Actuel / Quand la peur devient une arme de gouvernement
© 2018 Bon pour la tête / Ondine Yaffi
En France, les thèmes du terrorisme et de l'immigration musulmane ont dominé le débat politique pendant des années, depuis l’attentat contre Charlie-Hebdo le 7 janvier 2015. © DR / Ondine Yaffi (logo)
Terrible à dire: le terrorisme peut parfois servir à certains gouvernements. Celui de Manuel Valls en a usé et abusé. La France a été cruellement victime, avec 239 morts depuis 2015. Mais le premier ministre de François Hollande, au lendemain de l’attentat de Nice, a attisé la peur en affirmant que «le terrorisme fait partie de notre quotidien», en assurant que d’autres tragédies de ce type se reproduiraient «sûrement». Cette posture, pensait-il, renforcerait son autorité.
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Peu audible d’ailleurs chez lui et chez ses partenaires, guère enthousiastes de cette prétention au leadership. En termes exaltés et alarmistes, le président français en appelle au renforcement massif de la défense européenne. Non sans raisons. Mais pour quoi faire? Affronter la menace de la Russie? Voyons son armée. Elle s’escrime autour de quelques villages dans l’est de l’Ukraine, à quelques kilomètres de chez elle, elle peine à prendre la ville voisine de Karkhiv malgré d’horribles destructions. Elle n’est manifestement pas de taille à s’en prendre aux pays de l’OTAN, ni matériellement ni humainement. Les divers pays européens sont loin d’être démunis de moyens militaires. Même si leur base industrielle a des lacunes. On le sait aussi au Kremlin, où, quoi qu’on en dise, on est réaliste, on n’a pas la folie des grandeurs. Point effectivement à soulever: il est vrai que les Européens feraient bien de se préoccuper davantage de la défense anti-drones et anti-missiles. Ces engins, peu coûteux à produire mais ruineux pour s’en défendre, jouent un rôle-clé dans les conflits d’aujourd’hui. Et les Russes ne sont pas seuls à en disposer. Dans la cybersécurité aussi, il y a aussi de sérieux efforts à faire. Comme en Suisse, où le Département de la Défense confie cette tâche à son entreprise boiteuse Ruag qui s’appuie elle-même sur l’entité issue de Crypto AG, célèbre pour le scandale de ses tricheries. La Confédération a misé en plus sur une société bernois brinquebalante, Xplain, et admet aujourd’hui le désastre. Même des informations confidentielles sur les Conseillers fédéraux ont été balancés dans le «darknet». </span></p> <p><span>Mais nos militaires et leur cheffe ne rêvent que d’acquérir toujours plus d’avions, de blindés et de canons… à acheter aux Etats-Unis bien sûr. Viola Amherd se frotte les mains: une curieuse proposition agite le Parlement. Il s’agit de faire sauter la limite aux dépenses fédérales et de consacrer dix milliards supplémentaire pour l’armée et cinq pour l’Ukraine d’ici à 2030. C’est un groupe inhabituel de femmes parlementaires alémaniques qui est à la besogne. Dont une centriste, Marianne Tinder («Je suis en mesure d'évaluer la gravité de la menace même sans jours de service militaire»), sa collègue de parti entrée au Parlement en décembre dernier («Quand j'entends que l'armée n'a même pas assez de gilets de protection, cela me fait réfléchir»), la socialiste Franziska Roth («Nous ne pouvons pas nous cacher constamment derrière des lignes rouges»). A compter aussi dans ce que le <em>Tagesanzeiger</em> appelle les «dealmakers»: une autre centriste, Andrea Gmür, la socialiste Sarah Wyss, la verte libérale Corina Gredig. Etonnant, ce quarteron féminin, inter-partis, prônant l’urgence des armes.</span></p> <p><span>Bien que le président du PS Cedric Wermuth et la Fédération des sociétés militaires – curieux attelage! – applaudissent l’idée, celle-ci passe mal. Le patron du Centre Gerhard Pfister tousse, les radicaux, derrière Karin Keller-Suter, préoccupés par l’endettement, s’y opposent. Et il se trouvera sans doute des socialistes pour refuser cet emballement. Quant au petit peuple à qui on ne demandera pas son avis, il sait que de telles dépenses supplémentaires entraîneront inévitablement des coupes là où cela lui fait mal. </span></p> <p><span>Il vaut la peine de s’interroger sur les ressorts de cette outrance militariste. Que ce soit dans le mode déclamatoire d’un Macron ou dans les chuchotements du Palais fédéral. La politique sort alors du champ rationnel, de l’analyse froide des réalités, elle entre dans l’escalade des émotions morales, détermine dans le mode binaire, gagner ou perdre la guerre. Or l’histoire récente donne tant d’exemples où les conflits ont fini par des pourparlers. Plus ceux-ci ont tardé, plus se sont inutilement prolongées les souffrances.</span></p> <p><span>Rester fidèles à nos principes? Bien sûr. Mais alors pourquoi ne pas s’activer plutôt au chapitre de la paix? Pourquoi ne pas tirer toutes les ficelles en vue de véritables négociations dans le conflit Ukraine-Russie? Dans son emportement Emmanuel Macron n’a même pas prononcé ces mots. Et en l’occurence helvétique, les chantres féminins du pactole aux armes n’en ont eu aucun dans ce sens. Et le grand raout prévu au Bürgenstock, direz-vous? L’intention est certes louable mais le cadrage est défini par un seul des camps en présence et par les Etats-Unis. Cela en fait un simulacre de négociations. Qui pourrait bien en rajouter une couche à la frénésie belliqueuse. Alors même que le moment approche où les belligérants, plus ou moins épuisés, devront bien se résoudre à cesser le feu et à engager des pourparlers. Plus ils attendront, plus la malheureuse Ukraine sera mal prise. Regrettant que l’accord à bout touchant du tout début de la guerre ait été sabordé.</span></p> <p><span>Quant à l’autre guerre qui nous bouleverse, au Moyen Orient, elle est promise à durer longtemps, très longtemps, sous une forme ou une autre. Totalement dépassée et discréditée, la Suisse ne songe même pas à proposer une négociation, ni sur l’immédiat, ni sur le fond. Peu dit: un autre pays tente discrètement cet effort, non sans expérience. La Norvège.</span></p> <p><span>Mais le Conseil fédéral paraît tenir à réaffirmer son alignement sur la ligne d’Israël. Après avoir concédé une aide réduite, la commission parlementaire des Affaires étrangères propose de supprimer à terme tout soutien à l’UNRWA. 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Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! ', 'content' => '<p><span>Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! Ces trente dernières années, son entreprise, sise à Lausanne, CAB-Productions, a permis à de nombreux cinéastes, locaux et internationaux, de s’exprimer librement. Tournant en Suisse, avec des comédiens, des techniciens d’ici et d’ailleurs. De Francis Reusser à Dominique de Rivaz, d’Alain Tanner à Jean-François Amiguet, de Marcel Schüpbach à Pierre-Yves Borgeaud, de Greg Zlingski à Olivier Assayas, de Benoît Mariage à Claude Chabrol, et tant d’autres. Dernier en date, Roman Polanski. Avec le tournage à Gstaad de <em>The Palace</em>, en coproduction avec l’Italie et la Pologne. </span></p> <p><span>Lié d’amitié avec cette grande figure du cinéma européen, Porchet a tout fait, trois ans durant, pour que ce film se fasse. Contre vents et tempêtes. Face aux campagnes des ultra-féministes qui rabâchent et déforment une histoire vieille de quarante ans, aux Etats-Unis, impliquant une jeune fille qui aujourd’hui est dans les meilleurs termes avec le prétendu coupable. L’offensive «wokiste» a mis Polanski au ban. En Suisse comme en France, aucun soutien public n’a été apporté au film. Une fois terminé, au début de cette année, il a pu être présenté à Venise mais n’a été diffusé que dans quelques rares salles, les distributeurs et les exploitants craignant des manifestations féministes. Il est même totalement proscrit en France. </span></p> <p><span>Pour Jean-Louis Porchet les difficultés du début ont tourné à la descente aux enfers. Faute de rentabiliser les droits d’exploitation, sous le poids des dettes contractées pour boucler le financement du tournage, son entreprise est menacée de faillite. 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La sensibilité à un même danger bien réel varie beaucoup d’un pays à l’autre. Certains se refusent à toute peur collective durable. L’exemple le plus frappant: l’Espagne ou plus précisément la Catalogne. Les 17 et 18 août 2017, deux attentats faisaient 15 morts et 130 blessés à Barcelone. Un véhicule-bélier avait foncé sur la foule. Les auteurs sont de jeunes djihadistes islamistes nés et grandis dans cette ville. L’émotion a été grande pendant quelques jours. Puis le sujet n’a plus guère été évoqué. Sur place, aujourd’hui, personne ne semble craindre que l’horreur se répète. Les autorités ont pris quelques mesures de sécurité. C’est tout.
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La peur n’écarte pas le danger
En France en revanche, ces deux thèmes, liés à tort ou à raison, ont dominé le débat politique pendant des années, depuis l’attentat contre Charlie-Hebdo (le 7 janvier 2015). Tout un pan de la droite et de l’extrême-droite s’en sont servis pour attaquer le gouvernement Hollande. Non sans quelques arguments: il est avéré aujourd’hui que les services de renseignements et de police ont en partie failli dans leur tâche de prévention. Mais avec la montée surprenante de Macron qui n’a guère abordé ces sujets dans sa campagne, voilà que la peur s’estompe. Les Français, eux aussi, ont «autre chose en tête». Les clientes et clients qui avaient évité pendant plusieurs mois de se rendre dans certains grands magasins potentiellement visés ne craignent plus d’y flâner.
Certes, l’inquiétude à propos du retour des djihadistes qui pourraient rentrer de Syrie et d’Irak est réelle du côté de la police, mais elle ne se manifeste guère dans la population. Tant qu’aucun attentat de cette provenance ne survient… Peu à peu l’idée progresse que la peur n’écarte nullement le danger. Des mesures efficaces, prises à froid, sont sans doute plus utiles que les manifestations de rues en souvenir des victimes.
Les cas le plus caricaturaux de l’usage de la peur par le pouvoir se trouvent à l’est. Le Premier ministre hongrois Orban ne cesse de discourir sur le danger sécuritaire représenté par les immigrés. Alors même que ceux-ci sont très peu nombreux dans le pays et n’y ont jamais commis le moindre attentat. L’an passé, il en a été admis 1300 sous la pression de l’UE, en douce, sans aucune information officielle.
La part belle aux grandes-gueules
Le président tchèque Zeman doit sa toute récente réélection, outre à ses diatribes anti-européennes, à ses propos xénophobes et alarmistes. Depuis deux ans, les médias contrôlés par le pouvoir brandissent la menace terroriste en la liant à l’immigration honnie… et inexistante dans ce pays!
La Pologne qui refuse aussi obstinément d’accueillir des réfugiés nourrit une peur quelque peu différente. On y parle moins de terrorisme mais beaucoup de la menace que les musulmans feraient peser sur l’identité hyper-catholique de ce pays. A noter que dans la foulée, l’antisémitisme qui y a de vieilles racines se manifeste à nouveau plus ou moins ouvertement. Comme ces jours-ci, à travers une polémique déclenchée par le gouvernement qui, à propos de l’Holocauste, interdit l’appellation de «camps de la mort polonais».
Tout se passe comme si, dans notre vieille Europe prompte à l’inquiétude, les peuples avaient besoin, de temps à autre, ici ou là, de grandes émotions collectives. Changeantes selon les circonstances et les manipulations. Frissons et pâmoisons. La trouille sert bien les démagogues. Elle fait grand bruit et ne mène nulle part. Sinon vers des durcissements policiers qui menacent les libertés individuelles. A cela il faut ajouter bien sûr que la plupart des médias entrent sans retenue dans le jeu des tireurs de ficelles et savent créer eux-mêmes les shows de la frayeur. Pour mieux vendre? Beaucoup le croient, est-ce si sûr? Pour chauffer la soupe quotidienne des infos? Sans doute. Il est si bon de sentir en soi le trouillomètre grimper avant de redescendre avec le temps. Sans conséquence. Sinon celle de distraire d’autres réalités que le sujet du jour. Sinon celle de faire la part belle aux grandes-gueules politiciennes en chasse d’électeurs inquiets.
Notre série «Même pas peur!»
«Une sourde inquiétude au milieu de l’abondance» (1) par Anna Lietti
Une Egypte à genoux espère une aube nouvelle (2), par Doménica Canchano Warthon
Fanny Clavien: «Je suis fataliste!» (3), par Jacques Pilet
Ces poules mouillées qui ont peur des véganes (4), par Patrick Morier-Genoud
Kaboul-Kandahar, dans l’ombre des Talibans (5), par Florence Perret
8 peurs qui ne sont pas (forcément) justifiées (7), par Diana-Alice Ramsauer
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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Wapiti 03.02.2018 | 02h15
«Vrais, juste c'est sur la voie. Garder les yeux ouvert! et l'esprit alerte »