Chronique / Rita vous le fait dire, vraiment: qu’elle vous emmerde et vous aime
© 2018 Bon pour la tête / Matthias Rihs
Rita est plus que le personnage flamboyant d’une récente série danoise: c’est le titre d’une passionnante chronique kaléidoscopique de la société, vue par le prisme de l’école. Nicolas Bideau réclamait naguère une série helvétique qu’inspirerait l’exemple du mémorable Borgen, autre fresque scrutant les coulisses privées de la vie publique d’une femme premier ministre. Avec Rita, dans la foulée des Romans d’ados et Romans d’adultes, de Béatrice et Nasser Bakhti, docus romands d’une rayonannte empathie, la preuve est donnée que le genre peut «faire école» pour conjuguer tableau social sérieux et comédie
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Ainsi, dans la foulée proche d’une Aude Seigne (née en 1985) et de ses <em>Chroniques d’un Occident nomade</em>, Guillaume Gagnière trouve-t-il aussitôt son ton, pimenté d’humour, et son rythme allant, ses formules propres et la juste distance d’une écriture ni jetée comme dans un carnet de notes brutes ni trop fioriturée.</p> <p>Cela commence par un <em>Soliloque du corps </em>marqué par une première crise d’urticaire, entre la Malaisie et la Thaïlande, et qui subira plus tard force cloques et autres claquages de muscles, jusqu’à «une sorte de lupus» au fil de marches de plus de mille kilomètres, sans parler d’un épisode de pénible yoga soumis aux contorsions du caméléon écartelé ou du chameau asthmatique, entre autres coups de blues et de déprimes qui rappellent aussi celles du cher Nicolas à Ceylan… Cependant le corps exultera aussi en sa juvénile ardeur, de parties de surf en étreintes passagères, etc.</p> <h3><strong>Le cycle bouddhiste du pèlerinage, avec un grain de sel…</strong></h3> <p>Sans la candeur plus ou moins naïve, voire parfois jobarde, des routards des années 60-70 découvrant les spiritualités orientales, le pèlerin Guillaume, après s’être efforcé de ne penser à rien dans un centre de méditation thaïlandais proche de Chiang Mai (épisode comique finissant par « ça me gratte, qu’est-ce que c’est… un moustique, merde, concentre-toi, NE PENSEPAS! (…) Oh, une mésange !»), s’impose bel et bien les rigueurs de la longue marche japonaise, qu’il distingue clairement des chemins de Compostelle: «Dans le bouddhisme, le nirvana n’est pas l’équivalent de notre paradis: c’est le grand rien, la fin de tout désir. Le circuit des 88 temples de Shikoku, un cercle, se distingue des pèlerinages chrétiens qui tracent une droite. On ne marche pas du point A au point B en remportant à l’arrivée un prix de tombola spirituelle, on parcourt un cycle, partant de A pour revenir à A, puis l’on remet son ticket en jeu, encore et encore, jusqu’à ce que le concept de but ou de récompense s’épuise de lui-même».</p> <p>Or son livre reproduit pour ainsi dire le même tracé cyclique partant de la rue Indigo sri lankaise évoquée par Nicolas Bouvier, pour y revenir, non sans une pointe de mélancolie («la rue du récit, <em>sa </em>rue a sombré», avec une affectueuse lettre posthume du jeune homme à son modèle tutélaire. Rien pour autant de platement imitatif dans le récit du trentenaire, dont la poésie et la plasticité ont leur propre fraîcheur. Comme Bashô et Bouvier dans leur voyages respectifs, il multiplie ainsi les brèves notations, mais dans son langage à lui: «C’est alors qu’apparaissent les nuages, de larges masses d’un jaune de mégot froid», ou ceci: «Le soir, plat de curry en solitaire sous la Grande Ourse, les étoiles scintillent dans la casserole»…</p> <p>Parvenant au dernier des 88 temples, enfin, c’est avec un éclat de rire final qu’il fait ce constat: «Deux mois d’efforts sur plus de mille kilomètres, et à l’arrivée, un sommet baignant dans une épaisse purée de pois», ajoutant en sage mal rasé et puant sûrement le bouc: «Serait-ce un peu ça, le but: s’effacer à tel point que la notion de mort en devient naturelle». Et pour dépasser toute morosité nihiliste: «Finalement c’est peut-être ça, le «secret»: des montées, des descentes, des remontées et tout en haut, un grand calme: l’ataraxie. 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Les écrits de Gemma Salem sont autant de défis à toutes les détresses, des écrits comme qui dirait «pour la vie», donc des écrits qui chialent comme vous et qui rient pour tous - des écrits comme dictés par la vie et qui survivront parce qu’ils sont plus que de simples «récits de vie»; des écrits qui ne sont pas que de plates copies de la vie mais qui ajoutent à celle-ci la valeur ajoutée de ce qu’on appelle l’Art avec une grande aile, ou la Littérature à crâne majuscule, ou la Poésie mais sans chichis - et surtout musique à l’appui: la poésie de Schubert qui écrivait spécialement pour cette cinglée de Gemma - croyait-elle dur comme fer -, la poésie de Beethoven et son grand mouvement de rumba, la poésie de ce cœur de chien de Boulgakov, la folle poésie décavée de Jean Rhys en ses propres Tropiques passionnels, la poésie martelante et martelée de TB alias Thomas Bernhard à jamais inatteignable et bien avant qu’il l’eut précédée par delà les eaux sombres. Thomas Bernhard mort? Et quoi encore!</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1590690767_100073417_10223531313497816_3498760490526441472_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h3><strong>Au commencent était l’Artiste</strong></h3> <p>Gemma, qui n’était pas encore Gemma Salem l’écrivain (jamais je n’arriverai à la dire «écrivaine» ou «autrice»), m’est apparue à la toute fin d’une soirée dans un caveau lausannois enfumé qui symbolisait alors la bohème locale, à l’enseigne des Faux-Nez, et tout aussitôt j’ai pensé: Princesse persane, Reine sarrasine, Shéhérazade à Gauloises bleues - et c’était parti pour un bout de comédie avec l’Actrice, vu qu’à l’époque Gemma Salem se croyait faite pour le théâtre.</p> <p>Or notre première engueulade, avec Gemma championne du genre, remonte à cet instant où elle a senti, sans que je ne lui dise rien, que je ne croyais pas qu’elle fût le moins du monde actrice, convaincu qu’elle était trop elle-même pour incarner jamais un autre personnage sur une scène, et du coup elle m’en voulut à mort de le penser sans le dire vu qu’elle-même le sentait sans oser le reconnaître; et je ne fus guère surpris de la retrouver, plus tard, dans un autre rôle où elle pouvait incarner tous les personnages qui lui chantaient à sa guise, rien qu’avec une plume et du sang vif (du sang bleu s’il vous plaît) pour l’exprimer.</p> <p>Cependant l’essentiel demeurait: Gemma Salem l’écrivain avait remplacé l’actrice au pied levé et l’Artiste demeurait. Pas étonnant d’ailleurs que <em>L’Artiste</em> (La Table ronde, 1991 - prix Schiller) soit le titre d’un de ses livres. Mais plus que surprenant, réellement stupéfiante: l’immédiate puissance de l’écrivain, brassant une vie entière à pleines mains et en tirant un premier roman dense et vibrant d’émotion, formidablement vivant.</p> <h3><strong>Des passions vécues et sublimées par l’écriture</strong></h3> <p>L’histoire du <em>Roman de Monsieur Boulgakov (L’Âge d’Homme, 1982) </em>est celle d’une passion «incendiaire» autant qu’imaginaire. Une jeune comédienne aux origines panachées d’Orient pimenté et de Suisse confite, installée dans le Midi et languissant un peu d’accéder à la gloire tous azimuts, tombe soudain sur le <em>specimen </em>masculin de ses rêves: un écrivain russe fascinant mais rayé du nombre des vivants dans le crépuscule sanglant des années 30. Rencontre, donc, de type occulte…<br />La comédienne s’appelle Gemma Salem. 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En évitant les pièges de l’idéalisation ou du sentimentalisme, si fréquents dans le genre, Gemma Salem a recomposé le portrait d’un Monsieur très porté sur la vie et les femmes, capable d’autant d’amitié chaleureuse que d’intransigeance têtue, qui tenait par-dessus tout à préserver ses œuvres de toute compromission. Or, d’une certaine manière, et ce sera vrai de tous ses livres, l’écrivain brosse son propre portrait en travaillant à celui de son modèle.<br />J’ai parlé de mimétisme à propos de la relation de Gemma Salem avec Boulgakov, dont le sort de David poétique en butte à l’écrasant Goliath soviétique ne pouvait qu’émouvoir la jeune femme blessée par la vie et en bisbille déclarée avec les pesanteurs de la famille et de la société, et c’est le même type de rapport - maintes fois décrit par un René Girard dans ses analyses de la passion mimétique -, qu’elle établira avec Thomas Bernhard, jusqu’à une identification redoutable du fait que l’imprécateur autrichien restait, lui, bien vivant…</p> <h3><strong>Que l’acte artistique relève de la conversion</strong></h3> <p>Tous les livres de Gemma Salem, jusqu’aux plus agressifs ou acides, comme <em>Mes amis et autres ennemis </em>(Zulma, 1995) ou <em>La Rumba de Beethoven </em>(Pierre-Guillaume de Roux, 2019) sont des histoires d’amour relevant de l’exorcisme et qui disent à la fois les beautés de la vie (les enfants et les animaux, la musique et les sentiments délicats) et le mal de vivre, l’exécration du mensonge sentimental ou «romantique», le mépris qu’elle partageait avec Thomas Bernhard de tous les simulacres sociaux ou culturels qu’elle pointe notamment dans ses tableaux au vitriol d’une certaine Suisse hypocritement convenable, notamment dans <em>Les exilés de Khorramshahr </em>(La Table ronde, 1986) et dans <em>Bétulia </em>(Flammarion, 1987), où la rage tonique de sa deuxième flamme littéraire se fait déjà sentir, qui se développera plus librement dans sa fameuse <em>Lettre à l’hermite autrichien </em>(La Table ronde, 1989), relancée dans <em>Thomas Bernhard et les siens </em>(La Table ronde 1993) et jusque dans son dernier livre, sur le ton plus apaisé d’un bilan existentiel très émouvant où elle «prend sur elle», comme on dit, en se reprochant son terrifiant amour propre…</p> <p>Il y a, de fait, chez Gemma Salem, comme chez le grand emmerdeur autrichien, un personnage à la fois solaire et son double farouchement ombrageux, pas loin des possédé(e)s de Dostoïevski, qui se rend parfois la vie aussi impossible qu’à son entourage, mais que l’Art, une fois encore, délivre - cela même qu’entend René Girard une fois encore, dans <em>Mensonge romantique et vérité romanesque</em>.</p> <p>La figure de Thomas Bernhard, assis sur un banc les mains aux poche, l’air de nous dire qu’il n’en a rien à fiche, trône sur la couverture d’<em>Où sont ceux que ton cœur aime </em>(Arléa, 2019), mais TB n’est qu’un truchement: le médiateur par excellence que Gemma n’a jamais pu enlacer «pour de vrai», une figure de la pureté dans un monde avachi par le kitsch, un contempteur de toutes les illusions à bon marché mais qui nous fait un clin d’œil amical comme Gemma, fumant son dernier pétard sur sa tombe, nous en vrille un plein d’amour…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1590611352_100086091_10223508363404078_2347364566893068288_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="257" height="257" /></p> <h4><em>Où sont ceux que ton coeur aime, </em>Gemma Salem. 88 pages. 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J’y viens!</p> <h3><strong>Quand Rose de Pinsec disait de la télé: «Pas besoin!»</strong></h3> <p>La télévision - fenêtre sur le monde ou fabrique d’abrutis -, comme l’ordinateur - merveilleux instrument de connaissance et de communication ou puits sans fond de l’imbécillité -, ne seront jamais que ce que chacune et chacun en fait, comme il en va de notre «gestion» du confinement.</p> <p>Avant l’apparition de l’ordinateur et du smartphone dans nos vies, en 1977, Rose Monnet, solide paysanne de Pinsec répondait au réalisateur de la télévision romande Jacques Thévoz qui lui demandait, dans un reportage documentaire mémorable, si elle envisageait elle-même d’installer un jour la télévision dans son modeste mayen, d’un vigoureux et spontané «Pas besoin!»<strong>, </strong> réaction qui pourrait être interprétée comme l’expression d’une mentalité bornée, ou au contraire pleine de sagesse: j’ai la santé et mon parchet, j’ai ma vie et c’est tout bon…</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589526010_images4.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="257" height="371" /></p> <p>Or je ne sais pourquoi ce «pas besoin!» me poursuit, moi qui ai toujours été curieux de tout, non comme un frein ni comme une résignation piteuse mais comme un rappel de notre chance d’être au monde et un signe d’humilité et de reconnaissance. Ce «pas besoin!» s’enracine dans notre culture séculaire auto-suffisante et je le retrouve, exprimé de façon plus subtilement lyrique, dans cette page de <em>L’Institut Benjamenta</em> de Robert Walser: «Si j’étais riche, je ne voudrais nullement faire le tour de la terre. Sans doute, ce ne serait déjà pas si mal. Mais je ne vois rien de bien exaltant à connaître l’étranger au vol. Je me refuserais à enrichir mes connaissances, comme on dit. Plutôt que l’espace et la distance, c’est la profondeur, l’âme qui m’attirerait.</p> <p>Examiner ce qui tombe sous le sens, je trouverais cela stimulant. D’ailleurs je ne m’achèterais rien du tout. Je n’acquerrais pas de propriétés. Des vêtements élégants, du linge fin, un haut-de-forme, de modestes boutons de manchettes en or, des souliers vernis pointus, ce serait à peu près tout, et avec cela je me mettrais en route. Pas de maison, pas de jardin, pas de valet. (…) Et je pourrais partir. J’irais me promener dans le brouillard fumant de la rue. L’hiver et son froid mélancolique s’accorderaient merveilleusement avec mes pièces d’or».</p> <p>Pour archaïque qu’elle paraisse dans sa modestie plus ou moins jouée et rouée, cette vision de Walser, comme le «pas besoin!» de Rose de Pinsec, n’exclut pourtant ni l’humour terrien ni l’élégance, pas plus que les embrouilles de la vie. 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Chacune et chacun sait que le Panopticon est ce dispositif précis, dans une prison, qui permet au gardien de voir d’un même point central tous les prisonniers soumis à sa surveillance, mais c’est sans cet aspect disciplinaire que je l’entends: comme une observation simultanée et aussi tourbillonnante que le sont les idées et les figures de certaines peintures de Leonardo, à commencer par son incroyable esquisse de <em>L’Adoration des mages</em>, magnifiqueement analysée par Issacson, et comme en témoignent les milliers de pages de ses carnets aux mêmes observations kaléidoscopiques.</p> <p>La singularité de l’enquêteur Patrick Jane, à part sa mémoire phénoménale, tient à sa façon de relier les traits physiques et moraux, les tics et les pensées, les moindres frémissements expressifs et les émotions d’un personnages, exactement de la même façon que Leonardo puise, dans sa connaissance approfondie de l’anatomie humaine, les liens entre tel muscle et tel mouvement, tel trait et telle expression, non point de façon platement mécanique ou linéaire mais avec les nuances de la lumière sur la chair et le jeu des transparences. 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Je sais bien que ça fait un peu vieux jeu de défendre le Bien contre le Mal, mais le choix n’a rien d’abstrait ou d’idéologique: question de survie, autant que de style, même si la comparaison des deux personnages relève,une fois encore, du grand écart apparemment loufoque. Cependant, le virus se fiche des partis et des appartenances de classes ou de races autant que des niveaux de culture: il est égalitaire au contraire de la médecine trop humaine, et s’il est exagéré de prétendre que le héros blondin d’une série américaine est égal par son mérite à l’un des plus grands génies de notre chère espèce, il est prouvé en période de crise que la lutte contre le Mal relève décidément de la ressemblance humaine, amen.</p> <p>Bref nous avons vaincu la peste et, en attendant, par delà d’autres défis viraux, la panacée transhumaniste que nous promettent les nouveaux prophètes de Dieu sait quelle ennuyeuse immortalité, la quarantaine nous a permis de lire de beaux livres et de voir ou revoir des tas de bons films et quelques séries qui valent peut-être les feuilletons que Rose de Pinsec lisait le soir avant de s’endormir sans somnifères - pas besoin!</p> <hr /> <h4><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589482331_unknown.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="259" height="389" />Walter Isaacson. Léonard de Vinci – La biographie. Traduit de l’anglais (USA) par Anne-Sophie De Clercq et Jérémie Gerlier. Quanto / Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2019.</strong></h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589485311_1923857_18977019860_6515_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="258" height="206" /><strong><em>Le Mentaliste.</em></strong><strong> Série télévisée de Bruno Heller en 151 épisodes et 7 saisons (2008-2013), reprise sur Prime Video.</strong></h4> <p> </p> <p> </p> <p> </p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'quand-leonard-de-vinci-luttait-contre-le-virus-du-mal', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 777, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2348, 'homepage_order' => (int) 2588, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 94, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 2293, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => 'NORMAL', 'readed' => null, 'subhead' => 'La chronique de JL K', 'title' => 'Voici le bon, le beau moment venu d’apprendre à parler à une pierre', 'subtitle' => 'Deux petits livres immenses signés Annie Dillard, géniale auteure américaine, nous rappellent cette évidence que la merveille du monde fut infectée de tout temps, que le Dieu parfait tolère la naissance d’enfants malformés et de massacres en son nom, enfin que nous vivons la plupart du temps aveuglés par des paupières de plomb, faute de nous éveiller comme ces gosses se levant tôt pour explorer notre terre qui, parfois, reste si jolie… ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Le moment que nous vivons est extraordinaire, mais ce n’est rien de le dire: il n’est que de le vivre et de mille façons diverses qui procèdent du même éveil et du même bond les yeux ouverts devant la merveille.</p> <p>«Merveille des merveilles sous le lilas fleuri, merveille: je m’éveille», écrivait le poète Jean-Pierre Schlunegger qui finit, désespéré, par se jeter d’un pont, non loin d’où nous vivons, pour se fracasser sur les rochers de la rivière, tout en bas.</p> <p>Or nous vivons tous ces jours sous la double instance de telle merveille et de son envers mortel, et ce n’est pas d’hier, nous l’oublions trop souvent, mais quelque temps nous voici comme au pied d’un mur et c’est le bon moment - le beau moment d’apprendre à voir le monde les yeux ouverts et d’apprendre à parler à une pierre.</p> <p>La merveille des merveilles est à la portée de chacune et chacun , et ma conviction s’en est trouvée confortée, l’autre jour, en notre quarantaine à tous, lorsque tel cher ami m’apprit au téléphone que tous les matins il conduisait son petit lascar Luca de dix ans et son compère Arthur de trois ans son aîné familier par son père argentin des colibris de la jungle de son pays, à la lisière des bois vaudois où ils s’enfoncent tout appareillés d’instruments d’observation et autres chasses subtiles - toute la journée rien qu’à eux, fous de ferveur curieuse et de joyeuse adulation des multiples espèces de végétaux ou d’animaux divers tels les castors d’un soir passé - en somme prédisposés à apprendre un jour a parler aux pierres à l’imitation de ce jeune Américain dans la trentaine exercant, dans sa cabane perdue en pleine nature, le rituel censé faire parler une «pierre à souhaits»…</p> <h3><strong>En osmose intime avec le cosmos</strong></h3> <p>Certains livres sont des départs et d'autres des arrivées. 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Mais attention: l’on verra très vite que cette forte tête, au valseur hypermoulé par ses jeans, n’a rien d’une rebelle au sens convenu ni rien d’une dogmatique de l’anti-dogme.
Première scène de Rita. © Allociné
Une introduction en introduisant une autre, Rita ne tarde à annoncer la couleur en faisant visiter son beau collège à une collègue du genre godiche-je-débarque, la prénommée Hjordis bien en chair et férue de mythologie nordique, à qui elle explique, un, que mieux vaut ne pas trop écouter le principal Rasmus (qu’elle se tape en effet), vu qu’il règne mais ne gouverne pas en classe, et deux, après avoir croisé dans les couloirs deux punkettes à cheveux laqués de noir et piercées à la wisigothique, que ce n’est pas de ce genre d’élèves qu’il lui faudra se méfier le plus vu que le mal ne prend jamais l’apparence du démon mais est impeccable, propre sur lui, la coupe au carré et prêt à bondir après avoir fait ses devoirs.
À préciser qu’elles viennent de croiser la petite Rosa, premier gros souci de Rita en sa qualité de bûcheuse modèle dont la mère aimerait que l’enseignante se concentre sur les meilleurs de la classe, point barre. Et c’est là le premier vrai problème récurrent de Rita: les parents, ou disons plus justement: certains parents.
No problem: mon fils est gay, mais je suis plus grave…
Lorsque son fils cadet Jeppe (elle a trois grands enfants qu’elle a élevés seule), brillant sujet du collège où elle enseigne, fait son coming out au risque de se voir un peu chahuté sur Facebook et dans le préau par certains de ses camarades, Rita le prend aussi souplement qu’elle a vu son aîné traîner avec des mauvais garçons jusqu’aux limites de la petite délinquance, avant sa rencontre de la fille d’un ex de Rita qu’il va épouser au dam de la belle-mère du genre coincé, mais c’est la vie n’est-ce pas; et si l’ex en question, toujours amoureux de Rita, lui fait un soir un enfant dans le dos de sa légitime, et que Rita choisit seule l’interruption de grossesse, là encore c’est la vie, aussi imprévisible que les choses de l’amour ou, plus précisément, que les pulsions sexuelles d’un soir de solitude ou d’abandon nostalgique, etc.
Certes Rita est «grave», avec sa façon de dire tout ce qu’elle pense, sa façon de se reprendre d’une main ferme quand elle s’est donnée imprudemment, sa façon d’être sexuellement plus libre que ses propres enfants, qu’elle ne rejettera jamais pour autant, sauf pour qu’ils vivent leur liberté, sa façon enfin de défendre les gosses les plus fragiles au dam de ses collègues ou de leurs parents.
Mais Rita n’a rien, vraiment rien d’une théoricienne «psy» ou «socio». Quand ainsi, avec deux collègues très «conscientisés» au niveau social, elle rencontre un père au chômage, dont le fils déstabilisé harcèle un de ses petits camarades, lequel père vient là pour excuser son môme avant de s’entendre dire, par les deux pédagogues-à-l’écoute, que c’est de la faute à la société et que c’est eux qui s’excusent, ajoutant ainsi à l’humiliation de l’homme dont ils ont «étudié le cas» pour mieux «compatir», Rita ne dit rien mais n’en pense pas moins, et c’est elle qui aidera le gosse, toute théorie mise à part, à surmonter sa compulsion agressive.
Or le plus vif de la série, jusque dans la satire, voire la caricature, vise ces nouveaux «techniciens» de l’enseignement qui plaquent des schémas sur la réalité, comme cet inénarrable coach professionnel qui prétend libérer les élèves de leur «carcan» en leur imposant de se «projeter dans l’avenir» et les jugeant alors selon ses seuls critères de manager comportemental, entre autres fadaises qui aboutissent, avec un coup de pouce de Rita, à sa prompte éjection.
L’enfant, nouvel objet de retour sur investissement
Du côté des parents, quelques exemples d’emmerdeurs carabinés donnent une idée éloquente du nouveau rapport établi entre ceux-ci et les enseignants. Ainsi de ce père tête-à-gifles, genre cadre moyen, qui pousse son fils à harceler un vieux prof d’anglais fatigué, venu assister triomphalement à la démission du pauvre homme et que Rita finit, dans le couloir où il l’enjoint de venir fêter sa victoire, par baffer magistralement.
Ainsi aussi de cette Madame-le-Maire, fierté de son fils autant que lui-même flatte son orgueil en appliquant en classe une sorte de marketing politique lors d’élections de classe, que la vraie démocratie appliquée par Rita, et sa façon peu orthodoxe de défendre l’école en mal de subsides, excède jusqu’au moment où elle aura le bonheur grimaçant, à la fin de la troisième saison, de la virer.
Le pédagogue n’aime pas les enfants
Au fil des quatre saisons traversées par Rita et sa smala familiale et scolaire, je n’ai cessé de penser à un essai du prof-écrivain-humoriste néerlando-suisse et non moins libertaire du nom d’Henri Roorda, intitulé Le pédagogue n’aime pas les enfants et visant un enseignement autoritaire et borné.
Rita en a connu un en son adolescence très perturbée (marquée par la fuite de sa mère et la vengeance de son père lui reprochant sa ressemblance avec celle-là), qui avait pour habitude de n’interroger que les garçons et de n’obéir qu’à ses principes de psychorigide condescendant à nœud pap. Or le personnage en question, à un moment donné, réellement touché par le désarroi de l’adolescente, lui donnera le conseil le plus avisé, prouvant qu’un vieux con présumé est aussi capable de compassion.
S’accueillir après avoir accueilli les autres...
Brassant les questions mineures ou majeures en relation avec la vie d’une école ou de la société environnante – des menus de la cantine scolaire au trafic de drogue, ou des séquelles de divorces au problème de la survie des établissements trop peu rentables –, la série danoise, admirablement scénarisée et servie par un casting sans faille – boosté par l’ébouriffante Mille Dinesen dans le rôle-titre - et un formidable travail avec les enfants, recoupe, à de multiples égards, ne serait-ce que par sa fraîcheur tonique et le sérieux de ses observations, le diptyque documentaire romand signé par Béatrice et Nasser Bakhti, Romans d’ados et Romans d’adultes, où l’on a assisté, en deux temps à l’évolution parfois problématique de jeunes gens dont les prénoms font désormais partie d’une espèce de famille virtuelle au sens très large.
Romans d’ados © RTS
La famille, foutue en l’air par ses parents, sera bel et bien pour Rita le creuset de sa blessure personnelle et le ressort d’une rédemption par le double truchement de son boulot de mère (qu’elle déprécie injustement) et de son travail de prof. Sa vocation fait penser à celle de Rachel la bibliothécaire, dans Romans d’adultes, comme l’évolution de son fils homo, déçu par deux relations trop pépères, renvoie à celle du brave Thys faisant la cuisine pour son conjoint presque aussi âgé que son père au déni récurrent.
Romans d’adultes © Wemakeit
Enfin, le retour de Rita à la source de son drame personnel, au fil de nombreux allers-retours, participe d’une résilience vécue plus difficilement par l’emblématique Jordann, dans le docu des Bakhti, passé par la galère de la drogue et tâchant de se reconstruire, vaille que vaille, en renouant les relations qu’il a fracassées avec une mère et une sœur non moins blessées que lui et qui aimeraient toujours y croire.
Feuilletons d’époque? Alors vive le feuilleton, si notre approche de l’époque y gagne en humanité…
Rita. Série danoise en 4 saisons. A voir sur Netflix. (Image: © Amazon)
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Et c’est là le premier vrai problème récurrent de Rita: les parents, ou disons plus justement: certains parents. </p><h3><strong>No problem: mon fils est gay, mais je suis plus grave… </strong></h3><p>Lorsque son fils cadet Jeppe (elle a trois grands enfants qu’elle a élevés seule), brillant sujet du collège où elle enseigne, fait son <em>coming out</em> au risque de se voir un peu chahuté sur Facebook et dans le préau par certains de ses camarades, Rita le prend aussi souplement qu’elle a vu son aîné traîner avec des mauvais garçons jusqu’aux limites de la petite délinquance, avant sa rencontre de la fille d’un ex de Rita qu’il va épouser au dam de la belle-mère du genre coincé, mais c’est la vie n’est-ce pas; et si l’ex en question, toujours amoureux de Rita, lui fait un soir un enfant dans le dos de sa légitime, et que Rita choisit seule l’interruption de grossesse, là encore c’est la vie, aussi imprévisible que les choses de l’amour ou, plus précisément, que les pulsions sexuelles d’un soir de solitude ou d’abandon nostalgique, etc. </p><p>Certes Rita est «grave», avec sa façon de dire tout ce qu’elle pense, sa façon de se reprendre d’une main ferme quand elle s’est donnée imprudemment, sa façon d’être sexuellement plus libre que ses propres enfants, qu’elle ne rejettera jamais pour autant, sauf pour qu’ils vivent leur liberté, sa façon enfin de défendre les gosses les plus fragiles au dam de ses collègues ou de leurs parents. </p><p>Mais Rita n’a rien, vraiment rien d’une théoricienne «psy» ou «socio». 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Avec Rita, dans la foulée des Romans d’ados et Romans d’adultes, de Béatrice et Nasser Bakhti, docus romands d’une rayonannte empathie, la preuve est donnée que le genre peut «faire école» pour conjuguer tableau social sérieux et comédie', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Dès sa première apparition, clope à la main, dans les cabinets de son «bahut» danois où elle sourit en déchiffrant les graffitis des écoliers, non sans corriger une faute d’orthographe sur celui qui affirme qu’elle se tape le principal, Rita fera craquer celles et ceux qui ne se font pas, de l’enseignant actuel, une image trop conventionnelle. </p><p>Mais attention: l’on verra très vite que cette forte tête, au valseur hypermoulé par ses jeans, n’a rien d’une rebelle au sens convenu ni rien d’une dogmatique de l’anti-dogme.</p><p><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1517577224_103034.jpg"><span style="color: inherit; font-family: 'GT America Standard Regular'; font-size: 1.4rem;">Première scène de Rita. © Allociné</span></p><p>Une introduction en introduisant une autre, Rita ne tarde à annoncer la couleur en faisant visiter son beau collège à une collègue du genre godiche-je-débarque, la prénommée Hjordis bien en chair et férue de mythologie nordique, à qui elle explique, un, que mieux vaut ne pas trop écouter le principal Rasmus (qu’elle se tape en effet), vu qu’il règne mais ne gouverne pas en classe, et deux, après avoir croisé dans les couloirs deux punkettes à cheveux laqués de noir et piercées à la wisigothique, que ce n’est pas de ce genre d’élèves qu’il lui faudra se méfier le plus vu que le mal ne prend jamais l’apparence du démon mais est impeccable, propre sur lui, la coupe au carré et prêt à bondir après avoir fait ses devoirs. </p><p>À préciser qu’elles viennent de croiser la petite Rosa, premier gros souci de Rita en sa qualité de bûcheuse modèle dont la mère aimerait que l’enseignante se concentre sur les meilleurs de la classe, point barre. Et c’est là le premier vrai problème récurrent de Rita: les parents, ou disons plus justement: certains parents. </p><h3><strong>No problem: mon fils est gay, mais je suis plus grave… </strong></h3><p>Lorsque son fils cadet Jeppe (elle a trois grands enfants qu’elle a élevés seule), brillant sujet du collège où elle enseigne, fait son <em>coming out</em> au risque de se voir un peu chahuté sur Facebook et dans le préau par certains de ses camarades, Rita le prend aussi souplement qu’elle a vu son aîné traîner avec des mauvais garçons jusqu’aux limites de la petite délinquance, avant sa rencontre de la fille d’un ex de Rita qu’il va épouser au dam de la belle-mère du genre coincé, mais c’est la vie n’est-ce pas; et si l’ex en question, toujours amoureux de Rita, lui fait un soir un enfant dans le dos de sa légitime, et que Rita choisit seule l’interruption de grossesse, là encore c’est la vie, aussi imprévisible que les choses de l’amour ou, plus précisément, que les pulsions sexuelles d’un soir de solitude ou d’abandon nostalgique, etc. </p><p>Certes Rita est «grave», avec sa façon de dire tout ce qu’elle pense, sa façon de se reprendre d’une main ferme quand elle s’est donnée imprudemment, sa façon d’être sexuellement plus libre que ses propres enfants, qu’elle ne rejettera jamais pour autant, sauf pour qu’ils vivent leur liberté, sa façon enfin de défendre les gosses les plus fragiles au dam de ses collègues ou de leurs parents. </p><p>Mais Rita n’a rien, vraiment rien d’une théoricienne «psy» ou «socio». Quand ainsi, avec deux collègues très «conscientisés» au niveau social, elle rencontre un père au chômage, dont le fils déstabilisé harcèle un de ses petits camarades, lequel père vient là pour excuser son môme avant de s’entendre dire, par les deux pédagogues-à-l’écoute, que c’est de la faute à la société et que c’est eux qui s’excusent, ajoutant ainsi à l’humiliation de l’homme dont ils ont «étudié le cas» pour mieux «compatir», Rita ne dit rien mais n’en pense pas moins, et c’est elle qui aidera le gosse, toute théorie mise à part, à surmonter sa compulsion agressive. </p><p>Or le plus vif de la série, jusque dans la satire, voire la caricature, vise ces nouveaux «techniciens» de l’enseignement qui plaquent des schémas sur la réalité, comme cet inénarrable <em>coach</em> professionnel qui prétend libérer les élèves de leur «carcan» en leur imposant de se «projeter dans l’avenir» et les jugeant alors selon ses seuls critères de <em>manager </em>comportemental, entre autres fadaises qui aboutissent, avec un coup de pouce de Rita, à sa prompte éjection. </p><h3><strong> L’enfant, nouvel objet de retour sur investissement </strong></h3><p><span style="font-size: 1.6rem; font-family: 'PT Serif';">Du côté des parents, quelques exemples d’emmerdeurs carabinés donnent une idée éloquente du nouveau rapport établi entre ceux-ci et les enseignants. Ainsi de ce père tête-à-gifles, genre cadre moyen, qui pousse son fils à harceler un vieux prof d’anglais fatigué, venu assister triomphalement à la démission du pauvre homme et que Rita finit, dans le couloir où il l’enjoint de venir fêter sa victoire, par baffer magistralement. </span></p><p><span style="color: inherit; font-family: 'PT Serif'; font-size: 1.6rem;">Ainsi aussi de cette Madame-le-Maire, fierté de son fils autant que lui-même flatte son orgueil en appliquant en classe une sorte de marketing politique lors d’élections de classe, que la vraie démocratie appliquée par Rita, et sa façon peu orthodoxe de défendre l’école en mal de subsides, excède jusqu’au moment où elle aura le bonheur grimaçant, à la fin de la troisième saison, de la virer.</span></p><h3><strong>Le pédagogue n’aime pas les enfants </strong></h3><p>Au fil des quatre saisons traversées par Rita et sa smala familiale et scolaire, je n’ai cessé de penser à un essai du prof-écrivain-humoriste néerlando-suisse et non moins libertaire du nom d’Henri Roorda, intitulé <em>Le pédagogue n’aime pas les enfants</em> et visant un enseignement autoritaire et borné. </p><p>Rita en a connu un en son adolescence très perturbée (marquée par la fuite de sa mère et la vengeance de son père lui reprochant sa ressemblance avec celle-là), qui avait pour habitude de n’interroger que les garçons et de n’obéir qu’à ses principes de psychorigide condescendant à nœud pap. Or le personnage en question, à un moment donné, réellement touché par le désarroi de l’adolescente, lui donnera le conseil le plus avisé, prouvant qu’un vieux con présumé est aussi capable de compassion. </p><h3><strong>S’accueillir après avoir accueilli les autres... </strong></h3><p>Brassant les questions mineures ou majeures en relation avec la vie d’une école ou de la société environnante – des menus de la cantine scolaire au trafic de drogue, ou des séquelles de divorces au problème de la survie des établissements trop peu rentables –, la série danoise, admirablement scénarisée et servie par un casting sans faille – <em>boosté</em> par l’ébouriffante Mille Dinesen dans le rôle-titre - et un formidable travail avec les enfants, recoupe, à de multiples égards, ne serait-ce que par sa fraîcheur tonique et le sérieux de ses observations, le diptyque documentaire romand signé par Béatrice et Nasser Bakhti, <em>Romans d’ados</em> et <em>Romans d’adultes</em>, où l’on a assisté, en deux temps à l’évolution parfois problématique de jeunes gens dont les prénoms font désormais partie d’une espèce de famille virtuelle au sens très large.<br></p><p><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1517577346_romansdados.jpg"><span style="color: inherit; font-family: 'GT America Standard Regular'; font-size: 1.4rem;">Romans d’ados © RTS</span></p><p> La famille, foutue en l’air par ses parents, sera bel et bien pour Rita le creuset de sa blessure personnelle et le ressort d’une rédemption par le double truchement de son boulot de mère (qu’elle déprécie injustement) et de son travail de prof. Sa vocation fait penser à celle de Rachel la bibliothécaire, dans <em>Romans d’adultes</em>, comme l’évolution de son fils homo, déçu par deux relations trop pépères, renvoie à celle du brave Thys faisant la cuisine pour son conjoint presque aussi âgé que son père au déni récurrent.</p><p><br><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1517577398_picture2aa00dc6b38949f2920a2c92b953939a.jpg"><span style="color: inherit; font-family: 'GT America Standard Regular'; font-size: 1.4rem;">Romans d’adultes © Wemakeit</span></p><p>Enfin, le retour de Rita à la source de son drame personnel, au fil de nombreux allers-retours, participe d’une résilience vécue plus difficilement par l’emblématique Jordann, dans le docu des Bakhti, passé par la galère de la drogue et tâchant de se reconstruire, vaille que vaille, en renouant les relations qu’il a fracassées avec une mère et une sœur non moins blessées que lui et qui aimeraient toujours y croire. </p><p>Feuilletons d’époque? Alors vive le feuilleton, si notre approche de l’époque y gagne en humanité…</p><p></p><hr><p></p><img class="img-responsive " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w356/1517577694_ob_1174c1_515wqgbwel.jpg" width="229" height="322"><h4><em>Rita</em>. Série danoise en 4 saisons. A voir sur Netflix. (Image: © Amazon)<br>Henri Roorda. <em>Le pédagogue n’aime pas les enfants</em>. Editions Mille et une Nuits, 2012, 134 .</h4><p></p><hr><hr><p></p><h4></h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'rita-vous-le-fait-dire-vraiment-qu-elle-vous-emmerde-et-vous-aime', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 815, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 773, 'homepage_order' => (int) 919, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 94, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 2406, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => 'NORMAL', 'readed' => null, 'subhead' => 'La chronique de JLK', 'title' => 'Du bonheur d’être bien vivant sur le chemin de n’importe où...', 'subtitle' => ' À trente ans pile, sur les traces de Nicolas Bouvier auquel il rend un hommage explicite, Guillaume Gagnière signe son premier livre aux touches fines et justes, intitulé Les Toupies d’Indigo Street et retraçant un périple à valeur d’initiation parfois rude, entre Ceylan et l’île japonaise de Shikoku aux 88 temples. 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Ainsi, dans la foulée proche d’une Aude Seigne (née en 1985) et de ses <em>Chroniques d’un Occident nomade</em>, Guillaume Gagnière trouve-t-il aussitôt son ton, pimenté d’humour, et son rythme allant, ses formules propres et la juste distance d’une écriture ni jetée comme dans un carnet de notes brutes ni trop fioriturée.</p> <p>Cela commence par un <em>Soliloque du corps </em>marqué par une première crise d’urticaire, entre la Malaisie et la Thaïlande, et qui subira plus tard force cloques et autres claquages de muscles, jusqu’à «une sorte de lupus» au fil de marches de plus de mille kilomètres, sans parler d’un épisode de pénible yoga soumis aux contorsions du caméléon écartelé ou du chameau asthmatique, entre autres coups de blues et de déprimes qui rappellent aussi celles du cher Nicolas à Ceylan… Cependant le corps exultera aussi en sa juvénile ardeur, de parties de surf en étreintes passagères, etc.</p> <h3><strong>Le cycle bouddhiste du pèlerinage, avec un grain de sel…</strong></h3> <p>Sans la candeur plus ou moins naïve, voire parfois jobarde, des routards des années 60-70 découvrant les spiritualités orientales, le pèlerin Guillaume, après s’être efforcé de ne penser à rien dans un centre de méditation thaïlandais proche de Chiang Mai (épisode comique finissant par « ça me gratte, qu’est-ce que c’est… un moustique, merde, concentre-toi, NE PENSEPAS! (…) Oh, une mésange !»), s’impose bel et bien les rigueurs de la longue marche japonaise, qu’il distingue clairement des chemins de Compostelle: «Dans le bouddhisme, le nirvana n’est pas l’équivalent de notre paradis: c’est le grand rien, la fin de tout désir. Le circuit des 88 temples de Shikoku, un cercle, se distingue des pèlerinages chrétiens qui tracent une droite. On ne marche pas du point A au point B en remportant à l’arrivée un prix de tombola spirituelle, on parcourt un cycle, partant de A pour revenir à A, puis l’on remet son ticket en jeu, encore et encore, jusqu’à ce que le concept de but ou de récompense s’épuise de lui-même».</p> <p>Or son livre reproduit pour ainsi dire le même tracé cyclique partant de la rue Indigo sri lankaise évoquée par Nicolas Bouvier, pour y revenir, non sans une pointe de mélancolie («la rue du récit, <em>sa </em>rue a sombré», avec une affectueuse lettre posthume du jeune homme à son modèle tutélaire. Rien pour autant de platement imitatif dans le récit du trentenaire, dont la poésie et la plasticité ont leur propre fraîcheur. Comme Bashô et Bouvier dans leur voyages respectifs, il multiplie ainsi les brèves notations, mais dans son langage à lui: «C’est alors qu’apparaissent les nuages, de larges masses d’un jaune de mégot froid», ou ceci: «Le soir, plat de curry en solitaire sous la Grande Ourse, les étoiles scintillent dans la casserole»…</p> <p>Parvenant au dernier des 88 temples, enfin, c’est avec un éclat de rire final qu’il fait ce constat: «Deux mois d’efforts sur plus de mille kilomètres, et à l’arrivée, un sommet baignant dans une épaisse purée de pois», ajoutant en sage mal rasé et puant sûrement le bouc: «Serait-ce un peu ça, le but: s’effacer à tel point que la notion de mort en devient naturelle». 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Les écrits de Gemma Salem sont autant de défis à toutes les détresses, des écrits comme qui dirait «pour la vie», donc des écrits qui chialent comme vous et qui rient pour tous - des écrits comme dictés par la vie et qui survivront parce qu’ils sont plus que de simples «récits de vie»; des écrits qui ne sont pas que de plates copies de la vie mais qui ajoutent à celle-ci la valeur ajoutée de ce qu’on appelle l’Art avec une grande aile, ou la Littérature à crâne majuscule, ou la Poésie mais sans chichis - et surtout musique à l’appui: la poésie de Schubert qui écrivait spécialement pour cette cinglée de Gemma - croyait-elle dur comme fer -, la poésie de Beethoven et son grand mouvement de rumba, la poésie de ce cœur de chien de Boulgakov, la folle poésie décavée de Jean Rhys en ses propres Tropiques passionnels, la poésie martelante et martelée de TB alias Thomas Bernhard à jamais inatteignable et bien avant qu’il l’eut précédée par delà les eaux sombres. Thomas Bernhard mort? Et quoi encore!</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1590690767_100073417_10223531313497816_3498760490526441472_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h3><strong>Au commencent était l’Artiste</strong></h3> <p>Gemma, qui n’était pas encore Gemma Salem l’écrivain (jamais je n’arriverai à la dire «écrivaine» ou «autrice»), m’est apparue à la toute fin d’une soirée dans un caveau lausannois enfumé qui symbolisait alors la bohème locale, à l’enseigne des Faux-Nez, et tout aussitôt j’ai pensé: Princesse persane, Reine sarrasine, Shéhérazade à Gauloises bleues - et c’était parti pour un bout de comédie avec l’Actrice, vu qu’à l’époque Gemma Salem se croyait faite pour le théâtre.</p> <p>Or notre première engueulade, avec Gemma championne du genre, remonte à cet instant où elle a senti, sans que je ne lui dise rien, que je ne croyais pas qu’elle fût le moins du monde actrice, convaincu qu’elle était trop elle-même pour incarner jamais un autre personnage sur une scène, et du coup elle m’en voulut à mort de le penser sans le dire vu qu’elle-même le sentait sans oser le reconnaître; et je ne fus guère surpris de la retrouver, plus tard, dans un autre rôle où elle pouvait incarner tous les personnages qui lui chantaient à sa guise, rien qu’avec une plume et du sang vif (du sang bleu s’il vous plaît) pour l’exprimer.</p> <p>Cependant l’essentiel demeurait: Gemma Salem l’écrivain avait remplacé l’actrice au pied levé et l’Artiste demeurait. 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L’auteur est Mikhaïl Afanassiévitch Boulgakov, auteur du <em>Maître et Marguerite</em>, des <em>Oeufs fatidiques, </em>du <em>Roman théâtral </em>et de <em>Cœur de chie</em>n, mais aussi des <em>Récits d’un jeune médecin </em>qui l’apparentent à un certain Anton Pavlovitch Tchekhov, future autre passion de Gemma.</p> <p>Or le coup de foudre de celle-ci pour Boulgakov est tel que, non contente de dévorer tous ses écrits traduits en quelques mois, elle en investit et réfracte l’univers à la façon de <em>Diablerie</em>- nouvelle du même Boulgakov -, poussant l’observation mimétique de la discordance entre réalité et fiction jusqu’à l’absurde hallucinant.<br />Plus précisément, Gemma Salem, dans <em>Le Roman de Monsieur Bulgakov, </em>reconstitue des lieux et fait parler des personnages de chair et de sang, fondant tout cela dans le mouvement d’un temps fuyant, à la fois tangible et impalpable.</p> <p>C’est ainsi que, dès les premières pages du roman, nous nous transportons, aux côtés du jeune Micha, alors toubib débutant, dans le Kiev de son enfance, et dès ce moment se remarque l’habileté avec laquelle Gemma Salem tire parti d’éléments empruntés aux œuvres de l’écrivain, pour donner au roman son climat, ses couleurs et sa vraisemblance, et cela sans qu’on n’ait jamais l’impression de subir une compilation non plus qu’un relevé de filature.<br />Ensuite nous suivrons Boulgakov à travers les années, des lendemains de la Révolution à la fin des années 30, au fil d’une production littéraire très étroitement surveillée dès ses débuts, à cause de sa liberté de ton et de sa propension satirique, complètement interdite de publication et de représentation au tournant de 1928 (quand bien même Staline avait vu et revu dix–sept fois la pièce intitulée <em>Les Journées des Tourbine</em>!) et que l’acharnement de sa dernière compagne – le très beau personnage de Lena – fera sortir des tiroirs d’infamie après la mort de l’écrivain.</p> <p>De ce dernier, <em>Le Roman de Monsieur Boulgakov </em>nous donne une image attachante et nuancée. En évitant les pièges de l’idéalisation ou du sentimentalisme, si fréquents dans le genre, Gemma Salem a recomposé le portrait d’un Monsieur très porté sur la vie et les femmes, capable d’autant d’amitié chaleureuse que d’intransigeance têtue, qui tenait par-dessus tout à préserver ses œuvres de toute compromission. Or, d’une certaine manière, et ce sera vrai de tous ses livres, l’écrivain brosse son propre portrait en travaillant à celui de son modèle.<br />J’ai parlé de mimétisme à propos de la relation de Gemma Salem avec Boulgakov, dont le sort de David poétique en butte à l’écrasant Goliath soviétique ne pouvait qu’émouvoir la jeune femme blessée par la vie et en bisbille déclarée avec les pesanteurs de la famille et de la société, et c’est le même type de rapport - maintes fois décrit par un René Girard dans ses analyses de la passion mimétique -, qu’elle établira avec Thomas Bernhard, jusqu’à une identification redoutable du fait que l’imprécateur autrichien restait, lui, bien vivant…</p> <h3><strong>Que l’acte artistique relève de la conversion</strong></h3> <p>Tous les livres de Gemma Salem, jusqu’aux plus agressifs ou acides, comme <em>Mes amis et autres ennemis </em>(Zulma, 1995) ou <em>La Rumba de Beethoven </em>(Pierre-Guillaume de Roux, 2019) sont des histoires d’amour relevant de l’exorcisme et qui disent à la fois les beautés de la vie (les enfants et les animaux, la musique et les sentiments délicats) et le mal de vivre, l’exécration du mensonge sentimental ou «romantique», le mépris qu’elle partageait avec Thomas Bernhard de tous les simulacres sociaux ou culturels qu’elle pointe notamment dans ses tableaux au vitriol d’une certaine Suisse hypocritement convenable, notamment dans <em>Les exilés de Khorramshahr </em>(La Table ronde, 1986) et dans <em>Bétulia </em>(Flammarion, 1987), où la rage tonique de sa deuxième flamme littéraire se fait déjà sentir, qui se développera plus librement dans sa fameuse <em>Lettre à l’hermite autrichien </em>(La Table ronde, 1989), relancée dans <em>Thomas Bernhard et les siens </em>(La Table ronde 1993) et jusque dans son dernier livre, sur le ton plus apaisé d’un bilan existentiel très émouvant où elle «prend sur elle», comme on dit, en se reprochant son terrifiant amour propre…</p> <p>Il y a, de fait, chez Gemma Salem, comme chez le grand emmerdeur autrichien, un personnage à la fois solaire et son double farouchement ombrageux, pas loin des possédé(e)s de Dostoïevski, qui se rend parfois la vie aussi impossible qu’à son entourage, mais que l’Art, une fois encore, délivre - cela même qu’entend René Girard une fois encore, dans <em>Mensonge romantique et vérité romanesque</em>.</p> <p>La figure de Thomas Bernhard, assis sur un banc les mains aux poche, l’air de nous dire qu’il n’en a rien à fiche, trône sur la couverture d’<em>Où sont ceux que ton cœur aime </em>(Arléa, 2019), mais TB n’est qu’un truchement: le médiateur par excellence que Gemma n’a jamais pu enlacer «pour de vrai», une figure de la pureté dans un monde avachi par le kitsch, un contempteur de toutes les illusions à bon marché mais qui nous fait un clin d’œil amical comme Gemma, fumant son dernier pétard sur sa tombe, nous en vrille un plein d’amour…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1590611352_100086091_10223508363404078_2347364566893068288_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="257" height="257" /></p> <h4><em>Où sont ceux que ton coeur aime, </em>Gemma Salem. 88 pages. 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J’y viens!</p> <h3><strong>Quand Rose de Pinsec disait de la télé: «Pas besoin!»</strong></h3> <p>La télévision - fenêtre sur le monde ou fabrique d’abrutis -, comme l’ordinateur - merveilleux instrument de connaissance et de communication ou puits sans fond de l’imbécillité -, ne seront jamais que ce que chacune et chacun en fait, comme il en va de notre «gestion» du confinement.</p> <p>Avant l’apparition de l’ordinateur et du smartphone dans nos vies, en 1977, Rose Monnet, solide paysanne de Pinsec répondait au réalisateur de la télévision romande Jacques Thévoz qui lui demandait, dans un reportage documentaire mémorable, si elle envisageait elle-même d’installer un jour la télévision dans son modeste mayen, d’un vigoureux et spontané «Pas besoin!»<strong>, </strong> réaction qui pourrait être interprétée comme l’expression d’une mentalité bornée, ou au contraire pleine de sagesse: j’ai la santé et mon parchet, j’ai ma vie et c’est tout bon…</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589526010_images4.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="257" height="371" /></p> <p>Or je ne sais pourquoi ce «pas besoin!» me poursuit, moi qui ai toujours été curieux de tout, non comme un frein ni comme une résignation piteuse mais comme un rappel de notre chance d’être au monde et un signe d’humilité et de reconnaissance. Ce «pas besoin!» s’enracine dans notre culture séculaire auto-suffisante et je le retrouve, exprimé de façon plus subtilement lyrique, dans cette page de <em>L’Institut Benjamenta</em> de Robert Walser: «Si j’étais riche, je ne voudrais nullement faire le tour de la terre. Sans doute, ce ne serait déjà pas si mal. Mais je ne vois rien de bien exaltant à connaître l’étranger au vol. Je me refuserais à enrichir mes connaissances, comme on dit. Plutôt que l’espace et la distance, c’est la profondeur, l’âme qui m’attirerait.</p> <p>Examiner ce qui tombe sous le sens, je trouverais cela stimulant. D’ailleurs je ne m’achèterais rien du tout. Je n’acquerrais pas de propriétés. Des vêtements élégants, du linge fin, un haut-de-forme, de modestes boutons de manchettes en or, des souliers vernis pointus, ce serait à peu près tout, et avec cela je me mettrais en route. Pas de maison, pas de jardin, pas de valet. (…) Et je pourrais partir. J’irais me promener dans le brouillard fumant de la rue. 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Or l’élégance de Patrick Jane, toujours en costume trois pièces et refusant de porter aucune arme, et sa gentillesse frottée d’insolence, sa bonté naturelle envers les animaux et les enfants n’ont cessé de me revenir à l’esprit en imaginant Léonard déambulant en beaux atours dans les ruelles de Florence, aimable avec tous et ne répondant point aux piques dures des jaloux ou des ombrageux à la Michel-Ange, conscient de son génie et triste sous l’agression des malveillants moralisants comme il y en a plus que jamais aujourd’hui, joyeux et non moins fragile en sa solitude éprise d’absolu esthétique.</p> <h3><strong>Une vision panoptique qui relie le détail à l’ensemble</strong></h3> <p>La vision de Léonard de Vinci, dans les petites et les grandes largeurs, relève d’une observation panoptique. Chacune et chacun sait que le Panopticon est ce dispositif précis, dans une prison, qui permet au gardien de voir d’un même point central tous les prisonniers soumis à sa surveillance, mais c’est sans cet aspect disciplinaire que je l’entends: comme une observation simultanée et aussi tourbillonnante que le sont les idées et les figures de certaines peintures de Leonardo, à commencer par son incroyable esquisse de <em>L’Adoration des mages</em>, magnifiqueement analysée par Issacson, et comme en témoignent les milliers de pages de ses carnets aux mêmes observations kaléidoscopiques.</p> <p>La singularité de l’enquêteur Patrick Jane, à part sa mémoire phénoménale, tient à sa façon de relier les traits physiques et moraux, les tics et les pensées, les moindres frémissements expressifs et les émotions d’un personnages, exactement de la même façon que Leonardo puise, dans sa connaissance approfondie de l’anatomie humaine, les liens entre tel muscle et tel mouvement, tel trait et telle expression, non point de façon platement mécanique ou linéaire mais avec les nuances de la lumière sur la chair et le jeu des transparences. 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Je sais bien que ça fait un peu vieux jeu de défendre le Bien contre le Mal, mais le choix n’a rien d’abstrait ou d’idéologique: question de survie, autant que de style, même si la comparaison des deux personnages relève,une fois encore, du grand écart apparemment loufoque. Cependant, le virus se fiche des partis et des appartenances de classes ou de races autant que des niveaux de culture: il est égalitaire au contraire de la médecine trop humaine, et s’il est exagéré de prétendre que le héros blondin d’une série américaine est égal par son mérite à l’un des plus grands génies de notre chère espèce, il est prouvé en période de crise que la lutte contre le Mal relève décidément de la ressemblance humaine, amen.</p> <p>Bref nous avons vaincu la peste et, en attendant, par delà d’autres défis viraux, la panacée transhumaniste que nous promettent les nouveaux prophètes de Dieu sait quelle ennuyeuse immortalité, la quarantaine nous a permis de lire de beaux livres et de voir ou revoir des tas de bons films et quelques séries qui valent peut-être les feuilletons que Rose de Pinsec lisait le soir avant de s’endormir sans somnifères - pas besoin!</p> <hr /> <h4><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589482331_unknown.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="259" height="389" />Walter Isaacson. Léonard de Vinci – La biographie. Traduit de l’anglais (USA) par Anne-Sophie De Clercq et Jérémie Gerlier. Quanto / Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2019.</strong></h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589485311_1923857_18977019860_6515_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="258" height="206" /><strong><em>Le Mentaliste.</em></strong><strong> Série télévisée de Bruno Heller en 151 épisodes et 7 saisons (2008-2013), reprise sur Prime Video.</strong></h4> <p> </p> <p> </p> <p> </p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'quand-leonard-de-vinci-luttait-contre-le-virus-du-mal', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 777, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2348, 'homepage_order' => (int) 2588, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 94, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 2293, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => 'NORMAL', 'readed' => null, 'subhead' => 'La chronique de JL K', 'title' => 'Voici le bon, le beau moment venu d’apprendre à parler à une pierre', 'subtitle' => 'Deux petits livres immenses signés Annie Dillard, géniale auteure américaine, nous rappellent cette évidence que la merveille du monde fut infectée de tout temps, que le Dieu parfait tolère la naissance d’enfants malformés et de massacres en son nom, enfin que nous vivons la plupart du temps aveuglés par des paupières de plomb, faute de nous éveiller comme ces gosses se levant tôt pour explorer notre terre qui, parfois, reste si jolie… ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Le moment que nous vivons est extraordinaire, mais ce n’est rien de le dire: il n’est que de le vivre et de mille façons diverses qui procèdent du même éveil et du même bond les yeux ouverts devant la merveille.</p> <p>«Merveille des merveilles sous le lilas fleuri, merveille: je m’éveille», écrivait le poète Jean-Pierre Schlunegger qui finit, désespéré, par se jeter d’un pont, non loin d’où nous vivons, pour se fracasser sur les rochers de la rivière, tout en bas.</p> <p>Or nous vivons tous ces jours sous la double instance de telle merveille et de son envers mortel, et ce n’est pas d’hier, nous l’oublions trop souvent, mais quelque temps nous voici comme au pied d’un mur et c’est le bon moment - le beau moment d’apprendre à voir le monde les yeux ouverts et d’apprendre à parler à une pierre.</p> <p>La merveille des merveilles est à la portée de chacune et chacun , et ma conviction s’en est trouvée confortée, l’autre jour, en notre quarantaine à tous, lorsque tel cher ami m’apprit au téléphone que tous les matins il conduisait son petit lascar Luca de dix ans et son compère Arthur de trois ans son aîné familier par son père argentin des colibris de la jungle de son pays, à la lisière des bois vaudois où ils s’enfoncent tout appareillés d’instruments d’observation et autres chasses subtiles - toute la journée rien qu’à eux, fous de ferveur curieuse et de joyeuse adulation des multiples espèces de végétaux ou d’animaux divers tels les castors d’un soir passé - en somme prédisposés à apprendre un jour a parler aux pierres à l’imitation de ce jeune Américain dans la trentaine exercant, dans sa cabane perdue en pleine nature, le rituel censé faire parler une «pierre à souhaits»…</p> <h3><strong>En osmose intime avec le cosmos</strong></h3> <p>Certains livres sont des départs et d'autres des arrivées. 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