Culture / Plan complexe sur «Lee Miller»
«Lee Miller», un film de Ellen Kuras, avec Kate Winslet, Andy Samberg, Alexander Skarsgård, 117 minutes, 2024.
Comme une photo volée sur le champ de bataille: instantanée, surprenante, terrible et vraie. Ce sont là aussi les traits de caractère du biopic sur la mannequin et reporter de guerre Elizabeth, dite Lee, Miller (1907-1977). Quelle surprise! Le film avait tout pour signer un raté ennuyeux, convenu, militant voire moralisateur. Forcément, mettre en scène la vie d’une femme profondément féministe, qui a cultivé l’amour libre, abandonné son fils, posé nue et qui s’est battue pour obtenir une place en tant que femme dans la presse de guerre, aurait dû peser lourd sur la balance du cinéma bienséant. Mais c’est une tout autre position qu’adopte la trame face à l’objectif. Si le scénario ne crache pas sur la vie mouvementée de Lee – et il n’y aurait pas eu de quoi! –, il ne la porte pas aux nues non plus. C’est là tout l’intérêt. L’approche du personnage est complexe. La fréquentation de ses amis artistes et libertins est montrée à la fois dans toute sa splendeur et toute sa misère. Sa vie sexuelle est placée en contraste entre la libération qu’elle lui procure, autant que dans l’addiction, autrement dit dans l’esclavage. En somme, ce n’est pas une héroïne «femme-courage» qui est présentée, mais une femme blessée depuis l’enfance, dont l’éthique personnelle boîte méchamment. En matière d’éthique justement, le film emmène son spectateur au sein d’une réflexion: quel rapport entretenir à l’image quand celle-ci raconte des drames? Le malaise de Lee Miller traduit cette question lorsqu’elle peine à détendre la gâchette de son Rolleiflex face aux horreurs de la guerre. Et summum de l’horreur, la découverte des camps de concentration par celle-ci qui nous donne de revivre une page d’Histoire à travers son histoire. Bien qu’installé au chaud sur son fauteuil, le spectateur vit avec Kate Winslet, qui interprète Miller à merveille, une émotion foudroyante et pénétrante. Le tout porté par une musique, signée Desplat, qui donne au film un rythme effréné et qui accompagne émotionnellement le public tout du long. Quant à la forme narrative, elle reste très classique; ce qui ne l’empêche pas de rester une excellente – et complexe! – surprise.
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Dans la tourmente de l’entre-deux guerres, connaissant la pauvreté et le racisme, mais aussi les fêtes de la diaspora arménienne dans le café de son père, les danses, les chants, et les premiers pas sur les planches. «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=jSqkbJxF-Mo" target="_blank" rel="noopener">Les deux guitares</a>», chant tzigane, nous ramène à cette époque.</p> <p>Place ensuite au jeune homme, qui rêve de gloire, et qui collectionne les petits boulots. Fatigué d’imiter Trenet et de chanter les bruits de fond des cabarets, il se bat «à corps perdu, assoiffé, obstiné» pour chanter lui aussi l’amour, pour écrire les grands textes qui feront pleurer la France et le monde. Il construit sa vie, avec un mariage, une enfant, une tournée au Québec, et puis déconstruit tout. Il se sépare même de celle dont il est l’homme à tout faire, j’ai nommé «la Môme». Il se ruine, il est boudé, ridicule, mais sait prendre sa revanche sur la critique, en s’élevant là où il se voyait déjà, «en haut de l’affiche». Rolls, fourrures, Vegas, mais aussi travail et encore travail, sans oublier les drames et un malheur qui le poursuit. Et le film s’achève, à l’aube des années 70.</p> <h3>Critique</h3> <p>Si j'avais été grincheux, j’aurais dit que le film était un raté grotesque, dirigé par une équipe d’amateurs, interprété selon une performance proche de celle des kermesses, rythmé de façon banale, sans originalité aucune, ne sachant pas rendre à l’écran une once de qui fut ce «Monsieur Aznavour», pompeusement nommé, ni de son œuvre infiniment plus riche que celle qui passe comme une musique de fond sous le jeu d’un acteur qui singe Aznavour. Mais je ne suis pas grincheux. Le film est bien décevant sous certains aspects, il comporte bien des problèmes tant au niveau du jeu que de la réalisation. <i>Et pourtant, pourtant…</i> ce film a du cœur.</p> <p>Aussi, être grincheux face à cette équipe de jeunes qui aiment sincèrement Aznavour et qui se sont donnés de la peine pour réaliser ce film, ce serait jouer les scribouillards qui critiquent tout sans avoir jamais rien fait par soi. La critique aurait eu de quoi se déchaîner si le film et son équipe étaient prétentieux. <i>Et pourtant, pourtant…</i> il n’en est rien. Etre grincheux, c’eût été encore faire le jeu de ces critiques qui s’en prenaient à Aznavour lui-même en écrivant, pour l’un d'eux cité dans le film, «comment peut-on laisser un infirme chanter?», avant de venir présenter ses excuses à un Aznavour bonhomme qui n’en tient pas rigueur et qui offre même une coupe de champagne à son détracteur.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> disons ce qu’il y a à dire. Le jeu de Tahar Rahim, avec les qualités de ses défauts, est davantage une imitation, parfois exagérée aux confins du ridicule, qu’une interprétation. Sans parler des colères surfaites de Charles qui auraient eu davantage leur place sur des planches de théâtre que sur un plateau de cinéma. Quant à la famille Aznavourian et leur entourage, jamais n’a été livrée une mise en scène aussi caricaturale des gentils Arméniens qui aiment la poésie et les fêtes, et qui sont très pauvres mais vraiment très très gentils, généreux et accueillants alors. On est à la limite du racisme.</p> <p>La musique et les paroles d’Aznavour passent comme une bande-son qui font compagnie aux images. Et la trame est agencée sans aucune originalité. Comme un défilé de clowns, on voit tantôt apparaître un Johnny Hallyday, tantôt un Sinatra, tantôt tel compositeur, tel imprésario, telle femme à séduire, telle autre qui viennent remplir la scénario d’une lourdeur insupportable.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i>, le film a certes du cœur, et c’est l’essentiel, mais il compte aussi de réelles qualités. Si aucun acteur adulte ne crève l’écran, les enfants eux, notamment les interprètes de Charles et de sa sœur, sont fascinants tant ils inspirent de la sympathie, mais surtout tant ils rendent le sentiment et la vie de l’époque où les Aznavourian étaient des réfugiés en terre de France.</p> <p>Autre grande qualité du film par son scénario, c’est la complexité avec laquelle est dépeinte l’artiste: loin d’être idéalisé, il est montré dans sa gloire, certes, mais aussi dans ses échecs, ses erreurs et avec une tristesse qui le suit jusqu’au sommet. Coup de maître en matière d’originalité, d’avoir introduit dans le film un <i>sample</i> d’Aznavour par Eminem et Dr. Dre avec «What’s the Difference», qui vient bouleverser le rythme du film le rendant plus pimpant et plus vrai. Bel hommage, enfin, aux origines du chanteur en ayant placé dignement des images d’archives du génocide arménien.</p> <h3>Rétrospective</h3> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> la plus grande réussite du film reste son effet de rétrospective. Ceux qui auront été mitigés par <i>Monsieur Aznavour</i> auront au moins été séduits et emportés par l’occasion de réécouter et de célébrer Monsieur Aznavour. L’occasion aussi d’en apprendre davantage sur la vie de l’artiste. Quand on admire une personnalité, on aime partager, ou en l’occurrence repartager, ses joies dans ses conquêtes professionnelles ou amoureuses, et pleurer avec elle sur ses misères, comme le décès de son fils Patrick, qui a donné lieu d’ailleurs à «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ll-C2ExMBXs" target="_blank" rel="noopener">L’aiguille</a>», l’une des chansons les plus émouvantes de son répertoire.</p> <p>Revenir sur la vie et l’œuvre d’Aznavour c’est accompagner chacune des étapes de sa propre vie par l’une de ses chansons. Et son répertoire est l’un des rares à offrir ce champ de textes propres à chaque occasion. Où est-ce qu’Aznavour me rejoint par son œuvre?</p> <p>J’abordais cette question dans une série d’articles rédigés en 2018, à l’occasion de son décès. Aznavour me rejoint dans ma <a href="https://leregardlibre.com/musique/la-dimension-chretienne-de-loeuvre-daznavour/" target="_blank" rel="noopener">vie spirituelle</a>, dans ma vie sexuelle – ou du moins telle que je la <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-un-chanteur-du-sexe/" target="_blank" rel="noopener">phantasme</a> – et surtout dans ma vie de <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-chante-les-loosers/" target="_blank" rel="noopener"><i>loser</i></a>. Aznavour chante les <i>losers</i>. Aznavour est un <i>loser</i>. J’en suis un aussi. <i>Et pourtant, pourtant…</i> le <i>loser</i> n’est pas celui qui a tout raté, loin de là. Le <i>loser</i> est celui qui accomplit de grandes choses en ayant conscience de sa petitesse, en prenant conscience de celle-ci pour en faire une force.</p> <p>Et je chante alors avec Aznavour tous mes échecs, «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=oHOcUHGSASI" target="_blank" rel="noopener">Il faut savoir</a>» pour pleurer mes amours perdus. «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=yoWheph2uBI" target="_blank" rel="noopener">Le cabotin</a>» pour lever mon poing face à mon succès tant rêvé qui n’est jamais arrivé. «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=IOFqUmcJrnM" target="_blank" rel="noopener">Sa jeunesse</a>» pour ne plus me retourner vers le passé d’une vingtaine à laquelle je ne m’attendais pas. Et tous mes échecs, toutes mes maladresses, tous se transforment en musique, et deviennent sublimes. 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Il ne sait toujours pas qui il est ni ce qu’il veut. Il reste néanmoins l’escroc sociopathe connu depuis 1955, à la sortie du premier des cinq romans de la série mettant en scène ce personnage. L’auteure américaine, Patricia Highsmith, qui vécut les quinze dernières années de sa vie au Tessin, a créé un monstre malgré tout attachant. Sans doute ne s’imaginait-elle pas que Ripley continuerait tout à la fois de fasciner et de terrifier encore septante plus tard. Elle connut pourtant, de son vivant déjà, un franc succès en maîtrisant l’art du roman policier et du thriller psychologique avec froideur, cruauté, ingéniosité et un brin d’humour. De son vivant, le personnage vedette fut adapté au cinéma par René Clément dans l’angoissant <i>Plein Soleil</i> (1960), qui révéla au monde la beauté et le talent d’un certain Delon. Ses autres romans furent adaptés en masse au cinéma, à l’instar de <i>L’Inconnu du Nord-Express</i> (1951) mis en scène par le maître du thriller, j’ai nommé Hitchcock. En parlant du maître justement, la nouvelle série Netflix <i>Ripley </i>est un hommage plus que direct qui lui est adressé. Le scénariste qui devient également un réalisateur confirmé, Steven Zaillian, s’inspire, dans nombre de ses plans, des techniques de suspense créées par Hitchcock. Sans compter qu’il réalise sa série en noir et blanc, ce qui nous ramène encore davantage dans un univers hitchcockien. Cette série est tout bonnement une réussite, tant au niveau de l’esthétique que de la trame. Vingt-cinq ans après l’adaptation de Highsmith par Minghella <i>Le talentueux Mr Ripley</i> (1999), déjà excellente, la réalisation de Zaillian dépasse de loin cette dernière. Il fallait s'y attendre, quand on pense que Zaillian a signé les scénarios de chefs-d’œuvre comme <i>La Liste de Schindler</i> (1993) ou <i>Gangs of New York</i> (2002). Il a travaillé pour ces films respectivement avec Spielberg et Scorsese; il a eu de quoi observer des géants du cinéma. 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Qu’on la chante avec Reggiani, qu’on la clame avec les révolutionnaires ou qu’on l'érige en principe économique avec les libéraux, la liberté est de tous les combats, de tous les arts et de toutes les philosophies. Les unes la considèrent impossible, d’autres carrément inexistante et d’autres encore comme absolue. La liberté, serait-ce faire ce que je veux, quand je veux, où je veux et avec qui je veux? L’idée peut se défendre, mais ce n’est pas mon choix du jour. C’est ma <i>liberté</i> après tout…</p> <h3>La liberté?</h3> <p>La conception de la liberté que je voudrais défendre serait en fait une contrainte. La contrainte qu’impose cette liberté est celle de choisir. En effet, être libre, c’est choisir, et choisir c’est renoncer. Exercer sa liberté revient donc premièrement à être actif; deuxièmement, à savoir jongler entre choix et renoncements.</p> <p>Etre actif, c’est sortir de la passivité. Savoir rester ouvert à ce qui advient, c’est bien; agir pour obtenir ce que l’on veut, c’est mieux. «Agis comme si tout dépendait de toi, et prie comme si tout dépendait de Dieu», aurait déclaré Ignace de Loyola. Rester passif revient à ne jamais prendre de décision en attendant que sa vie passe; c’est fuir aussi face aux combats dans les périodes décisives de la vie. Etre actif consiste à savoir se mouiller, s’engager, même se tromper, en somme à prendre des risques pour bâtir le grand ouvrage de son existence.</p> <p>Jongler entre choix et renoncements, c’est s’attacher au réel de sa vie, de sa condition. Je ne peux pas tout avoir à chaque moment, et il est des choix et des renoncements qui se veulent définitifs. Choisir de se marier et de fonder une famille, c’est renoncer définitivement à l’absence de responsabilités conjugales et parentales. Certes, nul n’est à l’abri d’un veuvage ou d’un divorce, ni de redécouvrir l’âme sœur dans une autre personne, mais nul ne pourra effacer mon histoire d’amour présente; et surtout, si l’on devient parent, on le reste à jamais.</p> <p>Choisir, quel grand projet, mais choisir quoi? Choisir la vie… oui mais encore? Choisir ce qui me fait vivre, ce qui m’ouvre à la vie, ce qui me mène en ses chemins. Cela revient à choisir ce que j’ai discerné comme étant le bien. Une tradition philosophique qui va d’Aristote à Edith Stein, en passant par Thomas d’Aquin et toute l'école thomiste, reconnaît que l’humain est le seul animal à être doté de deux facultés dites «spirituelles», à savoir l’<i>intelligence </i>et la <i>volonté</i>. 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Comme je peux choisir la mort en buvant tous les jours, plutôt seul et en quantités de bouteilles plutôt que de verres, et m’enfermer dans un alcoolisme qui m’isole, me noie dans les idées noires, détruit mon foie.</p> <p>Je peux choisir la vie en me consacrant au célibat, pour me donner tout entier à une mission ou pour limiter des attaches qui seraient un frein au sens que je veux donner à ma vie. Mais je peux aussi choisir la mort par le célibat, en l’adoptant comme un refoulement de ma sexualité, en dédaignant tout engagement amoureux avec autrui, divaguant de couche en couche, me retrouvant seul et écœuré d’une jouissance somme tout bien éphémère.</p> <p>Et bien sûr, je peux passer d’un choix à un autre, revenir en arrière, regretter, me convertir, guérir, changer de vie, m’égarer, en choisissant toujours le chemin de la vie, qui est fait d’échecs et de réussites, d’apprentissages par ses erreurs, de reconversions professionnelles, de séparations et de transformations. Le signe que je suis néanmoins sur le chemin du choix de la vie, c’est son fruit: le bonheur. Attention, pas la joie permanente et l’excitation sautillante à tout-va, non, le <i>bonheur</i>, qui compose entre les joies et les tristesses, qui avance toutefois à travers elles, et qui n’abandonne jamais l’espérance, jusqu’au seuil du dernier souffle.</p> <h3>Choisis la vie</h3> <p>«Choisis la vie» ( לבחור בחיים [bah'ayyiym]), propose la Parole au verset 19. L’impératif est utilisé sans pour autant prononcer un impératif, un ordre. Il est justement question d’un choix à poser activement et personnellement. Que chacun, dans son existence, au quotidien, là où il en est, choisisse librement la vie. Vouloir imposer la vie à autrui c’est en fait lui imposer la mort par la servitude. Il n’y a pas de <i>choix </i>sans <i>liberté</i>, et pas de <i>liberté</i> sans <i>individualité</i>. Personne d’autre que moi ne peut choisir la vie à ma place.</p> <p>Mais le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob sait mieux que l’homme lui-même ce qui est bon pour lui, car il se trouve au plus intime de lui-même, il est cette flamme sacrée qui constitue son individualité. Alors il indique à l’homme la voie à suivre pour choisir la vie et le bonheur et renoncer à la mort et au malheur. Ecouter Dieu, c’est écouter au plus profond de sa <i>conscience</i>.</p> <p>Celui qui choisit la mort creuse sa propre tombe, sans besoin de châtiment divin. Mais à celui qui choisit la vie, ce Dieu promet une terre où l’homme trouve la vie en abondance et se multiplie. «Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu.» C’est la promesse d’une vie généreuse et remplie, c’est la promesse d’une vie féconde, où chaque homme, chaque femme est en mesure de créer ou procréer quelque chose ou quelqu’un qui demeure, en vivant à travers lui.</p> <p>A chacun sa Terre promise, à chacun sa fécondité, à chacun son choix. Alors, que l’aventure commence ou qu’elle continue pour être libre chaque jour de choisir ce qui me fait vivre en me rendant heureux, pour donner à mon tour la vie et pour trouver cette Terre où je m’établirai dans la paix.</p> <hr /> <h4><i><a href="https://www.aelf.org/bible/Dt/30" target="_blank" rel="noopener">Le texte biblique</a> «Choisir la vie» (Dt 30, 15-20), dans son intégralité:</i></h4> <h4><i>«Vois! 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Jamais, en effet, un pape n’avait rédigé un tel éloge de la littérature et de la poésie.</p> <p>François prend le contre-pied du Saint-Siège d’autrefois qui censurait par son <i>Index librorum prohibitorum</i> des œuvres de littérature à tour de bras, prohibant la lecture d’un certain Stendhal, d’un Balzac ou d’un Zola, et j’en passe. Au-delà de l’encouragement à lire et de l’appel aux prêtres à entrer en communion avec les poètes, le pape compose, à mon sens, les plus belles pages qu’on ait pu lire depuis longtemps sur ce qu’est la littérature et qui est le lecteur. Je lance donc un appel solennel à toutes les facultés de Lettres pour faire lire ce texte à leurs étudiants, ainsi qu’à tous ceux qui n’ont pas eu besoin de passer par l’université pour aimer les lettres. Un texte dont on ne sort pas indemne si l’on aime un tant soit peu la littérature, assurément! Il réveille en tout lecteur un élan d’espérance, pour affronter sa vie en se cultivant et en lisant.</p> <h3>Ce qu'est la littérature</h3> <p>La littérature peut être un divertissement, certes. Le pape est plutôt critique face à ce point de vue. D’autant plus qu’elle est souvent réduite à cela par des hommes d’Eglise, qui au mieux y voient un passe-temps plus édifiant que les écrans, au pire une distraction néfaste qui éloigne les fidèles du réel. Au contraire, la lettre insiste sur le lien entre littérature et réel. Toute fictive qu’elle puisse être, la littérature plonge le lecteur au cœur du réel, au cœur de l’homme, de ce qu’il vit. </p> <p>Lire, c’est un acte. Le lecteur est donc acteur. Contrairement à une activité plus passive qui verrait l’auditeur ou le spectateur se laisser porter par une histoire – et que c’est bon de se laisser guider par un bon film sur un fauteuil rouge! –, la lecture requiert un effort plus ou moins ardu. Quand le lecteur plonge dans une histoire, c’est sa propre imagination qui est à l’œuvre. La littérature devient ainsi une porte ouverte sur l’infini mais aussi sur soi. Lire, c’est laisser «fleurir la richesse de sa propre personne». La littérature devient pour le lecteur un «renouvellement et un élargissement de son univers personnel». </p> <p>La littérature, c’est enfin une discipline vivante et féconde. Elle s’actualise sans cesse et agit concrètement sur le lecteur. Le lecteur lit cependant que l’œuvre lit en lui. Elle vient révéler au lecteur qui il est, à travers l’humanité d’un tiers qui est contée dans le roman. La littérature sème donc quelque chose. </p> <p>Ainsi, d’un point de vue spirituel, elle sème les graines d’amitié pour vivre une relation de proximité avec le Christ. Un Jésus-Christ fait de «chair», tout comme nous, et qui ainsi se fait proche de l’homme, tel qu’il est conté dans la littérature, à savoir les évangiles. «Cette chair faite de passions, d’émotions, de sentiments, de récits concrets, de mains qui touchent et guérissent, de regards qui libèrent et encouragent, d’hospitalité, de pardon, d’indignation, de courage, d’intrépidité: en un mot, d’amour.» Fréquenter la littérature, c’est fréquenter la chair, en l’occurrence ici celle du Christ lui-même.</p> <h3>Ce que développe le lecteur</h3> <p>Par la littérature, le lecteur développe l’intelligence du cœur. Une intelligence qui va donc au-delà de la compilation froide de connaissances et du simple ressenti qui place l’émotivité en reine. Voir son émotion comme celle d’autrui tout en élevant son regard sur celle-ci par sa culture et ses connaissances; c’est l’aptitude du cœur intelligent. Ainsi, le pape invite à combattre l’incapacité émotionnelle à grands coups de littérature.</p> <p>Le lecteur se laisse toucher au cœur par la littérature et apprend par là à toucher au cœur à son tour. Compétence fondamentale pour ceux qui se veulent porteurs d’une Bonne Nouvelle, mais aussi évidemment pour tout artiste, professeur ou journaliste. En somme pour tous ceux qui ont un trésor à transmettre à travers les mots.</p> <p>Le lecteur devient encore éclaireur en fréquentant assidûment sa bien-aimée littérature. Il parvient à mettre en lumière qui il est et ce qu’il perçoit d’autrui. Il apprend à poser le regard sur sa propre histoire, à travers tant d’histoires, à faire la lumière sur une part de ses mystères, à reconnaître ses forces, les moteurs qui l’ont poussé, à reconnaître ses faiblesses. Le lecteur découvre et bâtit en même temps le sens de sa vie. Il apprend à se connaître. N’est-ce pas là tout l’objectif d’une autre discipline fondamentale que l’on appelle philosophie?</p> <p>Poser le regard, oui, mais aussi écouter. François citant Borges, qu’il connaissait personnellement, rappelle que ce dernier encourageait ses étudiants en leur disant que même s’ils ne comprenaient rien à ce qu’ils lisaient, au moins ils entendraient la voix de quelqu’un. «Ecouter la voix de quelqu’un»: un apprentissage à l’écoute de soi, des autres, contre l’auto-isolement néfaste à toute relation, inclue à celle que le chrétien cherche à nouer avec son Dieu.</p> <p>La littérature est aussi pour le lecteur une école de discernement. En sachant relire sa propre histoire, ce dernier apprend à connaître d’où il vient. C’est en sachant d’où il vient, qu’il peut choisir où il veut aller. Un grand classique peut-il aider davantage que des statistiques ou d’autres projections et calculs d’intérêts à se diriger à des moments décisifs de la vie? Je le crois.</p> <p>Tout grand choix se fait seul, malgré l’écoute de ses proches. Personne ne peut vivre ma propre vie à ma place, et donc en prendre les grandes résolutions. Le lecteur développe, pour cet aspect, une aptitude à l’autonomie. Il apprend à cultiver ses joies à l’aide des victoires de héros littéraires mais aussi à traverser la désolation avec les auteurs tragiques. S’il est bon de voir un ami lorsqu’on est triste, comme nous le rappelions dans un récent article <a href="https://bonpourlatete.com/analyse/la-tristesse-et-ses-remedes" target="_blank" rel="noopener">sur la tristesse</a>, il est nécessaire aussi de savoir faire face à ses drames sans compter sans cesse sur le secours d’autrui, si ce n’est de Dieu qui invite à trouver Ses ressources en soi. Pour cela, rien de tel que de pleurer avec la tragédie et rire avec la comédie. Le vrai lecteur, en fait, ne connaît jamais la solitude. </p> <p>Le lecteur sait affronter son propre drame, mais apprend aussi à s’émouvoir de celui d’autrui. Compétence fondamentale qui est développée par la littérature: voir à travers les yeux d’autrui. Sans savoir se mettre à la place de l’autre, il n’y a pas d’empathie. Voilà un sentiment à cultiver avant tous les autres dans les relations sociales, sans quoi il n’y a jamais de réelle ouverture à l’autre, et on en devient narcissique et isolé. Le pape revient à plusieurs reprises dans son texte sur cette aptitude, tant elle est centrale. Un chrétien sans empathie est au mieux un naïf qui croit à des fables dans un vieux livre. Si elle n’est pas accueillie dans sa propre existence, méditée profondément et vécue, la Parole de Dieu est vaine.</p> <p>François évoque enfin le pouvoir spirituel du lecteur. «Le pouvoir spirituel de la littérature rappelle en définitive la tâche première confiée par Dieu à l’homme: celle de “nommer” les êtres et les choses. La mission de gardien de la création, assignée par Dieu à Adam, passe avant tout par la reconnaissance de sa propre réalité et du sens de l’existence des autres êtres.» Nulle façon de l’exprimer de manière plus brillante… Le lecteur est ainsi investi d’une mission divine, celle de nommer les choses, et donc de créer à son tour. </p> <p>Le pape a lancé un appel à lire et à s’ouvrir au monde. Tout athée qu’on puisse être, qu’y a-t-il à perdre à se laisser transcender par cette parole, répondre à l’appel, choisir un livre, s’y plonger et apprendre à se connaître? Bonne lecture!</p> <hr /> <h4><a href="https://www.vatican.va/content/francesco/fr/letters/2024/documents/20240717-lettera-ruolo-letteratura-formazione.html" target="_blank" rel="noopener">La lettre du pape</a> à lire dans son intégralité</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'eloge-de-la-litterature-par-le-pape', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 351, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 6269, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth 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