l’influence exercée en toile de fond par les traditions religieuses. A l’issue de nombreuses conversations avec des femmes et de longues recherches sur le sujet, elle décide de documenter le parcours de cinq activistes. Chacune d’entre elles ont en commun d’avoir brisé le tabou de la violence qui leur a été infligée. Chacune a décidé d’endosser le rôle de porte-drapeau, de lutter publiquement et avec détermination contre la violence à l’égard des femmes et la répression de leur sexualité.
Violences masculines et négation du plaisir féminin: un phénomène global
Au total, Barbara Miller a passé cinq ans avec cinq femmes au destin à la fois hors du commun et exemplaire: Deborah Feldman, auteure américaine, a échappé à l’enfer qu’elle vivait au sein de la communauté juive hassidique de New York; la psychothérapeute somali Leyla Hussein s’est lancée dans une campagne internationale contre les mutilations génitales féminines après avoir subi enfant cette torture; l’artiste manga japonaise Rokudenashiko doit se défendre devant la justice japonaise pour son travail plastique qui met à l’honneur le sexe féminin; la chercheuse bavaroise Doris Wagner, une ancienne nonne, dénonce publiquement, par le biais de livres et d’interventions dans les médias, les abus qu’elle a subis dans une congrégation spirituelle romaine; Vithika Yadav s’engage dans la prévention des violences sexuelles et l’éducation amoureuse dans les rues de Dehli et sur les réseaux sociaux indiens. Barbara Miller a noué des rapports de complicité et de confiance avec chacune de ces cinq femmes exceptionnelles. Ceux-ci se reflètent dans la forme et la qualité des entretiens réalisés. Le courage et la détermination de ces femmes s’observent au quotidien: dans les activités de leurs ONGs, leurs interventions dans l’espace public et dans les médias. Cependant, la caméra permet aussi de les voir évoluer dans leur contexte familial et intime. On les découvre en train de faire de l’exercice physique, de se maquiller, de se coiffer, de passer du temps en compagnie de leur compagnon et de leurs enfants. Elles prennent également le temps de contempler de très beaux paysages végétaux et marins. L’environnement extérieur majestueux fait écho à leur courageux combat intérieur. On passe d’une histoire à l’autre à mesure que le récit, grave mais pas pessimiste, progresse. Le montage du film souligne de façon éloquente la communauté de destins qui lie ces cinq femmes et la valeur paradigmatique de leur expérience. #Female Pleasure célèbre leur féminité joyeuse, illustre leur courage et la justesse de leur combat.
Barbara Miller avec Rokudenashiko, Leyla Hussein, Vithika Yadav et Doris Wagner. © Mons Veneris
BPLT: Comment se sont tissés les liens avec les cinq héroïnes de #Female Pleasure? Comment vivent-elles aujourd’hui le succès rencontré par le film?
B.M: Ces cinq femmes représentent des centaines de milliers d’autres femmes (voire plus) confrontées aux mêmes problèmes. En discutant longuement avec elles, je me suis rendue compte que nous parlions bien toutes de la même chose. Malheureusement, dès qu’il est question de femme, cette réalité est universelle. Deborah Feldman, Leyla Hussein, Vikhita Yadav, Rokudenashiko et Doris Wagner étaient déjà bien avancées sur le plan de la conscientisation. Elles étaient déjà actives publiquement au moment où je les ai rencontrées. Par exemple, Doris Wagner avait publié un ouvrage qui n’avait pas encore obtenu beaucoup d’écho. L’aventure autour du film a duré cinq ans. Nous avons établi rapidement des rapports de grande confiance. J’aurais pu en réalité faire plusieurs films de nonante minutes en explorant la façon de vivre et de penser de chacune d’entre elles. Mais je ne souhaitais pas me confiner au registre du reportage. Je voulais montrer ce qu’il y a de commun dans leur trajectoire. Elles représentent la voix de toutes les femmes qui ont le courage de résister et de dénoncer les violences. Toutes les cinq ont eu énormément de plaisir à se rencontrer une fois le film terminé. Quatre d’entre elles étaient présentes lors de la Première mondiale au Festival de Locarno l’an dernier. Elles échangent très régulièrement entre elles via leur groupe What’s app. Elles se sentent liées aujourd’hui par une vraie communauté de destins.
Les héroïnes du film prennent de grands risques en dénonçant les violences qu’elles ont subies et que subissent les femmes dans leur environnement. La médiatisation de leur histoire personnelle était-elle une nécessité vitale pour elles dans un tel contexte?
Pendant le tournage, Deborah a décidé de quitter les Etats-Unis. Cependant, elle a estimé qu’elle devait s’appuyer sur les grands médias nationaux en popularisant son histoire pour garantir sa sécurité personnelle. Sa communauté hassidique d’origine est en effet extrêmement remontée contre elle. C’est pourquoi on la voit dans le film sur les plateaux d’Anderson Cooper sur CNN et d’autres médias nationaux de grande audience. Le récit de Doris Wagner a aujourd’hui plus de retombées qu’au début du tournage. Sa rencontre avec l’archevêque de Vienne a été médiatisée. D’une part, il a reconnu le mal que l’Eglise catholique a fait à Doris à titre personnel, ce qui revêtait une grande importance pour elle. D’autre part, il aussi publiquement déploré le silence emblématique de l’Eglise catholique dans cette affaire. Aujourd’hui, selon les statistiques, 30% des nonnes sont violées ou subissent des violences sexuelles. Doris Wagner s’est adressée au pape à plusieurs reprises depuis plusieurs années, sans obtenir de réponse. Le mois passé, pour la première fois, l’Eglise a reconnu publiquement l’ampleur du problème des abus commis contre les sœurs en son sein. D’une manière générale, les stratégies de dénonciation publiques ont suscité les réactions les plus violentes dans les cas de Deborah Feldman et Leyla Hussein. Cette dernière a reçu de nombreuses menaces de mort dans le cadre sa campagne internationale pour mettre un terme aux mutilations génitales féminines.
Dans le film, on voit justement Leyla Hussein à l’œuvre avec une communauté de femmes et d’hommes d’une tribu Massaï au Kenya. Comment s’est déroulée cette partie du tournage?
Nous étions bien introduits par l’ONG The Girl Generation co-fondée par Leyla Hussein et déjà active dans la région. Officiellement, le gouvernement kenyan – tout comme son homologue somalien – ont interdit les mutilations génitales féminines. Mais la tradition est plus forte que la loi. Comme on peut le voir dans le film, Leyla Hussein explique que l’excision empêche les femmes d’avoir du plaisir sexuel et provoque d’autres gros problèmes. Elle a dialogué longuement avec ces femmes et ces hommes. Plus l’on passe de temps à en parler, plus les interlocutrices et les interlocuteurs sont enclins à changer d’idées.
Leyla Hussein en pleine conversation avec un groupe de femmes massaï, au Kenya. © Mons Veneris
Les hommes Massaï ont accepté d’aborder ouvertement la problématique dès qu’ils ont compris que Leyla Hussein était engagée dans une campagne internationale contre les mutilations génitales féminines. Il était intéressant de remarquer qu’eux-mêmes souffrent de cette réalité. Ils fréquentent des prostituées d’autres tribus qui n’ont pas subi d’excision pour pouvoir partager le plaisir sexuel. Ils ont confié qu’ils regrettaient de ne pas pouvoir exprimer leurs émotions à propos de la sexualité et des injonctions de performance implicites qui pèsent sur la leur. A Londres, les jeunes somaliens ont été horrifiés une fois confrontés à la réalité des mutilations génitales féminines que leur a présenté Leyla Hussein.
Comment se fait-il selon vous que les violences physiques et psychiques à l’égard des femmes et de leur corps perdurent avec une telle intensité? Comment peut-on remédier à cela?
La pratique des mutilations génitales féminines est liée à l’idée que le corps des femmes doit absolument être contrôlé. Le contrôle du corps féminin donne à l’homme une impression de force et de puissance. Or, ce n’est pas le cas. Si les femmes éprouvaient du plaisir sexuel et pouvaient décider de leur sexualité, ce serait mieux pour les hommes et pour les femmes. Les femmes simulent l’orgasme partout dans le monde. Elles n’osent pas se faire entendre sur le sujet de leur sexualité. Pourtant, si elles et ils pouvaient ouvertement parler de leurs besoins et de leurs désirs sexuels, les choses seraient beaucoup plus faciles pour les hommes comme pour les femmes. Les femmes et les hommes devraient pouvoir parler librement de leurs émotions, devraient pouvoir aussi évoquer leurs insécurités. Si c’était le cas, les rapports sexuels entre hommes et femmes seraient probablement beaucoup plus détendus et procureraient beaucoup plus de plaisir. Malheureusement, la pornographie mainstream consommée partout dans le monde sur internet diffuse des idées et des croyances toxiques pour les deux sexes, comme par exemple à propos de la taille du pénis de l’homme, son devoir d’endurance à l’effort, le fait que les femmes doivent tout accepter, l’ignorance du plaisir procuré par le clitoris, etc. Ces idées et fausses croyances sont extrêmement néfastes. 90% des hommes dans le monde consomment de la pornographie sur internet. Et les statistiques indiquent aussi que plus la répression de la sexualité féminine est forte, plus la consommation de pornographie est grande.
Le procès intenté à la plasticienne japonaise Rokudenashiko pour ses œuvres mettant à l’honneur le sexe féminin illustre bien vos propos. Comment celle-ci vit elle aujourd’hui cette situation?
Comme l’illustrent les scènes du film, la perception du corps et du rôle des femmes au Japon est très loin de la réalité. La société japonaise est aussi très conformiste et intransigeante envers les moutons noirs qui ne suivent pas la norme dominante. Des avocats ont proposé spontanément de l’aide à Rokudenashiko. Et, dans le cadre de son procès, elle a aussi eu la chance de rencontrer son mari, un musicien irlandais qui avait composé et mis en ligne une chanson pour la soutenir. Ce qui fait qu’elle prend tout cela avec humour. Le couple vit aujourd’hui entre Tokyo et Dublin où elle bénéficie de plus de liberté. Si la cour suprême confirme sa condamnation ou la commue en peine pécuniaire, elle devra collecter de l’argent parmi ses soutiens. En visitant son petit village d’origine en périphérie de la capitale, j’ai pu constater que son père était fier de son action. Mais ce n’est pas le cas de sa mère qui a honte de sa fille. #Female Pleasure n’a pas été projeté dans le pays jusqu’à présent. Un article favorable à son art est cependant paru dans Newsweek Japon. Il faut espérer qu’il puisse avoir une influence positive sur le jugement final.
Où le film a-t-il été projeté jusqu’à présent? Quelles sont en général les réactions du public?
Le film a notamment reçu le Prix des droits de l’homme au Festival de Thessalonique et au Festival d’Istanbul, ainsi que le Prix interreligieux au Festival de Leipzig. C’était magnifique de recevoir ce prix. En effet, #Female Pleasure n’est pas un film contre la religion en général et je respecte totalement la foi des personnes. Il montre cependant que des structures patriarcales oppressives sont ancrées dans la société depuis des millénaires, que la religion est aujourd’hui encore interprétée de façon misogyne pour rabaisser les femmes, nier leur valeur et les asservir. L’objectification du corps des femmes ainsi que la façon de les rendre honteuse de leur corps servent aussi les intérêts du capitalisme, de l’industrie du vêtement et de la chirurgie esthétique. Le mois dernier, le film a été projeté en Pologne. Il a reçu le Prix du public. Dans ce pays profondément catholique, les gens ont pu échanger librement à propos du statut des femmes dans l’Eglise avec l’ancienne nonne Doris Wagner. De nombreux jeunes assistaient à la projection, mais des retraités étaient aussi présents. Un tiers de la salle était masculin. Les gens se questionnent manifestement beaucoup et étaient très reconnaissaient de pouvoir échanger librement sur ces sujets. Le film a aussi été projeté à Istanbul. Là aussi, on pouvait ressentir le besoin du public de discuter de ces sujets – la religion, la sexualité, les femmes – et c’était beau de voir les gens oser s’exprimer. Jusqu’au dernier moment, je craignais que l’événement ne puisse pas avoir lieu. Mais finalement nous avons reçu aucune réaction négative.
Votre conscience féministe personnelle s’est-elle forgée par votre éducation? Quel regard portez-vous sur la situation des femmes en Suisse aujourd’hui? D’après-vous, quels sont les revendications principales portées par la grève féministe nationale du 14 juin?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille où régnait l’idée d’égalité. Ma mère m’a fait comprendre qu’en tant que fille j’étais l’égale des garçons, que toutes les possibilités devaient s’offrir à moi, y compris celle d’explorer mon corps. Mon père m’a donné le sentiment que je pouvais faire les mêmes choses que les garçons. Cependant, j’ai été rapidement conscientisée aux inégalités hommes-femmes dans la société. Avant de me lancer dans la réalisation de films, j’ai d’abord étudié le droit en pensant que ce serait une bonne façon de faire changer les choses. La situation des femmes en Suisse est préoccupante. Il y a peu de femmes à des postes à responsabilité. Les femmes gagnent en moyenne en tous cas 20% de moins que les hommes. La protection des femmes par la loi est lacunaire. La culture du viol est toujours prégnante. Les femmes ont peur de dénoncer les violences sexuelles qu’elles subissent à la police. La grève féministe du 14 juin doit permettre de faire passer un message sans équivoque. « Le temps pour l’égalité des rôles, l’égalité des salaires, pour l’égalité des droits est arrivé ! Nous vivons au 21ème siècle ! ». Les discriminations contre les femmes enceintes et les mères sont aberrantes. En Allemagne et d’autres pays européens, il existe des congés paternité. Nous avons besoin de pères aimants qui puissent servir de référence pour aider les enfants à grandir. L’obligation pour les femmes de rester à la maison lorsqu’elles ont un enfant est malheureusement encore très souvent la norme. Au cours de vingt dernières années, l’augmentation du salaire des femmes a été d’à peine 0.5%. Les femmes perdent ainsi douze milliards de francs par année. Il fait aussi se rappeler qu’elles n’avaient pas le droit de choisir leur travail et de posséder un compte bancaire avant 1978. Quant au viol dans le cadre du mariage, il a été criminalisé seulement en 1991. Tout cela est vraiment une honte pour un pays aussi moderne et aussi riche que la Suisse ! Nous avons encore énormément d’efforts et de progrès à accomplir!
La bande-annonce de #Female Pleasure:
Et retrouvez plus d'informations sur le film ainsi que le programme de diffusion en cliquant ICI!
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Dans ce sillage, elle s’interroge sur la vie intime des femmes, la perception et le traitement réservés à leur corps et à leur sexualité dans différentes religions et cultures du monde. Elle a souhaité réaliser un tour d’horizon de ces phénomènes au niveau global. Et explorer l’influence exercée en toile de fond par les traditions religieuses. A l’issue de nombreuses conversations avec des femmes et de longues recherches sur le sujet, elle décide de documenter le parcours de cinq activistes. Chacune d’entre elles ont en commun d’avoir brisé le tabou de la violence qui leur a été infligée. Chacune a décidé d’endosser le rôle de porte-drapeau, de lutter publiquement et avec détermination contre la violence à l’égard des femmes et la répression de leur sexualité.</p> <h3><strong>Violences masculines et négation du plaisir féminin: un phénomène global</strong></h3> <p>Au total, Barbara Miller a passé cinq ans avec cinq femmes au destin à la fois hors du commun et exemplaire: Deborah Feldman, auteure américaine, a échappé à l’enfer qu’elle vivait au sein de la communauté juive hassidique de New York; la psychothérapeute somali Leyla Hussein s’est lancée dans une campagne internationale contre les mutilations génitales féminines après avoir subi enfant cette torture; l’artiste manga japonaise Rokudenashiko doit se défendre devant la justice japonaise pour son travail plastique qui met à l’honneur le sexe féminin; la chercheuse bavaroise Doris Wagner, une ancienne nonne, dénonce publiquement, par le biais de livres et d’interventions dans les médias, les abus qu’elle a subis dans une congrégation spirituelle romaine; Vithika Yadav s’engage dans la prévention des violences sexuelles et l’éducation amoureuse dans les rues de Dehli et sur les réseaux sociaux indiens. Barbara Miller a noué des rapports de complicité et de confiance avec chacune de ces cinq femmes exceptionnelles. Ceux-ci se reflètent dans la forme et la qualité des entretiens réalisés. Le courage et la détermination de ces femmes s’observent au quotidien: dans les activités de leurs ONGs, leurs interventions dans l’espace public et dans les médias. Cependant, la caméra permet aussi de les voir évoluer dans leur contexte familial et intime. On les découvre en train de faire de l’exercice physique, de se maquiller, de se coiffer, de passer du temps en compagnie de leur compagnon et de leurs enfants. Elles prennent également le temps de contempler de très beaux paysages végétaux et marins. L’environnement extérieur majestueux fait écho à leur courageux combat intérieur. On passe d’une histoire à l’autre à mesure que le récit, grave mais pas pessimiste, progresse. 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En discutant longuement avec elles, je me suis rendue compte que nous parlions bien toutes de la même chose. Malheureusement, dès qu’il est question de femme, cette réalité est universelle. Deborah Feldman, Leyla Hussein, Vikhita Yadav, Rokudenashiko et Doris Wagner étaient déjà bien avancées sur le plan de la conscientisation. Elles étaient déjà actives publiquement au moment où je les ai rencontrées. Par exemple, Doris Wagner avait publié un ouvrage qui n’avait pas encore obtenu beaucoup d’écho. L’aventure autour du film a duré cinq ans. Nous avons établi rapidement des rapports de grande confiance. J’aurais pu en réalité faire plusieurs films de nonante minutes en explorant la façon de vivre et de penser de chacune d’entre elles. Mais je ne souhaitais pas me confiner au registre du reportage. Je voulais montrer ce qu’il y a de commun dans leur trajectoire. Elles représentent la voix de toutes les femmes qui ont le courage de résister et de dénoncer les violences. Toutes les cinq ont eu énormément de plaisir à se rencontrer une fois le film terminé. Quatre d’entre elles étaient présentes lors de la Première mondiale au Festival de Locarno l’an dernier. Elles échangent très régulièrement entre elles via leur groupe <em>What’s app</em>. Elles se sentent liées aujourd’hui par une vraie communauté de destins.</p> <p><strong>Les héroïnes du film</strong> <strong>prennent de grands risques en dénonçant les violences qu’elles ont subies et que subissent les femmes dans leur environnement. La médiatisation de leur histoire personnelle était-elle une nécessité vitale pour elles dans un tel contexte? </strong></p> <p>Pendant le tournage, Deborah a décidé de quitter les Etats-Unis. Cependant, elle a estimé qu’elle devait s’appuyer sur les grands médias nationaux en popularisant son histoire pour garantir sa sécurité personnelle. Sa communauté hassidique d’origine est en effet extrêmement remontée contre elle. C’est pourquoi on la voit dans le film sur les plateaux d’Anderson Cooper sur CNN et d’autres médias nationaux de grande audience. Le récit de Doris Wagner a aujourd’hui plus de retombées qu’au début du tournage. Sa rencontre avec l’archevêque de Vienne a été médiatisée. D’une part, il a reconnu le mal que l’Eglise catholique a fait à Doris à titre personnel, ce qui revêtait une grande importance pour elle. D’autre part, il aussi publiquement déploré le silence emblématique de l’Eglise catholique dans cette affaire. Aujourd’hui, selon les statistiques, 30% des nonnes sont violées ou subissent des violences sexuelles. Doris Wagner s’est adressée au pape à plusieurs reprises depuis plusieurs années, sans obtenir de réponse. Le mois passé, pour la première fois, l’Eglise a reconnu publiquement l’ampleur du problème des abus commis contre les sœurs en son sein. D’une manière générale, les stratégies de dénonciation publiques ont suscité les réactions les plus violentes dans les cas de Deborah Feldman et Leyla Hussein. Cette dernière a reçu de nombreuses menaces de mort dans le cadre sa campagne internationale pour mettre un terme aux mutilations génitales féminines.</p> <p><strong>Dans le film, on voit justement Leyla Hussein à l’œuvre avec une communauté de femmes et d’hommes d’une tribu Massaï au Kenya. Comment s’est déroulée cette partie du tournage? </strong></p> <p>Nous étions bien introduits par l’ONG The Girl Generation co-fondée par Leyla Hussein et déjà active dans la région. Officiellement, le gouvernement kenyan – tout comme son homologue somalien – ont interdit les mutilations génitales féminines. Mais la tradition est plus forte que la loi. Comme on peut le voir dans le film, Leyla Hussein explique que l’excision empêche les femmes d’avoir du plaisir sexuel et provoque d’autres gros problèmes. 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Ils ont confié qu’ils regrettaient de ne pas pouvoir exprimer leurs émotions à propos de la sexualité et des injonctions de performance implicites qui pèsent sur la leur. A Londres, les jeunes somaliens ont été horrifiés une fois confrontés à la réalité des mutilations génitales féminines que leur a présenté Leyla Hussein.</p> <p><strong>Comment se fait-il selon vous que les violences physiques et psychiques à l’égard des femmes et de leur corps perdurent avec une telle intensité? Comment peut-on remédier à cela? </strong></p> <p>La pratique des mutilations génitales féminines est liée à l’idée que le corps des femmes doit absolument être contrôlé. Le contrôle du corps féminin donne à l’homme une impression de force et de puissance. Or, ce n’est pas le cas. Si les femmes éprouvaient du plaisir sexuel et pouvaient décider de leur sexualité, ce serait mieux pour les hommes et pour les femmes. Les femmes simulent l’orgasme partout dans le monde. Elles n’osent pas se faire entendre sur le sujet de leur sexualité. Pourtant, si elles et ils pouvaient ouvertement parler de leurs besoins et de leurs désirs sexuels, les choses seraient beaucoup plus faciles pour les hommes comme pour les femmes. Les femmes et les hommes devraient pouvoir parler librement de leurs émotions, devraient pouvoir aussi évoquer leurs insécurités. Si c’était le cas, les rapports sexuels entre hommes et femmes seraient probablement beaucoup plus détendus et procureraient beaucoup plus de plaisir. Malheureusement, la pornographie mainstream consommée partout dans le monde sur internet diffuse des idées et des croyances toxiques pour les deux sexes, comme par exemple à propos de la taille du pénis de l’homme, son devoir d’endurance à l’effort, le fait que les femmes doivent tout accepter, l’ignorance du plaisir procuré par le clitoris, etc. Ces idées et fausses croyances sont extrêmement néfastes. 90% des hommes dans le monde consomment de la pornographie sur internet. Et les statistiques indiquent aussi que plus la répression de la sexualité féminine est forte, plus la consommation de pornographie est grande.</p> <p><strong>Le procès intenté à la plasticienne japonaise Rokudenashiko pour ses œuvres mettant à l’honneur le sexe féminin illustre bien vos propos. Comment celle-ci vit elle aujourd’hui cette situation? </strong></p> <p>Comme l’illustrent les scènes du film, la perception du corps et du rôle des femmes au Japon est très loin de la réalité. La société japonaise est aussi très conformiste et intransigeante envers les moutons noirs qui ne suivent pas la norme dominante. Des avocats ont proposé spontanément de l’aide à Rokudenashiko. Et, dans le cadre de son procès, elle a aussi eu la chance de rencontrer son mari, un musicien irlandais qui avait composé et mis en ligne une chanson pour la soutenir. Ce qui fait qu’elle prend tout cela avec humour. Le couple vit aujourd’hui entre Tokyo et Dublin où elle bénéficie de plus de liberté. Si la cour suprême confirme sa condamnation ou la commue en peine pécuniaire, elle devra collecter de l’argent parmi ses soutiens. En visitant son petit village d’origine en périphérie de la capitale, j’ai pu constater que son père était fier de son action. Mais ce n’est pas le cas de sa mère qui a honte de sa fille. #<em>Female Pleasure</em> n’a pas été projeté dans le pays jusqu’à présent. Un article favorable à son art est cependant paru dans <em>Newsweek Japon</em>. 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Le mois dernier, le film a été projeté en Pologne. Il a reçu le Prix du public. Dans ce pays profondément catholique, les gens ont pu échanger librement à propos du statut des femmes dans l’Eglise avec l’ancienne nonne Doris Wagner. De nombreux jeunes assistaient à la projection, mais des retraités étaient aussi présents. Un tiers de la salle était masculin. Les gens se questionnent manifestement beaucoup et étaient très reconnaissaient de pouvoir échanger librement sur ces sujets. Le film a aussi été projeté à Istanbul. Là aussi, on pouvait ressentir le besoin du public de discuter de ces sujets – la religion, la sexualité, les femmes – et c’était beau de voir les gens oser s’exprimer. Jusqu’au dernier moment, je craignais que l’événement ne puisse pas avoir lieu. Mais finalement nous avons reçu aucune réaction négative.</p> <p><strong>Votre conscience féministe personnelle s’est-elle forgée par votre éducation? 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La culture du viol est toujours prégnante. Les femmes ont peur de dénoncer les violences sexuelles qu’elles subissent à la police. La grève féministe du 14 juin doit permettre de faire passer un message sans équivoque. « Le temps pour l’égalité des rôles, l’égalité des salaires, pour l’égalité des droits est arrivé ! Nous vivons au 21ème siècle ! ». Les discriminations contre les femmes enceintes et les mères sont aberrantes. En Allemagne et d’autres pays européens, il existe des congés paternité. Nous avons besoin de pères aimants qui puissent servir de référence pour aider les enfants à grandir. L’obligation pour les femmes de rester à la maison lorsqu’elles ont un enfant est malheureusement encore très souvent la norme. Au cours de vingt dernières années, l’augmentation du salaire des femmes a été d’à peine 0.5%. Les femmes perdent ainsi douze milliards de francs par année. 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Dans ce sillage, elle s’interroge sur la vie intime des femmes, la perception et le traitement réservés à leur corps et à leur sexualité dans différentes religions et cultures du monde. Elle a souhaité réaliser un tour d’horizon de ces phénomènes au niveau global. Et explorer l’influence exercée en toile de fond par les traditions religieuses. A l’issue de nombreuses conversations avec des femmes et de longues recherches sur le sujet, elle décide de documenter le parcours de cinq activistes. Chacune d’entre elles ont en commun d’avoir brisé le tabou de la violence qui leur a été infligée. Chacune a décidé d’endosser le rôle de porte-drapeau, de lutter publiquement et avec détermination contre la violence à l’égard des femmes et la répression de leur sexualité.</p> <h3><strong>Violences masculines et négation du plaisir féminin: un phénomène global</strong></h3> <p>Au total, Barbara Miller a passé cinq ans avec cinq femmes au destin à la fois hors du commun et exemplaire: Deborah Feldman, auteure américaine, a échappé à l’enfer qu’elle vivait au sein de la communauté juive hassidique de New York; la psychothérapeute somali Leyla Hussein s’est lancée dans une campagne internationale contre les mutilations génitales féminines après avoir subi enfant cette torture; l’artiste manga japonaise Rokudenashiko doit se défendre devant la justice japonaise pour son travail plastique qui met à l’honneur le sexe féminin; la chercheuse bavaroise Doris Wagner, une ancienne nonne, dénonce publiquement, par le biais de livres et d’interventions dans les médias, les abus qu’elle a subis dans une congrégation spirituelle romaine; Vithika Yadav s’engage dans la prévention des violences sexuelles et l’éducation amoureuse dans les rues de Dehli et sur les réseaux sociaux indiens. Barbara Miller a noué des rapports de complicité et de confiance avec chacune de ces cinq femmes exceptionnelles. Ceux-ci se reflètent dans la forme et la qualité des entretiens réalisés. Le courage et la détermination de ces femmes s’observent au quotidien: dans les activités de leurs ONGs, leurs interventions dans l’espace public et dans les médias. Cependant, la caméra permet aussi de les voir évoluer dans leur contexte familial et intime. On les découvre en train de faire de l’exercice physique, de se maquiller, de se coiffer, de passer du temps en compagnie de leur compagnon et de leurs enfants. Elles prennent également le temps de contempler de très beaux paysages végétaux et marins. L’environnement extérieur majestueux fait écho à leur courageux combat intérieur. On passe d’une histoire à l’autre à mesure que le récit, grave mais pas pessimiste, progresse. 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En discutant longuement avec elles, je me suis rendue compte que nous parlions bien toutes de la même chose. Malheureusement, dès qu’il est question de femme, cette réalité est universelle. Deborah Feldman, Leyla Hussein, Vikhita Yadav, Rokudenashiko et Doris Wagner étaient déjà bien avancées sur le plan de la conscientisation. Elles étaient déjà actives publiquement au moment où je les ai rencontrées. Par exemple, Doris Wagner avait publié un ouvrage qui n’avait pas encore obtenu beaucoup d’écho. L’aventure autour du film a duré cinq ans. Nous avons établi rapidement des rapports de grande confiance. J’aurais pu en réalité faire plusieurs films de nonante minutes en explorant la façon de vivre et de penser de chacune d’entre elles. Mais je ne souhaitais pas me confiner au registre du reportage. Je voulais montrer ce qu’il y a de commun dans leur trajectoire. Elles représentent la voix de toutes les femmes qui ont le courage de résister et de dénoncer les violences. Toutes les cinq ont eu énormément de plaisir à se rencontrer une fois le film terminé. Quatre d’entre elles étaient présentes lors de la Première mondiale au Festival de Locarno l’an dernier. Elles échangent très régulièrement entre elles via leur groupe <em>What’s app</em>. Elles se sentent liées aujourd’hui par une vraie communauté de destins.</p> <p><strong>Les héroïnes du film</strong> <strong>prennent de grands risques en dénonçant les violences qu’elles ont subies et que subissent les femmes dans leur environnement. La médiatisation de leur histoire personnelle était-elle une nécessité vitale pour elles dans un tel contexte? </strong></p> <p>Pendant le tournage, Deborah a décidé de quitter les Etats-Unis. Cependant, elle a estimé qu’elle devait s’appuyer sur les grands médias nationaux en popularisant son histoire pour garantir sa sécurité personnelle. Sa communauté hassidique d’origine est en effet extrêmement remontée contre elle. C’est pourquoi on la voit dans le film sur les plateaux d’Anderson Cooper sur CNN et d’autres médias nationaux de grande audience. Le récit de Doris Wagner a aujourd’hui plus de retombées qu’au début du tournage. Sa rencontre avec l’archevêque de Vienne a été médiatisée. D’une part, il a reconnu le mal que l’Eglise catholique a fait à Doris à titre personnel, ce qui revêtait une grande importance pour elle. D’autre part, il aussi publiquement déploré le silence emblématique de l’Eglise catholique dans cette affaire. Aujourd’hui, selon les statistiques, 30% des nonnes sont violées ou subissent des violences sexuelles. Doris Wagner s’est adressée au pape à plusieurs reprises depuis plusieurs années, sans obtenir de réponse. Le mois passé, pour la première fois, l’Eglise a reconnu publiquement l’ampleur du problème des abus commis contre les sœurs en son sein. D’une manière générale, les stratégies de dénonciation publiques ont suscité les réactions les plus violentes dans les cas de Deborah Feldman et Leyla Hussein. Cette dernière a reçu de nombreuses menaces de mort dans le cadre sa campagne internationale pour mettre un terme aux mutilations génitales féminines.</p> <p><strong>Dans le film, on voit justement Leyla Hussein à l’œuvre avec une communauté de femmes et d’hommes d’une tribu Massaï au Kenya. Comment s’est déroulée cette partie du tournage? </strong></p> <p>Nous étions bien introduits par l’ONG The Girl Generation co-fondée par Leyla Hussein et déjà active dans la région. Officiellement, le gouvernement kenyan – tout comme son homologue somalien – ont interdit les mutilations génitales féminines. Mais la tradition est plus forte que la loi. Comme on peut le voir dans le film, Leyla Hussein explique que l’excision empêche les femmes d’avoir du plaisir sexuel et provoque d’autres gros problèmes. 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Ils ont confié qu’ils regrettaient de ne pas pouvoir exprimer leurs émotions à propos de la sexualité et des injonctions de performance implicites qui pèsent sur la leur. A Londres, les jeunes somaliens ont été horrifiés une fois confrontés à la réalité des mutilations génitales féminines que leur a présenté Leyla Hussein.</p> <p><strong>Comment se fait-il selon vous que les violences physiques et psychiques à l’égard des femmes et de leur corps perdurent avec une telle intensité? Comment peut-on remédier à cela? </strong></p> <p>La pratique des mutilations génitales féminines est liée à l’idée que le corps des femmes doit absolument être contrôlé. Le contrôle du corps féminin donne à l’homme une impression de force et de puissance. Or, ce n’est pas le cas. Si les femmes éprouvaient du plaisir sexuel et pouvaient décider de leur sexualité, ce serait mieux pour les hommes et pour les femmes. Les femmes simulent l’orgasme partout dans le monde. Elles n’osent pas se faire entendre sur le sujet de leur sexualité. Pourtant, si elles et ils pouvaient ouvertement parler de leurs besoins et de leurs désirs sexuels, les choses seraient beaucoup plus faciles pour les hommes comme pour les femmes. Les femmes et les hommes devraient pouvoir parler librement de leurs émotions, devraient pouvoir aussi évoquer leurs insécurités. Si c’était le cas, les rapports sexuels entre hommes et femmes seraient probablement beaucoup plus détendus et procureraient beaucoup plus de plaisir. Malheureusement, la pornographie mainstream consommée partout dans le monde sur internet diffuse des idées et des croyances toxiques pour les deux sexes, comme par exemple à propos de la taille du pénis de l’homme, son devoir d’endurance à l’effort, le fait que les femmes doivent tout accepter, l’ignorance du plaisir procuré par le clitoris, etc. Ces idées et fausses croyances sont extrêmement néfastes. 90% des hommes dans le monde consomment de la pornographie sur internet. Et les statistiques indiquent aussi que plus la répression de la sexualité féminine est forte, plus la consommation de pornographie est grande.</p> <p><strong>Le procès intenté à la plasticienne japonaise Rokudenashiko pour ses œuvres mettant à l’honneur le sexe féminin illustre bien vos propos. Comment celle-ci vit elle aujourd’hui cette situation? </strong></p> <p>Comme l’illustrent les scènes du film, la perception du corps et du rôle des femmes au Japon est très loin de la réalité. 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Il faut espérer qu’il puisse avoir une influence positive sur le jugement final.</p> <p><strong>Où le film a-t-il été projeté jusqu’à présent? Quelles sont en général les réactions du public? </strong></p> <p>Le film a notamment reçu le Prix des droits de l’homme au Festival de Thessalonique et au Festival d’Istanbul, ainsi que le Prix interreligieux au Festival de Leipzig. C’était magnifique de recevoir ce prix. En effet, <em>#Female Pleasure</em> n’est pas un film contre la religion en général et je respecte totalement la foi des personnes. Il montre cependant que des structures patriarcales oppressives sont ancrées dans la société depuis des millénaires, que la religion est aujourd’hui encore interprétée de façon misogyne pour rabaisser les femmes, nier leur valeur et les asservir. L’objectification du corps des femmes ainsi que la façon de les rendre honteuse de leur corps servent aussi les intérêts du capitalisme, de l’industrie du vêtement et de la chirurgie esthétique. Le mois dernier, le film a été projeté en Pologne. Il a reçu le Prix du public. Dans ce pays profondément catholique, les gens ont pu échanger librement à propos du statut des femmes dans l’Eglise avec l’ancienne nonne Doris Wagner. De nombreux jeunes assistaient à la projection, mais des retraités étaient aussi présents. Un tiers de la salle était masculin. Les gens se questionnent manifestement beaucoup et étaient très reconnaissaient de pouvoir échanger librement sur ces sujets. Le film a aussi été projeté à Istanbul. Là aussi, on pouvait ressentir le besoin du public de discuter de ces sujets – la religion, la sexualité, les femmes – et c’était beau de voir les gens oser s’exprimer. Jusqu’au dernier moment, je craignais que l’événement ne puisse pas avoir lieu. Mais finalement nous avons reçu aucune réaction négative.</p> <p><strong>Votre conscience féministe personnelle s’est-elle forgée par votre éducation? Quel regard portez-vous sur la situation des femmes en Suisse aujourd’hui? D’après-vous, quels sont les revendications principales portées par la grève féministe nationale du 14 juin?</strong></p> <p>J’ai eu la chance de grandir dans une famille où régnait l’idée d’égalité. Ma mère m’a fait comprendre qu’en tant que fille j’étais l’égale des garçons, que toutes les possibilités devaient s’offrir à moi, y compris celle d’explorer mon corps. Mon père m’a donné le sentiment que je pouvais faire les mêmes choses que les garçons. Cependant, j’ai été rapidement conscientisée aux inégalités hommes-femmes dans la société. Avant de me lancer dans la réalisation de films, j’ai d’abord étudié le droit en pensant que ce serait une bonne façon de faire changer les choses. La situation des femmes en Suisse est préoccupante. Il y a peu de femmes à des postes à responsabilité. Les femmes gagnent en moyenne en tous cas 20% de moins que les hommes. La protection des femmes par la loi est lacunaire. La culture du viol est toujours prégnante. Les femmes ont peur de dénoncer les violences sexuelles qu’elles subissent à la police. La grève féministe du 14 juin doit permettre de faire passer un message sans équivoque. « Le temps pour l’égalité des rôles, l’égalité des salaires, pour l’égalité des droits est arrivé ! Nous vivons au 21ème siècle ! ». Les discriminations contre les femmes enceintes et les mères sont aberrantes. En Allemagne et d’autres pays européens, il existe des congés paternité. Nous avons besoin de pères aimants qui puissent servir de référence pour aider les enfants à grandir. L’obligation pour les femmes de rester à la maison lorsqu’elles ont un enfant est malheureusement encore très souvent la norme. Au cours de vingt dernières années, l’augmentation du salaire des femmes a été d’à peine 0.5%. Les femmes perdent ainsi douze milliards de francs par année. Il fait aussi se rappeler qu’elles n’avaient pas le droit de choisir leur travail et de posséder un compte bancaire avant 1978. Quant au viol dans le cadre du mariage, il a été criminalisé seulement en 1991. Tout cela est vraiment une honte pour un pays aussi moderne et aussi riche que la Suisse ! 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. 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De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. 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Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. 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Ce que j’ai découvert est effrayant…</p> <p style="text-align: right;"><em>Suite la semaine prochaine</em></p> <hr /> <h4>Pierre Ronpipal est l’auteur de<br /><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002707_damned01.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="149" height="206" /><br />«A moi de choisir ceux qui vont mourir»<br /><span>et de<br /></span><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1734002742_cover20242.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="154" height="207" /><br />«Le vert était rouge à l’intérieur»<br />aux <a href="https://nouvelleseditionshumus.ch/" target="_blank" rel="noopener">Nouvelles Editions Humus</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'un-bien-cruel-conte-de-noel-1', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 39, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5284, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les ramasseurs de déchets, grands perdants du récit dominant sur la pollution plastique', 'subtitle' => 'A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1er décembre, se sont soldées par un échec. 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En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p> <ul> <li> <p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p> </li> <li> <p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. 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Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.</p> <p>Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.</p> <p>Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.</p> <h3>Qui sont les ramasseurs informels de déchets?</h3> <p>Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344924001824#sec0021">grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale</a>. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. 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Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p> <p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p> <p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. 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Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 42, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5283, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes', 'subtitle' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'subtitle_edition' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. Gasche</strong>, article publié sur <a href="https://www.infosperber.ch/medien/medienkritik/die-usa-finanzieren-internationales-journalisten-kollektiv/" target="_blank" rel="noopener"><em>Infosperber</em></a> le 5 décembre 2024, traduit par <em>Bon Pour La Tête</em></p> <hr /> <p>Parmi de nombreux autres médias, la <em>NZZ</em> et le <em>Tages-Anzeiger</em> ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. 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Parmi eux, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Panama_Papers"><em>The Panama Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pandora_Papers"><em>Pandora Papers</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Suisse_Secrets"><em>Suisse Secrets</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/narcofiles-the-new-criminal-order"><em>Narco Files</em></a><em>, </em><a href="https://www.occrp.org/en/project/the-pegasus-project/about-the-project"><em>Pegasus Project</em></a><em>, </em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Cyprus_Confidential"><em>Cyprus Confidential </em></a>et la série <a href="https://de.wikipedia.org/wiki/Die_Geldw%C3%A4scherei"><em>Laundromat</em></a>, qui a révélé les systèmes de blanchiment d'argent des élites dirigeantes en Azerbaïdjan et en Russie.</p> <h3><strong>Non sans conditions</strong></h3> <p>Les agences gouvernementales américaines ne financent pas l'OCCRP sans contrepartie: l'<a href="https://www.usaid.gov/"> U.S. Agency for International Development</a> dispose d'un droit de veto sur la nomination des dirigeants de l'OCCRP. De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». Confronté aux dernières découvertes, il a finalement reconnu l'importance du financement de Washington: «C'est le plus grand bailleur de fonds de l'OCCRP, oui, et ce depuis presque le début de notre histoire. [...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p> <p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p> <h3><strong>Conditions posées</strong></h3> <p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p> <p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»</p> <h3><strong>Informations complémentaires</strong></h3> <p><strong>22 décembre 2022</strong> <a href="https://www.infosperber.ch/politik/welt/twitter-diente-jahrelang-als-gehilfe-des-pentagons/">Twitter a servi pendant des années d'auxiliaire au Pentagone</a>. Elon Musk a partiellement révélé les outils internes de Twitter. Ils prouvent des services d'hommes de main pour la propagande de l'armée américaine à l'étranger.</p> <p><strong>12 février 2009</strong> <a href="https://www.tagesanzeiger.ch/27-000-pr-berater-polieren-image-der-usa-631302390683">27 000 conseillers en relations publiques polissent l'image des Etats-Unis</a>. Des faits presque incroyables sur le travail de relations publiques du Pentagone.</p> <p><strong>20 avril 2008</strong> <a href="https://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/gekaufte-meinung-pentagon-beschaeftigt-pr-armee-fuer-us-tv-a-548519.html">Le Pentagone emploie une armée de RP pour la télévision américaine</a>. 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