Culture / Mark Rothko, la peinture-miroir
© Consuelo Kanaga
La Fondation Louis Vuitton présente une rétrospective Rothko de plus de cent œuvres, réparties chronologiquement dans tous les espaces du lieu. L’occasion de revenir sur la vie et la carrière d’un artiste, au-delà des tableaux abstraits géométriques, bien connus mais parfois trop survolés. Rothko, par la couleur et la géométrie, tend un miroir au spectateur, le but est de s’y abîmer longuement et profondément.
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Mark Rothko est né Markuss Rotkovičs en septembre 1903 à Dvinsk, alors dans l’Empire russe, aujourd’hui en Lettonie. Fils d’un pharmacien, d’une famille juive, Rothko émigre avec ses parents et ses trois frères à l’âge de 9 ans aux Etats-Unis pour fuir les progroms et l'enrôlement forcé dans l'armée. Seul de la fratrie à recevoir une éducation religieuse, ses racines et sa culture juives le marquent durablement, jusqu’à résonner dans son art. Etudiant brillant, il est admis à Yale mais, peu motivé et miné par le rejet et les discriminations subies par les Juifs dans l’université, il abandonne ses études, part pour New York et commence à peindre.
La rétrospective présentée par la Fondation Vuitton, la première en France depuis 1999, est construite comme un parcours chronologique. On y voit les premières toiles de Rothko, figuratives, des années 1930. Fasciné par l’architecture et par les foules, Rothko peint les sorties des théâtres, représente des visages flous, indistincts, ou encore la solitude des promenades sur les quais, aux pieds des buildings.
En 1936, année où il demande la naturalisation américaine, il peint son autoportrait, «My not self», sur lequel il porte des lunettes noires. Déjà, il vise à l’universel, en masquant son regard. Il ne cherche pas à représenter l’individu ni la contingence, mais se tient parmi la foule, lui aussi anonyme, homme parmi les hommes ni plus ni moins.
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«Mon art n’est pas abstrait»
Rothko considère sa peinture comme réaliste, et surtout pas détachée du réel. Il dit de son art qu’il «vit et respire». Ses grands rectangles monochromes, les plus célèbres, peuvent susciter le malentendu, surtout au premier abord. C’est pourquoi Rothko insiste: «je ne suis pas un coloriste». Il entend «ouvrir une fenêtre», il considère sa peinture comme «concrète et terrestre». En fait d’abstraction, ses toiles non figuratives sont un miroir tendu aux hommes. Il suffit d’ouvrir l’œil et l’oreille.
La Fondation Vuitton a respecté les préconisations de l’artiste pour l’accrochage; il s’agit d’aménager les conditions d’une immersion dans la toile. Les tableaux sont placés assez bas, la luminosité est faible, il faut se tenir à environ 46 cm de l’œuvre. Alors, tout change. Tout se met en mouvement. Tout se met à parler.
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«Je veux être intime et humain» disait encore Rothko de ses toiles. Il cherche à plonger le spectateur dans le même état que lui lorsqu’il regarde le tableau. Il veut instaurer un «dialogue sans paroles». Qui parle? Qui regarde? La peinture invite à regarder en soi. La peinture regarde en soi. Elle finit par résonner, exprimer ce tremblement de l’être, sa massive fragilité, la vibration du roseau pensant, le plus faible de la nature. C’est là que Rothko a placé sa propre et très personnelle figuration humaine, lorsqu’il ne fut plus question de représenter des visages. Il a transcendé le visage pour voir et montrer l’au-delà de la surface. Il atteint ainsi au nœud du drame: la finitude de tout homme, fatale et programmée.
Des sommets et des abîmes
Rothko connait le succès dès 1945. En 1958, il reçoit une commande pour réaliser la décoration du prestigieux restaurant du Four Seasons de New York. Il réalise plusieurs toiles, dans des teintes assez sombres: il a alors renoncé aux couleurs vives et explore le marron, le brun, et bientôt le noir. Ce projet n’aboutit pas, Rothko ne se sentant pas à l’aise à l’idée que son art soit utilisé de manière seulement décorative dans un environnement privilégié. L’une de ces toiles est exceptionnellement présentée dans l’exposition parisienne.
Il est le premier artiste vivant à avoir sa rétrospective au MoMA, et même invité à la cérémonie d’investiture de John F. Kennedy en 1961. Lui qui avait beaucoup réfléchi à la place de l’artiste dans la société, qui avait théorisé une coopération entre l’art et le politique pour reconstruire le monde d’après-guerre, est épuisé par son succès.
A la fin des années 1960, Rothko est frappé par un anévrisme aortique et, contraint de garder le lit pendant plusieurs mois, il conçoit la série «Black on Grey», où le noir semble amené à envahir l’espace, retenu avec un effort toujours permanent, digne de Sisyphe, par un gris très clair. La condition humaine? La lutte perdue d’avance contre l’envahissement des ténèbres et contre la mort? Ces toiles sont en fait très lumineuses, renforçant la vision tragique du déchirement entre vie et mort. Interrogé sur ces tableaux, Rothko a indiqué que le thème en était bien la finitude, sans doute frappé par son accident, par la proximité sentie avec sa propre fin. Elles sont exposées à Paris selon le dispositif qu’il avait imaginé: associées à des sculptures de Giacometti.
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Son œuvre reste comme une tentative inédite de représenter la condition humaine sans visage, en allant au-delà de cette surface, une expression sans parole du problème le plus profond et primitif de l’humanité: je sais que je vais mourir. Grand lecteur de Nietzsche, Rothko connaissait et avait sûrement médité cet aphorisme de Par-delà bien et mal: «si tu regardes longtemps l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi». En concevant ses tableaux comme des miroirs tendus à l’homme qui les regarde, il a aussi mis en application quelques-unes des théories freudiennes sur l’inconscient, qui l’intéressaient beaucoup. Il produit une peinture qui fouille et expose la tragique nature de et à son spectateur. Il met en place un dialogue muet entre conscience et inconscience. Toujours, Rothko nous regarde nous regarder en lui.
«Mark Rothko», Fondation Louis Vuitton, Paris, jusqu'au 2 avril 2024.
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Fils d’un pharmacien, d’une famille juive, Rothko émigre avec ses parents et ses trois frères à l’âge de 9 ans aux Etats-Unis pour fuir les progroms et l'enrôlement forcé dans l'armée. Seul de la fratrie à recevoir une éducation religieuse, ses racines et sa culture juives le marquent durablement, jusqu’à résonner dans son art. Etudiant brillant, il est admis à Yale mais, peu motivé et miné par le rejet et les discriminations subies par les Juifs dans l’université, il abandonne ses études, part pour New York et commence à peindre.</p> <p>La rétrospective présentée par la Fondation Vuitton, la première en France depuis 1999, est construite comme un parcours chronologique. On y voit les premières toiles de Rothko, figuratives, des années 1930. Fasciné par l’architecture et par les foules, Rothko peint les sorties des théâtres, représente des visages flous, indistincts, ou encore la solitude des promenades sur les quais, aux pieds des buildings.</p> <p>En 1936, année où il demande la naturalisation américaine, il peint son autoportrait, «My not self», sur lequel il porte des lunettes noires. Déjà, il vise à l’universel, en masquant son regard. Il ne cherche pas à représenter l’individu ni la contingence, mais se tient parmi la foule, lui aussi anonyme, homme parmi les hommes ni plus ni moins. </p> <p>Il choisit néanmoins un patronyme atypique, Rothko, qui ne sonne pas «américain», contrairement à ses frères. Un nom rythmé, coloré.</p> <p>Mais vient le choc de la Seconde guerre mondiale. A l’abri aux Etats-Unis, Rothko se pose, comme beaucoup d’artistes, la question du sujet. Comment continuer à peindre? Comment continuer à représenter l’homme, lorsque les portes de l’enfer ont été ouvertes par un homme lui-même? Après Hiroshima et Nagasaki, l’anéantissement de l’humanité est devenu possible. Les figures disparaissent. Enraciné dans la culture juive, dans laquelle les visages ne sont pas représentés, Rothko dit «refuser de mutiler» la singularité humaine, il choisit donc une voie radicale. Passant par l’exploration d’inspirations fantastiques et mythologiques, il parvient à l’(apparente) abstraction la plus totale. Il souhaite «élever la peinture au même rang d’intensité que la musique et la poésie» et est inscrit dans ce que les critiques appelleront bientôt l’expressionnisme abstrait. Une étiquette qu’il ne revendique pas.</p> <h3>«Mon art n’est pas abstrait»</h3> <p>Rothko considère sa peinture comme réaliste, et surtout pas détachée du réel. Il dit de son art qu’il «vit et respire». Ses grands rectangles monochromes, les plus célèbres, peuvent susciter le malentendu, surtout au premier abord. C’est pourquoi Rothko insiste: «je ne suis pas un coloriste». Il entend «ouvrir une fenêtre», il considère sa peinture comme «concrète et terrestre». En fait d’abstraction, ses toiles non figuratives sont un miroir tendu aux hommes. Il suffit d’ouvrir l’œil et l’oreille.</p> <p>La Fondation Vuitton a respecté les préconisations de l’artiste pour l’accrochage; il s’agit d’aménager les conditions d’une immersion dans la toile. Les tableaux sont placés assez bas, la luminosité est faible, il faut se tenir à environ 46 cm de l’œuvre. Alors, tout change. Tout se met en mouvement. Tout se met à parler.</p> <p>D’abord, il saute aux yeux que ces monochromes n’en sont pas. Rothko faisait grand mystère de ses recettes. Il cachait aux yeux même de ses amis ses expérimentations, ses mélanges de matières et de pigments. C’est en Italie, où il avait admiré Fra Angelico, Titien et Michel Ange, qu’il redécouvre des méthodes vieilles de plusieurs siècles, dont la tempéra à l’œuf. 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En pleine pandémie, les organisateurs avaient pris des précautions maximales: masques obligatoires, bulles sanitaires pour protéger les athlètes, public contraint de regarder la majeure partie des festivités à la télévision... Sur certains tronçons du parcours de la flamme, rappelle l’article des <em>Echos</em>, il était même défendu au public de pousser des cris d’enthousiasme, afin d’éviter les contaminations. </p> <p>Un cas d’école, en somme: pour l’historien du sport Robert Withing, cité par le quotidien, «l’opinion publique n’aura pas pu vivre les émotions qui permettent normalement d’effacer toutes les polémiques qui précèdent traditionnellement les JO.» C’est ainsi que les Japonais ont pu découvrir la facture finale de 1’700 milliards de yens (environ 13 milliards de dollars), c’est-à-dire le double des dépenses prévues. Les infrastructures construites pour l’occasion, en particulier le Stade national de Tokyo, dont les gradins sont demeurés vides pendant les Jeux, coûtent aujourd’hui des sommes considérables.</p> <p>Des entreprises privées se proposent d’exploiter le stade d’ici quelques mois, afin d’éponger quelque peu les coûts faramineux: presque jamais utilisé, le stade conçu par l’architecte Kengo Kuma, une harmonieuse structure hybride de bois, d’acier et de béton, coûte près de 50’000 euros par jour aux contribuables.</p> <p>Avec prudence, on évoque la possibilité d’employer cette arène à l’organisation d’une prochaine coupe du monde de football. Mais d’une manière générale, les autorités japonaises comptent patienter avant d’envisager d’accueillir d’autres grands événements internationaux. La candidature de Sapporo pour les Jeux d’hiver 2030 a par exemple été retirée. Selon les dernières études d’opinion, 60% de la population de l’île d’Hokkaido, qui aurait dû accueillir les épreuves, s’opposait à ce projet. Ce sont les Alpes françaises qui auront <em>a priori</em> la charge et le plaisir de les organiser.</p> <p>La population réclame désormais des comptes. Les procès, très médiatisés, se multiplient: «après avoir déjà prononcé plus d’une dizaine de condamnations, les tribunaux de Tokyo continuent de juger de multiples malversations allant de l’attribution même des Jeux à la distribution des contrats de sponsoring. Des entreprises, des cadres, des hauts fonctionnaires sont punis...»</p> <p>«Du pain et des jeux» afin de distraire le peuple des rouages peu reluisants du pouvoir: cette méthode vieille comme l’Antiquité s’est enrayée à Tokyo. Par la faute d’un invisible virus, c’est toute la structure du pouvoir politique et économique qui s’est retrouvée nue aux yeux des citoyens. Comme le concède Keiko Momii, membre du comité olympique japonais: «Il va falloir plus de temps pour expliquer ces projets et essayer de regagner le soutien du public».</p> <hr /> <h4><a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/jo-de-tokyo-la-grande-frustration-des-jeux-fantomes-2109005" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ameres-retombees-des-jeux-de-tokyo-2020', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 153, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 4, 'person_id' => (int) 4670, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5057, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'L’invariable haine de l’autre', 'subtitle' => '«Le sel de la colère», Une histoire particulière, Marie Chartron, réalisé par François Teste, sur France Culture, 2 épisodes de 28 minutes.', 'subtitle_edition' => '«Le sel de la colère», Une histoire particulière, Marie Chartron, réalisé par François Teste, sur France Culture, 2 épisodes de 28 minutes.', 'content' => '<p>A Aigues-Mortes, dans le sud de la France, l’économie tourne depuis des siècles autour des salines. 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1 Commentaire
@Chan clear 08.12.2023 | 11h18
«Magnifique descriptif, merci….»