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Histoire

Histoire / Oppenheimer et nous: à cent ans de distance, les mêmes enjeux


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Eté 2023, quoi de neuf? Oppenheimer! Ce savant jamais fichu d’avoir le Prix Nobel est tout juste associé dans notre esprit à la bombe atomique. Entre 1942 et 1945, il a dirigé les scientifiques et les techniciens qui ont réuni les connaissances de l’époque pour fabriquer et tester la première bombe atomique.



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Article publié sur Herodote.net le 30 juillet 2023


Oppenheimer est à ce titre le « Prométhée américain », celui qui a donné le feu (atomique) aux hommes. C’est le titre originel du livre magistral que lui ont consacré Kai Bird et Martin J. Sherwin : American Prometheus.

Ce qu’on sait beaucoup moins, c’est que, devenu après la guerre la personnalité la plus populaire des États-Unis, Oppenheimer a usé de son influence pour plaider dans les instances gouvernementales en faveur d’un contrôle international des armes atomiques, en coopération avec les Soviétiques.  Cela lui a valu d’être socialement détruit par une « chasse aux sorcières » d’une extrême violence, en totale violation des règles juridiques.

Son biographe fait en conséquence le rapprochement entre Oppenheimer et un autre personnage que nous connaissons mieux : Dreyfus ! Juif patriote, issu d’un milieu aisé, détruit au terme d’une enquête inique et tardivement réhabilité sous la pression de ses amis et des démocrates, Oppenheimer est donc aussi par maints aspects le « Dreyfus américain ».

Il nous est donné aujourd’hui de découvrir ce destin hors normes d’une part à travers la biographie de Kai Bird et Martin J. Sherwin, aujourd’hui disponible en version française, d’autre part à travers le film que le cinéaste Christopher Nolan a tiré de cette biographie.

Disons-le tout de suite. L’un ne va pas sans l’autre. La biographie relate les succès et les échecs du savant ainsi que le « projet Manhattan », nom donné au programme industriel qui a conduit à la réalisation de la bombe d’Hiroshima.

Le film se présente comme une œuvre d’auteur. Il illustre tout ce qui sépare le langage cinématographique de l’écriture proprement dite. Tout en respectant scrupuleusement la biographie, il nous entraîne dans l’espace et le temps d’une façon apparemment débridée. C’est pourquoi il déroute les spectateurs (et les critiques) ignorants de l’histoire. Aussi avons-nous choisi de vous raconter celle-ci ou du moins les éléments qui vous aideront à mieux comprendre le film avant que vous n’alliez le voir ou même si vous l’avez déjà vu.

Des enjeux très actuels

Il y a un siècle, quand le jeune Oppenheimer entrait à Harvard (Massachusetts), la prestigieuse université comptait seulement quelques noirs mais imposait un quota pour limiter le nombre d’étudiants juifs, ceux-ci représentant déjà un cinquième des effectifs ! Dans sa lettre de recommandation pour Cambridge (Angleterre), le professeur Bridgman écrit : « Comme son nom l’indique, Oppenheimer est juif, mais sans les caractéristiques usuelles de sa race… »Aujourd’hui, Harvard s’impose à l’inverse un quota minimum de personnes noires et « racisées » mais l’esprit raciste de la démarche n’a pas changé.

Dans l’Amérique profondément ségrégationniste de l’entre-deux-guerres, les questions raciales ne mobilisent pas la jeunesse intellectuelle et aisée qui peuple les campus américains et dont fait partie Oppenheimer. Quant aux enjeux sociaux des États-Unis eux-mêmes, victimes de la Grande Dépression, on n’a pas connaissance qu’ils aient beaucoup mobilisé le jeune homme.

D’après ses dires, la moitié des étudiants et des enseignants, à Berkeley (Californie) et ailleurs milite alors au parti communiste ou en est proche, feignant d’ignorer – ou ignorant vraiment - que le modèle soviétique mis en œuvre par Staline et illustré par les purges, le goulag et la famine, n’a rien d’un camp de vacances !

Oppenheimer lui-même aurait lu en entier Das Kapital (en allemand) et les œuvres de Lénine ! De 1936 à 1942, il verse des sommes relativement importantes en soutien aux républicains espagnols mais aussi aux réfugiés victimes de la guerre d’Espagne et du nazisme allemand. De manière stupéfiante, lors de son audition de 1954, Oppenheimer explique : « Je ne considérais pas alors les communistes comme dangereux ; et certains de leurs objectifs déclarés me semblaient même désirables ».

D’aucuns y verront une similitude avec certaines mouvances contemporaines d’ultra-gauche. Plutôt que de se mobiliser contre les dérives du capitalisme financier et du consumérisme, elles promeuvent la délirante « théorie du genre », remettent la « race » au cœur de la politique et se montrent à l’égard de l’islamisme d’une mansuétude sans limite qui rappelle l’attitude de leurs aînés à l’égard du communisme soviétique.

Le « procès » dont est victime Oppenheimer en 1954 a aussi de troubles relents actuels. Voilà une société qui se présente comme le fer de lance du monde libre mais où une poignée d'individus dépourvus d'une quelconque légitimité démocratique va réussir à ruiner en quelques semaines la réputation d'un savant immensément populaire en étalant dans la presse sa vie personnelle et en répandant les commérages les plus incertains. Tout cela parce que ledit Oppenheimer, du fait même de sa popularité, est susceptible d'entraver les vues de ses détracteurs concernant la course aux armements et le développement de la bombe H. 

Comment ne pas songer aux penseurs actuels condamnés au silence par les réseaux sociaux et les cabales médiatiques en raison de leurs opinions divergentes sur des sujets hautement sensibles (souveraineté, la mondialisation, les frontières, les relations avec la Russie, etc.)?

On peut être sensible au débat sur la prévention de la guerre. Le physicien hongrois Leó Szilárd, réfugié à New-York, suspecte en 1939 les Allemands d'être en situation de produire la bombe atomique. Avec le concours d'Einstein, il presse le président Roosevelt d'engager des travaux dans cette voie. Il importe pour la sauvegarde de la paix que les démocrates obtiennent la bombe avant les nazis !

Mais après la défaite du IIIe Reich, le physicien comprend que la bombe n'a plus lieu d'être et se démène pour éviter qu'elle ne soit larguée sur le Japon, lequel est déjà virtuellement vaincu. Il demande au moins que les Soviétiques, encore alliés des Américains, soient informés des recherches sur la bombe, voire associés à celles-ci afin de les dissuader d'entrer dans une course aux armements qui pourrait être fatale à l'humanité. Encore une fois, il échouera dans cette tentative. On pourrait y voir un parallèle avec l'évolution des relations entre l'Amérique et la Russie au cours des deux dernières décennies, du partenariat à la guerre quasi-déclarée. 

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Da_S 04.08.2023 | 22h08

«D'après le livre "Le roman des espionnes" de Vladimir Fedorovski, le renseignement soviétique avait réussi à infiltrer l'équipe de Oppenheimer, notamment avec le scientifique allemand Klaus Fuchs, et six mois avant le premier essai nucléaire, le Kremlin avait connaissance des principaux éléments de construction du dispositif.»


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