Culture / La nécessité de témoigner par «Anima»
© Belinda Fewings via Unsplash
Souffle de poésie, d’horreur et de vérité romanesque ayant donné vie à un ouvrage qui aura mis plus de dix ans à la recevoir, cette vie: «Anima» (2012). Dernier roman en date du dramaturge Wajdi Mouawad paru il y a près de douze ans, «Anima» reste plus que jamais d’actualité. Dans ses pièces ou ses romans, il demeure toujours une expérience unique trépidante à vivre. C’est bien le cas ici, près de cinq-cents pages durant. Regard.
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Et tel n’est pas le but de ces quelques lignes. Récit d’une plongée entre science et émerveillement à Aquatis. Le ton est donné dès la première pièce. Les couleurs et l’ambiance spectaculaires nous indiquent qu’il ne s’agit pas que d’un musée froid et austère. Mais les schémas scientifiques, les descriptions sérieuses et tout sauf infantilisantes nous indiquent aussi qu’enfants comme adultes n’ont qu’à bien se tenir car il ne s’agit ni d’un parc d’attraction ni de quelqu’autre défouloir. Dotés d’une grande originalité, les tableaux explicatifs, films et diverses animations donnent le goût de la science, dans le sens qu’ils donnent envie de savoir et d’en apprendre davantage sur le monde qui nous entoure. On y découvre ainsi poissons, reptiles et même quelques mammifères des cinq continents disposés dans un ordre parfait. On en apprend davantage sur la géographie de nos contrées en se concentrant sur le Rhône sous toutes ses formes, puis sur le Léman et jusqu’à la mer Méditerranée. 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Le film est bien décevant sous certains aspects, il comporte bien des problèmes tant au niveau du jeu que de la réalisation. <i>Et pourtant, pourtant…</i> ce film a du cœur.</p> <p>Aussi, être grincheux face à cette équipe de jeunes qui aiment sincèrement Aznavour et qui se sont donnés de la peine pour réaliser ce film, ce serait jouer les scribouillards qui critiquent tout sans avoir jamais rien fait par soi. La critique aurait eu de quoi se déchaîner si le film et son équipe étaient prétentieux. <i>Et pourtant, pourtant…</i> il n’en est rien. Etre grincheux, c’eût été encore faire le jeu de ces critiques qui s’en prenaient à Aznavour lui-même en écrivant, pour l’un d'eux cité dans le film, «comment peut-on laisser un infirme chanter?», avant de venir présenter ses excuses à un Aznavour bonhomme qui n’en tient pas rigueur et qui offre même une coupe de champagne à son détracteur.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> disons ce qu’il y a à dire. 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Le récit s’ouvre sur la scène d’un roman policier. Un homme rentre chez lui et trouve sa femme morte. S’ensuivrait une enquête policière aux mille-et-un rebondissements qui feraient vivre le suspense, mais il n’en est rien. Pourrait s’ensuivre la traque menée par un époux fou furieux qui va tout franchir, tout casser, pour mettre la main sur celui qui a massacré son épouse. Ce n’est pas cela non plus dans notre roman.
Sans entrer forcément en contradiction avec un polar classique, la scène de crime est particulièrement macabre. L’époux en question, Wahhch Debch, retrouve sa femme Léonie morte, après avoir été éventrée et violée. L’enfant qu’elle portait en son sein est évidemment mort aussi. Plus qu’un meurtre, il s’agit là d’une profanation, saignant d’une originalité terriblement créative. Féminicide et infanticide à la fois, qui laisse l’époux et le père meurtri, sans repères, sans voix, sans plus de paroles même, amputé quasiment de toute son humanité: il a perdu son âme.
Wahhch, ayant perdu la raison, faculté traditionnellement attribuée à l’homme seul, en vient à se demander si ce n’est pas lui qui a tué. Pour retrouver la raison, il se lance à la recherche de l’assassin. Soutenu par le coroner en charge de l’affaire, Coach, il finit dans une réserve amérindienne, comparable à un animal blessé. Un lieu qui est «vulnérable» et «dangereux» à la fois. (p.136)
A la suite de rencontres aventureuses, frôlant l’absurde sans en éviter le tragique, Wahhch se confronte à l’assassin. Mais le labyrinthe dans lequel nous engouffre Anima est encore loin de se terminer, car le but initial ne devient alors qu’une étape dans la quête véritable du personnage principal. Personnage qui doit encore retrouver quelle personne il est, recouvrer son nom en remontant à travers ses origines, pour saisir à nouveau un sens et les paroles, pour sauver ce qui peut être sauvé. Mais, on le sait depuis les traditions religieuses les plus antiques, en passant par le christianisme: tout salut ne se vit qu’à travers un sacrifice. Le Christ donne sa vie pour que tous aient la vie éternelle, Wahhch donne son âme pour que chacun retrouve la sienne.
La voix animale
La caractéristique la plus notable du roman, qui constitue sa poésie et son originalité, c’est sa narration animale. Trois des quatre parties du livre sont prises en charge par des animaux, des animaux non-humains. En réalité, on pourrait considérer que toute l’œuvre est portée par la voix animale, dans la mesure où l’homme est bien considéré en tant qu’animal parmi les animaux dans la quatrième partie. Le titre de celle-ci, «Homo sapiens sapiens», vient à la suite d’autres termes scientifiques qui indiquent le nom de l’animal qui pose un regard décalé du nôtre et qui narre la réalité qu’il observe.
Une telle entreprise aurait pu assez facilement virer à la catastrophe. Elle marque néanmoins le coup de génie du roman. Ainsi, l’auteur, en se plongeant lui-même dans la peau d’un animal qui assiste de près ou de loin à la scène où interagissent des humains, nous permet aussi d’y plonger nous-mêmes.
Au niveau stylistique, ce procédé permet des variations qui rythment le roman en multipliant des voix auxquelles on ne s’habitue jamais, comme si le narrateur changeait à chaque chapitre et que ce narrateur avait un langage et un regard propres. Tel est le cas avec les animaux, qui ne sont pas considérés en tant qu’entité unique, mais bien dans leur individualité, et j’oserais dire dans leur personnalité respective.
La forme parle pour le fond: à travers les récits des animaux, l’auteur n’a nul besoin d’affirmer que chaque animal est doté d’une âme dont les caractéristiques sont traditionnellement attribuées à l’homme seul, nous en dressons le constat en nous laissant porter par le style soumis du chien ou passif du poisson.
Au niveau sémantique, le regard de l’animal nous permet de poser un regard nouveau sur l’homme. En effet, la considération de l’animal pour l’homme prend une dimension plus profonde lorsqu’elle n’est pas expliquée par l’homme, mais qu’elle sort de la gueule ou du bec de l’animal lui-même, par ses propres paroles. Certes, on sait bien que dans les paroles du chien il y a celles de l’auteur, et pourtant la littérature permet de créer des possibilités que la science ignore. Scientifiquement, un chien ou toute autre bête, ne peut parler; mais en littérature, oui, si le texte indique que c’est tel chien qui narre, il en est alors réellement ainsi. En effet, la fiction peut dire vrai, même pour des faits qui ne sont pas observables dans la réalité du monde humain.
A titre d’exemple, citons un passage vibrant de beauté, qui sonne comme évidence: «L’humain est un corridor étroit, il faut s’y engager pour espérer le rencontrer. Il faut avancer dans le noir, sentir les odeurs de tous les animaux morts, entendre les cris, les grincements de dents et les pleurs. […] L’humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c’est pour cela que son affection pour l’humain est infinie.» (p.149) Il semblerait véritablement que nous entendons la voix d’un chien. Chien dont on découvre qu’il prend en pitié l’homme au vu de sa condition de détresse permanente. Le chien est miséricordieux pour l’homme, comme on dit de Dieu qu’il l’est pour ses créatures.
Le passage de l'âme
Puisque Wahhch perd quasiment la parole suite au drame et qu’il ne lui reste plus que le cri, ce sont les animaux qui racontent. Par le transfert de la parole, s’opère aussi le transfert de l’âme pour les hommes. De façon explicite, lorsque Wahhch est confronté au bourreau Rooney, qui a entre autres violé et tué Léonie, et que ce dernier meurt dans l’affrontement, l’âme de cet infâme est retrouvée à travers son chien, qui devient alors le compagnon de Wahhch lui-même. Plus que son fidèle compagnon, il devient même son sauveur. Comprenons ainsi, qu’à force de se perdre dans les artifices de l’humanité, Rooney a perdu sa candeur de jeunesse, dont témoigne un autre personnage, Humbert, et que par la mort il la retrouve à travers son chien. C’est comme si celui qu’a toujours été Rooney était en fait présent en son chien. Perdant la vie, il retrouve son humanité canine.
Le chien cite Wahhch, qui est en train de retrouver ses mots et d’accueillir le chien véritablement comme son compagnon, son frère qui le suivra jusqu’au bout: «Je te donnerai ma voix, je te donnerai ma langue, tu me donneras tes silences, tu me donneras ton présent.» (p.360) Le transfert de la parole est clair. Par le transfert de l’âme, il y a aussi celui de l’intelligence et du discernement. Le chien est un guide. Lorsque son maître et protégé l’oblige à monter dans une voiture qu’il ne sent pas, le chien se retrouve kidnappé, et Wahhch regrette aussitôt de n’avoir pas écouté son discernement, à savoir celui de son chien. Une conversion se vit néanmoins chez l’homme lorsqu’il estime juste de se séparer du chien pour poursuivre son voyage mais qu’il cède finalement au désir éclairé du chien. «C’est ton chien! C’est l’âme retrouvée de Rooney que tu as à tes pieds. […] Tu n’as pas besoin de t’occuper de lui, il s’occupera de toi.» (p.357)
La nécessité du témoignage
A travers l’animal, l’homme est appelé à se retrouver lui-même. Cela nous montre que l’homme, dans Anima, ne peut s’en sortir tout seul. N’y aurait-il pas un dieu qui viendrait au secours de Wahhch et des autres humains égarés? Ce dieu, ce serait les animaux. Outre l’hommage à la culture amérindienne, omniprésente dans le roman, ou à la religion animiste, nous ne pouvons nous résoudre à n’y voir qu’un éloge de l’animalité. A travers les bêtes qui guident, qui discernent et qui rendent justice – comme ces charognards qui déchiquètent l’homme, l’imposteur, le père abusif qui a déchiqueté autrefois la famille de Wahhch au Liban – nous voyons un appel urgent à prendre de la distance par rapport à une humanité atroce et malade.
Que la sagesse qui permet cette prise de distance vienne du Ciel ou des bêtes, peu importe. Ce qui importe réellement pour Wahhch et pour les hommes de façon générale, c’est de laisser mourir la part qui est cassée en soi, pour passer des ténèbres à la lumière. «Passe par les ténèbres et tu trouveras la lumière.» (p.348) Comment notre protagoniste vit-il cette pâque, passant de l’esclavage à la terre promise? Par la douleur. C’est dans les douleurs de l’enfantement que la femme donne la vie. C’est dans les douleurs du retour aux origines mais avant cela de l’abus sexuel qu’il subit, que Wahhch sait qui il est, qu’il casse la malédiction des meurtres et des viols, pour retrouver la raison, son nom et son âme.
En quoi est-ce une invitation pour le lecteur à retrouver son âme et par là retrouver l’unité en soi? C’est une invitation, dans la mesure où nous assistons, par le roman, au témoignage de Wahhch mais aussi indirectement à celui de Wajdi Mouawad et en somme à celui de tous ceux qui ont vécu des drames. C’est bien pour cela que Wahhch a besoin que Coach témoigne pour lui. Pour cela aussi que Coach est particulièrement touché par ce témoignage. La nécessité de témoigner des drames et des guérisons, en prononçant son propre témoignage et en se mettant à l’écoute de celui des autres, c’est proprement la quête d’Anima. C’est la quête spirituelle de tout un chacun.
«Anima», Wajdi Mouawad, Editions Actes Sud, 495 pages.
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Le film est bien décevant sous certains aspects, il comporte bien des problèmes tant au niveau du jeu que de la réalisation. <i>Et pourtant, pourtant…</i> ce film a du cœur.</p> <p>Aussi, être grincheux face à cette équipe de jeunes qui aiment sincèrement Aznavour et qui se sont donnés de la peine pour réaliser ce film, ce serait jouer les scribouillards qui critiquent tout sans avoir jamais rien fait par soi. La critique aurait eu de quoi se déchaîner si le film et son équipe étaient prétentieux. <i>Et pourtant, pourtant…</i> il n’en est rien. Etre grincheux, c’eût été encore faire le jeu de ces critiques qui s’en prenaient à Aznavour lui-même en écrivant, pour l’un d'eux cité dans le film, «comment peut-on laisser un infirme chanter?», avant de venir présenter ses excuses à un Aznavour bonhomme qui n’en tient pas rigueur et qui offre même une coupe de champagne à son détracteur.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> disons ce qu’il y a à dire. Le jeu de Tahar Rahim, avec les qualités de ses défauts, est davantage une imitation, parfois exagérée aux confins du ridicule, qu’une interprétation. Sans parler des colères surfaites de Charles qui auraient eu davantage leur place sur des planches de théâtre que sur un plateau de cinéma. Quant à la famille Aznavourian et leur entourage, jamais n’a été livrée une mise en scène aussi caricaturale des gentils Arméniens qui aiment la poésie et les fêtes, et qui sont très pauvres mais vraiment très très gentils, généreux et accueillants alors. On est à la limite du racisme.</p> <p>La musique et les paroles d’Aznavour passent comme une bande-son qui font compagnie aux images. Et la trame est agencée sans aucune originalité. 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