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A vif

A vif / Mon ami le topinambour

Isabelle Falconnier

27 février 2021

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Ils ont pour petits noms navets, topinambours, panais, crosnes, rutabagas ou raves. Longtemps, on les a oubliés, remisés dans la cave de nos souvenirs d’une époque de disette, enfermés dans une boîte étiquetée «légumes oubliés». Mais soudain, nous nous souvenons d’eux et topinambours, panais, crosnes, scorsonère refont surface sur les étals des marchés et des supermarchés.



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Rien à voir avec la modeste réapparition qui siérait à leur statut de simple légume: c’est une vague, une déferlante. Pas un magazine ou un blog culinaire qui ne vante leurs immenses mérites, «riches en vitamines», «surdotés en minéraux», «généreux en antioxydants», «très bons régulateurs du transit», «aux multiples qualités thérapeutiques», «saveurs délicates», «très nouveau chic», «respectueux du calendrier légumier», «bon pour le corps et l’esprit» (sic!) - à croire qu’ils se sont payés les services d’une attachée de presse de compétition. On est même à deux doigts du diktat: au printemps dernier, lors du premier confinement, celui qui ne faisait pas son pain lui-même n’avait rien compris à la leçon de sagesse que nous distillait le méchant virus. Cet hiver, celui qui n’a pas servi sa platée de topinambours à sa progéniture est à deux doigts de l’acte criminel pour maltraitance nutritionnelle.

Alors, je l’ai fait.

Je suis allée au marché et à un jeune maraîcher barbu, j’ai acheté des topinambours, des panais, des crosnes et de gros radis noirs. Vu le prix de mes achats, la hauteur de mes attentes a de suite atteint un niveau remarquable. A la maison, j’ai lavé, brossé, épluché, tranché, puis scrupuleusement suivi les recettes conseillées par mon journal féminin préféré. Mais voilà: je me suis prise un gros vent. Echec sur toute la ligne: les convives familiaux pour lesquels j’avais avec amour et attention préparé ces légumes oubliés-puis-retrouvés n’ont pas fini leur assiette et m’ont fait jurer de ne plus leur servir ces choses amères, ternes et bourratives. De mon côté, j’ai mis trois jours à les digérer. Depuis, j’ai tout entendu: que je n’avais pas les bonnes recettes, que mon estomac doit s’habituer, tout comme mon palais, que la santé a un prix — gustatif autant que pécunier —, que c’est normal que ces légumes coûtent cher puisqu’ils sont cultivés chez nous, par des gens de chez nous, que l’on paie comme chez nous. Tout est vrai.

Ce qui est vrai aussi, c’est qu’à force de dénoncer le stress comme la plus mortelle des maladies et de réhabiliter avec un volontarisme forcené les vertus soit disant oubliées de la patience et de la lenteur, nous devenons gentiment masochistes et portons aux nues des légumes que nos mères et grands-mères avaient été heureuses d’oublier. 

Nous nous sentons tellement coupables d’appartenir à la civilisation qui a inventé la salade en sachet que dès que nous pouvons faire notre mea culpa, nous nous punissons en nous précipitant sur l’antithèse de la salade en sachet, soit la nourriture qui demande le plus d’efforts pour le plus misérable des résultats.

L’hygiénisme ambiant nous ayant fait depuis longtemps renoncer au Saint-Honoré à la crème pour la salade de fruits zéro calorie, nous persistons à trouver meilleur ce qui est simplement meilleur pour la santé, oubliant que la santé, tout comme l’argent, ne fait pas le bonheur.

La mondialisation est devenue un tel gros mot que tout ce qui symbolise la résistance à la mondialisation est porté aux nues sans plus une once de regard critique. Les marchés bios à la ferme – leurs salsifis, leurs topinambours, leurs raves — sont devenus le lieu de rencontres préféré des altermondialistes bobos du samedi.

Nous sommes tellement obsédés de Retour à la Nature que tout ce qui vient d’elle, nous l’accueillons comme un don du Messie, espérant enfin le chainon manquant qui nous permette de recréer ce lien idéal, fantasmé, ombilical et impossible, avec Mère Nature. Notre esprit drogué à la fiction et au storytelling imagine que parce que ces légumes dits oubliés sont aussi des légumes racines, ce sont nos propres racines que nous allons retrouver en les consommant par kilos. 

Bon appétit.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

4 Commentaires

@Soiffard 01.03.2021 | 08h48

«Voilà ce que sentais, mais que je croyais être le seul à constater, enfin la réponse !»


@Elizabeth 01.03.2021 | 15h50

«Mais... mais... mais... ils sont tellement bons, ces légumes ! Et ce n'est pas une altermondialiste bobo du samedi qui vous le dit, juste une gourmande, très gourmande même. Et ces légumes "anciens" heureusement moins rares depuis quelques années sont de très loin les plus délicieux et les plus fins légumes d'hiver qu'on puisse trouver sur nos marchés. Alors... vous n'aimez pas faire la cuisine ? ça, ce serait votre droit et je ne vous jetterais pas la pierre. Si par contre vous n'avez pas trouvé les bonnes recettes, cherchez encore un petit peu et réessayez, ça en vaut vraiment la peine !»


@gwperrin 02.03.2021 | 09h06

«Si vous n'aìmez pas ça, n'en dégoûtez pas les autres! Il existe des gastronomes et des cuisiniers-ères curieux-euse, ouvert-e-s, qui apprécient des produits non "vus à la télé" comme des abonnès qui haissent ĺ'écriture inclusive!
Georges-W. Perrin»


@Lagom 04.03.2021 | 14h03

«Après épluchage, coupez-les en dès et faites cuire 5 mn à la vapeur. Même chose avec des pommes de terre (la moitié de la quantité des légumes) aussi 5 mn à la vapeur, mélanger le tout et rajouter un peu de crème et couvrez avec du fromage rappé. 30 mn au four chauffé (haut/bas - pas chaleur tournante) à 205 et vous me donnerez de vos nouvelles ! »


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