Actuel / «Pourquoi les chars russes n’envahiront pas la Suisse»
Un char russe T-90A détruit par l'armée ukrainienne est exposé, ainsi que d'autres équipements neutralisés durant l'invasion, dans le cadre de l'installation "Shield of Europe". Prague, juillet 2022. © Jan Helebrant
Tel est le titre du livre paru ces jours chez Favre. Son auteur est le conseiller national (PS) Pierre-Alain Fridez, médecin à Fontenay (Jura), membre de la commission de sécurité depuis 2011. Cet organe composé de représentants politiques, d’experts, de militaires, choisis pour s’aligner sur le dogme dominant. Il vient de la quitter, en opposition aux thèses de la conseillère fédérale Viola Amherd. L’ouvrage apporte un regard large, dûment documenté sur les menaces, réelles et non fantasmatiques, que doit affronter la Suisse.
Une figure politique peu commune. Le député se plonge dans les questions géostratégiques depuis des années. Il a participé à de nombreuses missions à l’étranger, en Russie, en Ukraine, en Turquie notamment, pour le Conseil de l’Europe et d’autres instances internationales. En 2022 il a publié (ed.Favre) un ouvrage qui reste d’actualité: Le choix du F-35. Erreur grossière ou scandale d’Etat, avec une préface de Micheline Calmy-Rey. Loin d’être antimilitariste, il s’inquiète néanmoins de la tournure que prend le débat sur la défense en Suisse.
Le conseiller national PS et auteur Pierre-Alain Fridez. © DR
Aucune surprise ce jeudi avec les déclarations d’une autre commission ad-hoc crée en 2023. Rengaine. Il faut dépenser plus pour l’armée, engager plus de soldats, acheter plus d’avions, de blindés, de matériels militaires. Et surtout, pour notre défense, se rapprocher le plus possible de l’OTAN, de l’UE, coopérer comme si nous en étions membres. Au gré d’une foule d’accords, certains tenus secrets. Abandon de fait de la neutralité.
«Proclamer sa neutralité ne suffit pas. Il faut que les autres la voient comme telle. Or une grande partie du monde considère maintenant que nous avons choisi le camp atlantiste. Notamment depuis l’achat de l’avion américain F-35, depuis la conférence du Bürgenstock où la Russie n’était pas invitée et qui suivait l’agenda de l’Ukraine. Notre comportement diplomatique face à la guerre entre Israël et les Palestiniens renforce ce sentiment. Si l’on songe aux crédits coupés à l’UNRWA, au moment d’une indicible tragédie humaine… Nous tournons le dos à soixante ans de diplomatie. Nous perdons les gammes d’une politique internationale qui visait à établir des ponts entre les belligérants, à tenter des efforts de paix…» Cela étant dit, Fridez ne fait pas de la propagande pour l’initiative pour la neutralité de l’UDC. «Je suis pour le maintien de nos valeurs, pour l’écoute et l’ouverture au monde. Pas pour une neutralité de repli égoïste sur soi.»
Mais alors pourquoi ne pas être resté dans la commission pour faire entendre cette voix? «A ses débuts, dans les années 90, avec l’effondrement de l’URSS, nous ne voyions plus bien l’utilité de l’armée qui a d’ailleurs été réduite. L’agression russe contre l’Ukraine a complètement changé la donne. Ce fut une aubaine pour les militaires. Ceux-ci ont dès lors fortement influencé la conseillère fédérale Amherd qui arrivait là sans connaître grand-chose à ces sujets. Elle succédait à un Guy Parmelin qui, en bon paysan, gardait à cet égard les pieds sur terre. Depuis lors c’est l’emballement. En juillet 2023, la composition de la commission spéciale était dominée par les militaires, les milieux économiques et les partis qui soutiennent par principe tout ce que dit l’armée. Nous avons eu peu de séances, neuf demi-journées l’an passé. Les experts choisis faisaient de longs exposés. Il n’y avait guère de place pour la discussion. Plusieurs membres ont exprimé leur mécontentement. Pour ma part je ne pouvais plus cautionner les conclusions de ce cercle.»
Reste que l’irruption de la guerre en Europe a suscité une peur réelle dans les opinions publiques… «Des menaces, il y en a encore. Du côté de la cybersécurité, du terrorisme, des nouvelles armes. On a vu aussi, lors du conflit, que l’aviation et les blindés, facilement atteints, ne jouaient pas le premier rôle. Les drones et les missiles sont plus redoutables. Ils pourraient être utilisés par d’autres pays, d’autres groupes que la Russie. Or je note qu’en matière de défense sol-air, la Suisse est démunie. Les commandes exigent des années d’attente…»
Des raisons donc d’avoir peur. «… Mais pas d’une invasion russe. Cette armée démontre aussi ses faiblesses. Les pays membres de l’OTAN représentent une force politique, économique et militaire qui fera réfléchir Vladimir Poutine à deux fois avant de l’affronter.» Et si Trump revient au pouvoir? «Pour plusieurs raisons "abandonner" les Européens à leur sort semble clairement impossible.» A lire dans le livre!
Donc, comme dit le sous-titre, «la bataille du Rhin n’aura pas lieu»? Fridez a plusieurs arguments. La démographie, car la natalité en Russie a lourdement chuté. Et l’émigration des jeunes n’arrange rien. Les distances gigantesques: 2'000 kilomètres au moins pour arriver en Suisse. L’armée russe est affaiblie, après deux ans de guerre où elle a montré ses limites et surtout démontré qu’elle n’était pas invincible. L’opération ukrainienne, d’ailleurs sans queue ni tête, sur le sol russe du côté de Koursk, est parlante. Même si cela passe mal dans le Donbass pour l’aventurier Zelensky. La dissuasion nucléaire? En fait, elle n’empêche pas les Occidentaux d’armer l’Ukraine. Personne ne veut d’un suicide général.
Pour en revenir à la peur. Est-elle instrumentalisée? «Par les militaires qui en veulent toujours plus, par les industriels de l’armement sans doute.» Là, il s’agirait de creuser, de réfléchir sur nos ressorts profonds. Les émotions exacerbées éclipsent l’approche rationnelle des faits. Comme toujours. Peut-on rappeler que le philosophe Thomas Hobbes (1588-1679) dissertait déjà sur l’usage de la peur par les détenteurs du pouvoir?
En attendant il est réconfortant de se dire que Pierre-Alain Fridez est loin d’être seul à se poser ces questions. Bien qu’elles n’émergent guère au Parlement qui aborde ces sujets comme en catimini. Toutes les voix doivent maintenant s’élever haut et fort.
«Pourquoi les chars russes n’envahiront pas la Suisse», Pierre-Alain Fridez, Editions Favre, 192 pages.
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Nous perdons les gammes d’une politique internationale qui visait à établir des ponts entre les belligérants, à tenter des efforts de paix…» Cela étant dit, Fridez ne fait pas de la propagande pour l’initiative pour la neutralité de l’UDC. «Je suis pour le maintien de nos valeurs, pour l’écoute et l’ouverture au monde. Pas pour une neutralité de repli égoïste sur soi.»</span></p> <p><span>Mais alors pourquoi ne pas être resté dans la commission pour faire entendre cette voix? «A ses débuts, dans les années 90, avec l’effondrement de l’URSS, nous ne voyions plus bien l’utilité de l’armée qui a d’ailleurs été réduite. L’agression russe contre l’Ukraine a complètement changé la donne. Ce fut une aubaine pour les militaires. Ceux-ci ont dès lors fortement influencé la conseillère fédérale Amherd qui arrivait là sans connaître grand-chose à ces sujets. Elle succédait à un Guy Parmelin qui, en bon paysan, gardait à cet égard les pieds sur terre. Depuis lors c’est l’emballement. En juillet 2023, la composition de la commission spéciale était dominée par les militaires, les milieux économiques et les partis qui soutiennent par principe tout ce que dit l’armée. Nous avons eu peu de séances, neuf demi-journées l’an passé. Les experts choisis faisaient de longs exposés. Il n’y avait guère de place pour la discussion. Plusieurs membres ont exprimé leur mécontentement. Pour ma part je ne pouvais plus cautionner les conclusions de ce cercle.»</span></p> <p><span>Reste que l’irruption de la guerre en Europe a suscité une peur réelle dans les opinions publiques… «Des menaces, il y en a encore. Du côté de la cybersécurité, du terrorisme, des nouvelles armes. On a vu aussi, lors du conflit, que l’aviation et les blindés, facilement atteints, ne jouaient pas le premier rôle. Les drones et les missiles sont plus redoutables. Ils pourraient être utilisés par d’autres pays, d’autres groupes que la Russie. Or je note qu’en matière de défense sol-air, la Suisse est démunie. 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Cet éditeur commercialise les petites annonces dans une entité à part, fort rentable, il contribue à hauteur de 100 millions au résultat du groupe. Les titres de presse, eux, ont rapporté l’an passé, malgré leurs peines, 13,4 millions de bénéfices. Loin de suffire au PDG, Pietro Supino, obsédé par le souhait de servir des dividendes généreuses aux actionnaires. La perspective de la fermeture des imprimeries de Bussigny et Zurich doit le réjouir. La vente des sites immobiliers, dans des lieux très cotés, sera fort lucrative. En réalité, cet éditeur, comme d’autres, bien qu’ils tentent de rassurer en le niant, ne croient plus à l’avenir des journaux. Dans le moyen ou long terme. Comme les annonceurs, ils misent tout ou presque sur le net. </span></p> <p><span>Est-ce pour le cacher qu’aucun manager ne s’est déplacé à Lausanne pour communiquer les décisions qui affectent si largement la Suisse romande? Non, c’est simplement par mépris. Affiché sans complexe. 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Une absence d’idée camouflée sous la sempiternelle «transformation numérique». </span></p> <p><span>Pas étonnant que ces dirigeants acculturés n’aient rien fait ces dernières années pour muscler leurs titres. Au plan économique mais aussi journalistique. La profession menacée, déprimée, n’a pas revu ses méthodes, accrochée au travail de bureau. Plutôt le nez sur l’écran où défilent les dépêches que sur le terrain. Quant à l’information locale, elle s’est aussi ratatinée au fil des ans. D’où, quasiment partout, cette apparence d’uniformité de l’information qui lasse une part du public. Sans parler des jeunes générations qui n’approchent tout simplement pas les médias classiques. Voyez-vous souvent les moins de quarante ans feuilleter un canard dans le train? Nous pas. Parce qu’ils attendent le journal télévisé? Haha. Leur monde est celui des réseaux, des sites divers et variés, sérieux ou improbables. Ou préfèrent-ils ignorer les discours politiques, les polémiques et les fracas d’ici et d’ailleurs? Ce serait grave. Mais pas inéluctable. </span></p> <p><span>Le désert de l’information locale et régionale s’étend dans l’indifférence politique. Les réactions des gouvernements vaudois et genevois au brutal coup zurichois étaient affligeantes de mollesse. Ils n’ont même pas invité Pietro Supino à s’expliquer devant eux. Ils bougonnent un moment et passent l’éponge. Tous avachis face à la morgue provocante de ces barons alémaniques.</span></p> <p><span>Bilan et perspective? L’avenir est donc très noir pour les quotidiens sur papier. A de rares exceptions près. En revanche les périodiques, anciens et nouveaux, pas si mal portants, pourraient apporter de bonnes surprises. A condition qu’ils trouvent des tons nouveaux, des contenus moins aseptisés. Car le plaisir des textes et des images bien articulés, valorisés par le toucher des pages, n’a pas disparu. Pour beaucoup, le tout écran finit par lasser, éveille d’autres envies. A preuve, le livre résiste plutôt bien. Méfions-nous de la fatalité.</span></p> <p><span>Pari lancé. De nouveaux titres imprimés naîtront, dans des formats et des rythmes inattendus. Pour un tel sursaut, il en faudra, de l’énergie, de la créativité. De l’engagement aussi chez les investisseurs, à chercher ailleurs qu’à Zurich! De modestes expériences, ici et là, – comme le mensuel <em>Le Regard libre</em> – sont encourageantes. Mesdames et Messieurs de la richissime Fondation Aventinus, êtes-vous attentifs à ces bourgeons?</span></p> <p><span>En tout cas ce ne sont pas les imprimeries qui manquent… Celle, si proche, du groupe Hersant (ESH) à Monthey n’attend que ça. A propos, pourquoi <em>Le Temps</em> n’y serait-il pas imprimé plutôt qu’à Berne chez Tamedia, au milieu de tant d’autres titres, avec chaque soir des délais promis à s’allonger?</span></p> <p><span>Ce n’est pas ici, à <em>BPLT</em>, que nous allons dénigrer l’espace vibrionnant du net. Mais, question de civilisation, la bataille pour la survie et l’essor du papier imprimé vaut d’être menée. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
5 Commentaires
@Roger R. 30.08.2024 | 09h39
«Nuance, peut-être. Oui missiles et drones sont redoutables pour détruire des cibles précises mais l’occupation au sol se fait toujours par les troupes, les blindés avec une couverture aérienne souvent utile. Ne négligeons pas ces éléments. Géographiquement la Suisse possède un grand plateau facilement envahisable mais dispose aussi d’un territoire montagneux défendable et donc militairement utile pour établir des bases de lancement de missiles ou de drones pour autant que la nombreuse population du plateau ne soit pas prise en otage !
D’accord avec vous pour défendre notre neutralité absolue car c’est une des justifications pour préserver les acquis diplomatiques et politiques de notre pays ainsi que son indépendance.
»
@Albert Lammers 30.08.2024 | 12h10
«Il me semble que cela fait bien longtemps que la Suisse n'est plus "neutre", mais alignée sur l'Occident, et en particulier sur les USA. La situation actuelle ne fait que confirmer, et mettre en lumière, une tendance de fond.
D'autre part, l'impact sur l'OTAN d'un retour au pouvoir de Donald Trump me paraît être expédié beaucoup trop rapidement. "Pour plusieurs raisons "abandonner" les Européens à leur sort semble clairement impossible". Je serai nettement moins affirmatif. Donald Trump, "the world's most dangerous man in the world" selon sa propre nièce, est capable de tout.
Enfin, qualifier Zelensky d' "aventurier" est quand même assez piquant. Je ne sache pas que le président ukrainien soit à l'origine de la désastreuse aventure - si on veut l'appeler ainsi - lancée par le chef du Kremlin en février 2022.»
@Foenix 30.08.2024 | 17h20
«Je souscris à la conclusion que la neutralité de la Suisse est actuellement bradée. Mais que faire contre ce courant par trop visible ?»
@Christophe Mottiez 03.09.2024 | 23h11
«"crédits coupés à l’unrwa, au moment d’une indicible tragédie humaine…":
il ne s'agit pas d'une tragédie humaine, mais d'un crime humanitaire contre les palestiniens perpétré par les juifs sionistes avec le soutien des chrétiens sionistes.
"l’opération ukrainienne, d’ailleurs sans queue ni tête, sur le sol russe du côté de koursk [...] même si cela passe mal dans le donbass pour l’aventurier zelensky.":
je trouve honteux d'être assis confortablement dans son fauteuil en suisse et de juger ainsi l'action des ukrainiens qui cherchent des solutions face à la destruction de leur pays par la puissance impérialiste et coloniale russe.»
@willoft 04.09.2024 | 11h55
«Il est de bon ton d'incendier Poutine avec raison.
Mais de l'autre côté Zelensky envoie encore proportionnellement plus de chair à canons.
Alors la démocratie a bon dos,
quand on demande de mourir pour une démocratie qui n'en est pas une, sans parler des pauvres civils.
D'ailleurs de nombreux ministres démissionent...!»