Actuel / La Francophonie est-elle fréquentable?
Lors du XIXème Sommet de la Francophonie à Villers-Cotterêts, Emmanuel Macron et son épouse accueillent Louise Mushikawabo, Secrétaire générale de l'OIF, et Alain Berset, Secrétaire général du Conseil de l'Europe. © Alex THARREAU/OIF
Les chefs d’Etat des pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) sont pour la plupart des autocrates qui mènent la vie dure à leurs compatriotes. La marge de manœuvre de l’organisation, dont la Suisse figure au 3ème rang des contributeurs, demeure politiquement étroite, mais riche sur le plan culturel.
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Autres généraux putschistes non sanctionnés par Paris ayant participé au Sommet de la Francophonie: le général gabonais Oligui Neguema, ainsi que le Tchadien Mahamat Idriss Déby, lequel a récemment légalisé son coup d’Etat par des élections très contestées. Les trois dirigeants se voient en quelque sorte «récompensés» d’adopter une attitude moins virulente à l’égard de la France que leurs collègues putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger, lesquels, eux, en totale rupture avec Paris, n’ont pas été invités. Renforçant ainsi un sentiment de «deux poids deux mesures» et de sanctions «à géométrie variable». </p> <h3>La langue française victime des tensions avec Paris</h3> <p>Par les temps qui courent, où la France perd de son influence sur le continent africain, l’OIF semble se montrer plus conciliante à l’égard de régimes qui, bien qu’autoritaires, renoncent à une confrontation dure voire une rupture complète avec la France. 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Après avoir fait amende honorable auprès des «amis» de la France, le président français a même appelé personnellement le président congolais Denis Sassou N’Guesso, 80 ans, 36 ans de pouvoir, pour le presser à prendre part au Sommet de la Francophonie, sans que celui-ci ne daigne y participer. Pas plus que le président camerounais Paul Biya, 90 ans, 41 ans de pouvoir, pourtant annoncé, lequel vient de rentrer dans son pays après 50 jours d’absence, dont un séjour prolongé à Genève où il a ses habitudes à l’Intercontinental – et des rumeurs persistantes sur son état de santé.</p> <h3>Et la Suisse?</h3> <p>Et la Suisse dans tout ça? Notre pays joue sa partition, bien que le français y soit minoritaire, et se hisse même, avec quelque 4 millions d’euros, au 3ème rang des contributeurs. Au sein de cette enceinte, la Suisse est également appréciée pour son engagement en matière de coopération francophone, via la DDC. 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Cela amène sans conteste de l’eau au moulin des autocrates et autres présidents à vie qui s’attaquent sans répit à «l’arrogance occidentale» et à sa volonté d’imposer un système démocratique et des valeurs qui ne seraient, selon eux, qu’un moyen déguisé de servir leurs propres intérêts.</p> <p>A force d’entendre Washington, Paris, Londres ou Berlin menacer, condamner, déplorer les aléas de leurs vies politiques – sans que jamais l’inverse ne soit envisageable – s’est répandu dans les pays du Sud un sentiment de rejet de l’Occident et de ses grands principes démocratiques, à géométrie variable. On ne dira jamais assez à quel point l’invasion de l’Irak, l’assassinat de Kadhafi, entre autres, ont laissé de traces dans l’inconscient collectif. Au nom de la démocratie, les pays occidentaux ont mis à mort les dirigeants de l’Irak et de la Libye, condamnant ces deux pays à un chaos dont ils ne sont toujours pas remis. Pourtant, durant des décennies, des dictateurs ont mené la vie dure à leurs compatriotes, sans que ni les USA, ni les pays européens ne songent à les déloger. «C’est un salaud, mais c’est notre salaud»: la formule qui eut son heure de gloire durant la Guerre froide conserve toute son actualité. Durant cette période en effet, les pays occidentaux soutinrent sans vergogne des autocrates sanguinaires, dont le seul mérite était de leur rester fidèles, sans céder aux sirènes de Moscou.</p> <h3>Deux poids, deux mesures</h3> <p>Depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie, c’est une sorte de retour vers le passé. Les pays du Sud sont sommés de choisir leur camp. S’ils refusent de condamner la Russie, favorisent ses intérêts au détriment de ceux des pays occidentaux, ils sont vite considérés comme «ennemis». Si les relations devaient encore se durcir entre les Etats-Unis et la Chine, les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine auraient également à choisir leur camp. Ce n’est donc pas le «bilan démocratique» qui primerait pour savoir si un pays est fréquentable, mais bien plutôt des considérations géopolitiques. C’est ainsi qu’en Côte d’Ivoire, pays fidèle à l’Occident dans un environnement régional qui lui est de plus en plus hostile, son Président n’a guère de souci à se faire s’il souhaite briguer un 4ème mandat en 2025 - même si cela serait contraire à la Constitution. Il y a fort à parier que, dans le contexte actuel, ni la France, ni l’Union européenne, ni les Etats-Unis ne lui en tiendraient rigueur.</p> <p>Le sentiment du «deux poids deux mesures» ressenti par de nombreux pays s’est encore renforcé depuis l’invasion de l’Ukraine et la riposte totalement disproportionnée d’Israël dans la bande de Gaza. Pourquoi un traitement aussi différencié de la part de la «communauté internationale» à l’égard de la Russie et à l’égard d’Israël, qui piétine le droit international en toute impunité? Ce ressenti est en tout cas largement exploité par la Russie et la Chine pour convaincre les pays du Sud de les rejoindre dans leur croisade contre l’hégémonie occidentale. Et d’adhérer aux BRICS, ce regroupement politico-économique de pays dits émergents, qui ambitionne de faire contre-poids à la suprématie de l’Occident. Avec succès: aux membres historiques que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud – dont la première lettre forme l’acronyme BRICS – sont venus s'ajouter en 2024 l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Ethiopie, l’Iran; le Pakistan devrait les rejoindre en 2025.</p> <h3>Un discours anti-occidental pour éviter les élections</h3> <p>Les pays qui composent les BRICS sont tous, peu ou prou, autoritaires, prompts à discréditer les systèmes démocratiques. C’est également le cas du Mali, du Burkina Faso et du Niger, où des militaires putschistes semblent peu pressés de rendre le pouvoir aux civils et d’organiser des élections, comme les en presse la «communauté internationale». Pour s’en débarrasser et bien marquer leur volonté de rupture totale, ces trois pays se sont regroupés au sein d’une Alliance des Etats du Sahel (AES) et se sont rapprochés de la Russie, de l’Iran, de la Corée du Nord – en gros, des pays mis au ban par les Etats-Unis et l’Union européenne. </p> <p>L’exemple du Niger est particulièrement éclairant. Lorsque les putschistes ont renversé le président Mohamed Bazoum, démocratiquement élu, dont ils supportaient mal les velléités d’améliorer la gouvernance et de lutter contre la corruption, ils ont repris à leur compte un discours anticolonialiste et anti-occidental pour expliquer leur geste, et séduire leurs concitoyens. Le Mali et le Burkina Faso les ont précédés sur la même voie. 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Pourtant, pour ne pas laisser le champ libre à des autocrates, qui font fi des libertés individuelles de leurs concitoyens, une voix crédible, forte, est plus que jamais nécessaire au niveau international. Les pays européens ne doivent en effet pas abandonner les hommes et les femmes qui résistent en Russie, en Afghanistan, en Iran, en Chine, en Guinée, en Erythrée, en Biélorussie, en Birmanie, ainsi que dans de nombreux autres pays où les droits les plus élémentaires sont bafoués. 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A Gaza, dans la nuit de lundi à mardi, un bombardement de l’armée israélienne sur une zone humanitaire a fait une quarantaine de morts et une soixantaine de blessés, venus s’ajouter aux plus de 40’000 morts recensés depuis le début de la riposte d’Israël aux massacres de 1’200 personnes perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023. Depuis bientôt une année, les Palestiniens de l’enclave de Gaza vivent un véritable enfer, que rien ni personne ne semble en mesure de pouvoir arrêter. </p> <p>A quelque 3’700 km de là, dans la province du Nord-Kivu, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), une nouvelle attaque du M23 semait son lot de désolation au sein de populations exténuées par des années de combats d’une cruauté qui dépasse l’entendement, malgré une nouvelle tentative de cessez-le-feu signée le 4 août dernier à Luanda. Même si Kigali, par la voix de son président à vie Paul Kagame, nie toute implication de son pays dans les massacres qui ensanglantent la province du Kivu, les rapports du Groupe d’experts des Nations Unies sont accablants: l’armée rwandaise fournit des renforts aux troupes du M23, cette milice locale à laquelle elle fournit armements et munitions.</p> <h3>Pourquoi une telle impuissance de la communauté internationale?</h3> <p>Quel est le lien et le point commun entre ces deux régions, hormis les atrocités commises à l’encontre des populations civiles? L’impuissance de la «communauté internationale» à y mettre un terme est l’un d’eux. Les demandes pour un cessez-le-feu adressées à Israël pleuvent de partout, assorties de mobilisations monstres aux quatre coins de la planète, rien n’y fait, pas plus que celle de mandats d’arrêt par la Cour Pénale Internationale contre Benjamin Netanyahu et les dirigeants du Hamas pour crimes de guerre. Tel-Aviv continue à pilonner des hommes, des femmes et des enfants en toute impunité. Quant au Rwanda, malgré la preuve irréfutable qu’il joue un rôle déterminant dans la persistance des horreurs perpétrées dans les provinces du Kivu, son président Paul Kagame continue de figurer parmi les «chouchous» de la communauté internationale, qui admire sa capacité à avoir su rebondir après le génocide d’un million de Tutsis il y a tout juste 30 ans.</p> <p>C’est que les pays européens et nord-américains, entre autres, continuent à être rongés par un fort sentiment de culpabilité de n’avoir pas su, pu ou voulu faire cesser le drame absolu du massacre de plus d’un million de Tutsis en avril 1994, au vu et au su du monde entier. Aujourd’hui, on sait que cette horreur aurait pu être stoppée, mais qu’elle ne le fut point par manque de volonté politique. Est-ce ce qui explique la mansuétude, le laisser-faire dont bénéficie le régime de Paul Kagame, lequel ne manque d’ailleurs pas de surfer sur ce sentiment? Le 7 avril dernier, lors des cérémonies de commémoration du génocide des Tutsis au Rwanda, le président Kagame avait à nouveau reproché à la communauté internationale de les avoir «laissé tomber» pendant cette période.</p> <p>Peut-on oser un rapprochement avec le sentiment de culpabilité face à la Shoah qui continue à étreindre la communauté internationale? Laquelle lors de la Seconde Guerre Mondiale n’a pas su, pu, voulu mettre fin à l’extermination de millions de Juifs menée par le régime nazi d’Adolf Hitler? La guerre menée par Israël dans la bande de Gaza n’a en tout cas pas entamé l’alignement sur Israël des pays occidentaux, parmi lesquels l’Allemagne, un pays qui freine toute critique du régime Netanyahu et toute action de solidarité avec les Palestiniens. C’est que le sentiment de culpabilité de l’Allemagne pour les horreurs de la Shoah pousse depuis des décennies Berlin à se ranger derrière l’Etat hébreu. Un positionnement que l’on retrouve peu ou prou dans la plupart des pays européens. Sans compter les Etats-Unis qui, eux, continuent à alimenter Israël en armements, malgré les milliers de morts de Gaza. Washington n’a d’ailleurs pas non plus renoncé à son appui au régime de Paul Kagame, se sentant toujours coupable de n’avoir rien fait pour arrêter le massacre des Tutsis.</p> <h3>Culpabilité et <em>business as usual</em></h3> <p>Kigali a pourtant mis en coupe réglée l’Est de la République démocratique du Congo, les deux provinces du Kivu où se trouvent une bonne partie des réserves mondiales de coltan, ce minerai essentiel à la fabrication de nos iPhones. Après avoir disparu, vaincu par l’armée congolaise, le M23, soutenu par le Rwanda, a repris du service, et terrorise les populations civiles, au prix d’atroces souffrances. Aléas de la sémantique, ses hommes, qui mériteraient amplement le qualificatif de «terroristes», sont simplement désignés comme des «rebelles». La présence de groupes armés et la corruption généralisée favorisent une contrebande alimentée par les multinationales, peu regardantes sur l’origine du coltan qu’elles achètent. Un négoce illicite qui transite par le Rwanda, devenu premier producteur au monde de coltan... alors qu’il n’en possède aucune mine.</p> <p>Au-delà de la culpabilité, de la complaisance, c’est donc bien le <i>business as usual</i> qui, <em>in fine</em>, donne le ton. A Gaza et en Cisjordanie, l’accaparement des terres «libérées» est en ligne de mire. Dans les provinces du Kivu, c’est la mainmise sur des minerais précieux, objets de toutes les convoitises. 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Mais qui, sur ce point, a fait part de son désaccord, avant de se faire huer par un auditoire d’étudiants surchauffés, lorsqu’il a émis l’hypothèse qu’un jour, le mariage entre personnes du même sexe pourrait être légalisé au Sénégal, comme c’est le cas en France. Le Premier ministre Ousmane Sonko a en tout cas déploré que «la question du genre ou la défense des minorités sexuelles devienne y compris une condition pour décrocher des financements avec des institutions internationales».</p> <h3>«L’Occident ne viendra pas gouverner l’Ouganda»</h3> <p>Le sujet est extrêmement sensible. Le bras de fer avec les Occidentaux sur cette question est relayé par des institutions financières telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), qui pèsent de tout leur poids pour contraindre des pays à renoncer à criminaliser l’homosexualité. Allant jusqu’à suspendre leurs financements. Au Ghana, la loi votée par le Parlement en février dernier, qui prévoit des peines sévères à l’encontre de personnes appartenant à la communauté LGBTQ, n’a pas encore été ratifiée par le président Nana Akufo Ado. Si celle-ci venait à être promulguée, le président ghanéen redoute une réaction de la Banque mondiale similaire à ce qui s’est déjà passé en Ouganda. L’institution financière internationale a en effet déjà suspendu à deux reprises l’octroi de nouveaux crédits à ce pays d’Afrique centrale, après l’adoption de lois particulièrement répressives à l’égard des homosexuels.</p> <p>«L’Occident ne viendra pas gouverner l’Ouganda», avait proclamé la présidente du Parlement ougandais, face aux critiques des pays européens et des Etats-Unis, qui avaient brandi la menace de sanctions économiques. Après avoir fait machine arrière dans un premier temps, le président ougandais Yoweri Museveni avait finalement approuvé la nouvelle loi, baptisée «loi anti-homosexualité 2023», considérée comme l’une des plus répressives au monde, se forgeant au passage la stature d’un dirigeant qui tient tête à l’Occident. En refusant de céder aux pressions, il avait ainsi renoncé délibérément à l’aide financière de la Banque mondiale. Ce que le Ghana, pour l’heure, ne peut pas se permettre, n’ayant toujours pas résolu une très grave crise financière assortie d’un endettement record. Plusieurs partenaires européens, dont l’Allemagne, ont déjà fait part de leur désapprobation et des conséquences que l’adoption définitive de cette «loi anti-gay» pourrait avoir sur leurs relations avec Accra. </p> <h3>Le Vatican provoque un tollé</h3> <p>La marge de manœuvre de la Banque mondiale et du FMI demeure cependant hasardeuse. Le risque de voir le Ghana, comme d’autres pays, se tourner vers la Chine ou des pays arabes pour obtenir les prêts dont ils ont besoin est bien réel. Cela leur permet d’échapper ainsi aux conditionnalités des bailleurs de fonds occidentaux, qu’ils estiment en l’occurrence contraires à leurs propres valeurs. En décembre dernier, la publication d’un texte du Vatican autorisant la bénédiction des couples de même sexe avait d’ailleurs provoqué un véritable tollé et une vague de rébellion au sein des églises africaines. Au Togo, la Conférence des évêques avait carrément appelé à «s’abstenir» de la bénédiction des couples de même sexe.</p> <p>Des réactions qui s’expliquent par le fait que l’homosexualité est encore assimilée à une «déviance» dans de nombreux pays du continent africain, où 31 pays sur 54 criminalisent les relations sexuelles entre personnes du même sexe. Seule l’Afrique du Sud autorise le mariage homosexuel qu’elle a légalisé en 2006. Dernier pays en date à avoir dépénalisé l’homosexualité: le Botswana en novembre 2021; avant lui, le Gabon et l’Angola avaient assoupli leur législation vis-à-vis des droits des personnes LGBTQ. 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Pourquoi si longtemps ?</strong></p> <p>Patrick de Saint-Exupéry: Depuis trente ans, le débat en France autour de la responsabilité de Paris dans le génocide des Tutsis est extrêmement âpre. En une génération, des avancées ont été faites, mais l’engagement de Paris - de l’Élysée de François Mitterrand lancé au Rwanda dans une politique folle et incontrôlée - a été tenu secret et reste encore aujourd’hui en dépit des faits établis depuis près de trente ans une grenade dégoupillée. La question n’est pas de savoir si cette grenade va exploser, mais quand ?</p> <p><strong>La France devrait-elle aller encore plus loin, si oui, comment ?</strong></p> <p>C’est affaire de courage. On peut se tromper, on a le droit de se tromper, nul n’est infaillible. Mais les hommes qui ont été au cœur de la prise de décision à l’Élysée vont-ils avoir le courage d’admettre qu’ils aient pu se tromper ? Ou bien faudra-t-il attendre leur disparition ?</p> <p><strong>En quoi <a href="https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/279186_1.pdf" target="_blank" rel="noopener">le rapport</a> de la Commission d’historiens dirigée par Vincent Duclert, rendu public le 21 mars 2021, marque-t-il un tournant ? </strong></p> <p>En parlant de « responsabilités lourdes et accablantes », cette commission d’historiens réunie à l’initiative de l’Élysée a légitimé et officialisé ce qui était su de longue date. Mais il reste encore du chemin… </p> <p><strong>Vous avez été un des premiers à évoquer la part de responsabilités des dirigeants français de l’époque, et au premier chef du président François Mitterrand, ce qui a vous a valu de nombreuses attaques, des procès. </strong></p> <p>Les responsabilités sont à ce point « lourdes et accablantes » que de nombreux acteurs du dossier se sont – consciemment ou inconsciemment – réfugiés dans le déni. « Les responsables politiques et militaires qui nous ont poussés, et continuent de nous inciter à défendre ce que fut leur politique, nous sont plus odieux que ne sont injustes ceux qui nous accusent de complicité de génocide » : ce propos a été tenu par le colonel Patrice Sartre, qui fut un des responsables sur le terrain des troupes françaises déployées au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise.</p> <p><strong>Y compris, récemment, de la part d’Hubert Védrine, pour quel motif ?</strong></p> <p>Je reproche à Hubert Védrine de s’employer à banaliser le génocide des Tutsis du Rwanda. L’ancien secrétaire-général de l’Élysée n’est pas d’accord, il a porté plainte. </p> <p><strong>Comment expliquer le soutien inconditionnel de la France à un régime préparant ouvertement un génocide, avant, pendant, et après ?</strong></p> <p>C’est bien le nœud. À entendre Hubert Védrine, il s’agissait de préserver <em>« le pré carré »</em> de la France en Afrique. Au prix d’un million de morts en cent jours ?</p> <p><strong>Comment expliquer la faillite des Nations Unies, celle de l’Union africaine, et plus généralement de la « communauté internationale », accusée le 7 avril par le président rwandais Paul Kagame de « nous avoir tous laissé tomber » ? </strong></p> <p>Paris, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, s’est employé à défendre les intérêts de ses alliés rwandais, ceux-là mêmes qui commettaient le génocide. Ajoutez à cela les timidités belges, l’ancien colonisateur, et américaines, les États-Unis venaient d’essuyer un revers majeur en Somalie, et vous avez l’explication de ce lâchage. De rares pays, dont la Nouvelle-Zélande, ont eu une attitude courageuse à l’ONU, mais ils n’ont pas été écoutés. </p> <p><strong>Le génocide au Rwanda fait l’objet de thèses révisionnistes, que vous dénoncez. Lesquelles précisément ?</strong></p> <p>La plus publicisée est la théorie du « double génocide » - celui réel des Tutsis par les Hutus et celui supposé des Hutus par les Tutsis - introduite en France par le président François Mitterrand qui, dès novembre 1994, lors du sommet France-Afrique de Biarritz, la posait en toute solennité. Cette théorie a depuis muté et prospéré. Ne trouvant pas de champ d’application au Rwanda, des voix tentent de la transposer artificiellement au Congo.</p> <p><strong>Vous racontez dans votre </strong><strong>dernier livre <em>La Traversée</em> votre</strong><strong> périple de Kigali à Kinshasa. Que vous a-t-il appris ?</strong></p> <p>Que des massacres – et il y en a eu au Congo dans les années 1995-1996 – ne font pas un génocide. On peut bien sûr raconter ces massacres avec le vocabulaire de l’extermination – comme on raconterait Waterloo – mais ce serait alors une tromperie intellectuelle.</p> <p><strong>Des extrémistes hutus songent-ils toujours/encore à renverser le régime en place ? </strong></p> <p>Une fois mise en œuvre, la logique du génocide n’a pas de fin, jamais. Au Tribunal international sur le Rwanda, j’ai entendu des accusés de crime de génocide menacer ouvertement ceux qui osaient témoigner : « Toi, tu n’as donc pas peur ? Tu sais pourtant que nous finirons le travail. 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Mais, plus important encore, est l’usage du terme « volonté ». Comme les États-Unis, la Belgique, la Suisse, l’Afrique et le reste du monde, la France n’a pas eu la « volonté » d’arrêter ce génocide alors que cela était possible. Dans les jours suivant le début de l’extermination, des troupes françaises ont été déployées au Rwanda pour évacuer les ressortissants étrangers, mais avec interdiction absolue d’intervenir. Il était même précisé dans la directive n°008/DEF/EMA du 10 avril 1994 qu’il fallait éviter que les médias soient témoins du tri sélectif opéré. Les premiers évacués par Paris ont ainsi été la veuve du président rwandais, Agathe Kanziga, soupçonnée d’être au cœur du génocide, et son entourage dont bon nombre d’extrémistes.</p> <p><strong>Peut-on dire que 30 ans après, la question des responsabilités dans le génocide rwandais demeure une question (ultra)sensible en France ?</strong></p> <p>En un sens, votre question témoigne de cette ultra-sensibilité. 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Il est essentiel de désigner, de dire précisément ce qui a été, ce que fut la dernière solution finale du XXe siècle mise en œuvre au Rwanda.</p> <p><strong>Propos recueillis par Catherine Morand</strong><strong></strong></p> <hr /> <p><em>(*) “L’inavouable : la France au Rwanda”, 2004, Les Arènes; réédité en 2009 dans une édition revue et augmentée, sous le titre : “Complices de l’inavouable : la France au Rwanda”, Les Arènes</em></p> <p><em>“La Fantaisie des Dieux”, BD, dessins de Hippolyte, 2014, rééditée en 2024, Les Arènes</em></p> <p><em>“La Traversée, une odyssée au coeur de l’Afrique”, 2021, Les Arènes</em></p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'genocide-des-tutsis-au-rwanda-il-y-a-30-ans-l-engagement-de-paris-reste-une-grenade-degoupillee', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 154, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 12682, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 11645, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'DSC04627.jpg', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 1728101, 'md5' => '779abb30b640e839c655888738a72841', 'width' => (int) 1920, 'height' => (int) 1280, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Lors du XIXème Sommet de la Francophonie à Villers-Cotterêts, Emmanuel Macron et son épouse accueillent Louise Mushikawabo, Secrétaire générale de l'OIF, et Alain Berset, Secrétaire général du Conseil de l'Europe. © Alex THARREAU/OIF', 'author' => '', 'copyright' => '', 'path' => '1729764161_dsc04627.jpg', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 7626, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Et la France, avec ses rafales de 49.3 et le refus de son président d’admettre des modifications de loi votées par son parlement, ne fait pas très bonne figure non plus.', 'post_id' => (int) 5211, 'user_id' => (int) 14703, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' } ] $author = 'Catherine Morand' $description = 'Les chefs d’Etat des pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) sont pour la plupart des autocrates qui mènent la vie dure à leurs compatriotes. 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Les Suisses romands, francophones dans un pays où ils sont minoriaires, sont attachés à ce qu’il convient d’appeler la Francophonie, qui unit les hommes et les femmes, les pays, où l’on parle le français. Lors du XIXème Sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Paris et Villers-Cotterêts au début de ce mois d’octobre, la richesse de cette langue, parlée sur cinq continents, a été mise en valeur dans le cadre d’un Festival de la Francophonie intitulé «Refaire le Monde». La Gaîté Lyrique à Paris a ainsi abrité des événements culturels, littéraires, auxquels des artistes, des auteurs et des autrices issus de pays francophones ont pu valoriser et partager leurs imaginaires.
Mais à côté de ces richesses culturelles partagées, le profil des chefs d’Etat qui la composent est moins séduisant. A y regarder de plus près, le tableau est même sinistre: la plupart des chefs d’Etat d’Afrique francophone – où se trouvent 85% des locuteurs de français – sont en effet des présidents à vie ou issus de coups d’Etat militaires ou constitutionnels après avoir «tripatouillé» la Constitution pour permettre un nombre indéfini de mandats présidentiels. Et tous, peu ou prou, mènent la vie dure à leurs concitoyens et concitoyennes qui osent émettre des critiques à leur égard, ainsi qu’aux journalistes et aux médias indociles.
La Francophonie au service des intérêts français?
L’autre face sombre de l’OIF, qui organise chaque deux ans de tels Sommets, est son étroite imbrication avec les intérêts économiques et politiques de la France, qui y contribue à hauteur de 28 millions sur un budget global de 67 millions d’euros. Ce mélange des genres est à l’origine des nombreuses critiques dont l’Organisation fait régulièrement l’objet; accusée d’être le bras diplomatique de la France, y compris lors de la nomination de la Secrétaire générale, la Rwandaise Louise Mushikiwabo, imposée par Emmanuel Macron, dans le souci d’améliorer des relations très tendues avec le Rwanda et son président Paul Kagame.
Pour une organisation qui prône des «valeurs partagées» de démocratie, respect des droits humains et bonne gouvernance, comment expliquer par ailleurs que peu avant le Sommet, la Guinée ait été réintégrée au sein de l’OIF, trois ans après sa suspension dans la foulée du coup d’Etat du général Mamadi Doumbouya – lequel n’entend aucunement rendre le pouvoir aux civils et fait régner un régime de terreur. Autres généraux putschistes non sanctionnés par Paris ayant participé au Sommet de la Francophonie: le général gabonais Oligui Neguema, ainsi que le Tchadien Mahamat Idriss Déby, lequel a récemment légalisé son coup d’Etat par des élections très contestées. Les trois dirigeants se voient en quelque sorte «récompensés» d’adopter une attitude moins virulente à l’égard de la France que leurs collègues putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger, lesquels, eux, en totale rupture avec Paris, n’ont pas été invités. Renforçant ainsi un sentiment de «deux poids deux mesures» et de sanctions «à géométrie variable».
La langue française victime des tensions avec Paris
Par les temps qui courent, où la France perd de son influence sur le continent africain, l’OIF semble se montrer plus conciliante à l’égard de régimes qui, bien qu’autoritaires, renoncent à une confrontation dure voire une rupture complète avec la France. La Secrétaire générale de la Francophonie Louise Mushikiwabo regrette cependant que les tensions avec la France se répercutent sur l’usage de la langue française. Car dans plusieurs pays en délicatesse avec l’ex-métropole, le français a perdu son statut de langue officielle enseignée dans les écoles. C’était déjà le cas, entre autres, en Algérie et au Rwanda; le Niger, le Burkina Faso et le Mali semblent désormais vouloir leur emboîter le pas.
Une lutte d’influence qui rappelle le temps de la guerre froide, où les pays africains faisaient monter les enchères auprès des pays occidentaux, en brandissant la menace d’un ralliement à Moscou. Un rapport de force manipulé par les «vieux crocodiles» de la Françafrique qu’Emmanuel Macron, lors de son premier mandat, avait tenté de convaincre, sans succès, de quitter leur palais. Après avoir fait amende honorable auprès des «amis» de la France, le président français a même appelé personnellement le président congolais Denis Sassou N’Guesso, 80 ans, 36 ans de pouvoir, pour le presser à prendre part au Sommet de la Francophonie, sans que celui-ci ne daigne y participer. Pas plus que le président camerounais Paul Biya, 90 ans, 41 ans de pouvoir, pourtant annoncé, lequel vient de rentrer dans son pays après 50 jours d’absence, dont un séjour prolongé à Genève où il a ses habitudes à l’Intercontinental – et des rumeurs persistantes sur son état de santé.
Et la Suisse?
Et la Suisse dans tout ça? Notre pays joue sa partition, bien que le français y soit minoritaire, et se hisse même, avec quelque 4 millions d’euros, au 3ème rang des contributeurs. Au sein de cette enceinte, la Suisse est également appréciée pour son engagement en matière de coopération francophone, via la DDC. Mais de telles rencontres sont également l’occasion pour notre pays de parler business. La présidente de la Confédération Viola Amherd, présente à ce Sommet de la Francophonie, en a profité pour multiplier les rencontres avec des «pays amis», tels que le Ghana et la Côte d’Ivoire, poids lourds de la production cacaoyère mondiale; ou encore le Vietnam, afin de faire avancer les négociations sur un accord de libre-échange entre ce pays et l’AELE, dont la Suisse est l’un des membres fondateurs.
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Mais qui, sur ce point, a fait part de son désaccord, avant de se faire huer par un auditoire d’étudiants surchauffés, lorsqu’il a émis l’hypothèse qu’un jour, le mariage entre personnes du même sexe pourrait être légalisé au Sénégal, comme c’est le cas en France. Le Premier ministre Ousmane Sonko a en tout cas déploré que «la question du genre ou la défense des minorités sexuelles devienne y compris une condition pour décrocher des financements avec des institutions internationales».</p> <h3>«L’Occident ne viendra pas gouverner l’Ouganda»</h3> <p>Le sujet est extrêmement sensible. Le bras de fer avec les Occidentaux sur cette question est relayé par des institutions financières telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), qui pèsent de tout leur poids pour contraindre des pays à renoncer à criminaliser l’homosexualité. Allant jusqu’à suspendre leurs financements. Au Ghana, la loi votée par le Parlement en février dernier, qui prévoit des peines sévères à l’encontre de personnes appartenant à la communauté LGBTQ, n’a pas encore été ratifiée par le président Nana Akufo Ado. Si celle-ci venait à être promulguée, le président ghanéen redoute une réaction de la Banque mondiale similaire à ce qui s’est déjà passé en Ouganda. L’institution financière internationale a en effet déjà suspendu à deux reprises l’octroi de nouveaux crédits à ce pays d’Afrique centrale, après l’adoption de lois particulièrement répressives à l’égard des homosexuels.</p> <p>«L’Occident ne viendra pas gouverner l’Ouganda», avait proclamé la présidente du Parlement ougandais, face aux critiques des pays européens et des Etats-Unis, qui avaient brandi la menace de sanctions économiques. Après avoir fait machine arrière dans un premier temps, le président ougandais Yoweri Museveni avait finalement approuvé la nouvelle loi, baptisée «loi anti-homosexualité 2023», considérée comme l’une des plus répressives au monde, se forgeant au passage la stature d’un dirigeant qui tient tête à l’Occident. En refusant de céder aux pressions, il avait ainsi renoncé délibérément à l’aide financière de la Banque mondiale. Ce que le Ghana, pour l’heure, ne peut pas se permettre, n’ayant toujours pas résolu une très grave crise financière assortie d’un endettement record. Plusieurs partenaires européens, dont l’Allemagne, ont déjà fait part de leur désapprobation et des conséquences que l’adoption définitive de cette «loi anti-gay» pourrait avoir sur leurs relations avec Accra. </p> <h3>Le Vatican provoque un tollé</h3> <p>La marge de manœuvre de la Banque mondiale et du FMI demeure cependant hasardeuse. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@MV 27.10.2024 | 21h00
«Et la France, avec ses rafales de 49.3 et le refus de son président d’admettre des modifications de loi votées par son parlement, ne fait pas très bonne figure non plus.»