Chronique

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</p><p>Dans un beau livre récent précisément intitulé <em>De la curiosité,</em> le très érudit Alberto Manguel rappelle que la mythique bibliothèque d’Alexandrie, riche de plusieurs centaines de milliers d’ouvrages et détruite on ne sait trop comment ni à quelle date précise, concrétisait non seulement ce rêve de connaissance universelle mais se proposait aussi de rassembler tous les savoirs de l’époque issus de multiples cultures, comme la mythique tour de Babel avait symbolisé la prétention de l’homme initialement mal parti, selon la version biblique, en goûtant au fruit de l’Arbre de la connaissance, etc.
</p><p>Avons-nous plus appris dans nos premiers livres et sur nos bancs d’école qu’en nous royaumant dans les sous-bois et le long des rivières, et le fait d’apprendre la déclinaison du verbe tout-savoir nous a-t-il rendu meilleurs que ceux qui restaient ignorants en la matière, sachant en revanche la grammaire des plantes médicinales ou la lecture des étoiles utile à la navigation? 
Ces questions n’invitent pas à la polémique mais au rappel d’une évidence souvent oubliée, selon laquelle le savoir est multiple, implique nos divers sens et varie lui-même à tous les sens du terme.</p><p>
Un réflexe assez sain nous fait regimber lorsque Untel nous balance le pénible «j’veux pas le savoir». Mais le raseur (ou la raseuse, restons équitable) qui se targue de toujours tout savoir mérite le même défiance de bon sens, chacune et chacun se rappelant que le début du gai savoir se fonde sur la conscience claire de notre ignorance, etc.
</p><h3><strong>Du paresseux en Amérique et de la révolution cognitive
</strong></h3><p>Pour qui désire aujourd’hui tout savoir sur tout, l’accès à un début de connaissance universelle se réduit virtuellement à un clic d’ordinateur qui fait de chacun un wikipède potentiel auquel on ne souhaite pas de virer bientôt wikipédant par simple accumulation de savoir. 
La fée institutrice et le mage instituteur de notre enfance nous ont appris que ledit savoir n’est jamais aussi vivant qu’incarné, et nous continuons d’avoir besoin de cette médiation à visage humain. Pour pallier ma très crasse ignorance en matière d’astrophysique originelle et de paléontologie détaillée, j’ai fait ainsi, naguère, l’essai de m’initier à <em>L’histoire du monde pour les nuls,</em> mais la docte sécheresse et la superficialité policée du récit tout linéaire et balisé de l’ancien diplomate Philippe Moreau Defarges ont fait que l’ouvrage m’est bientôt tombé des mains, non sans me casser les pieds, faute de raconter quoi que ce soit à l’enfant curieux que je reste et vous aussi, soeurs et frères...</p><p>Or c’est précisément en conteur que le prof quadra israélien Yuval Noah Harari chope notre attention et la retient avec sa «brève histoire de l’humanité» intitulée <em>Sapiens,</em> qui a fait le tour du monde et a rebondi l’an dernier dans une «brève histoire de l’avenir» intitulée <em>Homo Deus</em>. Lisible par tout un chacun et surtout marqué par un ton personnel, ce  diptyque est passionnant tant par sa substance détaillée que par les éclairages souvent inattendus, souvent originaux, qu’il propose dans le registre de la meilleure vulgarisation.  
 Dans les grandes largeurs, n’importe quel ado pratiquant wikipédia sait aujourd’hui que Sapiens a mieux réussi sur terre que Neandertal, et qu’il y a une quantité d’autres espèces d’humains qui ont essaimé entre deux millions d’années en arrière et 10.000 ans, que plusieurs d’entre elles se faisaient tous les jours du feu depuis environ 300.000 ans, et que la nourriture cuisinée, <em>fast food</em> avant l’heure, en a résulté alors que le chimpanzé continuait à mâchonner sa viande crue pendant cinq heures au moins, etc. 
Mais une chose est d’accumuler des connaissances, et tout autre chose de les mettre en rapport et de les interpréter sur le long terme, comme Yuval Noah s’y emploie en décrivant les trois révolutions qui ont conduit Adam et Eve, animaux encore insignifiants, à la première étape cognitive, puis à la révolution agricole et enfin à la découverte de l’ignorance... à l’enseigne de la révolution scientifique. 
</p><p>Tout coup, s’agissant de l’évolution de la pensée ou du langage, de l’alimentation ou des échanges, de l’ubiquité de la guerre ou de l’ubiquité du patriarcat, énoncer les faits ne suffit plus: il faut en imaginer les variables et en interpréter les conséquences. Avec un grain de sel, le prof israélien anglophile distingue ainsi les usages de la bande de fourrageurs vivant il y a 30.000 ans sur le terrain actuellement occupé par l’université d’Oxford, possiblement différents de ceux de la bande installée sur l’actuel terrain de Cambridge: «Une bande pouvait être belliqueuse, l’autre pacifique. Peut-être celle de Cambridge vivait-elle en communauté quand celle d’Oxford reposait sur des familles nucléaires. Peut-être les premiers croyaient-ils à la réincarnation, que les seconds tenaient pour une sottise. Les relations homosexuelles pouvaient être acceptées chez les un, taboues chez les autres». 
Ceci pour donner le ton de ce Monsieur Je-sais-tout fort sympathique et très réservé par rapport à toute forme d’idéologie. «Ne croyez pas les écolos qui prétendent que nos ancêtres vivaient en harmonie avec la nature», balance-t-il ainsi dans le chapitre intitulé <em>Le Déluge</em>, où il rappelle que «nous avons le privilège douteux d’être l’espèce la plus meurtrière des annales de la biologie», après avoir détaillé les extinctions animales de masse, en Australie et en Amérique, notamment. 
</p><p>Bon à savoir, et pour la tête aussi: «Homo sapiens provoqua l’extinction de près de la moitié des grands animaux bien avant que l’homme n’invente la roue, l’écriture ou les outils en fer». Ainsi disparurent, dans les grandes plaines américaines où les troupeaux de chevaux n’étaient pas encore d’importation espagnole, les chats à dents de cimeterre et les paresseux géants pouvant atteindre six mètres de haut. Après quelque 30 millions d’années, ces beaux animaux furent, en peu de temps – 2000 ans, autant dire une paille! – les victimes de Sapiens dans une version du Déluge qui doit peu à la colère divine… 
</p><h3><strong>Quand Monsieur Je-sais-tout fait la leçon…</strong>
</h3><p>Yuval Noha Harari est historien mais pas que: son récit est un montage de savoirs croisés et sa méthode diachronique relie à tout moment les faits du lointain passé à ceux du présent. Après les 500 pages de <em>Sapiens</em>, son deuxième pavé, <em>Homo deus</em>, s’ouvre sur une espèce de bilan rejoignant les constats d’un Michel Serres sur un passé idéalisé (dans <em>C’était mieux avant</em>!) en rappelant comment l’homme a surmonté, dans les grandes largeurs, les deux causes majeures de sa mortalité prématurée, à savoir la maladie et la guerre. 
</p><p>Mais c’est plutôt sur son aperçu des lendemains qui chantent  de notre espèce que son tableau final a suscité la polémique, d’aucuns lui reprochant de prédire une sorte d’avenir radieux technologique, base d’une nouvelle religion des data, alors qu’il ne fait que l’envisager sur la base de faits avérés. 
Jamais en tout cas, pour ma part, je n’ai eu l’impression que ce Je-sais-tout qu’on pourrait classer humaniste libéral, ne fait l’apologie du transhumanisme, ni ne peint non plus le diable sur la muraille. Je n’ai pas, pour ma part, assez de recul ni de compétence pour juger de l’ensemble de sa démarche, mais celle-ci m’a intéressé tout en me laissant libre de développer mes propres réflexions et autres rêveries.</p><p>
Il en va tout autrement de la démarche du Monsieur Je-sais-tout combien plus envahissant, en tout cas dans nos territoires francophones, que représente Michel Onfray, qui se prononce sur tout et juge de tout avec une sorte de volonté de puissance relevant à la fois du vitalisme omnivore et de la compulsion tissée de contradictions – en quoi il m’intéresse pourtant! 
</p><p>Michel Onfray va nous expliquer, cette année, ce que fut le «vrai» Mai 68, en désignant les «vrais» penseurs de la rupture, comme en d’autres temps il nous a expliqué que La Boétie surclassait son ami Montaigne. De <em>Cosmos</em> à <em>Décadence</em>, ses derniers pavés, il nous a déjà expliqué combien la culture tsigane était supérieure à la tradition judéo-chrétienne, et comment notre monde occidental touchait à sa fin.&nbsp;</p><p>Vingt livres, quarante livres, cent livres au tournant de la cinquantaine, et sur cette lancée, après une ou deux cures transgéniques, ce seront trois cents, mille livres de plus! Même avec un infarctus et un AVC récent: la totale! 
</p><p>Du coup je regarde le premier sourire de notre premier petit-fils sur Instagram et je me dis: cool Michel, on se calme, on va faire un tour, ou plutôt on va essayer de ne rien faire, mais surtout tu n’en fais pas un livre de plus, comme tu l’as fait à propos du philosophe dans les bois Henry-David Thoreau: tu te la coinces...
</p><p>Michel Onfray rêve d’être philosophe: c’est bien. Dans les <em>Essais </em>de Montaigne, recueil assez recommandable, le grappilleur de faits intéressants du passé et du présent cite Épicure qui dit comme ça que les penseurs obsédés par l’avenir le gonflent: que l’attention au présent est aussi importante.&nbsp;</p><p>Or ce qui fatigue chez Michel Onfray est son souci d’apparaître non seulement aujourd’hui, mais demain et après-demain. Fuite en avant. On se prétend philosophe, je-sais-tout, sans regarder ce qu’il y a là: une femme qui pleure dans un couloir d’hosto, un enfant qui joue à la toupie, une fille qui flemme, un garçon qui attend sa mère à la sortie de la poste - la vie ou j’en sais rien…&nbsp;</p><hr><h4><img class="img-responsive " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w200/1519423952_homo.jpg">Yuval Noah Harari. <em>Sapiens</em> et <em>Homo deus</em>, Albin Michel.</h4><h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w400/1519424413_onfray.jpg">Michel Onfray, <em>Cosmos</em> et <em>Décadence</em>, Flammarion. <br></h4><h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w200/1519424478_pommier.jpg"></h4><h4>Michel Serres. C'était mieux avant. Le Pommier. <br></h4><h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w200/1519424686_lhistoiredumondepourlesnuls.jpg">Philippe Moreau Defarges. <em>Histoire du monde pour les nuls</em>. First éditions. 
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</strong></h3><p>Pour qui désire aujourd’hui tout savoir sur tout, l’accès à un début de connaissance universelle se réduit virtuellement à un clic d’ordinateur qui fait de chacun un wikipède potentiel auquel on ne souhaite pas de virer bientôt wikipédant par simple accumulation de savoir. 
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</p><p>Bon à savoir, et pour la tête aussi: «Homo sapiens provoqua l’extinction de près de la moitié des grands animaux bien avant que l’homme n’invente la roue, l’écriture ou les outils en fer». Ainsi disparurent, dans les grandes plaines américaines où les troupeaux de chevaux n’étaient pas encore d’importation espagnole, les chats à dents de cimeterre et les paresseux géants pouvant atteindre six mètres de haut. Après quelque 30 millions d’années, ces beaux animaux furent, en peu de temps – 2000 ans, autant dire une paille! – les victimes de Sapiens dans une version du Déluge qui doit peu à la colère divine… 
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</p><p>Mais c’est plutôt sur son aperçu des lendemains qui chantent  de notre espèce que son tableau final a suscité la polémique, d’aucuns lui reprochant de prédire une sorte d’avenir radieux technologique, base d’une nouvelle religion des data, alors qu’il ne fait que l’envisager sur la base de faits avérés. 
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<h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591882396_103195206_10223709763158946_742325142093952186_o.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " /></h4>
<h4>Guillaume Gagni&egrave;re et son b&acirc;ton de p&egrave;lerin sur l&rsquo;ile de Shikoku. &copy; DR&nbsp;</h4>
<h3><strong>Un po&egrave;me itin&eacute;rant qui n&rsquo;exclut ni cloques ni claques</strong></h3>
<p>Un an apr&egrave;s une ann&eacute;e d&rsquo;errance, Guillaume Gagni&egrave;re accomplit &agrave; peu pr&egrave;s le m&ecirc;me travail d&rsquo;orf&egrave;vre que celui de Nicolas Bouvier ciselant les phrases du&nbsp;<em>Poisson-scorpion,&nbsp;</em>au fil d&rsquo;un r&eacute;cit visant &agrave; la simplicit&eacute; et au naturel, jamais trop visiblement &laquo;voulu po&eacute;tique&raquo;, bien incarn&eacute; mais sans graisse, qui rend scrupuleusement les changements de relief et de couleurs du d&eacute;cor &eacute;voqu&eacute; par Bouvier avec les d&eacute;tails propres aux vir&eacute;e de sa g&eacute;n&eacute;ration, la troisi&egrave;me ou la quatri&egrave;me apr&egrave;s Blaise Cendrars et Charles-Albert Cingria, &nbsp;les p&eacute;riples d&rsquo;Ella Maillart et des comp&egrave;res Bouvier et Vernet, le &laquo;trip&raquo; des routards partis pour Katmandou et plus ou moins &eacute;chou&eacute;s &agrave; Goa dont Lorenzo Pestelli, dans&nbsp;<em>Le Long &eacute;t&eacute;</em>, a laiss&eacute; la trace la plus scintillante quant au verbe et la plus d&eacute;senchant&eacute;e quant &agrave; l&rsquo;esprit, et jusqu&rsquo;aux&nbsp;<em>backpackers </em>actuels. Ainsi, dans la foul&eacute;e proche d&rsquo;une Aude Seigne (n&eacute;e en 1985) et de ses&nbsp;<em>Chroniques d&rsquo;un Occident nomade</em>, Guillaume Gagni&egrave;re trouve-t-il aussit&ocirc;t son ton, piment&eacute; d&rsquo;humour,&nbsp; et son rythme allant, ses formules propres et la juste distance d&rsquo;une &eacute;criture ni jet&eacute;e comme dans un carnet de notes brutes ni trop fioritur&eacute;e.</p>
<p>Cela commence par un&nbsp;<em>Soliloque du corps&nbsp;</em>marqu&eacute; par une premi&egrave;re crise d&rsquo;urticaire, entre la Malaisie et la Tha&iuml;lande, et qui subira plus tard force cloques et autres claquages de muscles, jusqu&rsquo;&agrave; &laquo;une sorte de lupus&raquo; au fil de marches de plus de mille kilom&egrave;tres, sans parler d&rsquo;un &eacute;pisode de p&eacute;nible yoga soumis aux contorsions du cam&eacute;l&eacute;on &eacute;cartel&eacute; ou du chameau asthmatique, entre autres &nbsp;coups&nbsp; de blues et de d&eacute;primes qui rappellent aussi celles du cher Nicolas &agrave; Ceylan&hellip; Cependant le corps exultera aussi en sa juv&eacute;nile ardeur, de parties de surf en &eacute;treintes passag&egrave;res, etc.</p>
<h3><strong>Le cycle bouddhiste du p&egrave;lerinage, avec un grain de sel&hellip;</strong></h3>
<p>Sans la candeur plus ou moins na&iuml;ve, voire parfois jobarde, des routards des ann&eacute;es 60-70 d&eacute;couvrant les spiritualit&eacute;s orientales, le p&egrave;lerin Guillaume, apr&egrave;s s&rsquo;&ecirc;tre efforc&eacute; de ne penser &agrave; rien dans un centre de m&eacute;ditation tha&iuml;landais proche de Chiang Mai (&eacute;pisode comique finissant par &laquo;&nbsp;&ccedil;a me gratte, qu&rsquo;est-ce que c&rsquo;est&hellip; un moustique, merde, concentre-toi, NE PENSEPAS! (&hellip;) Oh, une m&eacute;sange&nbsp;!&raquo;), s&rsquo;impose bel et bien les rigueurs de la longue marche japonaise, qu&rsquo;il distingue clairement des chemins de Compostelle: &laquo;Dans le bouddhisme, le nirvana n&rsquo;est pas l&rsquo;&eacute;quivalent de notre paradis: c&rsquo;est le grand rien, la fin de tout d&eacute;sir. Le circuit des 88 temples de Shikoku, un cercle, se distingue des p&egrave;lerinages chr&eacute;tiens qui tracent une droite. On ne marche pas du point A au point B en remportant &agrave; l&rsquo;arriv&eacute;e un prix de tombola spirituelle, on parcourt un cycle, partant de A pour revenir &agrave; A, puis l&rsquo;on remet son ticket en jeu, encore et encore, jusqu&rsquo;&agrave; ce que le concept de but ou de r&eacute;compense s&rsquo;&eacute;puise de lui-m&ecirc;me&raquo;.</p>
<p>Or son livre reproduit pour ainsi dire le m&ecirc;me trac&eacute; cyclique partant de la rue Indigo sri lankaise &eacute;voqu&eacute;e par Nicolas Bouvier, pour y revenir, non sans une pointe de m&eacute;lancolie (&laquo;la rue du r&eacute;cit,&nbsp;<em>sa </em>rue a sombr&eacute;&raquo;, &nbsp;avec une affectueuse lettre posthume du jeune homme &agrave; son mod&egrave;le tut&eacute;laire. Rien pour autant de platement imitatif dans le r&eacute;cit du trentenaire, dont la po&eacute;sie et la plasticit&eacute; ont leur propre fra&icirc;cheur. Comme Bash&ocirc; et Bouvier dans leur voyages respectifs, il multiplie ainsi les br&egrave;ves notations, mais dans son langage &agrave; lui: &laquo;C&rsquo;est alors qu&rsquo;apparaissent les nuages, de larges masses d&rsquo;un jaune de m&eacute;got froid&raquo;, ou ceci: &laquo;Le soir, plat de curry en solitaire sous la Grande Ourse, les &eacute;toiles scintillent dans la casserole&raquo;&hellip;</p>
<p>Parvenant au dernier des 88 temples, enfin, c&rsquo;est avec un &eacute;clat de rire final qu&rsquo;il fait ce constat: &laquo;Deux mois d&rsquo;efforts sur plus de mille kilom&egrave;tres, et &agrave; l&rsquo;arriv&eacute;e, un sommet baignant dans une &eacute;paisse pur&eacute;e de pois&raquo;, ajoutant en sage mal ras&eacute; et puant s&ucirc;rement le bouc: &laquo;Serait-ce un peu &ccedil;a, le but: s&rsquo;effacer &agrave; tel point que la notion de mort en devient naturelle&raquo;. Et pour d&eacute;passer&nbsp; toute morosit&eacute; nihiliste: &laquo;Finalement c&rsquo;est peut-&ecirc;tre &ccedil;a, le &laquo;secret&raquo;: des mont&eacute;es, des descentes, des remont&eacute;es et tout en haut, un grand calme: l&rsquo;ataraxie. J&rsquo;avais presque oubli&eacute; &agrave; quel point cela pouvait &ecirc;tre simple et beau, d&rsquo;&ecirc;tre en vie&raquo;&hellip;</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591882458_unknown5.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="250" height="361" /></p>
<h4><strong>Guillaume Gagni&egrave;re,&nbsp;<em>Les Toupies d&rsquo;Indigo Street</em>, Editions d&rsquo;autre part, 2020. 110p.</strong></h4>
<p>&nbsp;</p>',
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<p>Gemma Salem les pieds devant: non mais t&rsquo;imagines! Bien plut&ocirc;t, apr&egrave;s le pied au cul de sa m&egrave;re - elle l&rsquo;avait &eacute;crit noir sur blanc -, cette derni&egrave;re fois au derche de la m&egrave;re du monde qui vous fauchera toutes et tous &agrave; la fin, &ccedil;a aussi c&rsquo;est &eacute;crit!</p>
<p>Et c&rsquo;est &ccedil;a aussi qui nous reste: ce qui est &eacute;crit. Les &eacute;crits de Gemma Salem sont autant de d&eacute;fis &agrave; toutes les d&eacute;tresses, des &eacute;crits comme qui dirait &laquo;pour la vie&raquo;, donc des &eacute;crits qui chialent comme vous et qui rient pour tous - des &eacute;crits comme dict&eacute;s par la vie et qui survivront parce qu&rsquo;ils sont plus que de simples &laquo;r&eacute;cits de vie&raquo;; des &eacute;crits qui ne sont pas que de plates copies de la vie mais qui ajoutent &agrave; celle-ci la valeur ajout&eacute;e de ce qu&rsquo;on appelle l&rsquo;Art avec une grande aile, ou la Litt&eacute;rature &agrave; cr&acirc;ne majuscule, ou la Po&eacute;sie mais sans chichis - et surtout musique &agrave; l&rsquo;appui: la po&eacute;sie de Schubert qui &eacute;crivait sp&eacute;cialement pour cette cingl&eacute;e de Gemma - croyait-elle dur comme fer -, la po&eacute;sie de Beethoven et son grand mouvement de rumba, la po&eacute;sie de ce c&oelig;ur de chien de Boulgakov, la folle po&eacute;sie d&eacute;cav&eacute;e de Jean Rhys en ses propres Tropiques passionnels, la po&eacute;sie martelante et martel&eacute;e de TB alias Thomas Bernhard &agrave; jamais inatteignable et bien avant qu&rsquo;il l&rsquo;eut pr&eacute;c&eacute;d&eacute;e par del&agrave; les eaux sombres. Thomas Bernhard mort? Et quoi encore!</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1590690767_100073417_10223531313497816_3498760490526441472_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></p>
<h3><strong>Au commencent &eacute;tait l&rsquo;Artiste</strong></h3>
<p>Gemma, qui n&rsquo;&eacute;tait pas encore Gemma Salem l&rsquo;&eacute;crivain (jamais je n&rsquo;arriverai &agrave; la dire &laquo;&eacute;crivaine&raquo; ou &laquo;autrice&raquo;), m&rsquo;est apparue &agrave; la toute fin d&rsquo;une soir&eacute;e dans un caveau lausannois enfum&eacute; qui symbolisait alors la boh&egrave;me locale, &agrave; l&rsquo;enseigne des Faux-Nez, et tout aussit&ocirc;t j&rsquo;ai pens&eacute;: Princesse persane, Reine sarrasine, Sh&eacute;h&eacute;razade &agrave; Gauloises bleues - et c&rsquo;&eacute;tait parti pour un bout de com&eacute;die avec l&rsquo;Actrice, vu qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&eacute;poque Gemma Salem se croyait faite pour le th&eacute;&acirc;tre.</p>
<p>Or notre premi&egrave;re engueulade, avec Gemma championne du genre, remonte &agrave; cet instant o&ugrave; elle a senti, sans que je ne lui dise rien, que je ne croyais pas qu&rsquo;elle f&ucirc;t le moins du monde actrice, convaincu qu&rsquo;elle &eacute;tait trop elle-m&ecirc;me pour incarner jamais un autre personnage sur une sc&egrave;ne, et du coup elle m&rsquo;en voulut &agrave; mort de le penser sans le dire vu qu&rsquo;elle-m&ecirc;me le sentait sans oser le reconna&icirc;tre; et je ne fus gu&egrave;re surpris de la retrouver, plus tard, dans un autre r&ocirc;le o&ugrave; elle pouvait incarner tous les personnages qui lui chantaient &agrave; sa guise, rien qu&rsquo;avec une plume et du sang vif (du sang bleu s&rsquo;il vous pla&icirc;t) pour l&rsquo;exprimer.</p>
<p>Cependant l&rsquo;essentiel demeurait: Gemma Salem l&rsquo;&eacute;crivain avait remplac&eacute; l&rsquo;actrice au pied lev&eacute; et l&rsquo;Artiste demeurait. Pas &eacute;tonnant d&rsquo;ailleurs que&nbsp;<em>L&rsquo;Artiste</em> (La Table ronde, 1991 - prix Schiller) soit le titre d&rsquo;un de ses livres. Mais plus que surprenant, r&eacute;ellement stup&eacute;fiante: l&rsquo;imm&eacute;diate puissance de l&rsquo;&eacute;crivain, brassant une vie enti&egrave;re &agrave; pleines mains et en tirant un premier roman dense et vibrant d&rsquo;&eacute;motion, formidablement vivant.</p>
<h3><strong>Des passions v&eacute;cues et sublim&eacute;es par l&rsquo;&eacute;criture</strong></h3>
<p>L&rsquo;histoire du&nbsp;<em>Roman de Monsieur Boulgakov (L&rsquo;&Acirc;ge d&rsquo;Homme, 1982) </em>est celle d&rsquo;une passion &laquo;incendiaire&raquo; autant qu&rsquo;imaginaire. Une jeune com&eacute;dienne aux origines panach&eacute;es d&rsquo;Orient piment&eacute; et de Suisse confite, install&eacute;e dans le Midi et languissant un peu d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; la gloire tous azimuts, tombe soudain sur le <em>specimen </em>masculin de ses r&ecirc;ves: un &eacute;crivain russe &nbsp;fascinant mais ray&eacute; du nombre des vivants dans le cr&eacute;puscule sanglant des ann&eacute;es 30. Rencontre, donc, de type occulte&hellip;<br />La com&eacute;dienne s&rsquo;appelle Gemma Salem. L&rsquo;auteur est Mikha&iuml;l Afanassi&eacute;vitch Boulgakov, auteur du&nbsp;<em>Ma&icirc;tre et Marguerite</em>, des&nbsp;<em>Oeufs fatidiques, </em>du&nbsp;<em>Roman th&eacute;&acirc;tral </em>et de&nbsp;<em>C&oelig;ur de chie</em>n, mais aussi des&nbsp;<em>R&eacute;cits d&rsquo;un jeune m&eacute;decin </em>qui l&rsquo;apparentent &agrave; un certain Anton Pavlovitch Tchekhov, future autre passion de Gemma.</p>
<p>Or le coup de foudre de celle-ci pour Boulgakov est tel que, non contente de d&eacute;vorer tous ses &eacute;crits traduits en quelques mois, elle en investit et r&eacute;fracte l&rsquo;univers &agrave; la fa&ccedil;on de&nbsp;<em>Diablerie</em>- nouvelle du m&ecirc;me Boulgakov -, poussant l&rsquo;observation mim&eacute;tique de la discordance entre r&eacute;alit&eacute; et fiction jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;absurde hallucinant.<br />Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, Gemma Salem, dans <em>Le Roman de Monsieur Bulgakov, </em>reconstitue des lieux et fait parler des personnages de chair et de sang, &nbsp;fondant tout cela dans le mouvement d&rsquo;un temps fuyant, &agrave; la fois tangible et impalpable.</p>
<p>C&rsquo;est ainsi que, d&egrave;s les premi&egrave;res pages du roman, nous nous transportons, aux c&ocirc;t&eacute;s du jeune Micha, alors toubib d&eacute;butant, dans le Kiev de son enfance,&nbsp;et d&egrave;s ce moment se remarque l&rsquo;habilet&eacute; avec laquelle Gemma Salem tire parti d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments emprunt&eacute;s aux &oelig;uvres de l&rsquo;&eacute;crivain, pour donner au roman son climat, ses couleurs et sa vraisemblance, et cela sans qu&rsquo;on n&rsquo;ait jamais l&rsquo;impression de subir une compilation non plus qu&rsquo;un relev&eacute; de filature.<br />Ensuite nous suivrons Boulgakov &agrave; travers les ann&eacute;es, des lendemains de la R&eacute;volution &agrave; la fin des ann&eacute;es 30, au fil d&rsquo;une production litt&eacute;raire tr&egrave;s &eacute;troitement surveill&eacute;e d&egrave;s ses d&eacute;buts, &agrave; cause de sa libert&eacute; de ton et de sa propension satirique, compl&egrave;tement interdite de publication et de repr&eacute;sentation au tournant de 1928 (quand bien m&ecirc;me Staline avait vu et revu dix&ndash;sept fois la pi&egrave;ce intitul&eacute;e&nbsp;<em>Les Journ&eacute;es des Tourbine</em>!) et que l&rsquo;acharnement de sa derni&egrave;re compagne &ndash; le tr&egrave;s beau personnage de Lena &ndash; fera sortir des tiroirs d&rsquo;infamie apr&egrave;s la mort de l&rsquo;&eacute;crivain.</p>
<p>De ce dernier, <em>Le Roman de Monsieur Boulgakov </em>nous donne une image attachante et nuanc&eacute;e. En &eacute;vitant les pi&egrave;ges de l&rsquo;id&eacute;alisation ou du sentimentalisme, si fr&eacute;quents dans le genre, Gemma Salem a recompos&eacute; le portrait d&rsquo;un Monsieur tr&egrave;s port&eacute; sur la vie et les femmes, capable d&rsquo;autant d&rsquo;amiti&eacute; chaleureuse que d&rsquo;intransigeance t&ecirc;tue, qui tenait par-dessus tout &agrave; pr&eacute;server ses &oelig;uvres de toute compromission. Or, d&rsquo;une certaine mani&egrave;re, et ce sera vrai de tous ses livres, l&rsquo;&eacute;crivain brosse son propre portrait en travaillant &agrave; celui de son mod&egrave;le.<br />J&rsquo;ai parl&eacute; de mim&eacute;tisme &agrave; propos de la relation de Gemma Salem avec Boulgakov, dont le sort de David po&eacute;tique en butte &agrave; l&rsquo;&eacute;crasant Goliath sovi&eacute;tique ne pouvait qu&rsquo;&eacute;mouvoir la jeune femme bless&eacute;e par la vie et en bisbille d&eacute;clar&eacute;e avec les pesanteurs de la famille et de la soci&eacute;t&eacute;, et c&rsquo;est le m&ecirc;me type de rapport - maintes fois d&eacute;crit par un Ren&eacute; Girard dans ses analyses de la passion mim&eacute;tique -, qu&rsquo;elle &eacute;tablira avec Thomas Bernhard, jusqu&rsquo;&agrave; une identification redoutable du fait que l&rsquo;impr&eacute;cateur autrichien restait, lui, bien vivant&hellip;</p>
<h3><strong>Que l&rsquo;acte artistique rel&egrave;ve de la conversion</strong></h3>
<p>Tous les livres de Gemma Salem, jusqu&rsquo;aux plus agressifs ou acides, comme&nbsp;<em>Mes amis et autres ennemis </em>(Zulma, 1995) ou <em>La Rumba de Beethoven </em>(Pierre-Guillaume de Roux, 2019) sont des histoires d&rsquo;amour relevant de l&rsquo;exorcisme et qui disent &agrave; la fois les beaut&eacute;s de la vie (les enfants et les animaux, la musique et les sentiments d&eacute;licats) et le mal de vivre, l&rsquo;ex&eacute;cration du mensonge sentimental ou &laquo;romantique&raquo;, le m&eacute;pris qu&rsquo;elle partageait avec Thomas Bernhard de tous les simulacres sociaux ou culturels qu&rsquo;elle pointe notamment dans ses tableaux au vitriol d&rsquo;une certaine Suisse hypocritement convenable, notamment dans <em>Les exil&eacute;s de Khorramshahr </em>(La Table ronde, 1986) et dans <em>B&eacute;tulia </em>(Flammarion, 1987), o&ugrave; la rage tonique de sa deuxi&egrave;me flamme litt&eacute;raire se fait d&eacute;j&agrave; sentir, qui se d&eacute;veloppera plus librement dans sa fameuse&nbsp;<em>Lettre &agrave; l&rsquo;hermite autrichien </em>(La Table ronde, 1989), relanc&eacute;e dans&nbsp;<em>Thomas Bernhard et les siens </em>(La Table ronde 1993) et jusque dans son dernier livre, sur le ton plus apais&eacute; d&rsquo;un bilan existentiel tr&egrave;s &eacute;mouvant o&ugrave; elle &laquo;prend sur elle&raquo;, comme on dit, en se reprochant son terrifiant amour propre&hellip;</p>
<p>Il y a, de fait, chez Gemma Salem, comme chez le grand emmerdeur autrichien, un personnage &agrave; la fois solaire et son double farouchement ombrageux, pas loin des poss&eacute;d&eacute;(e)s de Dosto&iuml;evski, qui se rend parfois la vie aussi impossible qu&rsquo;&agrave; son entourage, mais que l&rsquo;Art, une fois encore, d&eacute;livre - cela m&ecirc;me qu&rsquo;entend Ren&eacute; Girard une fois encore, dans&nbsp;<em>Mensonge romantique et v&eacute;rit&eacute; romanesque</em>.</p>
<p>La figure de Thomas Bernhard, assis sur un banc les mains aux poche, l&rsquo;air de nous dire qu&rsquo;il n&rsquo;en a rien &agrave; fiche, tr&ocirc;ne sur la couverture d&rsquo;<em>O&ugrave; sont ceux que ton c&oelig;ur aime </em>(Arl&eacute;a, 2019), mais TB n&rsquo;est qu&rsquo;un truchement: le m&eacute;diateur par excellence que Gemma n&rsquo;a jamais pu enlacer &laquo;pour de vrai&raquo;, une figure de la puret&eacute; dans un monde avachi par le kitsch, un contempteur de toutes les illusions &agrave; bon march&eacute; mais qui nous fait un clin d&rsquo;&oelig;il amical comme Gemma, fumant son dernier p&eacute;tard sur sa tombe, nous en vrille un plein d&rsquo;amour&hellip;</p>
<hr />
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<h4><em>O&ugrave; sont ceux que ton coeur aime, </em>Gemma Salem. 88 pages. (Arl&eacute;a Editions).</h4>',
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		'subtitle' => 'La fabuleuse biographie de Léonard de Vinci par Walter Isaacson, parue récemment en traduction à Lausanne, autant que les 151 épisodes de la série «culte» Le  Mentaliste, apologie de l’intuition déductive d’un Gentil dans sa lutte contre le Méchant, auront égayé, non sans grand écart culturel, notre  confinement jamais coupé du monde, avec un clin d’œil à la paysanne Rose de Pinsec incarnant le bon sens terrien…  ',
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		'content' => '<p>Quel rapport y a-t-il entre un certain Leonardo, b&acirc;tard notoire d&rsquo;un notaire toscan au pr&eacute;nom de Piero et natif du bourg de Vinci, une paysanne de montagne r&acirc;telant le foin de son parchet sur les hauts du hameau valaisan de Pinsec, et le &laquo;mentaliste&raquo; californien Patrick Jane connu pour son sens de l&rsquo;observation et sa m&eacute;moire exceptionnelle - quel rapport sinon la m&ecirc;me touche d&rsquo;humanit&eacute; liant un g&eacute;nie &laquo;universel&raquo; et nos humbles et tr&egrave;s diverses personnes plus ou moins talentueuses&hellip;</p>
<p>Curieux de tout, dot&eacute; d&rsquo;une nature g&eacute;n&eacute;reuse et d&rsquo;un physique avenant de splendide athl&egrave;te au charme d&eacute;licat, tr&egrave;s observateur d&egrave;s son enfance et non moins impatient de tout apprendre et comprendre en autodidacte aussi fantaisiste &agrave; ses heures que rigoureux dans ses intuitions pr&eacute;-scientifiques, L&eacute;onard de Vinci (1452-1516) d&eacute;veloppa les talents rares d&rsquo;un artiste complet plus soucieux de perfection que de quantit&eacute; (d&rsquo;o&ugrave; le nombre relativement restreint de ses chefs-d&rsquo;&oelig;uvre) et d&rsquo;un &laquo;ing&eacute;nieur&raquo; polyvalent, organisateur de f&ecirc;tes folles et inventeur de machines de guerre ou d&rsquo;instruments de musique, entre autres projets grandioses, comme cette ville id&eacute;ale dont l&rsquo;urbanisme permettrait de lutter contre les &eacute;pid&eacute;mies&hellip;</p>
<p>Le portrait de l&rsquo;homme que fut L&eacute;onard transpara&icirc;t au fil des pages de la biographie de Walter Isaacson, notamment &agrave; partir des milliers de pages de notes et croquis de ses carnets r&eacute;v&eacute;lant, malgr&eacute; son peu de go&ucirc;t pour les aveux &laquo;intimes&raquo;, un &ecirc;tre &agrave; la fois puissant et hypersensible , voire m&eacute;lancolique, parfois taraud&eacute; par ses d&eacute;mons et conscient du Mal inh&eacute;rent &agrave; la condition humaine alors qu&rsquo;il c&eacute;l&eacute;brait, en po&egrave;te et en homme de bonne volont&eacute;, le Beau et le Bien.</p>
<p>Sur pr&egrave;s de 600 pages tass&eacute;es et non moins captivantes, dont la traduction fran&ccedil;aise &ndash; excusez du peu! - a paru &agrave; Lausanne &agrave; l&rsquo;enseigne des Presses polytechniques et universitaires romandes, la biographie de L&eacute;onard de Vinci est le fruit d&rsquo;un immense travail &laquo;collaboratif&raquo; en somme comparable &agrave; celui des artisans et artistes florentins du XVe si&egrave;cle travaillant &agrave; de grands ouvrages communs tel le d&ocirc;me de Florence. De fait, l&rsquo;historien am&eacute;ricain combine tous les apports de l&rsquo;histoire de l&rsquo;art et de la connaissance scientifique accumul&eacute;s &agrave; travers les si&egrave;cles par ses pr&eacute;d&eacute;cesseurs, autant que ceux des techniques actuelles en mati&egrave;re de recherche, pour aboutir &agrave; un r&eacute;cit fluide et chatoyant, riche de d&eacute;tails autant que de synth&egrave;ses, avec une touche tout &agrave; fait personnelle et un allant communicatif.</p>
<p>Mais alors quoi de commun avec Rose de Pinsec et l&rsquo;enqu&ecirc;teur &laquo;mentaliste&raquo; de la fameuse s&eacute;rie? J&rsquo;y viens!</p>
<h3><strong>Quand Rose de Pinsec disait de la t&eacute;l&eacute;: &laquo;Pas besoin!&raquo;</strong></h3>
<p>La t&eacute;l&eacute;vision - fen&ecirc;tre sur le monde ou fabrique d&rsquo;abrutis -, comme l&rsquo;ordinateur - merveilleux instrument de connaissance et de communication ou puits sans fond de l&rsquo;imb&eacute;cillit&eacute; -, ne seront jamais que ce que chacune et chacun en fait, comme il en va de notre &laquo;gestion&raquo; du confinement.</p>
<p>Avant l&rsquo;apparition de l&rsquo;ordinateur et du smartphone dans nos vies, en 1977, Rose Monnet,&nbsp; solide paysanne de Pinsec r&eacute;pondait au r&eacute;alisateur de la t&eacute;l&eacute;vision romande Jacques Th&eacute;voz qui lui demandait, dans un reportage documentaire m&eacute;morable, si elle envisageait elle-m&ecirc;me d&rsquo;installer un jour la t&eacute;l&eacute;vision dans son modeste mayen, d&rsquo;un vigoureux et spontan&eacute; &laquo;Pas besoin!&raquo;<strong>, </strong> r&eacute;action qui pourrait &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;e comme l&rsquo;expression d&rsquo;une mentalit&eacute; born&eacute;e, ou au contraire pleine de sagesse: j&rsquo;ai la sant&eacute; et mon parchet, j&rsquo;ai ma vie et c&rsquo;est tout bon&hellip;</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589526010_images4.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="257" height="371" /></p>
<p>Or je ne sais pourquoi ce &laquo;pas besoin!&raquo; me poursuit, moi qui ai toujours &eacute;t&eacute; curieux de tout, non comme un frein ni comme une r&eacute;signation piteuse mais comme un rappel de notre chance d&rsquo;&ecirc;tre au monde et un signe d&rsquo;humilit&eacute; et de reconnaissance. Ce &laquo;pas besoin!&raquo; s&rsquo;enracine dans notre culture s&eacute;culaire auto-suffisante et je le retrouve, exprim&eacute; de fa&ccedil;on plus subtilement lyrique, dans cette page de <em>L&rsquo;Institut Benjamenta</em> de Robert Walser: &laquo;Si j&rsquo;&eacute;tais riche, je ne voudrais nullement faire le tour de la terre. Sans doute, ce ne serait d&eacute;j&agrave; pas si mal. Mais je ne vois rien de bien exaltant &agrave; conna&icirc;tre l&rsquo;&eacute;tranger au vol. Je me refuserais &agrave; enrichir mes connaissances, comme on dit. Plut&ocirc;t que l&rsquo;espace et la distance, c&rsquo;est la profondeur, l&rsquo;&acirc;me qui m&rsquo;attirerait.</p>
<p>Examiner ce qui tombe sous le sens, je trouverais cela stimulant. D&rsquo;ailleurs je ne m&rsquo;ach&egrave;terais rien du tout. Je n&rsquo;acquerrais pas de propri&eacute;t&eacute;s. Des v&ecirc;tements &eacute;l&eacute;gants, du linge fin, un haut-de-forme, de modestes boutons de manchettes en or, des souliers vernis pointus, ce serait &agrave; peu pr&egrave;s tout, et avec cela je me mettrais en route. Pas de maison, pas de jardin, pas de valet. (&hellip;) Et je pourrais partir. J&rsquo;irais me promener dans le brouillard fumant de la rue. L&rsquo;hiver et son froid m&eacute;lancolique s&rsquo;accorderaient merveilleusement avec mes pi&egrave;ces d&rsquo;or&raquo;.</p>
<p>Pour archa&iuml;que qu&rsquo;elle paraisse dans sa modestie plus ou moins jou&eacute;e et rou&eacute;e, cette vision de Walser, comme le &laquo;pas besoin!&raquo; de Rose de Pinsec, n&rsquo;exclut pourtant ni l&rsquo;humour terrien ni l&rsquo;&eacute;l&eacute;gance, pas plus que les embrouilles de la vie. Or l&rsquo;&eacute;l&eacute;gance de Patrick Jane, toujours en costume trois pi&egrave;ces et refusant de porter aucune arme, et sa gentillesse frott&eacute;e d&rsquo;insolence, sa bont&eacute; naturelle envers les animaux et les enfants n&rsquo;ont cess&eacute; de me revenir &agrave; l&rsquo;esprit en imaginant L&eacute;onard d&eacute;ambulant en beaux atours dans les ruelles de Florence, aimable avec tous et ne r&eacute;pondant point aux piques dures des jaloux ou des ombrageux &agrave; la Michel-Ange, conscient de son g&eacute;nie et triste sous l&rsquo;agression des malveillants moralisants comme il y en a plus que jamais aujourd&rsquo;hui, joyeux et non moins fragile en sa solitude &eacute;prise d&rsquo;absolu esth&eacute;tique.</p>
<h3><strong>Une vision panoptique qui relie le d&eacute;tail &agrave; l&rsquo;ensemble</strong></h3>
<p>La vision de L&eacute;onard de Vinci, dans les petites et les grandes largeurs, rel&egrave;ve d&rsquo;une observation panoptique. Chacune et chacun sait que le Panopticon est ce dispositif pr&eacute;cis, dans une prison, qui permet au gardien de voir d&rsquo;un m&ecirc;me point central tous les prisonniers soumis &agrave; sa surveillance, mais c&rsquo;est sans cet aspect disciplinaire que je l&rsquo;entends: comme une observation simultan&eacute;e et aussi tourbillonnante que le sont les id&eacute;es et les figures de certaines peintures de Leonardo, &agrave; commencer par son incroyable esquisse de <em>L&rsquo;Adoration des mages</em>, magnifiqueement analys&eacute;e par Issacson, et comme en t&eacute;moignent les milliers de pages de ses carnets aux m&ecirc;mes observations kal&eacute;idoscopiques.</p>
<p>La singularit&eacute; de l&rsquo;enqu&ecirc;teur Patrick Jane, &agrave; part sa m&eacute;moire ph&eacute;nom&eacute;nale, tient &agrave; sa fa&ccedil;on de relier les traits physiques et moraux, les tics et les pens&eacute;es, les moindres fr&eacute;missements expressifs et les &eacute;motions d&rsquo;un personnages, exactement de la m&ecirc;me fa&ccedil;on que Leonardo puise, dans sa connaissance approfondie de l&rsquo;anatomie humaine, les liens entre tel muscle et tel mouvement, tel trait et telle expression, non point de fa&ccedil;on platement m&eacute;canique ou lin&eacute;aire mais avec les nuances de la lumi&egrave;re sur la chair et le jeu des transparences. L&agrave; aussi, Walter Isaacson excelle &agrave; distinguer la finesse sensible extr&ecirc;me des nuances apport&eacute;es par Leonard de Vinci aux tableaux peints en collaboration avec ses divers ma&icirc;tres plus conventionnels de touche, comme on le voit dans le <em>Bapt&ecirc;me du Christ</em> travaill&eacute; conjointement par Verrocchio et son &eacute;l&egrave;ve.</p>
<h3><strong>Ce que les crises r&eacute;v&egrave;lent du Bien et du Mal</strong></h3>
<p>Certaines situations sont particuli&egrave;rement r&eacute;v&eacute;latrices en ce qui concerne le Mal, au sens biologique ou moral le plus large, et nous l&rsquo;aurons v&eacute;rifi&eacute; &agrave; l&rsquo;occasion de la pand&eacute;mie en cours, comme Leonardo &agrave; pu l&rsquo;observer apr&egrave;s la peste de son temps qui a d&eacute;cim&eacute; la ville de Florence et lui fit jeter les bases d&rsquo;une ville id&eacute;ale hygi&eacute;niquement s&eacute;curis&eacute;e quand il se transporta de Toscane &agrave; Milan, au d&eacute;but de sa stup&eacute;fiante carri&egrave;re parall&egrave;le d&rsquo;ing&eacute;nieur-urbaniste-musicien-showman-artiste.</p>
<p>Or l&rsquo;intuition hypersensible et l&rsquo;imagination d&eacute;ductive, mais aussi la r&eacute;volte contre le Mal apparient aussi Leonard de Vinci et Patrick Jane impatient de punir le M&eacute;chant qui a tu&eacute; sa femme et sa fille. Je sais bien que &ccedil;a fait un peu vieux jeu de d&eacute;fendre le Bien contre le Mal, mais le choix n&rsquo;a rien d&rsquo;abstrait ou d&rsquo;id&eacute;ologique: question de survie, autant que de style, m&ecirc;me si la comparaison des deux personnages rel&egrave;ve,une fois encore, du grand &eacute;cart apparemment loufoque. Cependant, le virus se fiche des partis et des appartenances de classes ou de races autant que des niveaux de culture: il est &eacute;galitaire au contraire de la m&eacute;decine trop humaine, et s&rsquo;il est exag&eacute;r&eacute; de pr&eacute;tendre que le h&eacute;ros blondin d&rsquo;une s&eacute;rie am&eacute;ricaine est &eacute;gal par son m&eacute;rite &agrave; l&rsquo;un des plus grands g&eacute;nies de notre ch&egrave;re esp&egrave;ce, il est prouv&eacute; en p&eacute;riode de crise que la lutte contre le Mal rel&egrave;ve d&eacute;cid&eacute;ment de la ressemblance humaine, amen.</p>
<p>Bref nous avons vaincu la peste et, en attendant, par del&agrave; d&rsquo;autres d&eacute;fis viraux, la panac&eacute;e transhumaniste que nous promettent les nouveaux proph&egrave;tes de Dieu sait quelle ennuyeuse immortalit&eacute;, la quarantaine nous a permis de lire de beaux livres et de voir ou revoir des tas de bons films et quelques s&eacute;ries qui valent peut-&ecirc;tre les feuilletons que Rose de Pinsec lisait le soir avant de s&rsquo;endormir sans somnif&egrave;res - pas besoin!</p>
<hr />
<h4><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589482331_unknown.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="259" height="389" />Walter Isaacson. L&eacute;onard de Vinci &ndash; La biographie. Traduit de l&rsquo;anglais (USA) par Anne-Sophie De Clercq et J&eacute;r&eacute;mie Gerlier. Quanto / Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2019.</strong></h4>
<h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589485311_1923857_18977019860_6515_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="258" height="206" /><strong><em>Le Mentaliste.</em></strong><strong> S&eacute;rie t&eacute;l&eacute;vis&eacute;e de Bruno Heller en 151 &eacute;pisodes et 7 saisons (2008-2013), reprise sur Prime Video.</strong></h4>
<p>&nbsp;</p>
<p>&nbsp;</p>
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		'subtitle' => 'Deux petits livres immenses signés Annie Dillard, géniale auteure américaine, nous rappellent cette évidence que la merveille du monde fut infectée de tout temps, que le Dieu parfait tolère la naissance d’enfants malformés et de massacres en son nom, enfin que nous vivons la plupart du temps aveuglés par  des paupières de plomb, faute  de nous éveiller comme ces gosses se levant tôt pour explorer notre terre qui, parfois, reste si jolie…  ',
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<p>&laquo;Merveille des merveilles sous le lilas fleuri, merveille: je m&rsquo;&eacute;veille&raquo;, &eacute;crivait le po&egrave;te Jean-Pierre Schlunegger qui finit, d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;, par se jeter d&rsquo;un pont, non loin d&rsquo;o&ugrave; nous vivons, pour se fracasser sur les rochers de la rivi&egrave;re, tout en bas.</p>
<p>Or nous vivons tous ces jours sous&nbsp;la double instance de telle merveille et de son envers mortel, et ce n&rsquo;est pas d&rsquo;hier, nous l&rsquo;oublions trop souvent, mais quelque temps nous voici comme au pied d&rsquo;un mur et c&rsquo;est le bon moment - le beau moment d&rsquo;apprendre &agrave; voir le monde les yeux ouverts et d&rsquo;apprendre &agrave; parler &agrave; une pierre.</p>
<p>La merveille des merveilles est &agrave; la port&eacute;e de chacune et chacun , et ma conviction s&rsquo;en est trouv&eacute;e confort&eacute;e, l&rsquo;autre jour, en notre quarantaine &agrave; tous, lorsque tel cher ami m&rsquo;apprit au t&eacute;l&eacute;phone que tous les matins il conduisait son petit lascar Luca de dix ans et son comp&egrave;re Arthur de trois ans son a&icirc;n&eacute; familier par son p&egrave;re argentin des colibris de la jungle de son pays, &agrave; la lisi&egrave;re des bois vaudois o&ugrave; ils s&rsquo;enfoncent tout appareill&eacute;s d&rsquo;instruments d&rsquo;observation et autres chasses subtiles - toute la journ&eacute;e rien qu&rsquo;&agrave; eux, fous de ferveur curieuse et de joyeuse adulation des multiples esp&egrave;ces de v&eacute;g&eacute;taux ou d&rsquo;animaux divers tels les castors d&rsquo;un soir pass&eacute; - en somme pr&eacute;dispos&eacute;s &agrave; apprendre un jour a parler aux pierres &agrave; l&rsquo;imitation de ce jeune Am&eacute;ricain dans la trentaine exercant, dans sa cabane perdue en pleine nature, le rituel cens&eacute; faire parler une &laquo;pierre &agrave; souhaits&raquo;&hellip;</p>
<h3><strong>En osmose intime avec le cosmos</strong></h3>
<p>Certains livres sont des d&eacute;parts et d'autres des arriv&eacute;es. Certains livres ouvrent des fen&ecirc;tres et d'autres explorent les multiples recoins qu'il y a dans la maison. Certains livres ne font que passer et d'autres vont rester. Certains livres ne sont que des aspects de la vie et d'autres en font la somme; et c'est un peu tout &ccedil;a que je ressens en revenant sans cesse aux r&eacute;cits et aux r&eacute;flexions, aux observations et aux intuitions &eacute;maillant l&rsquo;&oelig;uvre incomparable d&rsquo;Annie Dillard, &agrave; commencer par les deux recueils de fragments que repr&eacute;sentent <em>Au pr&eacute;sent</em> et <em>Apprendre &agrave; parler &agrave; une pierre.</em></p>
<p>On est l&agrave; dans la maison du monde en parcourant ce livre &agrave; la fois tr&egrave;s physique et vertigineusement m&eacute;taphysique, hyperr&eacute;aliste et non moins r&eacute;ellement habit&eacute; par l'Esprit qui s'intitule <em>Au pr&eacute;sent</em> et conjugue les pires effrois et les plus hauts &eacute;mois du c&oelig;ur et de l&rsquo;&acirc;me.</p>
<p>Le th&eacute;&acirc;tre actuel de la pand&eacute;mie, avec ses milliards d&rsquo;histoires individuelles bouleversantes ou affligeantes de m&eacute;diocrit&eacute;, ses rages et ses courages, ses bont&eacute;s discr&egrave;tes et ses vilenies &eacute;tal&eacute;es, n&rsquo;est gu&egrave;re diff&eacute;rent des univers explor&eacute;s par Annie Dillard dans les archives illustr&eacute;es des &laquo;troupes humaines&raquo; victimes des pires monstruosit&eacute;s cong&eacute;nitale (nains &agrave; t&ecirc;tes d&rsquo;oiseaux ou nourrissons sir&eacute;nom&egrave;les, entre autres produits de la fantaisie &laquo;divine&raquo; salu&eacute;s par autant d&rsquo;hymnes par les diverses traditions religieuses) ou sur le terrain de nos contemporains chinois ou palestiniens, sur les traces du pal&eacute;ontologue Teilhard de Chardin aux r&ecirc;veries mystiques ou le long des foss&eacute;s &agrave; ciel ouvert r&eacute;v&eacute;lant une arm&eacute;e de combattants chinois de terre cuite enterr&eacute;s comme le furent, encore vivants, tant de sujets d&rsquo;un certain empereur Qin adul&eacute; par son descendant Mao&hellip;&nbsp;&nbsp;</p>
<p>Annie Dillard est ce qu&rsquo;on pourrait dire une pure po&eacute;tesse de la pens&eacute;e dont le g&eacute;nie - sans le moindre des chichis de ce que j&rsquo;appelle la &laquo;po&eacute;sie po&eacute;tique&raquo;, souvent obscure et pr&eacute;tentieuse, ou bavarde comme les pies des r&eacute;seaux sociaux -, proc&egrave;de par fulgurants rapprochements, parlant aussi bien de la stup&eacute;faction qu&rsquo;elle &eacute;prouve &agrave; la rencontre inopin&eacute;e d&rsquo;une fouine au coin d&rsquo;un fourr&eacute; ou &agrave; la vision de ce vieux lecteur du Coran assis contre le pilier d&rsquo;une mosqu&eacute;e de J&eacute;rusalem filant discr&egrave;tement des bonbons en papillotes aux gamins pieds nus, des prodiges &eacute;maillant les vies de saints hassidim ou d&rsquo;un chevreuil pi&eacute;g&eacute; se d&eacute;battant dans la jungle amazonienne, de la formation des d&eacute;serts et des nuages ou de la naissance de tel enfant &agrave; longue queue et fentes brachiales au cou semblables &agrave; celle du requin qui nous incite &agrave; penser que &laquo;si l&rsquo;homme devait appr&eacute;hender pleinement la condition humaine il deviendrait fou&raquo;. Et les &eacute;num&eacute;rations d&rsquo;aligner leurs chiffres av&eacute;r&eacute;s, et le rappel d&rsquo;innombrables faits remarquables ou affolants (140.000 noy&eacute;s ce jour-l&agrave; au Bengladesh, etc.) d&rsquo;alterner avec les statistiques m&ecirc;me pas bonnes &agrave; soutirer des larmes aux pierres&hellip;</p>
<p>De son propre aveu, l&rsquo;auteure d&rsquo;<em>Une enfance am&eacute;ricaine</em>, de <em>P&egrave;lerinage &agrave; Tinter Creek</em> - dont la verve naturaliste &eacute;voque si fort le &laquo;philosophe dans le bois&raquo; Henry Thoreau -, ou encore de la stup&eacute;fiante chronique de la conqu&ecirc;te de la c&ocirc;te pacifique nord-ouest des States par les puritains amis ou ennemis des Indiens, intitul&eacute;e <em>Les vivants </em>- fut une enfant si &eacute;tonnamment &eacute;tonn&eacute;e et &eacute;tonnante que sa propre m&egrave;re se demandait ce qu&rsquo;on pourrait jamais en faire dans ce monde...</p>
<p>Et que faire des livres d&rsquo;Annie Dillard, honneur litt&eacute;raire d&rsquo;une nation dont le Pr&eacute;sident est la honte; que faire de cette bonne f&eacute;e dans un monde dont le personnage suppos&eacute; le plus puissant pr&eacute;sente tous les traits d&rsquo;un mufle inculte, terrifiante incarnation d&rsquo;un empire du vide et du faux?</p>
<p>Simplement cela: les ouvrir et leur permettre de nous &eacute;veiller.&nbsp;&nbsp;</p>
<p>Merveille des merveilles, les enfants: il vous reste un monde &agrave; explorer, il vous incombe d&rsquo;apprendre &agrave; chanter aux pierres&hellip;</p>
<hr />
<h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1588255173_anniedillard.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="219" height="373" /></h4>
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<h4><strong>Annie Dillard <em>Au pr&eacute;sent</em>. Traduit de l&rsquo;anglais par Sabine Porte.</strong></h4>
<h4><strong>Christian Bourgois, 219p, 2001; <em>Apprendre &agrave; parler &agrave; une pierre</em>. Christian Bourgois, 202p, 2017.</strong></h4>
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Que dire de Michel Onfray si ce n’est que c’est un doué - super énervant à l’ego surdimensionné.
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Je partage l'analyse fait de Sapiens et Homo deus. Lecture stimulante. Capacité étonnante à mettre en rapport des connaissances issues de beaucoup de disciplines dans une perspective historique. Aucun dogmatisme. On n'impose rien au lecteur, si ce n'est de réfléchir, de se situer de différents points de vue. Une grande maîtrise de la complexité, sans simplification abrupte, dans une langue accessible au commun des mortels.',
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Nos enfances naturellement curieuses d’un peu tout ont été nourries, avant la télé et son fenestron ouvert sur le monde, par une foison de publications plus ou moins imagées dont l’une, intitulée Tout connaître, résumait en deux mots l’un des penchants de Sapiens le distinguant de son animal de compagnie, chien ou chat n’attendant que caresses ou pitance.

Dans un beau livre récent précisément intitulé De la curiosité, le très érudit Alberto Manguel rappelle que la mythique bibliothèque d’Alexandrie, riche de plusieurs centaines de milliers d’ouvrages et détruite on ne sait trop comment ni à quelle date précise, concrétisait non seulement ce rêve de connaissance universelle mais se proposait aussi de rassembler tous les savoirs de l’époque issus de multiples cultures, comme la mythique tour de Babel avait symbolisé la prétention de l’homme initialement mal parti, selon la version biblique, en goûtant au fruit de l’Arbre de la connaissance, etc.

Avons-nous plus appris dans nos premiers livres et sur nos bancs d’école qu’en nous royaumant dans les sous-bois et le long des rivières, et le fait d’apprendre la déclinaison du verbe tout-savoir nous a-t-il rendu meilleurs que ceux qui restaient ignorants en la matière, sachant en revanche la grammaire des plantes médicinales ou la lecture des étoiles utile à la navigation? Ces questions n’invitent pas à la polémique mais au rappel d’une évidence souvent oubliée, selon laquelle le savoir est multiple, implique nos divers sens et varie lui-même à tous les sens du terme.

Un réflexe assez sain nous fait regimber lorsque Untel nous balance le pénible «j’veux pas le savoir». Mais le raseur (ou la raseuse, restons équitable) qui se targue de toujours tout savoir mérite le même défiance de bon sens, chacune et chacun se rappelant que le début du gai savoir se fonde sur la conscience claire de notre ignorance, etc.

Du paresseux en Amérique et de la révolution cognitive

Pour qui désire aujourd’hui tout savoir sur tout, l’accès à un début de connaissance universelle se réduit virtuellement à un clic d’ordinateur qui fait de chacun un wikipède potentiel auquel on ne souhaite pas de virer bientôt wikipédant par simple accumulation de savoir. La fée institutrice et le mage instituteur de notre enfance nous ont appris que ledit savoir n’est jamais aussi vivant qu’incarné, et nous continuons d’avoir besoin de cette médiation à visage humain. Pour pallier ma très crasse ignorance en matière d’astrophysique originelle et de paléontologie détaillée, j’ai fait ainsi, naguère, l’essai de m’initier à L’histoire du monde pour les nuls, mais la docte sécheresse et la superficialité policée du récit tout linéaire et balisé de l’ancien diplomate Philippe Moreau Defarges ont fait que l’ouvrage m’est bientôt tombé des mains, non sans me casser les pieds, faute de raconter quoi que ce soit à l’enfant curieux que je reste et vous aussi, soeurs et frères...

Or c’est précisément en conteur que le prof quadra israélien Yuval Noah Harari chope notre attention et la retient avec sa «brève histoire de l’humanité» intitulée Sapiens, qui a fait le tour du monde et a rebondi l’an dernier dans une «brève histoire de l’avenir» intitulée Homo Deus. Lisible par tout un chacun et surtout marqué par un ton personnel, ce diptyque est passionnant tant par sa substance détaillée que par les éclairages souvent inattendus, souvent originaux, qu’il propose dans le registre de la meilleure vulgarisation. Dans les grandes largeurs, n’importe quel ado pratiquant wikipédia sait aujourd’hui que Sapiens a mieux réussi sur terre que Neandertal, et qu’il y a une quantité d’autres espèces d’humains qui ont essaimé entre deux millions d’années en arrière et 10.000 ans, que plusieurs d’entre elles se faisaient tous les jours du feu depuis environ 300.000 ans, et que la nourriture cuisinée, fast food avant l’heure, en a résulté alors que le chimpanzé continuait à mâchonner sa viande crue pendant cinq heures au moins, etc. Mais une chose est d’accumuler des connaissances, et tout autre chose de les mettre en rapport et de les interpréter sur le long terme, comme Yuval Noah s’y emploie en décrivant les trois révolutions qui ont conduit Adam et Eve, animaux encore insignifiants, à la première étape cognitive, puis à la révolution agricole et enfin à la découverte de l’ignorance... à l’enseigne de la révolution scientifique.

Tout coup, s’agissant de l’évolution de la pensée ou du langage, de l’alimentation ou des échanges, de l’ubiquité de la guerre ou de l’ubiquité du patriarcat, énoncer les faits ne suffit plus: il faut en imaginer les variables et en interpréter les conséquences. Avec un grain de sel, le prof israélien anglophile distingue ainsi les usages de la bande de fourrageurs vivant il y a 30.000 ans sur le terrain actuellement occupé par l’université d’Oxford, possiblement différents de ceux de la bande installée sur l’actuel terrain de Cambridge: «Une bande pouvait être belliqueuse, l’autre pacifique. Peut-être celle de Cambridge vivait-elle en communauté quand celle d’Oxford reposait sur des familles nucléaires. Peut-être les premiers croyaient-ils à la réincarnation, que les seconds tenaient pour une sottise. Les relations homosexuelles pouvaient être acceptées chez les un, taboues chez les autres». Ceci pour donner le ton de ce Monsieur Je-sais-tout fort sympathique et très réservé par rapport à toute forme d’idéologie. «Ne croyez pas les écolos qui prétendent que nos ancêtres vivaient en harmonie avec la nature», balance-t-il ainsi dans le chapitre intitulé Le Déluge, où il rappelle que «nous avons le privilège douteux d’être l’espèce la plus meurtrière des annales de la biologie», après avoir détaillé les extinctions animales de masse, en Australie et en Amérique, notamment.

Bon à savoir, et pour la tête aussi: «Homo sapiens provoqua l’extinction de près de la moitié des grands animaux bien avant que l’homme n’invente la roue, l’écriture ou les outils en fer». Ainsi disparurent, dans les grandes plaines américaines où les troupeaux de chevaux n’étaient pas encore d’importation espagnole, les chats à dents de cimeterre et les paresseux géants pouvant atteindre six mètres de haut. Après quelque 30 millions d’années, ces beaux animaux furent, en peu de temps – 2000 ans, autant dire une paille! – les victimes de Sapiens dans une version du Déluge qui doit peu à la colère divine…

Quand Monsieur Je-sais-tout fait la leçon…

Yuval Noha Harari est historien mais pas que: son récit est un montage de savoirs croisés et sa méthode diachronique relie à tout moment les faits du lointain passé à ceux du présent. Après les 500 pages de Sapiens, son deuxième pavé, Homo deus, s’ouvre sur une espèce de bilan rejoignant les constats d’un Michel Serres sur un passé idéalisé (dans C’était mieux avant!) en rappelant comment l’homme a surmonté, dans les grandes largeurs, les deux causes majeures de sa mortalité prématurée, à savoir la maladie et la guerre.

Mais c’est plutôt sur son aperçu des lendemains qui chantent de notre espèce que son tableau final a suscité la polémique, d’aucuns lui reprochant de prédire une sorte d’avenir radieux technologique, base d’une nouvelle religion des data, alors qu’il ne fait que l’envisager sur la base de faits avérés. Jamais en tout cas, pour ma part, je n’ai eu l’impression que ce Je-sais-tout qu’on pourrait classer humaniste libéral, ne fait l’apologie du transhumanisme, ni ne peint non plus le diable sur la muraille. Je n’ai pas, pour ma part, assez de recul ni de compétence pour juger de l’ensemble de sa démarche, mais celle-ci m’a intéressé tout en me laissant libre de développer mes propres réflexions et autres rêveries.

Il en va tout autrement de la démarche du Monsieur Je-sais-tout combien plus envahissant, en tout cas dans nos territoires francophones, que représente Michel Onfray, qui se prononce sur tout et juge de tout avec une sorte de volonté de puissance relevant à la fois du vitalisme omnivore et de la compulsion tissée de contradictions – en quoi il m’intéresse pourtant!

Michel Onfray va nous expliquer, cette année, ce que fut le «vrai» Mai 68, en désignant les «vrais» penseurs de la rupture, comme en d’autres temps il nous a expliqué que La Boétie surclassait son ami Montaigne. De Cosmos à Décadence, ses derniers pavés, il nous a déjà expliqué combien la culture tsigane était supérieure à la tradition judéo-chrétienne, et comment notre monde occidental touchait à sa fin. 

Vingt livres, quarante livres, cent livres au tournant de la cinquantaine, et sur cette lancée, après une ou deux cures transgéniques, ce seront trois cents, mille livres de plus! Même avec un infarctus et un AVC récent: la totale!

Du coup je regarde le premier sourire de notre premier petit-fils sur Instagram et je me dis: cool Michel, on se calme, on va faire un tour, ou plutôt on va essayer de ne rien faire, mais surtout tu n’en fais pas un livre de plus, comme tu l’as fait à propos du philosophe dans les bois Henry-David Thoreau: tu te la coinces...

Michel Onfray rêve d’être philosophe: c’est bien. Dans les Essais de Montaigne, recueil assez recommandable, le grappilleur de faits intéressants du passé et du présent cite Épicure qui dit comme ça que les penseurs obsédés par l’avenir le gonflent: que l’attention au présent est aussi importante. 

Or ce qui fatigue chez Michel Onfray est son souci d’apparaître non seulement aujourd’hui, mais demain et après-demain. Fuite en avant. On se prétend philosophe, je-sais-tout, sans regarder ce qu’il y a là: une femme qui pleure dans un couloir d’hosto, un enfant qui joue à la toupie, une fille qui flemme, un garçon qui attend sa mère à la sortie de la poste - la vie ou j’en sais rien… 

Yuval Noah Harari. Sapiens et Homo deus, Albin Michel.

Michel Onfray, Cosmos et Décadence, Flammarion.

Michel Serres. C'était mieux avant. Le Pommier.

Philippe Moreau Defarges. Histoire du monde pour les nuls. First éditions.