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Science / Les itinéraires de la pensée d’un paléoanthropologue inspiré


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Pascal Picq vient de faire paraître «Itinéraire d’un enfant des Trente Glorieuses». Il y réussit le pari de parler tout à la fois de lui et des changements importants qui ont, depuis quarante-cinq ans, marqué les recherches et les découvertes concernant l’évolution des humains. Une évolution qui a toujours cours, ne l’oublions pas, rien n’est figé.



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«Par mes origines paysannes, je suis passé le temps d’une vie du néolithique au métavers, et ce n’est pas terminé. Une évolution illustrée par celle des écrans ou encore des téléphones (…). Une profonde évolution aussi dans le champ des théories de l’évolution et plus encore dans l’évolution de la lignée humaine.» Pascal Picq est né en 1954 à Bois-Colombes, ses grands-parents et ses parents étaient maraîchers à Gennevilliers. Paléoanthropologue, chercheur, maître de conférence au Collège de France, il est l’auteur de nombreux livres et articles; connu notamment pour avoir introduit l’éthologie dans le champ de l’anthropologie, ses travaux portent sur l’évolution en cours de l’humanité. Le en cours est important: nous sommes toujours en évolution, pas du tout arrivés à un quelconque sommet; cela permet de nous penser non-figés dans une posture ou dans une impasse civilisationnelle, de nous penser en mouvement dans un monde qui l’est tout autant.

Le livre que fait paraître aujourd’hui Pascal Picq est particulier. Itinéraire d’un enfant des Trente Glorieuses est tout à la fois une sorte d’autobiographie, un essai philosophique, une analyse politique, le point de la situation en matière de paléoanthroplogie et d’étude de l’évolution. C’est ainsi un livre dans lequel se mêlent ontogenèse et phylogenèse, «les deux socles de toute histoire évolutionniste, des sciences de l’évolution.»

Enfance et jeunesse

On l’a dit, Pascal Picq est né dans une famille de maraîchers, là où se trouve aujourd’hui la grande banlieue parisienne. A l’époque, il n’y a pas de barres d’immeubles mais des champs, des serres, des cultures. En 1966, les Picq doivent quitter leurs terres. «L’intégralité de notre matériel agricole est dispersé au fil des ventes par lots. Puis, un jour, je vois arriver les bulldozers. Ils raclent la terre, en font des tumulus avant de la charger dans des camions bennes. Je resterai tétanisé devant cette terre écorchée vive.»

Durant sa scolarité puis ses études, le jeune homme est confronté à tous les a priori de la société de l’époque – cela a-t-il vraiment changé? Enfant de maraîcher, personne n’imagine qu’il deviendra un jour un célèbre paléoanthropologue, on l’envoie dans un lycée technique et professionnel. Passons les étapes, voilà Pascal Picq s’intéressant, au début des années 1980, à l’évolution de la paléoanthropologie et fasciné par un sujet alors peu exploré: nos origines communes avec les grands singes. Il part à l’université de Duke, aux Etats-Unis, faire sa thèse. Puis il rencontre Bruno Coppens, dont il connaît les travaux, un des découvreurs de Lucy et de l’origine africaine d’Homo sapiens. Si aujourd’hui nous avons oublié les bouleversements qui eurent lieu à l’époque en matière d’analyse et de vision de l’évolution humaine, le récit de Pascal Picq, ses expériences personnelles, nous les remémorent. Que de progrès depuis l’époque où seuls des hommes occidentaux étudiaient ce domaine, le limitant à une vision ethnocentriste et très masculine.

Lamark ou Darwin?

Pour comprendre la pensée de Pascal Picq, il faut comprendre la différence de point de vue entre le Français Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) et le Britannique Charles Darwin (1809-1882). «Dans une traduction sociopolitique: dans les mondes lamarckiens, la société comme les espèces sont guidées par une tendance à se perfectionner. L’ensemble des composantes individuelles, économiques, sociales et politiques s’oriente dans une même logique de progrès. Les variations, les écarts ne sont que des aléas qui s’éloignent d’une finalité qui transcende les circonstances. Il en va tout autrement dans les mondes darwiniens, où les variations, dont les plus inattendues, et dans toutes les composantes de la société, peuvent contribuer à un autre avenir.» D’un côté un monde linéaire, de l’autre une multitude de possibles. «Les diversités, toutes les diversités naturelles et humaines, constituent le socle de l’adaptation pour les générations futures. Ces questions ne s’inscrivent pas dans une sorte de nostalgie des temps révolus. Elles concernent notre évolution en train de se faire.»

«L’évolution de Sapiens est pavée du malheur des femmes»

Pascal Picq ne fait pas de politique, ce n’est pas un idéologue, il regarde les choses d’un point de vue scientifique, il observe. Notamment la condition des femmes tout au long de l’évolution. «Les données de la paléoanthropologie et de l’archéologie ne permettent pas d’établir ce qu’il en était de la division sexuelle des tâches ni de la coercition sexuelle chez les premiers humains, les Homos erectus au sens large.» Aujourd’hui, dans la catégorie Homo, il ne reste plus que nous, Sapiens. «Des études récentes confirment que les femmes [sapiens] participaient à des tâches considérées comme masculines, telle la chasse. En fait, là aussi, il s’agit d’une profonde remise en perspective des études archéologiques et paléoanthropologiques marquées par de forts biais genrés dans les sciences préhistoriques depuis un siècle et demi.» Que celles et ceux qui en voient partout se rassurent, Pascal Picq n’est pas woke. Il observe, étudie, analyse. «Se dégager d’un discours universel forgé sur le socle de la domination de l’Occident patriarcal depuis quelques siècles exige une formidable entreprise de déconstruction.»

«Face au changement, vive les différences!»

Les religions et les idéologies pensent nous rassurer en affirmant que tout se tient, d’une manière ou d’une autre, qu’il y a une logique dans l’évolution humaine. Que nous sommes partis du moins bien pour aller vers le mieux, ceci selon un système maîtrisé. «Les sociétés humaines, et plus particulièrement nos sociétés, détestent les contingences. Leurs constructions idéelles – mystiques religieuses, philosophiques, scientifiques ou politiques – les abhorrent. C’est un concept ambivalent: il décrit le fait que des caractères – les variations ou mutations en génétique ou nouveaux comportements – apparaissent sans significations par rapport au monde. (…) Des caractères apparaissent indépendamment des conditions de l’environnement. (…) L’adaptation repose sur les diversités et leurs interactions. Les théories de l’évolution sont des théories des diversités ou des variations.» Quelle belle respiration, quel bol d’air, quelle liberté d’être!

Don et contre-don

Un chapitre du livre de Pascal Picq fait écho aux mécontentements des paysans dans plusieurs pays européens mais peut aussi concerner plus généralement le système économique actuel. Le principe du don contre-don est bien connu en ethnologie. «Faire un don n’est pas seulement faire un cadeau, mais engager le récipiendaire à faire un contre-don plus valorisé; un contrat moral et commercial. L’invention de la monnaie et du contrat commercial rompt avec la logique incrémentale du don. Mais, ce faisant, les transactions se sont déshumanisées, aboutissant à l’agent économique rationnel. Aujourd’hui, la quête du prix le plus bas, sans considération des chaînes de valeur, de moins en moins des conditions de vie des producteurs – le commerce équitable – et même de la valeur travail, conduit en partie aux problèmes que connaissent nos économies mondialisées. Le droit du consommateur, enfant bâtard de l’agent économique rationnel cherchant à maximiser ses profits, est un terrible assèchement anthropologique d’un fondement des sociétés humaines autour de l’échange.»

Répétons-le, Picq n’est pas un gauchiste mais un scientifique. «Et le fameux équilibre des marchés caressés par la main invisible? Il n’existe pas en réalité d’équilibre stable ou statique dans la nature, en raison des interactions entre les espèces, comme entre les proies et les prédateurs.»

Il y aurait encore beaucoup à dire à propos de ce gros livre foisonnant, beaucoup d’outils permettant une meilleure compréhension du monde à y trouver.

Pascal Picq y mêle le récit de sa vie à celui de l’évolution, ontogenèse et phylogenèse, c’est réussi. Il dit de lui qu’il a eu des itinéraires et pas de carrière; c’est peut-être ce qui lui donne une telle liberté de pensée, «je suis et je reste un nomade social».

En conclusion: «Pour les darwiniens, il n’y a pas de hiérarchie entre les populations, seulement des différences perçues comme autant de potentialités.» Notre évolution est toujours en cours.


«Itinéraires d’un enfant des Trente Glorieuses», Pascal Picq, Editions Flammarion, 510 pages.  

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