Reportage / La Cisjordanie, un asile de fous à ciel ouvert
Ramallah, capitale administrative de l'Autorité palestinienne, en Cisjordanie. © D.L.
On dit souvent de Gaza qu'elle est la «plus grande prison du monde à ciel ouvert». La Cisjordanie, principale entité de l'Etat de Palestine, ressemble en comparaison à un asile de fous. Un asile imaginé par des fous, mais aussi rempli de fous. Fous de rage, de désespoir, contraints à vivre dans une réalité parallèle tout à fait inimaginable de l'extérieur.
L'arrivée en voiture à Ramallah, capitale de la Palestine, vous ferait croire que l'équipe de foot locale vient de remporter la Coupe des Champions. Foule compacte, tintamarre assourdissant, mer de voitures et de camionnettes au point mort, chauffeurs s'insultant parmi les vendeurs de maïs grillé hurlant, le chaos est indescriptible. Pourtant c'est un mercredi comme un autre, il fait un délicieux 24 degrés, le ciel est bleu comme les yeux de ma filleule, et Ramallah n'est qu'une petite ville de 40'000 habitants à peine.
La raison en est que tout le trafic, donc le transport des biens et des personnes, est régulé par Israël selon des conditions mouvantes et impénétrables. Ainsi presque toutes les routes sont des goulots d'étranglement, les colons étant, eux, au bénéfice de leur propre réseau routier, propre, sécurisé, et désert. Lorsque mon chauffeur Thaer, 34 ans, et moi arrivons enfin au centre-ville, il nous faut une bonne demie-heure pour parcourir 100 mètres et trouver un parking. Il est bientôt 17 heures, le soleil commence à baisser, alors Thaer m'indique la direction de la petite gare routière et se prépare à faire demi-tour. Pour rentrer chez lui à Jericho, à environ 60 kilomètres, il lui faudra deux à trois heures de route, entre les détours imposés par les colons et les checkpoints à l'entrée de sa ville natale.
Le marché de Ramallah. © D.L.
Déambulant dans la crasse de ces petites rues, entre les étals du marché débordant de fruits, assourdi par les hululements rythmés des vendeurs d'avocats, je me dirige lentement vers la gare. En y parvenant, on me dit, «halas», c'est-à-dire, plus de bus. Depuis le début de la guerre, Israël interdit le trafic de bus entre Ramallah et Jérusalem après la tombée de la nuit. Mon cas est immédiatement pris au sérieux. On se rassemble autour de moi et sans un mot d'anglais, on m'offre thé et cigarettes et on se met au travail pour trouver une solution de fortune, en échangeant des blagues et en me rassurant.
J'avais quitté mon hôtel du centre de Jérusalem le matin même vers 8 heures. On m'attendait à 10 heures à Jérusalem Est, distant d'environ 8 kilomètres. Le gardien de nuit m'avait prévenu, partez avec deux heures d'avance, on ne sait jamais. Ahmed, 38 ans, travaille dans cet hôtel et n'a jamais vécu qu'à Jérusalem Est. Il parle hébreu, passe sa vie et travaille en Israël. Et jamais il ne pourra obtenir la nationalité israélienne. Que je pourrais, moi, en vertu de ma généalogie, obtenir sans jamais mettre les pieds dans ce pays. Vers 9 heures et demie, je parviens enfin à Béthanie, une performance que m'offre la guerre et le fait que Jérusalem a été entièrement désertée par les touristes et ceux qui les servent. Dans des bureaux vides où nos voix rebondissent sur les murs de pierre polie, m'attend un homme de 83 ans, l'œil vif malgré son verbe hésitant et las.
Ziad Abu Zayyad, journaliste et avocat, a été ministre de l'Autorité Palestinienne chargé des affaires de Jérusalem dans les années 90. Il a fait de la prison en Israël (bien sûr, pourrait-on rajouter, puisqu'aucun des ministres palestiniens n'échappe à cette règle) et reste connu comme un pacifiste à la recherche d'un compromis avec Israël. Pourtant le vieil avocat n'a plus aucune illusion. En tous les cas, plus depuis le 7 octobre. Non pas que son credo ait changé, mais il connaît la rage vengeresse des Israéliens. Il sait aussi que ceux-ci «ne pourront pas annihiler militairement le Hamas, ni détruire le peuple palestinien à Gaza, en dépit du nombre élevé de victimes. Ils n'accompliront rien avec cette guerre, sinon tuer des civils en grande quantité (...) et perdre le soutien de la communauté internationale». Et la Cisjordanie n'est pas épargnée. En 2023, 480 victimes y sont à déplorer, la moitié rien que depuis le 7 octobre. Plus de 4'200 personnes, la plupart des jeunes hommes, ont été jetées en prison, non sans se faire auparavant humilier en devant s'asseoir à demi nu dans la rue, sous les quolibets des soldats israéliens. Des images qui ont fait le tour du monde et qui donnent raison à Abu Zayyad: Israël y perd tout crédit et toute sympathie, surtout auprès des jeunes générations d'Européens et Américains, pour lesquels l'Holocauste ne suffit plus pour tout justifier. En Cisjordanie, pour la plus grande honte et la plus grande colère d'un très grand nombre d'Israéliens libéraux, ce sont surtout les exactions et les violences gratuites des colons qui sont en augmentation exponentielle depuis l'attaque du Hamas. Villages rasés, oliveraies arrachées, écoles et hôpitaux incendiés, femmes et enfants harcelés et battus, la liste des dégâts est longue.
Derrière Abu Zayyad, par la fenêtre je vois un décor de Mad Max. La rue défoncée voit passer des autos borgnes, éraflées de tous côtés, crachant de la fumée. Des immeubles en parpaing, assemblés à la hâte, côtoient des ruines ou des maisons inachevées, probablement des histoires de permis de construire. En 2022 et selon les statistiques officielles, Israël a issu 13'000 de ces permis à des colons. Et quatre, en tout, à des Palestiniens. En me serrant la main, Abu Zayyed conclut, sur un ton qui fleure plus la tristesse que le triomphalisme: «Israël ne peut pas continuer comme cela. Je pense qu'Israël disparaîtra, de mon vivant ou du vôtre. C'est un Etat contre-nature».
Son fils, la quarantaine, me raccompagne et attend mon chauffeur de taxi avec moi. En m'offrant une cigarette, il me raconte qu'il vit depuis trente ans aux Etats-Unis. Son père, dès qu'il en a eu les moyens, a exilé son fils aussi loin que possible de cet enfer. Mais il a grandi ici, à Bethanie, fils d'une famille qui remonte au XVIème siècle, me dit-il. Son attachement pour sa terre est manifeste. En voyant arriver la vieille Skoda jaune de Thaer, il lance son mégot et puis il me regarde et me dit: «Israël est une belle saloperie. Mais laissez les Palestiniens gouverner ce pays, vous aurez la guerre civile et la destruction en moins d'une année. Laissez des Palestiniens gouverner les Etats-Unis, vous aurez des guerres civiles entre Etats, et à l'intérieur des Etats. Et tout sera détruit, sale et inutilisable en un rien de temps. Ce peuple ne sait pas se gouverner et ne veut pas se gouverner. Allez, bonne route.»
Thaer et son ami. © D.L.
Pendant des heures, Thaer et moi serpentons entre ces collines râpées. Toutes les collines bien exposées et fleuries sont occupées par des villages de colons, entourées de barrières et bien gardées. Les villages des Palestiniens sont dans les creux et les vallées, souvent miséreux et dominés par des miradors désormais vides, remplacés par des drones omniprésents. Certains villages, on devrait plutôt parler de campements en dur, ont été récemment incendiés, leurs restes carbonisés et abandonnés pourrissent au soleil.
Une route impeccable nous fait descendre vers la mer Morte. Cette route a été construite pour les colons et Thaer n'a l'autorisation de l'emprunter que de jour, enfin, maintenant, mais cela peut changer tous les jours. La Cisjordanie, grande comme le département du Var, est divisée en trois zones, qu'Israël ne cesse de modifier unilatéralement à son avantage. Presque trois millions de Palestiniens y vivent pour environ 700'000 colons israéliens dans un délire cadastral qui rappelle plus les Nymphéas de Monet qu'une carte politique. Selon une expression locale, les négociations sur ces zones entre Israël et la Palestine sont semblables à quelqu'un qui proposerait de partager une pizza tout en la mangeant.
Un campement incendié. © D.L.
Dans un virage, Thaer ralentit et s'interrompt au milieu de sa phrase. Un tracteur est garé sur le bas-côté. Juché à son volant, un jeune homme de 18 ans à peine nous toise avec méfiance. Son teint pâle et ses longs cheveux bouclés en feraient un Jésus du XXIème siècle. Thaer est nerveux, il jure dans sa barbe, roulant au pas, évitant le regard du jeune homme, le fusil-mitrailleur M4 en bandoulière, qui pourrait nous tirer dessus sans aucune crainte de poursuites. Tout autour, les palmeraies qui s'étendent sur des kilomètres carrés sont souvent plantées sur des terres qui appartenaient à des Palestiniens, appropriées par des colons avec la bénédiction et le soutien financier d'Israël. Si Thaer venait à s'arrêter et à insulter ce jeune homme, il serait aussitôt incarcéré avant d'être jugé par la justice militaire, qui le condamnerait avec plus de 90% de certitude. La justice civile, en Cisjordanie, n'existe que pour les citoyens israéliens.
En arrivant dans la banlieue de Jericho, nous pénétrons dans la cour d'une maison à deux étages. C'est la maison de ses parents. Thaer s'est marié ce printemps et voulait, avec sa jeune épouse, construire une maison sur le terrain attenant. Mais voilà, la justice israélienne a modifié son cadastre et désormais ce terrain et non ceux qui l'entourent est passé de zone A en zone C. Il est donc soumis à l'impossible obtention d'un permis de construire. Sa mère, souriante, voilée et timide, nous prépare une délicieuse soupe de blé, servie avec du pain pita, un peu de fromage de chèvre et une salade de poivrons marinés. Un festin d'une désarmante frugalité. Dans la pénombre du salon, une grand-mère née entre la fin des années 20 et le début des années 30, personne ne sait, est assise sur un divan courant le long des murs. Pas un mot ne sort de sa bouche. Aux murs, les images crochetées par la mère sont encadrées avec soin. Des paysages, des scènes de village. Et puis cette carte, que je photographie: une Palestine «de la rivière à la mer», sans aucune mention d'Israël et des Juifs. Personne ne se hasarde à commenter une totale évidence qui contredit tous les beaux discours de paix et de compromis que Thaer tient devant moi. Israël, c'est l'occupant, l'oppresseur, on doit faire avec mais on soupire à sa disparition.
La maman de Thaer. © D.L.
A la gare routière de Ramallah, après une vingtaine de minutes de palabres, on me fait monter dans un petit bus. On m'explique que je dois simplement attendre les instructions du chauffeur qui me dira quand et où je devrai changer de bus. Je ne comprends que cela, le reste se perd dans des tentatives infructueuses de traduction, le peu d'arabe que j'ai appris au Caire s'est envolé il y a bien longtemps. Assis au fond de ce bus, je suis un peu nerveux malgré tout. Il fait désormais nuit. Que faire si je n'arrive nulle part? Si mon chauffeur m'oublie? Nous sommes à moins de quinze kilomètres de mon hôtel, et j'observe sur mon smartphone que nous partons dans la direction opposée, plein nord. C'est dans ces moments que mon expérience de vie en Serbie s'avère utile. J'y ai appris à faire confiance à des gens qui ne connaissent que les solutions de fortune et vous portent secours par principe, et non par profit.
Tout le monde est calme et souriant. Pourtant cela fait maintenant une heure et demie que nous roulons, et que personne n'est descendu. Donc tout le monde est dans ma situation, errant dans la nuit au milieu de nulle part, zigzagant dans un dédale arbitraire et inquiétant. Lorsqu'enfin je parviens avec mes compagnons de voyage au checkpoint de Jerusalem Est, nous avons fait plus de deux heures et demie de route et parcouru 70 kilomètres, au lieu des habituels 15 kilomètres en vingt minutes. Comme m'avait prévenu mon gardien de nuit, les soldats qui gardent le checkpoint ont tous la peau foncée. Les emplois les plus dangereux sont systématiquement dévolus aux Juifs africains et orientaux. Un Ashkénaze n'aura que très rarement cette lourde responsabilité. Et ces trois soldats me hèlent avec un sourire, mais ajoutent d'un ton réprobateur: «Qu'est-ce que tu fais ici! C'est très dangereux tu sais! Allez, rentre vite chez toi et ne reviens pas!» Le lendemain matin, à trois cent mètres d'ici, deux Palestiniens armés de fusils ont arrosé un arrêt de bus, causant trois morts, avant de se faire eux-même abattre.
Deux jours plus tard, je suis à Tel Aviv, invité au dîner de Shabbat. Les invités sont estomaqués de savoir que je suis allé à Ramallah. Personne n'a jamais songé à s'y rendre et tous m'assurent que j'aurais pu y laisser ma peau. Une jeune femme, née à Paris et qui vient d'immigrer, discute avec moi et commente l'assassinat terroriste du jour précédent. «Cinq morts, tout de même», dis-je sobrement. «Non, trois», corrige-t-elle, «les deux autres, on ne les compte pas».
Notice (8): Trying to access array offset on value of type null [APP/Template/Posts/view.ctp, line 147]Code Context<div class="col-lg-12 order-lg-4 order-md-4">
<? if(!$connected['active']): ?>
<div class="utils__spacer--default"></div>
$viewFile = '/data01/sites/bonpourlatete.com/dev/bonpourlatete.com/src/Template/Posts/view.ctp' $dataForView = [ 'referer' => '/', 'OneSignal' => '8a2ea76e-2c65-48ce-92e5-098c4cb86093', '_serialize' => [ (int) 0 => 'post' ], 'post' => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4660, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'La Cisjordanie, un asile de fous à ciel ouvert', 'subtitle' => 'On dit souvent de Gaza qu'elle est la «plus grande prison du monde à ciel ouvert». La Cisjordanie, principale entité de l'Etat de Palestine, ressemble en comparaison à un asile de fous. Un asile imaginé par des fous, mais aussi rempli de fous. Fous de rage, de désespoir, contraints à vivre dans une réalité parallèle tout à fait inimaginable de l'extérieur.', 'subtitle_edition' => 'On dit souvent de Gaza qu'elle est la «plus grande prison du monde à ciel ouvert». La Cisjordanie, principale entité de l'Etat de Palestine, ressemble en comparaison à un asile de fous. Un asile imaginé par des fous, mais aussi rempli de fous. Fous de rage, de désespoir, contraints à vivre dans une réalité parallèle tout à fait inimaginable de l'extérieur.', 'content' => '<p>L'arrivée en voiture à Ramallah, capitale de la Palestine, vous ferait croire que l'équipe de foot locale vient de remporter la Coupe des Champions. Foule compacte, tintamarre assourdissant, mer de voitures et de camionnettes au point mort, chauffeurs s'insultant parmi les vendeurs de maïs grillé hurlant, le chaos est indescriptible. Pourtant c'est un mercredi comme un autre, il fait un délicieux 24 degrés, le ciel est bleu comme les yeux de ma filleule, et Ramallah n'est qu'une petite ville de 40'000 habitants à peine.</p> <p>La raison en est que tout le trafic, donc le transport des biens et des personnes, est régulé par Israël selon des conditions mouvantes et impénétrables. Ainsi presque toutes les routes sont des goulots d'étranglement, les colons étant, eux, au bénéfice de leur propre réseau routier, propre, sécurisé, et désert. Lorsque mon chauffeur Thaer, 34 ans, et moi arrivons enfin au centre-ville, il nous faut une bonne demie-heure pour parcourir 100 mètres et trouver un parking. Il est bientôt 17 heures, le soleil commence à baisser, alors Thaer m'indique la direction de la petite gare routière et se prépare à faire demi-tour. Pour rentrer chez lui à Jericho, à environ 60 kilomètres, il lui faudra deux à trois heures de route, entre les détours imposés par les colons et les checkpoints à l'entrée de sa ville natale.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1703171849_lemarchderamallah.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Le marché de Ramallah. © D.L.</em></h4> <p>Déambulant dans la crasse de ces petites rues, entre les étals du marché débordant de fruits, assourdi par les hululements rythmés des vendeurs d'avocats, je me dirige lentement vers la gare. En y parvenant, on me dit, «<i>halas»</i>, c'est-à-dire, plus de bus. Depuis le début de la guerre, Israël interdit le trafic de bus entre Ramallah et Jérusalem après la tombée de la nuit. Mon cas est immédiatement pris au sérieux. On se rassemble autour de moi et sans un mot d'anglais, on m'offre thé et cigarettes et on se met au travail pour trouver une solution de fortune, en échangeant des blagues et en me rassurant.</p> <p>J'avais quitté mon hôtel du centre de Jérusalem le matin même vers 8 heures. On m'attendait à 10 heures à Jérusalem Est, distant d'environ 8 kilomètres. Le gardien de nuit m'avait prévenu, partez avec deux heures d'avance, on ne sait jamais. Ahmed, 38 ans, travaille dans cet hôtel et n'a jamais vécu qu'à Jérusalem Est. Il parle hébreu, passe sa vie et travaille en Israël. Et jamais il ne pourra obtenir la nationalité israélienne. Que je pourrais, moi, en vertu de ma généalogie, obtenir sans jamais mettre les pieds dans ce pays. Vers 9 heures et demie, je parviens enfin à Béthanie, une performance que m'offre la guerre et le fait que Jérusalem a été entièrement désertée par les touristes et ceux qui les servent. Dans des bureaux vides où nos voix rebondissent sur les murs de pierre polie, m'attend un homme de 83 ans, l'œil vif malgré son verbe hésitant et las.</p> <p>Ziad Abu Zayyad, journaliste et avocat, a été ministre de l'Autorité Palestinienne chargé des affaires de Jérusalem dans les années 90. Il a fait de la prison en Israël (bien sûr, pourrait-on rajouter, puisqu'aucun des ministres palestiniens n'échappe à cette règle) et reste connu comme un pacifiste à la recherche d'un compromis avec Israël. Pourtant le vieil avocat n'a plus aucune illusion. En tous les cas, plus depuis le 7 octobre. Non pas que son credo ait changé, mais il connaît la rage vengeresse des Israéliens. Il sait aussi que ceux-ci «ne pourront pas annihiler militairement le Hamas, ni détruire le peuple palestinien à Gaza, en dépit du nombre élevé de victimes. Ils n'accompliront rien avec cette guerre, sinon tuer des civils en grande quantité (...) et perdre le soutien de la communauté internationale». Et la Cisjordanie n'est pas épargnée. En 2023, 480 victimes y sont à déplorer, la moitié rien que depuis le 7 octobre. Plus de 4'200 personnes, la plupart des jeunes hommes, ont été jetées en prison, non sans se faire auparavant humilier en devant s'asseoir à demi nu dans la rue, sous les quolibets des soldats israéliens. Des images qui ont fait le tour du monde et qui donnent raison à Abu Zayyad: Israël y perd tout crédit et toute sympathie, surtout auprès des jeunes générations d'Européens et Américains, pour lesquels l'Holocauste ne suffit plus pour tout justifier. En Cisjordanie, pour la plus grande honte et la plus grande colère d'un très grand nombre d'Israéliens libéraux, ce sont surtout les exactions et les violences gratuites des colons qui sont en augmentation exponentielle depuis l'attaque du Hamas. Villages rasés, oliveraies arrachées, écoles et hôpitaux incendiés, femmes et enfants harcelés et battus, la liste des dégâts est longue.</p> <p>Derrière Abu Zayyad, par la fenêtre je vois un décor de <i>Mad Max</i>. La rue défoncée voit passer des autos borgnes, éraflées de tous côtés, crachant de la fumée. Des immeubles en parpaing, assemblés à la hâte, côtoient des ruines ou des maisons inachevées, probablement des histoires de permis de construire. En 2022 et selon les statistiques officielles, Israël a issu 13'000 de ces permis à des colons. Et quatre, en tout, à des Palestiniens. En me serrant la main, Abu Zayyed conclut, sur un ton qui fleure plus la tristesse que le triomphalisme: «Israël ne peut pas continuer comme cela. Je pense qu'Israël disparaîtra, de mon vivant ou du vôtre. C'est un Etat contre-nature».</p> <p>Son fils, la quarantaine, me raccompagne et attend mon chauffeur de taxi avec moi. En m'offrant une cigarette, il me raconte qu'il vit depuis trente ans aux Etats-Unis. Son père, dès qu'il en a eu les moyens, a exilé son fils aussi loin que possible de cet enfer. Mais il a grandi ici, à Bethanie, fils d'une famille qui remonte au XVIème siècle, me dit-il. Son attachement pour sa terre est manifeste. En voyant arriver la vieille Skoda jaune de Thaer, il lance son mégot et puis il me regarde et me dit: «Israël est une belle saloperie. Mais laissez les Palestiniens gouverner ce pays, vous aurez la guerre civile et la destruction en moins d'une année. Laissez des Palestiniens gouverner les Etats-Unis, vous aurez des guerres civiles entre Etats, et à l'intérieur des Etats. Et tout sera détruit, sale et inutilisable en un rien de temps. Ce peuple ne sait pas se gouverner et ne veut pas se gouverner. Allez, bonne route.»</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1703172673_thaeretsonami.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Thaer et son ami. © D.L.</em></h4> <p>Pendant des heures, Thaer et moi serpentons entre ces collines râpées. Toutes les collines bien exposées et fleuries sont occupées par des villages de colons, entourées de barrières et bien gardées. Les villages des Palestiniens sont dans les creux et les vallées, souvent miséreux et dominés par des miradors désormais vides, remplacés par des drones omniprésents. Certains villages, on devrait plutôt parler de campements en dur, ont été récemment incendiés, leurs restes carbonisés et abandonnés pourrissent au soleil.</p> <p>Une route impeccable nous fait descendre vers la mer Morte. Cette route a été construite pour les colons et Thaer n'a l'autorisation de l'emprunter que de jour, enfin, maintenant, mais cela peut changer tous les jours. La Cisjordanie, grande comme le département du Var, est divisée en trois zones, qu'Israël ne cesse de modifier unilatéralement à son avantage. Presque trois millions de Palestiniens y vivent pour environ 700'000 colons israéliens dans un délire cadastral qui rappelle plus les Nymphéas de Monet qu'une carte politique. Selon une expression locale, les négociations sur ces zones entre Israël et la Palestine sont semblables à quelqu'un qui proposerait de partager une pizza tout en la mangeant.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1703172772_uncampementincendi.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Un campement incendié. © D.L.</em></h4> <p>Dans un virage, Thaer ralentit et s'interrompt au milieu de sa phrase. Un tracteur est garé sur le bas-côté. Juché à son volant, un jeune homme de 18 ans à peine nous toise avec méfiance. Son teint pâle et ses longs cheveux bouclés en feraient un Jésus du XXIème siècle. Thaer est nerveux, il jure dans sa barbe, roulant au pas, évitant le regard du jeune homme, le fusil-mitrailleur M4 en bandoulière, qui pourrait nous tirer dessus sans aucune crainte de poursuites. Tout autour, les palmeraies qui s'étendent sur des kilomètres carrés sont souvent plantées sur des terres qui appartenaient à des Palestiniens, appropriées par des colons avec la bénédiction et le soutien financier d'Israël. Si Thaer venait à s'arrêter et à insulter ce jeune homme, il serait aussitôt incarcéré avant d'être jugé par la justice militaire, qui le condamnerait avec plus de 90% de certitude. La justice civile, en Cisjordanie, n'existe que pour les citoyens israéliens.</p> <p>En arrivant dans la banlieue de Jericho, nous pénétrons dans la cour d'une maison à deux étages. C'est la maison de ses parents. Thaer s'est marié ce printemps et voulait, avec sa jeune épouse, construire une maison sur le terrain attenant. Mais voilà, la justice israélienne a modifié son cadastre et désormais ce terrain et non ceux qui l'entourent est passé de zone A en zone C. Il est donc soumis à l'impossible obtention d'un permis de construire. Sa mère, souriante, voilée et timide, nous prépare une délicieuse soupe de blé, servie avec du pain pita, un peu de fromage de chèvre et une salade de poivrons marinés. Un festin d'une désarmante frugalité. Dans la pénombre du salon, une grand-mère née entre la fin des années 20 et le début des années 30, personne ne sait, est assise sur un divan courant le long des murs. Pas un mot ne sort de sa bouche. Aux murs, les images crochetées par la mère sont encadrées avec soin. Des paysages, des scènes de village. Et puis cette carte, que je photographie: une Palestine «de la rivière à la mer», sans aucune mention d'Israël et des Juifs. Personne ne se hasarde à commenter une totale évidence qui contredit tous les beaux discours de paix et de compromis que Thaer tient devant moi. Israël, c'est l'occupant, l'oppresseur, on doit faire avec mais on soupire à sa disparition. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1703173637_lamamandethaer.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>La maman de Thaer. © D.L.</em></h4> <p>A la gare routière de Ramallah, après une vingtaine de minutes de palabres, on me fait monter dans un petit bus. On m'explique que je dois simplement attendre les instructions du chauffeur qui me dira quand et où je devrai changer de bus. Je ne comprends que cela, le reste se perd dans des tentatives infructueuses de traduction, le peu d'arabe que j'ai appris au Caire s'est envolé il y a bien longtemps. Assis au fond de ce bus, je suis un peu nerveux malgré tout. Il fait désormais nuit. Que faire si je n'arrive nulle part? Si mon chauffeur m'oublie? Nous sommes à moins de quinze kilomètres de mon hôtel, et j'observe sur mon smartphone que nous partons dans la direction opposée, plein nord. C'est dans ces moments que mon expérience de vie en Serbie s'avère utile. J'y ai appris à faire confiance à des gens qui ne connaissent que les solutions de fortune et vous portent secours par principe, et non par profit. </p> <p>Tout le monde est calme et souriant. Pourtant cela fait maintenant une heure et demie que nous roulons, et que personne n'est descendu. Donc tout le monde est dans ma situation, errant dans la nuit au milieu de nulle part, zigzagant dans un dédale arbitraire et inquiétant. Lorsqu'enfin je parviens avec mes compagnons de voyage au checkpoint de Jerusalem Est, nous avons fait plus de deux heures et demie de route et parcouru 70 kilomètres, au lieu des habituels 15 kilomètres en vingt minutes. Comme m'avait prévenu mon gardien de nuit, les soldats qui gardent le checkpoint ont tous la peau foncée. Les emplois les plus dangereux sont systématiquement dévolus aux Juifs africains et orientaux. Un Ashkénaze n'aura que très rarement cette lourde responsabilité. Et ces trois soldats me hèlent avec un sourire, mais ajoutent d'un ton réprobateur: «Qu'est-ce que tu fais ici! C'est très dangereux tu sais! Allez, rentre vite chez toi et ne reviens pas!» Le lendemain matin, à trois cent mètres d'ici, deux Palestiniens armés de fusils ont arrosé un arrêt de bus, causant trois morts, avant de se faire eux-même abattre.</p> <p>Deux jours plus tard, je suis à Tel Aviv, invité au dîner de Shabbat. Les invités sont estomaqués de savoir que je suis allé à Ramallah. Personne n'a jamais songé à s'y rendre et tous m'assurent que j'aurais pu y laisser ma peau. Une jeune femme, née à Paris et qui vient d'immigrer, discute avec moi et commente l'assassinat terroriste du jour précédent. «Cinq morts, tout de même», dis-je sobrement. «Non, trois», corrige-t-elle, «les deux autres, on ne les compte pas».</p>', 'content_edition' => 'L'arrivée en voiture à Ramallah, capitale de la Palestine, vous ferait croire que l'équipe de foot locale vient de remporter la Coupe des Champions. Foule compacte, tintamarre assourdissant, mer de voitures et de camionnettes au point mort, chauffeurs s'insultant parmi les vendeurs de maïs grillé hurlant, le chaos est indescriptible. Pourtant c'est un mercredi comme un autre, il fait un délicieux 24 degrés, le ciel est bleu comme les yeux de ma filleule, et Ramallah n'est qu'une petite ville de 40'000 habitants à peine. La raison en est que tout le trafic, donc le transport des biens et des personnes, est régulé par Israël selon des conditions mouvantes et impénétrables. Ainsi presque toutes les routes sont des goulots d'étranglement, les colons étant, eux, au bénéfice de leur propre réseau routier, propre, sécurisé, et désert. Lorsque mon chauffeur Thaer, 34 ans, et moi arrivons enfin au centre-ville, il nous faut une bonne demie-heure pour parcourir 100 mètres et trouver un parking. Il est bientôt 17 heures, le soleil commence à baisser, alors Thaer m'indique la direction de la petite gare routière et se prépare à faire demi-tour. Pour rentrer chez lui à Jericho, à environ 60 kilomètres, il lui faudra deux à trois heures de route, entre les détours imposés par les colons et les checkpoints à l'entrée de sa ville natale. Déambulant dans la crasse de ces petites rues, entre les étals du marché débordant de fruits, assourdi par les hululements rythmés des vendeurs d'avocats, je me dirige lentement vers la gare. En y parvenant, on me dit, «halas», c'est-à-dire, plus de bus. Depuis le début de la guerre, Israël interdit le trafic de bus entre Ramallah et Jérusalem après la tombée de la nuit.', 'slug' => 'la-cisjordanie-un-asile-de-fous-a-ciel-ouvert', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 682, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 15, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'David Laufer', 'description' => 'On dit souvent de Gaza qu'elle est la «plus grande prison du monde à ciel ouvert». La Cisjordanie, principale entité de l'Etat de Palestine, ressemble en comparaison à un asile de fous. Un asile imaginé par des fous, mais aussi rempli de fous. Fous de rage, de désespoir, contraints à vivre dans une réalité parallèle tout à fait inimaginable de l'extérieur.', 'title' => 'La Cisjordanie, un asile de fous à ciel ouvert', 'crawler' => true, 'connected' => null, 'menu_blocks' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Block) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Block) {} ], 'menu' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 5 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 6 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 7 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 8 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 9 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 10 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 11 => object(App\Model\Entity\Category) {}, (int) 12 => object(App\Model\Entity\Category) {} ] ] $bufferLevel = (int) 1 $referer = '/' $OneSignal = '8a2ea76e-2c65-48ce-92e5-098c4cb86093' $_serialize = [ (int) 0 => 'post' ] $post = object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4660, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'La Cisjordanie, un asile de fous à ciel ouvert', 'subtitle' => 'On dit souvent de Gaza qu'elle est la «plus grande prison du monde à ciel ouvert». La Cisjordanie, principale entité de l'Etat de Palestine, ressemble en comparaison à un asile de fous. Un asile imaginé par des fous, mais aussi rempli de fous. Fous de rage, de désespoir, contraints à vivre dans une réalité parallèle tout à fait inimaginable de l'extérieur.', 'subtitle_edition' => 'On dit souvent de Gaza qu'elle est la «plus grande prison du monde à ciel ouvert». La Cisjordanie, principale entité de l'Etat de Palestine, ressemble en comparaison à un asile de fous. Un asile imaginé par des fous, mais aussi rempli de fous. Fous de rage, de désespoir, contraints à vivre dans une réalité parallèle tout à fait inimaginable de l'extérieur.', 'content' => '<p>L'arrivée en voiture à Ramallah, capitale de la Palestine, vous ferait croire que l'équipe de foot locale vient de remporter la Coupe des Champions. Foule compacte, tintamarre assourdissant, mer de voitures et de camionnettes au point mort, chauffeurs s'insultant parmi les vendeurs de maïs grillé hurlant, le chaos est indescriptible. Pourtant c'est un mercredi comme un autre, il fait un délicieux 24 degrés, le ciel est bleu comme les yeux de ma filleule, et Ramallah n'est qu'une petite ville de 40'000 habitants à peine.</p> <p>La raison en est que tout le trafic, donc le transport des biens et des personnes, est régulé par Israël selon des conditions mouvantes et impénétrables. Ainsi presque toutes les routes sont des goulots d'étranglement, les colons étant, eux, au bénéfice de leur propre réseau routier, propre, sécurisé, et désert. Lorsque mon chauffeur Thaer, 34 ans, et moi arrivons enfin au centre-ville, il nous faut une bonne demie-heure pour parcourir 100 mètres et trouver un parking. Il est bientôt 17 heures, le soleil commence à baisser, alors Thaer m'indique la direction de la petite gare routière et se prépare à faire demi-tour. Pour rentrer chez lui à Jericho, à environ 60 kilomètres, il lui faudra deux à trois heures de route, entre les détours imposés par les colons et les checkpoints à l'entrée de sa ville natale.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1703171849_lemarchderamallah.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Le marché de Ramallah. © D.L.</em></h4> <p>Déambulant dans la crasse de ces petites rues, entre les étals du marché débordant de fruits, assourdi par les hululements rythmés des vendeurs d'avocats, je me dirige lentement vers la gare. En y parvenant, on me dit, «<i>halas»</i>, c'est-à-dire, plus de bus. Depuis le début de la guerre, Israël interdit le trafic de bus entre Ramallah et Jérusalem après la tombée de la nuit. Mon cas est immédiatement pris au sérieux. On se rassemble autour de moi et sans un mot d'anglais, on m'offre thé et cigarettes et on se met au travail pour trouver une solution de fortune, en échangeant des blagues et en me rassurant.</p> <p>J'avais quitté mon hôtel du centre de Jérusalem le matin même vers 8 heures. On m'attendait à 10 heures à Jérusalem Est, distant d'environ 8 kilomètres. Le gardien de nuit m'avait prévenu, partez avec deux heures d'avance, on ne sait jamais. Ahmed, 38 ans, travaille dans cet hôtel et n'a jamais vécu qu'à Jérusalem Est. Il parle hébreu, passe sa vie et travaille en Israël. Et jamais il ne pourra obtenir la nationalité israélienne. Que je pourrais, moi, en vertu de ma généalogie, obtenir sans jamais mettre les pieds dans ce pays. Vers 9 heures et demie, je parviens enfin à Béthanie, une performance que m'offre la guerre et le fait que Jérusalem a été entièrement désertée par les touristes et ceux qui les servent. Dans des bureaux vides où nos voix rebondissent sur les murs de pierre polie, m'attend un homme de 83 ans, l'œil vif malgré son verbe hésitant et las.</p> <p>Ziad Abu Zayyad, journaliste et avocat, a été ministre de l'Autorité Palestinienne chargé des affaires de Jérusalem dans les années 90. Il a fait de la prison en Israël (bien sûr, pourrait-on rajouter, puisqu'aucun des ministres palestiniens n'échappe à cette règle) et reste connu comme un pacifiste à la recherche d'un compromis avec Israël. Pourtant le vieil avocat n'a plus aucune illusion. En tous les cas, plus depuis le 7 octobre. Non pas que son credo ait changé, mais il connaît la rage vengeresse des Israéliens. Il sait aussi que ceux-ci «ne pourront pas annihiler militairement le Hamas, ni détruire le peuple palestinien à Gaza, en dépit du nombre élevé de victimes. Ils n'accompliront rien avec cette guerre, sinon tuer des civils en grande quantité (...) et perdre le soutien de la communauté internationale». Et la Cisjordanie n'est pas épargnée. En 2023, 480 victimes y sont à déplorer, la moitié rien que depuis le 7 octobre. Plus de 4'200 personnes, la plupart des jeunes hommes, ont été jetées en prison, non sans se faire auparavant humilier en devant s'asseoir à demi nu dans la rue, sous les quolibets des soldats israéliens. Des images qui ont fait le tour du monde et qui donnent raison à Abu Zayyad: Israël y perd tout crédit et toute sympathie, surtout auprès des jeunes générations d'Européens et Américains, pour lesquels l'Holocauste ne suffit plus pour tout justifier. En Cisjordanie, pour la plus grande honte et la plus grande colère d'un très grand nombre d'Israéliens libéraux, ce sont surtout les exactions et les violences gratuites des colons qui sont en augmentation exponentielle depuis l'attaque du Hamas. Villages rasés, oliveraies arrachées, écoles et hôpitaux incendiés, femmes et enfants harcelés et battus, la liste des dégâts est longue.</p> <p>Derrière Abu Zayyad, par la fenêtre je vois un décor de <i>Mad Max</i>. La rue défoncée voit passer des autos borgnes, éraflées de tous côtés, crachant de la fumée. Des immeubles en parpaing, assemblés à la hâte, côtoient des ruines ou des maisons inachevées, probablement des histoires de permis de construire. En 2022 et selon les statistiques officielles, Israël a issu 13'000 de ces permis à des colons. Et quatre, en tout, à des Palestiniens. En me serrant la main, Abu Zayyed conclut, sur un ton qui fleure plus la tristesse que le triomphalisme: «Israël ne peut pas continuer comme cela. Je pense qu'Israël disparaîtra, de mon vivant ou du vôtre. C'est un Etat contre-nature».</p> <p>Son fils, la quarantaine, me raccompagne et attend mon chauffeur de taxi avec moi. En m'offrant une cigarette, il me raconte qu'il vit depuis trente ans aux Etats-Unis. Son père, dès qu'il en a eu les moyens, a exilé son fils aussi loin que possible de cet enfer. Mais il a grandi ici, à Bethanie, fils d'une famille qui remonte au XVIème siècle, me dit-il. Son attachement pour sa terre est manifeste. En voyant arriver la vieille Skoda jaune de Thaer, il lance son mégot et puis il me regarde et me dit: «Israël est une belle saloperie. Mais laissez les Palestiniens gouverner ce pays, vous aurez la guerre civile et la destruction en moins d'une année. Laissez des Palestiniens gouverner les Etats-Unis, vous aurez des guerres civiles entre Etats, et à l'intérieur des Etats. Et tout sera détruit, sale et inutilisable en un rien de temps. Ce peuple ne sait pas se gouverner et ne veut pas se gouverner. Allez, bonne route.»</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1703172673_thaeretsonami.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Thaer et son ami. © D.L.</em></h4> <p>Pendant des heures, Thaer et moi serpentons entre ces collines râpées. Toutes les collines bien exposées et fleuries sont occupées par des villages de colons, entourées de barrières et bien gardées. Les villages des Palestiniens sont dans les creux et les vallées, souvent miséreux et dominés par des miradors désormais vides, remplacés par des drones omniprésents. Certains villages, on devrait plutôt parler de campements en dur, ont été récemment incendiés, leurs restes carbonisés et abandonnés pourrissent au soleil.</p> <p>Une route impeccable nous fait descendre vers la mer Morte. Cette route a été construite pour les colons et Thaer n'a l'autorisation de l'emprunter que de jour, enfin, maintenant, mais cela peut changer tous les jours. La Cisjordanie, grande comme le département du Var, est divisée en trois zones, qu'Israël ne cesse de modifier unilatéralement à son avantage. Presque trois millions de Palestiniens y vivent pour environ 700'000 colons israéliens dans un délire cadastral qui rappelle plus les Nymphéas de Monet qu'une carte politique. Selon une expression locale, les négociations sur ces zones entre Israël et la Palestine sont semblables à quelqu'un qui proposerait de partager une pizza tout en la mangeant.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1703172772_uncampementincendi.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Un campement incendié. © D.L.</em></h4> <p>Dans un virage, Thaer ralentit et s'interrompt au milieu de sa phrase. Un tracteur est garé sur le bas-côté. Juché à son volant, un jeune homme de 18 ans à peine nous toise avec méfiance. Son teint pâle et ses longs cheveux bouclés en feraient un Jésus du XXIème siècle. Thaer est nerveux, il jure dans sa barbe, roulant au pas, évitant le regard du jeune homme, le fusil-mitrailleur M4 en bandoulière, qui pourrait nous tirer dessus sans aucune crainte de poursuites. Tout autour, les palmeraies qui s'étendent sur des kilomètres carrés sont souvent plantées sur des terres qui appartenaient à des Palestiniens, appropriées par des colons avec la bénédiction et le soutien financier d'Israël. Si Thaer venait à s'arrêter et à insulter ce jeune homme, il serait aussitôt incarcéré avant d'être jugé par la justice militaire, qui le condamnerait avec plus de 90% de certitude. La justice civile, en Cisjordanie, n'existe que pour les citoyens israéliens.</p> <p>En arrivant dans la banlieue de Jericho, nous pénétrons dans la cour d'une maison à deux étages. C'est la maison de ses parents. Thaer s'est marié ce printemps et voulait, avec sa jeune épouse, construire une maison sur le terrain attenant. Mais voilà, la justice israélienne a modifié son cadastre et désormais ce terrain et non ceux qui l'entourent est passé de zone A en zone C. Il est donc soumis à l'impossible obtention d'un permis de construire. Sa mère, souriante, voilée et timide, nous prépare une délicieuse soupe de blé, servie avec du pain pita, un peu de fromage de chèvre et une salade de poivrons marinés. Un festin d'une désarmante frugalité. Dans la pénombre du salon, une grand-mère née entre la fin des années 20 et le début des années 30, personne ne sait, est assise sur un divan courant le long des murs. Pas un mot ne sort de sa bouche. Aux murs, les images crochetées par la mère sont encadrées avec soin. Des paysages, des scènes de village. Et puis cette carte, que je photographie: une Palestine «de la rivière à la mer», sans aucune mention d'Israël et des Juifs. Personne ne se hasarde à commenter une totale évidence qui contredit tous les beaux discours de paix et de compromis que Thaer tient devant moi. Israël, c'est l'occupant, l'oppresseur, on doit faire avec mais on soupire à sa disparition. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1703173637_lamamandethaer.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>La maman de Thaer. © D.L.</em></h4> <p>A la gare routière de Ramallah, après une vingtaine de minutes de palabres, on me fait monter dans un petit bus. On m'explique que je dois simplement attendre les instructions du chauffeur qui me dira quand et où je devrai changer de bus. Je ne comprends que cela, le reste se perd dans des tentatives infructueuses de traduction, le peu d'arabe que j'ai appris au Caire s'est envolé il y a bien longtemps. Assis au fond de ce bus, je suis un peu nerveux malgré tout. Il fait désormais nuit. Que faire si je n'arrive nulle part? Si mon chauffeur m'oublie? Nous sommes à moins de quinze kilomètres de mon hôtel, et j'observe sur mon smartphone que nous partons dans la direction opposée, plein nord. C'est dans ces moments que mon expérience de vie en Serbie s'avère utile. J'y ai appris à faire confiance à des gens qui ne connaissent que les solutions de fortune et vous portent secours par principe, et non par profit. </p> <p>Tout le monde est calme et souriant. Pourtant cela fait maintenant une heure et demie que nous roulons, et que personne n'est descendu. Donc tout le monde est dans ma situation, errant dans la nuit au milieu de nulle part, zigzagant dans un dédale arbitraire et inquiétant. Lorsqu'enfin je parviens avec mes compagnons de voyage au checkpoint de Jerusalem Est, nous avons fait plus de deux heures et demie de route et parcouru 70 kilomètres, au lieu des habituels 15 kilomètres en vingt minutes. Comme m'avait prévenu mon gardien de nuit, les soldats qui gardent le checkpoint ont tous la peau foncée. Les emplois les plus dangereux sont systématiquement dévolus aux Juifs africains et orientaux. Un Ashkénaze n'aura que très rarement cette lourde responsabilité. Et ces trois soldats me hèlent avec un sourire, mais ajoutent d'un ton réprobateur: «Qu'est-ce que tu fais ici! C'est très dangereux tu sais! Allez, rentre vite chez toi et ne reviens pas!» Le lendemain matin, à trois cent mètres d'ici, deux Palestiniens armés de fusils ont arrosé un arrêt de bus, causant trois morts, avant de se faire eux-même abattre.</p> <p>Deux jours plus tard, je suis à Tel Aviv, invité au dîner de Shabbat. Les invités sont estomaqués de savoir que je suis allé à Ramallah. Personne n'a jamais songé à s'y rendre et tous m'assurent que j'aurais pu y laisser ma peau. Une jeune femme, née à Paris et qui vient d'immigrer, discute avec moi et commente l'assassinat terroriste du jour précédent. «Cinq morts, tout de même», dis-je sobrement. «Non, trois», corrige-t-elle, «les deux autres, on ne les compte pas».</p>', 'content_edition' => 'L'arrivée en voiture à Ramallah, capitale de la Palestine, vous ferait croire que l'équipe de foot locale vient de remporter la Coupe des Champions. Foule compacte, tintamarre assourdissant, mer de voitures et de camionnettes au point mort, chauffeurs s'insultant parmi les vendeurs de maïs grillé hurlant, le chaos est indescriptible. Pourtant c'est un mercredi comme un autre, il fait un délicieux 24 degrés, le ciel est bleu comme les yeux de ma filleule, et Ramallah n'est qu'une petite ville de 40'000 habitants à peine. La raison en est que tout le trafic, donc le transport des biens et des personnes, est régulé par Israël selon des conditions mouvantes et impénétrables. Ainsi presque toutes les routes sont des goulots d'étranglement, les colons étant, eux, au bénéfice de leur propre réseau routier, propre, sécurisé, et désert. Lorsque mon chauffeur Thaer, 34 ans, et moi arrivons enfin au centre-ville, il nous faut une bonne demie-heure pour parcourir 100 mètres et trouver un parking. Il est bientôt 17 heures, le soleil commence à baisser, alors Thaer m'indique la direction de la petite gare routière et se prépare à faire demi-tour. Pour rentrer chez lui à Jericho, à environ 60 kilomètres, il lui faudra deux à trois heures de route, entre les détours imposés par les colons et les checkpoints à l'entrée de sa ville natale. Déambulant dans la crasse de ces petites rues, entre les étals du marché débordant de fruits, assourdi par les hululements rythmés des vendeurs d'avocats, je me dirige lentement vers la gare. En y parvenant, on me dit, «halas», c'est-à-dire, plus de bus. Depuis le début de la guerre, Israël interdit le trafic de bus entre Ramallah et Jérusalem après la tombée de la nuit.', 'slug' => 'la-cisjordanie-un-asile-de-fous-a-ciel-ouvert', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 682, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 15, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4867, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'La guerre, ce véritable objet de notre désir', 'subtitle' => 'Diffusée par Netflix depuis mars, la première saison du "Problème à trois corps" a pris le monde d'assaut. Sur la base d'un roman écrit par un auteur chinois à succès, cette fable apocalyptique nous raconte énormément de choses sur nous et notre société.', 'subtitle_edition' => 'Diffusée par Netflix depuis mars, la première saison du "Problème à trois corps" a pris le monde d'assaut. Sur la base d'un roman écrit par un auteur chinois à succès, cette fable apocalyptique nous raconte énormément de choses sur nous et notre société.', 'content' => '<p>Le philosophe slovène Slavoj Zizek étaye souvent ses théories sociales et politiques de blagues, mais surtout d'exemples de la culture de masse et populaire. En illustrant son propos avec des séries télévisées ou la politique marketing de Starbucks, il nous permet de distinguer le discours, ou disons la petite musique de fond de notre époque, avec bien plus d'acuité que toutes les œuvres dites de haute culture. Ainsi la série Netflix <em>Le</em> <em>Problème à trois corps </em>offre un résumé saisissant des passions qui nous agitent depuis quelques années. On pourrait presque y voir un évangile tant son scénario est lisible comme un résumé de toutes nos craintes, de nos désirs et de nos croyances.</p> <p>Cette <a href="https://www.netflix.com/title/81024821" target="_blank" rel="noopener">série</a> en neuf épisodes, pour lequel nous attendons la seconde saison, est un morceau de bravoure télévisuelle incontestable. On s'amuse bien en la regardant, la production est léchée, les acteurs sont crédibles et les dialogues sont prenants. Lorsque l'on sait que l'auteur des livres qui ont inspiré cette série est chinois, on est également prié de comprendre que la domination absolue de l'Amérique sur la culture de masse ne sera bientôt plus qu'un lointain d'un souvenir. Ce que "Squid Game", la série coréenne, nous avait déjà permis d'entrevoir.</p> <p>La science-fiction permet à un auteur de projeter dans une œuvre sa vision de la société et de son avenir. L'éclosion de ce genre a eu lieu sous l'effet combiné de notre soudaine connaissance de l'histoire à partir du XIXe siècle, puis des idéologies et des massacres de masse du XXe siècle, qui nous ont fait perdre notre innocence. Dans un monde devenu dangereux et mouvant, l'artiste avait soudain reçu le commandement d'imaginer l'issue de ce chaos.</p> <p>Après les débuts fabuleux et enfantins de Jules Verne, les boucheries de Verdun puis du Troisième Reich ont définitivement assombri le genre vers les dystopies orwelliennes, mais aussi celles de Huxley, de Clarke, de Bradbury en passant par Philippe K. Dick, jusqu'à Liu Cixin, auteur du <em>Problème à trois corps</em>. Comme si l'optimisme était considéré comme un péché mortel, la totalité de ces auteurs, dont certains sont des géants de la littérature mondiale, ont en commun de nous imaginer un avenir épouvantable, où l'univers concentrationnaire allemand est utilisé comme mètre-étalon de ce que le cerveau humain peut engendrer à son nadir. Le <em>Problème à trois corps</em> n'échappe pas à cette règle.</p> <p>On pourrait s'arrêter sur trois éléments centraux du <em>Problème à trois corps</em>, réunis sous un dénominateur commun. Le premier élément, c'est la nature même de l'ennemi. Le second élément, ce sont ceux parmi les êtres humains dont on attend la solution. Et le troisième élément, c'est le genre de monde dans lequel on nous promet la victoire sur l'Ennemi. Le dénominateur commun, celui qui résume et englobe tous les autres, c'est ce désir de guerre, central dans un nombre incalculable de productions culturelles de masse depuis des années déjà.<br /><br />Le premier élément, l'Ennemi, est un miroir parfait des craintes combinées de nos sociétés depuis quelques années. Dans la série, l'Ennemi est une espèce intelligente, lointaine, dont il semble possible qu'elle soit animée des pires intentions concernant la race humaine. Condamnée à des cataclysmes sans fin dans son système planétaire à trois corps, origine du titre, cette espèce a pour projet de conquérir la terre et d'en déloger l'humanité. Les intentions exactes de cette espèce restent floues, mais potentiellement néfastes. Ce qui correspond exactement aux ennemis que nos sociétés affrontent ou croient devoir affronter depuis plusieurs années. Nous ne craignons plus l'invasion de l'Allemagne ou une armée régulière quelconque. Nous craignons désormais le changement climatique ou les pandémies. Comme dans le <em>Problème à trois corps</em>, ces ennemis menacent l'humanité dans son ensemble, n'ont pas de nom ou de visage et semblent invincibles.</p> <p>Le second élément concerne ceux parmi les humains dont on doit attendre une solution contre l'Ennemi. La série concentre son récit sur un aréopage de jeunes scientifiques, surdoués et nécessairement multiethniques. Torturés par des dilemmes éthiques de façade, ceux-ci vont néanmoins diligemment offrir leurs compétences à un pouvoir qui n'est plus politique, mais financier, sorte de démiurge à la Elon Musk qui prend des décisions discrétionnaires pour la planète entière. La pandémie de COVID nous l'avait déjà appris, comme le discours climatique. Ce ne sont plus de nos jours les papes, les princes et les généraux dont on doit attendre la parole et l'ordre, mais les scientifiques. « <em>Il faut croire les docteurs !</em> » s'époumonait une cliente âgée d'un restaurant lémanique la semaine dernière. Durant toute la pandémie de COVID, cette antienne nous a été répétée sur tous les plateaux de télévision et dans tous les journaux : il faut croire en la science. Sans jamais relever que cette injonction est en soi contradictoire, puisque la science n'est pas affaire de foi. 2 + 2 font 4, qu'on y croie ou non.</p> <p>Le troisième élément, déjà visible dans le second, c'est le monde dans lequel on nous annonce que se trouve la victoire contre l'Ennemi. Il serait facile de pointer le fait que l'auteur du livre est chinois, que cela explique pourquoi le problème à trois corps est traversé par un tel dédain de la démocratie. Mais il est également probable que ce mépris pour l'organisation politique traditionnelle soit le fruit même des craintes qui nous hantent. Que ce soit le démiurge aux poches sans fond qui finance les jeunes scientifiques, ou la décision des Nations Unies de confier le sort de l'humanité à trois personnes, sans aucun droit de regard, tout cela illustre notre désarroi face à des instances politiques qui se perdent en des débats interminables qui accouchent de souris.</p> <p>La guerre qui oppose l'Occident à la Russie en Ukraine fait apparaître que le pouvoir direct d'un seul, même plus faible et plus petit, offre des avantages considérables lorsque l'on est soi-même soumis à des contrôles et des élections interminables. « <em>Je veux que vous paniquiez</em> », criait d'une voix étouffée Greta Thunberg. La panique est incompatible avec la démocratie, avec la discussion et le consensus. Elle exige une action immédiate et irréfléchie. Et pourtant, alors même que cette série se veut une sorte de miroir du début de la Seconde Guerre mondiale, elle ignore complètement que, précisément, c'est la solidité du système démocratique anglo-saxon qui a permis la victoire sur l'Allemagne dictatoriale.</p> <p>Enfin, parlons du dénominateur commun. Que ce soit dans le <em>Problème à trois corps</em> ou dans les myriades de séries et de films que Netflix nous propose depuis des années au sujet de la Seconde Guerre mondiale, que ce soit dans l'hystérie collective délirante au sujet de la Russie en Ukraine, que ce soit dans les décisions martiales et apocalyptiques prises au début de la pandémie, il est difficile d'échapper à l'omniprésence de ce désir de guerre, du moins en Occident.</p> <p>La guerre, que l'on assimile inconsciemment toujours à la Seconde Guerre mondiale, mais jamais à la Première, ou à celle de Crimée ou d'Irak, représente ce moment d'union absolue contre le mal absolu, cet instant magique où sont suspendus les divisions et les doutes abyssaux d'une société en perte de sens et de motivation. Enfin, chacun peut se sacrifier pour la collectivité, trouver un sens à sa vie, échapper à l'anémie de la société de consommation, aux exigences de bonheur des médias sociaux, et se jeter dans la fournaise du combat des Justes contre la Bête immonde. Voilà ce qui me passait par la tête, avachi dans mon fauteuil, sirotant mon gin tonic et passant impatiemment d'un épisode à l'autre pour savoir comment se terminerait la première saison.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'la-guerre-ce-veritable-objet-de-notre-desir', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 41, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4847, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Anatomie d'une mauvaise chute', 'subtitle' => 'Le dernier film de Justine Triet, qui vient de recevoir les hommages extatiques de l'officialité cinématographique, est aussi un monument d'idéologie à la gloire des femmes et à la charge des hommes. Si l'on cherchait un évangile pour ce nouveau féminisme de confrontation perpétuelle entre les sexes, «Anatomie d'une chute» remplit tous les critères. (Attention spoiler!)', 'subtitle_edition' => 'Le dernier film de Justine Triet, qui vient de recevoir les hommages extatiques de l'officialité cinématographique, est aussi un monument d'idéologie à la gloire des femmes et à la charge des hommes. Si l'on cherchait un évangile pour ce nouveau féminisme de confrontation perpétuelle entre les sexes, «Anatomie d'une chute» remplit tous les critères. (Attention spoiler!)', 'content' => '<p>Disparu il y a deux ans, le prix Nobel de physique Steven Weinberg est surtout connu du grand public pour cet aphorisme: «Il y aura toujours des gens bien qui font de bonnes choses, et des mauvaises gens qui font de mauvaises choses. Mais pour que des gens bien agissent mal, il faut la religion». Que l'on soit chrétien ou athée, cette phrase conserve toute sa pertinence si l'on remplace le mot religion par idéologie. Et l'idéologie est le personnage principal d'<em>Anatomie d'une chute</em>. L'histoire se résume une seule phrase: Un homme meurt, comment est-il mort? C'est le genre classique du «<em>whodunnit</em>» américain, contraction de «<em>who's done it</em>», ou qui l'a fait. Et comme dans tous les <em>whodunnit</em>, le spectateur est délibérément entraîné sur de fausses pistes les unes après les autres. Agatha Christie était maître du genre et parvenait à maintenir le mystère complet jusqu'à la révélation du coupable par l'inébranlable et moustachu Hercule Poirot. Ce <em>whodunnit</em> échappe hélas à cette règle tant son dénouement est prévisible.</p> <p>Dans un chalet isolé de haute montagne, non loin de Grenoble, un couple vit avec un enfant d'une dizaine d'années et presque aveugle. Au retour d'une promenade avec son chien, l'enfant découvre le corps de son père, une plaie sanglante à la tête, allongé devant le chalet, mort. Cette plaie ouverte au crâne donne lieu à une enquête de police, puis à une mise en examen de l'épouse. Au terme d'un procès hautement émotionnel, l'épouse est acquittée et la thèse du suicide s'impose. </p> <p>Le film est construit en deux parties, la première servant d'alibi à la seconde. La première partie pourrait s'appeler «apparence conventionnelle de la femme en tant qu'épouse et mère». La seconde partie pourrait s'appeler «découverte de l'inhérente perversité de l'homme à tous points de vue». Ainsi, dans la première partie, la réalisatrice Justine Triet s'attarde sur la maladresse et l'apparente froideur de l'épouse, une écrivaine allemande exilée en France, pour nous amener à douter de son innocence de façade. Nous ne voyons même pas le mari, nous ne faisons qu'entendre la musique qu'il fait jouer beaucoup trop fort dans son grenier, afin de rendre impossible un entretien que sa femme donne à une jeune étudiante. Toute la personnalité du mari est contenue dans cette scène. Il est volontairement absent, manipulateur et passif-agressif. A mesure qu'avance l'enquête, l'épouse multiplie les maladresses à sa propre décharge. Nous ne savons encore rien du mari, sinon qu'il traîne un lourd sentiment de culpabilité envers son fils, rendu aveugle à la suite d'un accident dont il se sent responsable.</p> <p>Lors du procès nous découvrons comment fonctionne le couple. Il ressort que l'épouse est une écrivaine à succès. Tandis que le mari, lui-même aspirant écrivain, ne parvient pas à écrire quoi que ce soit. Il est donc rongé à parts égales de frustration et de jalousie envers sa femme. A cela s'ajoute la jalousie sexuelle qu'il éprouve pour elle qui, bisexuelle, l'a trompé avec une autre femme. Pourtant, avant même que ce procès commence, il est manifeste que les preuves matérielles d'un éventuel assassinat sont plus que ténues – quelques gouttes de sang – mais surtout que les motifs de l'épouse pour tuer son mari sont inexistants. Si l'un des deux se nourrit de haines et de jalousie, c'est lui, pas elle.</p> <p>Alors que le procès touche à sa fin, nous découvrons – enfin! – qui est cet homme. Ainsi celui-ci provoque et enregistre des querelles violentes avec sa femme, qu'il retranscrit ensuite pour les envoyer à un éditeur. Autrement dit, un esprit profondément tordu et retors, atrocement jaloux de sa propre épouse et recourant à des méthodes scélérates pour tenter de lui damner le pion. Enfin intervient le Deus Ex Machina, le fils aveugle. Protégeant sa mère de son innocence et de sa clairvoyance Saint-Exupérienne («l'essentiel est invisible pour les yeux»), il déclare à la Cour que du suicide de son père ou de l'assassinat par sa mère, seul le suicide est crédible. En sortant du tribunal, tout le monde jubile, la femme est innocente, le mari suicidé n'était qu'un salaud et le fils est un génie juridique qui a sauvé sa mère d'un père indigne.</p> <p>Revenons à Weinberg et à son «pour que des gens bien agissent mal, il faut la religion». A travers 2h31 de film, Justine Triet nous propose des personnages féminins uniformément vertueux et des personnages masculins uniformément mauvais, ou douteux. Même l'avocat, qui a pourtant fait preuve de courage et d'ingéniosité, se livre à deux reprises à des approches sexuelles envers sa cliente. Il est lui-même secondé d'une consœur qui, elle, n'a rien à se reprocher. Le procureur est d'une cruauté sarcastique insoutenable. La présidente du tribunal est juste et sage. La mère est maladroite, ce qui est toujours retenu contre elle, mais c'est une femme forte qui a du succès. Comme épilogue, le spectateur est convié à se réjouir de la mort tragique d'un homme malheureux. Il est mort mais c'est sa femme qui est la vraie victime. Il s'est suicidé, tant mieux. </p> <p>Emmanuel Todd a publié en 2022 un essai sur le féminisme actuel intitulé <em>Où en sont-elles?</em>. Il y détaille un mouvement non plus fondé, comme ses incarnation précédentes, sur un désir de progrès collectif, mais sur une volonté de confrontation perpétuelle entre les sexes. <em>Anatomie d'une chute</em> se situe exactement dans cette idéologie. La réalisatrice inverse les moralités les plus évidentes et fait d'une tragédie une victoire. Elle nous explique que si le mari s'est suicidé, c'était forcément d'abord pour nuire à sa femme et à son succès qu'il ne supportait plus. La compassion pour le geste extrême de cet homme n’est jamais envisagée, il n’a eu que ce qu’il méritait. Même le fils aveugle est parvenu à déceler les intentions maléfiques de son père pour pouvoir sauver sa mère.</p> <p>La production actuelle cinématographique va très souvent puiser à cette idéologie: <em>Poor Things</em>, <em>Barbie</em>, les dernières grandes productions sont toutes frappées de ce sceau. Que cela participe d'un sexisme plus extrême encore que le machisme déprimant des films français d'après-guerre (<em>Les Valseuses</em>, <em>Les Tontons Flingueurs</em>) semble ne choquer personne. Ce nouveau sexisme est grave. Il est évangélique dans son désir de nous y soumettre tous et toutes. Ce sexisme, qu'<em>Anatomie d'une chute</em> incarne si parfaitement, est absolu dans sa conviction que le principe féminin est par nature vertueux, et que le principe masculin est par nature vicié et ne peut trouver de rédemption qu'à travers le principe féminin.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'anatomie-d-une-mauvaise-chute', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 51, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4811, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Pour l'Europe, le passé a de l'avenir', 'subtitle' => 'Ayant exporté ses usines, sa pollution et ses ouvriers aux quatre coins de la planète, l'Europe est devenue le décor scénarisé d'un tourisme global. Elle peut imaginer en tirer désormais une rente confortable. Ce que n'avaient probablement pas imaginé les bâtisseurs de nos cathédrales et palais.', 'subtitle_edition' => 'Ayant exporté ses usines, sa pollution et ses ouvriers aux quatre coins de la planète, l'Europe est devenue le décor scénarisé d'un tourisme global. Elle peut imaginer en tirer désormais une rente confortable. Ce que n'avaient probablement pas imaginé les bâtisseurs de nos cathédrales et palais.', 'content' => '<p>C'est par un soir brumeux, illuminé par des alignements de lampadaires étouffés, que nous avons pénétré, mon fils et moi, dans Kødbyen, à l'est du quartier de Vesterbro. Le brouillard, à Copenhague, n'est pas une vaporeuse guirlande de Noël, c'est un tunnel d'octobre en avril. Parti de Stockholm le matin même, pendant cinq heures et sur plus de 500 kilomètres, le train avait longé des toundras détrempées, des milliers de lacs, des forêts d'avant l'apparition d'<em>homo sapiens</em> et des petites maisons couleur vanille, pistache ou framboise.</p> <p>Notre hôtel se trouvait au cœur du quartier le plus excitant de la capitale danoise. Retranché du centre historique par une gare centrale héritière d'un temps où le transport en commun était grandiose, Kødbyen, les anciens abattoirs, n'est que la version danoise d'une réalité désormais ubiquitaire: les zones industrielles et les docks rhabillés en centres gastronomiques et culturels. Là où des hommes souffraient pour gagner une misère avant de s'en aller sans bruit vers une mort hâtive, on boit et on s'amuse aujourd'hui. Dans ce bar à cocktails baigné d'une lumière rosâtre, le sol de pavés éraflés par les machine-outils et les murs de briques constellés de trous de vis racontent une autre histoire: les tâches monotones et dures, les ordres glapis, les pauses furtives, le vacarme incessant. Dans toutes les villes du monde occidental, surtout les centres portuaires, ces quartiers exhibent les mêmes hangars de briques et de béton aux mêmes fenêtres quadrillées, aux mêmes luminaires zingués. Et la même foule vespérale, vêtue de cuir, de laine et de jean, maigre, tatouée, piercée.</p> <p>Post-industriel est le nom que l'on donne à ces hangars et ces docks et à leur esthétique. C'était industriel, l'usage premier était productif, et ne l'est plus. Ces lieux ne sont plus fréquentés de jour, mais de nuit. Et la grande majorité de ceux qu'on y rencontre n'y produisent rien. Ils y dépensent leur argent. Comme moi d'ailleurs, et sans bouder mon plaisir.</p> <p>Tous les jours, comme tous les touristes besogneux, je me rendais dans le centre historique de Copenhague pour y écumer les musées, les restaurants et les lieux célèbres comme le Nyhaven ou le château de Rosenborg. En descendant Købmagergade, la grande rue commerçante, on passe devant les enseignes que l'on croise désormais dans le monde entier, des marques américaines et européennes, géants du luxe ou du vêtement de masse qui souvent se confondent. Et le soir je rentrais dans Kødbyen pour manger et dormir.</p> <p>Voilà ce que l'on fait lorsqu'on visite une grande ville. Avant Copenhague, nous avions passé quelques jours à Stockholm où nous avons fait exactement la même chose, avec autant de plaisir. Nous avons visité, admiré, acheté, mangé, bu et dormi. Et puis marché, plus de 14'000 pas par jour, tous les jours. Dans toutes ces villes, surtout les villes d'Europe, on visite les mêmes centres historiques léchés, les mêmes musées remplis jusqu'aux cimaises de peintres français, les mêmes châteaux, les mêmes rues commerçantes et les mêmes restaurants impeccables. Et les mêmes halles post-industrielles garnies de bars à cocktails et de galeries.</p> <p>Car tout est post, en réalité. Le centre historique est post-féodal, ou post-pauvre. Une seule chose est certaine, il n'est plus ce qu'il fut et n'a plus les mêmes fonctions. Ce que l'on en voit n'est plus qu'une façade, ce qui est sa raison d'être, elle n'existe que pour paraître. Dans les magasins de fripes fabriquées au Vietnam, les solives au plafond sont décorées de gentils dragons du XXème siècle. Dans un bar à burgers, on passe les plats par une élégante fenêtre à meneaux d'où pendent des néons bleu électrique. Les zones post-industrielles ne sont que les dernières, dans le temps, à avoir été muséifiées. Elles sont les seules à être officiellement post-quelque chose, mais elles trahissent la réalité économique et sociale de toute une ville, ou peut-être même, de notre continent, tout entier post-productif.</p> <p>Mais pourquoi regretter le temps où des hommes presque illettrés travaillaient 80 heures par semaine à se rompre les os, laissant derrière eux des épouses débordées de tâches éreintantes, les deux mourant à moins de 60 ans. Plutôt que de croupir dans les cachots de la Conciergerie, ou du Château de Chillon, ou Palais ducal de Mantoue, il est plus agréable de les visiter avant de déguster le plat du jour dans une jolie brasserie de la place. Les tourments et les souffrances de nos lointains devanciers ne feront qu'augmenter notre satisfaction de pouvoir apprécier un si bon déjeuner sans contrainte ni douleur. Et c'est tout, absolument tout, ce que nous en retirerons: une <em>expérience</em>, comme on dit désormais. Ces décors du passé n'existent plus que pour notre plaisir, presque pour nous désennuyer. Qui s'inquiète vraiment de savoir ce qui se passait dans le château de Rosenborg de Copenhague, dans les Invalides ou dans la Ca' d'Oro de Venise. On passe devant, on s'extasie, on prend une ou deux photos et on continue.</p> <p>Ces lieux ne sont plus productifs. Tout au moins ne remplissent-ils plus leurs fonctions premières. Le tourisme est pourtant une industrie. Celle-ci compte pour presque 10% du PIB de l'UE. Cela va de la Croatie, qui doit un quart de son économie (en réalité pas loin de la moitié si l'on prend en compte les acteurs indirects) au tourisme, tandis que l'Irlande ne lui doit que 3%. On estime qu'un emploi sur onze dans le monde est aujourd'hui lié au tourisme. Et l'Europe, avec son histoire, sa géographie et son infinie richesse architecturale et artistique, peut se réjouir d'un avenir brillant de ce point de vue. Les projections sont d'ailleurs exponentielles. En 2010, 500 millions de personnes étaient venues admirer notre continent. On compte que l'an prochain, leur nombre sera de 750 millions. L'Europe, qui a inventé les musées, est en train d'appliquer le concept à sa totalité. Petit à petit, elle devient le parc à thème et le restaurant du reste du monde, qui vient y admirer la maison-mère de la modernité et de la mondialisation. On peut le regretter ou s'en réjouir, aujourd'hui. L'avenir seul nous dira si cette transition, qui semble inéluctable et ne l'est pourtant pas, était heureuse ou malheureuse.</p> <p>Ainsi l'Europe se repose désormais, et se fait admirer derrière une paroi de verre. Elle a sué sang et eau, porté le fer aux quatre coins du globe pour les raisons les plus fantaisistes. Elle a cru à sa propre universalité et inventé l'alphabétisation et le moteur à explosion. Puis elle s'est consciencieusement suicidée dans un déluge d'acier et de feu de 1914 à 1945. Ce qui ne signifie pas qu'elle est devenue improductive. Aujourd'hui elle produit majoritairement des <em>services aux individus</em>: comptables, avocats, banquiers, tatoueurs, psychologues et coachs, coiffeurs, gestionnaires et médiateurs. Ce n'est pas sans intérêt ni noblesse. Après des siècles de guerres en continu, on devrait presque parler de soins post-traumatiques collectifs. Mais elle doit compter sur les autres pour les voitures, les bateaux, les téléphones et les cardigans 50% cachemire. Là où tous ces biens sont produits, avec des Codes du travail élastiques et des taux de pollution robustes, on ne s'embarrasse pas vraiment de ces questions. On s'intéresse à l'avenir. Les Européens, eux, s'occupent du passé. Leur richesse repose désormais sur les zones post-industrielles, les centres historiques post-aristocratiques, les palais post-coloniaux, les geôles post-arbitraires et les cathédrales post-chrétiennes.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'pour-l-europe-le-passe-a-de-l-avenir', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 333, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4768, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Sava Shoumanovitch, la vertu de l'obsession', 'subtitle' => 'Cela fait plus de vingt ans maintenant que le nom de Sava Shoumanovitch (1896-1942) m'est connu. Je vois ses tableaux aux cimaises de tous les musées de Serbie. Et aucun autre peintre serbe ne m'a jamais moins ému que Shoumanovitch. Ses nus rose crustacé, ses paysages aplatis et sa débauche de matière appliquée à la truelle m'abattaient. Je me disais que les Serbes, qui trop souvent confondent malheur et grandeur, avaient peut-être moins de considération pour ses toiles que pour son martyr en 1942, aux mains des Oustachis croates. J'entretenais donc un mépris bruyant pour Sava. Il représentait pour moi l'exemple même de la gloire locale, mélange de sous-Matisse de province et d'Utrillo du dimanche. ', 'subtitle_edition' => 'Cela fait plus de vingt ans maintenant que le nom de Sava Shoumanovitch (1896-1942) m'est connu. Je vois ses tableaux aux cimaises de tous les musées de Serbie. Et aucun autre peintre serbe ne m'a jamais moins ému que Shoumanovitch. Ses nus rose crustacé, ses paysages aplatis et sa débauche de matière appliquée à la truelle m'abattaient. Je me disais que les Serbes, qui trop souvent confondent malheur et grandeur, avaient peut-être moins de considération pour ses toiles que pour son martyr en 1942, aux mains des Oustachis croates.', 'content' => '<p>C'est dans cet état d'esprit, du haut de mes visites annuelles au Rijksmuseum ou au MoMA, que j'ai fait résonner mes pas dans les salles vides du musée Shoumanovitch de Shid, à 100 kilomètres à l'ouest de Belgrade. Dans ce qui fut l'Autriche-Hongrie, Shid n'a pas grand chose d'autre que Shoumanovitch pour se distinguer des autres villes du Srem, ce sandwich de forêts et de champs entre le Danube et la Save. Installé dans une ancienne maison villageoise, doublée sur sa façade arrière par une longue aile d'exposition, le musée est bien conçu et plaisant à visiter.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521819_lextrieurdumuse.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>L'extérieur du musée. © D.L.</em></h4> <p>Assassiné avec 150 autres hommes de Shid à 46 ans, Shoumanovitch est un artiste très connu en Serbie, mais l'homme reste secret. Fils de bonne famille, il a vécu un temps à Paris où il a fréquenté les artistes de Montparnasse (il a décoré un des piliers du restaurant la Coupole). Sa réputation était celle d'un bourreau de travail plutôt solitaire, sans vices connus, sans excès, sorte de fonctionnaire tempérant de la peinture. Il est mort sans bruit, abattu un matin d'août 42 parce qu'il était serbe, laissant derrière lui un frénétique empilement de 800 toiles et 400 dessins, dont le musée conserve plus de la moitié.</p> <p>On y découvre, dans les premières salles, des dizaines de versions d'un même paysage à travers toutes les saisons et toutes les heures du jour. Or ce paysage, aussi féconde que soit l'imagination, est d'une abrutissante monotonie. C'est le Srem, sans surprise et sans éclat, des champs, des rues, des arbres et des petites maisons à pignons. Et rien, si ce n'est la mort violente de l'artiste, n'a jamais perturbé ces paysages qui semblent abandonnés de toute éternité. Mais quelque chose s'est passé alors que mon regard glissait de plus en plus intrigué d'un paysage désert à un autre paysage désert. C'est précisément cette lancinante répétition qui m'en découvrait le secret intérêt, non pas en tant que représentation du réel, mais comme objet d'une obsession lentement contagieuse. On est saisi du même sursaut en découvrant les dizaines de toiles de Giorgio Morandi, représentant les mêmes petites bouteilles sur la même petite table. Ces bouteilles ne sont rien. Mais en les alignant, jour après jour, des décennies durant, devant le même mur pour en faire le portrait, Morandi a créé, non pas plusieurs toiles, mais un ensemble kaléidoscopique. Bout à bout, les toiles de Morandi, comme celles de Shoumanovitch, produisent ainsi dans l'œil puis sur l'âme un effet à la fois dément et méditatif, furieux et suprêmement apaisé. C'est le pouvoir de l'obsession, à laquelle l'artiste ose se rendre sans résister. En sans nous faire partager sa souffrance, il ne nous en restitue que la sublimation, comme un alambic transforme la pourriture en liquide clair et parfumé.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521862_paysagedhiver1935.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Paysage d'hiver 1935. © D.L.</em></h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521904_paysage1934.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Paysage, 1934. © D.L.</em></h4> <p>En entendant mes pas faire grincer le parquet de la longue pièce principale, la gardienne s'est précipitée pour en allumer les lumières. C'est là, seul dans ce musée désert, que j'ai découvert l'invraisemblable série de nus que Shoumanovitch a réalisée au tournant des années 20 et 30, les Baigneuses de Shid. Le long d'un mur d'une quinzaine de mètres, cadre contre cadre, ces formats grandeur nature mettent en scène une seule et unique femme, parfois nue et parfois en maillot de bain, assise, debout ou couchée. Cette même femme aux cheveux blonds permanentés est ainsi représentée en 61 exemplaires, plusieurs par toile, sur treize toiles de même hauteur. Elle était la seule habitante de Shid à avoir accepté de poser pour le peintre dans le plus simple appareil. Sava n'avait pas cherché plus loin, décidé à reproduire ce long corps autant de fois qu'il le faudrait sans qu'on saisisse jamais la raison de cette fantastique absurdité. Le résultat est ce mur de nus, l'un des plus hypnotiques que l'on puisse admirer, digne de Morandi, digne de Vallotton ou de Vuillard. C'est dans cette salle que j'ai compris que je n'avais jamais compris Shoumanovitch. Qu'il était l'un des peintres les plus excitants et les plus originaux, non pas de Serbie, mais de l'Europe du XXème siècle.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1708521945_lagaleriedesnusdumusedeshid.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>La galerie des nus du musée de Shid. © D.L.</em></h4> <p>Le Rijksmuseum et le MoMA renferment des trésors indiscutables. Mais ce sont des trésors évidents, filtrés par le temps, désignés comme tels par des armées de critiques et des millions d'adorateurs anonymes. Le petit musée Shoumanovitch de Shid, en Serbie occidentale, dans ce Rivage des Syrtes, malgré sa taille, malgré son inexistence au-delà des frontières, malgré son absence de visiteurs, offre pourtant un trésor à l'égal de ces géants. Le force d'attraction du centre sur la périphérie n'est pas une illusion et l'on peut vivre toute une vie en se satisfaisant de l'idée que seuls les grands musées du monde occidental offrent la somme de tout ce qui doit être admiré. On risque alors de ne jamais être transformé par la patiente obsession d'un homme seul à la frontière de nulle part, les yeux crevés par une femme inconnue et des champs aplatis.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'sava-shoumanovitch-la-vertu-de-l-obsession', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 47, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 13781, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 10787, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Ramallah.JPG', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 4390912, 'md5' => '2b2832698d6d63004970e2f71b370aaf', 'width' => (int) 3936, 'height' => (int) 2608, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Ramallah, capitale administrative de l'Autorité palestinienne, en Cisjordanie.', 'author' => '', 'copyright' => '© D.L.', 'path' => '1703170766_ramallah.jpg', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 6687, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Merci pour cet article tristement réaliste (mes propres expériences sont similaires) et pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore lu, je recommande vivement "le sermon que je ne voulais pas écrire" de la femme rabbin Delphine Horvilleur.', 'post_id' => (int) 4660, 'user_id' => (int) 335, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 6689, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'La réalité que vous décrivez est si horrible qu'on est sorti des frontières de l'humain en vous lisant. Merci d'oser décrire ce que vous avez vécu. Puissent vos lignes inciter à la prière et non à la haine.', 'post_id' => (int) 4660, 'user_id' => (int) 5700, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 6690, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Il faut lire Aljazeera si on veut se rendre compte du génocide sous les yeux de tous les chantres de la démocratie et des droits de l'homme... Qui ne lèvent pas un doigt. Et dire que nous sommes en ... 2024!', 'post_id' => (int) 4660, 'user_id' => (int) 440, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' } ] $author = 'David Laufer' $description = 'On dit souvent de Gaza qu'elle est la «plus grande prison du monde à ciel ouvert». La Cisjordanie, principale entité de l'Etat de Palestine, ressemble en comparaison à un asile de fous. Un asile imaginé par des fous, mais aussi rempli de fous. Fous de rage, de désespoir, contraints à vivre dans une réalité parallèle tout à fait inimaginable de l'extérieur.' $title = 'La Cisjordanie, un asile de fous à ciel ouvert' $crawler = true $connected = null $menu_blocks = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Block) { 'id' => (int) 56, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'active' => true, 'name' => '#Trends', 'subtitle' => null, 'description' => null, 'color' => null, 'order' => null, 'position' => null, 'type' => 'menu', 'slug' => 'menu_tags', 'extern_url' => null, 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'posts' => [[maximum depth reached]], '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Blocks' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Block) { 'id' => (int) 55, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'active' => true, 'name' => 'Les plus lus cette semaine', 'subtitle' => null, 'description' => null, 'color' => null, 'order' => null, 'position' => null, 'type' => 'menu', 'slug' => 'menu_highlight', 'extern_url' => null, 'tags' => [[maximum depth reached]], 'posts' => [ [maximum depth reached] ], '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Blocks' } ] $menu = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 2, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'A vif', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 4, 'description' => 'Lorsque nos auteurs ont envie de réagir sur le vif à un événement, des concerts aux disparitions célèbres, ils confient leurs écrits à la rubrique "A vif", afin que ceux-ci soient publiés dans l’instant.', 'slug' => 'a-vif', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 3, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Chronique', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 5, 'description' => '<p>La réputation des chroniqueurs de Bon pour la tête n’est plus à faire: Tout va bien, Le billet du Vaurien, la chronique de JLK, ou encore Migraine et In#actuel, il y en a pour tous les goûts!</p>', 'slug' => 'chroniques', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 4, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Lu ailleurs', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 5, 'description' => 'Pourquoi ne pas mettre en avant nos collègues lorsque l'on est sensibles à leur travail? Dans la rubrique « Lu ailleurs » vous trouverez des reprises choisies par la rédaction et remaniées façon BPLT.', 'slug' => 'ailleurs', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 5, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Actuel', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 1, 'description' => 'Bon pour la tête n’a pas vocation à être un site d’actualité à proprement parler, car son équipe prend le temps et le recul nécessaire pour réagir à l’information.', 'slug' => 'actuel', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 6, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Culture', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 3, 'description' => '', 'slug' => 'culture', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 5 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 7, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Vos lettres', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 6, 'description' => 'Bon pour la tête donne la parole à ses lecteurs, qu’ils aient envie de partager leur avis, pousser un coup de gueule ou contribuer à la palette diversifiée d’articles publiés. A vous de jouer!', 'slug' => 'vos-lettres-a-bon-pour-la-tete', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 6 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 8, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Analyse', 'menu' => true, 'menu_order' => (int) 3, 'description' => '', 'slug' => 'analyse', 'attachment_id' => '0', 'lft' => null, 'rght' => null, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 7 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 10, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Science', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'sciences', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 1, 'rght' => (int) 2, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 8 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 11, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Histoire', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'histoire', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 3, 'rght' => (int) 4, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 9 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 12, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Humour', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'humour', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 5, 'rght' => (int) 6, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 10 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 13, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Débat', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'debat', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 7, 'rght' => (int) 8, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 11 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 14, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Opinion', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'opinion', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 9, 'rght' => (int) 10, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' }, (int) 12 => object(App\Model\Entity\Category) { 'id' => (int) 15, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Reportage', 'menu' => true, 'menu_order' => null, 'description' => '', 'slug' => 'reportage', 'attachment_id' => '0', 'lft' => (int) 11, 'rght' => (int) 12, 'parent_id' => null, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Categories' } ] $tag = object(App\Model\Entity\Tag) { 'id' => (int) 645, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Guerre', 'slug' => 'guerre-1', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Tags' } $edition = object(App\Model\Entity\Edition) { 'id' => (int) 145, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'num' => (int) 144, 'active' => true, 'title' => 'Edition 144', 'header' => null, '_joinData' => object(App\Model\Entity\EditionsPost) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Editions' }include - APP/Template/Posts/view.ctp, line 147 Cake\View\View::_evaluate() - CORE/src/View/View.php, line 1435 Cake\View\View::_render() - CORE/src/View/View.php, line 1393 Cake\View\View::render() - CORE/src/View/View.php, line 892 Cake\Controller\Controller::render() - CORE/src/Controller/Controller.php, line 791 Cake\Http\ActionDispatcher::_invoke() - CORE/src/Http/ActionDispatcher.php, line 126 Cake\Http\ActionDispatcher::dispatch() - CORE/src/Http/ActionDispatcher.php, line 94 Cake\Http\BaseApplication::__invoke() - CORE/src/Http/BaseApplication.php, line 256 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 App\Middleware\IpMatchMiddleware::__invoke() - APP/Middleware/IpMatchMiddleware.php, line 28 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 Cake\Routing\Middleware\RoutingMiddleware::__invoke() - CORE/src/Routing/Middleware/RoutingMiddleware.php, line 164 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 Cors\Routing\Middleware\CorsMiddleware::__invoke() - ROOT/vendor/ozee31/cakephp-cors/src/Routing/Middleware/CorsMiddleware.php, line 32 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65 Cake\Routing\Middleware\AssetMiddleware::__invoke() - CORE/src/Routing/Middleware/AssetMiddleware.php, line 88 Cake\Http\Runner::__invoke() - CORE/src/Http/Runner.php, line 65
Warning: file_put_contents(/data01/sites/bonpourlatete.com/dev/bonpourlatete.com/logs/debug.log) [function.file-put-contents]: failed to open stream: Permission denied in /data01/sites/bonpourlatete.com/dev/bonpourlatete.com/vendor/cakephp/cakephp/src/Log/Engine/FileLog.php on line 133
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@miwy 22.12.2023 | 04h45
«Merci pour cet article tristement réaliste (mes propres expériences sont similaires) et pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore lu, je recommande vivement "le sermon que je ne voulais pas écrire" de la femme rabbin Delphine Horvilleur.»
@simone 23.12.2023 | 08h18
«La réalité que vous décrivez est si horrible qu'on est sorti des frontières de l'humain en vous lisant. Merci d'oser décrire ce que vous avez vécu. Puissent vos lignes inciter à la prière et non à la haine.»
@willoft 25.12.2023 | 23h23
«Il faut lire Aljazeera si on veut se rendre compte du génocide sous les yeux de tous les chantres de la démocratie et des droits de l'homme... Qui ne lèvent pas un doigt.
Et dire que nous sommes en ... 2024!»