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Analyse

Analyse / Izïa: la violence politique en chanson, une vieille histoire


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C’est le beuze de ce mois de juillet. La rockeuse Izïa Higelin est poursuivie par le Parquet de Nice pour «provocation publique à commettre un crime ou un délit». En l’occurence, le lynchage virtuel sur scène d'Emmanuel Macron. Naguère, chansons et provoc’ politique firent souvent bon ménage. Mais aujourd’hui nous avons le cuir plus fragile.



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Jeudi 6 juillet, la fille du très regretté Jacques Higelin donne un concert de rock du genre musclé au Festival Les Nuits Guitare à Beaulieu-sur-Mer, petite ville située à un jet de décibels de Nice. Entre deux morceaux – histoire de tenir son public sous courant continu et de laisser ses musiciens souffler un brin –, elle entame des monologues plus ou moins délirants.

Celui qu’elle a lancé ce soir-là fera son petit effet. Se glissant dans la peau du président Macron, elle vaticine: «Je pense que ce que le peuple veut, ce dont le peuple a envie, c'est qu'on m'accroche à vingt mètres du sol telle une piñata1 humaine géante, et qu'on soit tous ici présents munis d'énormes battes avec des clous au bout comme dans Clockwork Orange (titre original du film Orange mécanique). Et là, on le ferait descendre, mais avec toute la grâce et la gentillesse que les gens du Sud ont. On aurait tous notre batte avec nos petits clous, et dans un feu de Bengale de joie, de chair vive et de sang, on le foutrait à terre, mais gentiment tu vois…»

L’objet du délit

Les fans d’Izïa Higelin ont bien rigolé. Mais d’autres spectateurs, sans doute moins habitués aux folies de la scène rock, ont aussitôt alerté la gendarmerie qui a déplacé quelques-uns de ses militaires pour interpeler la rockeuse. En vain, elle avait déjà plié bagage avec ses musicos. Toutefois, le procureur de la République de Nice a diligenté contre Izïa une enquête préalable qu’il a confiée aux gendarmes du lieu. A la suite du scandale, la mairie de Marcq-en-Barœul a décidé d’annuler le concert qu’Izïa Higelin devait donner dans cette ville du nord de la France, la veille du 14-juillet. Aussitôt hérissées sur les réseaux sociaux, les protestations indignées semblaient voir dans ce récitatif lyncheur la marque de notre époque vouée aux incivilités et à la violence.

Les rois de France malmenés en chanson

Pourtant, rien de nouveau sous le soleil de Satan. La chanson fut toujours le véhicule préféré de la provoc’ politique. Sans remonter au Déluge, citons les chants pimentés qui enflammèrent les rues de Paris lors de la Fronde. A preuve, cet extrait d’une chanson qui remonte à l’an 1648. Elle exprime une certaine animosité envers Anne d’Autriche, Reine de France et Régente du Royaume: «Mais je voudrais bien étrangler/ Notre putain de Reine.»

En comparaison, Izïa Higelin ferait presque petite chanteuse du Couvent des Oiseaux.

D’aucuns ont d’ailleurs qualifié la France d’Ancien régime de «monarchie absolue tempérée par les chansons», compte tenu de la fréquence des airs irrespectueux envers le Trône et l’Autel.

Louis XV, dit «le Bien-Aimé», fut la cible préférée des chansonniers de la rue parisienne. En voici un édifiant extrait: «Louis, du nom de Bien-Aimé,/ Ton peuple te déclare indigne./ Sans doute on tavait mal nommé,/ Louis, du nom de Bien-Aimé;/ par ton sceptre on est opprimé,/ Si lon est traître, fourbe insigne,/ Louis, du nom de Bien-Aimé,/ Ton peuple te déclare indigne […] Putains, maquereaux ou prélats/ Sont les seuls que ta main caresse.»

«Tout finit par des chansons» disait Beaumarchais. En France, on serait tenté de paraphraser: tout commence et tout finit par des chansons, même les Rois de droit divin, à l’exemple de cette chanson révolutionnaire qui s’est répandue sur les boulevards à la suite de l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793: «Le vingt et un janvier/ Sept cent quatre vingt treize,/ Capet, tyran dernier,/ Quon nommait Louis Seize,/ A reçu ses étrennes/ Pour avoir conspiré./ Ce fuyard de Varennes est donc guillotiné.»

Et là pas question de le guillotiner façon Izïa «avec toute la grâce et la gentillesse des gens du Sud»!

Brassens et les pandores

Plus récemment, sous la IVème République française, Georges Brassens n’y est pas allé de main morte avec cette incarnation bleu-marine (n’y voyez aucune allusion malsonnante) de l’Etat qu’est la Gendarmerie Nationale. Rafraichissons les mémoires par quelques extraits de cette chanson intitulée Hécatombe qui narre la déconvenue de la maréchaussée aux prises avec les harpies du marché de Brive-la-Gaillarde.

(…)

En voyant ces braves pandores

Etre à deux doigts de succomber,

Moi, j'bichais, car je les adore

Sous la forme de macchabés.

(…)

Jugeant enfin que leurs victimes

Avaient eu leur content de gnons,

Ces furies, comme outrage ultime,

En retournant à leurs oignons,

Ces furies, à peine si j'ose

Le dire, tellement c'est bas,

Leur auraient même coupé les choses:

Par bonheur ils n'en avaient pas!

Leur auraient même coupé les choses:

Par bonheur ils n'en avaient pas!

Les rappeurs d’aujourd’hui ont-ils été aussi loin dans leurs diatribes antiflics que le père Brassens en 1952, date de la sortie du disque?

L’«Hécatombe» fait scandale 60 ans plus tard!

A l’époque, cette chanson était, l’on s’en doute, interdite d’antenne. Mais c’est tout. Il est symptomatique de constater qu’elle n’a intéressé la justice qu’à la nôtre, d’époque!

Le 27 mai 2011, il s’est trouvé un juge à Toulouse pour condamner un garçon de 27 ans pour outrage, à 40 heures de travaux d’intérêt général et 100 euros d’amende. Son crime? Avoir chanté Hécatombe au passage de trois policiers. Et ce n’est pas tout. Peu après, 29 choristes de la «Canaille du Midi» ont été interpelés pour avoir chanté la même chanson devant le commissariat central de Toulouse en guise de protestation contre la condamnation du jeune homme.

Le rock et sa «Graine de violence» 

Le «récitatif halluciné» d’Izïa Higelin s’inscrit aussi dans la culture rock, imprégnée de violence. Cela dit, ce n’est pas le rock qui est à la source de la violence. Elle sourd de la société étatsunienne où il est né. S’il existait auparavant, c’est à partir du film Graine de violence (titre original: Blackboard Jungle), réalisé par Richard Brooks, que le rock n’roll a commencé à se diffuser grâce au célèbre Rock around the Clock chanté par Bill Haley.

Dans les pays de langue française, la violence rock a surgi sur la scène médiatique dès le début des années 1960. L’exemple le plus hirsute nous est offert par le concert de Vince Taylor, dans le contexte d’un festival international du rock, qui s’est tenu – enfin qui a tenté de se tenir! – au Palais des Sports de Paris, le 18 novembre 1961. Rappel des faits:

La salle est dévastée avant que Vince Taylor, en vedette, ne monte sur scène. Dans le public, des jeunes femmes et des jeunes hommes, blousons noirs ou sans blousons apparents, déboulonnent les sièges ou en arrachent quelques morceaux, sen servent de projectiles, visent la scène et les forces de police. On veut se débarrasser de ces rangées de sièges encombrants, on veut créer de lespace pour danser, on se bouscule, on se chamaille, on se bagarre, on veut aussi sapprocher des artistes en débordant le service de sécurité, et pourquoi pas braver au passage les forces de police qui commencent à frapper pour éviter que tout dégénère dans un lieu de concert qui devient arène. Bis repetita placent, car la première édition du 24 février avait elle aussi très mal tournée à lissue de la prestation de Johnny Hallyday. Deux mots sont repris dans les médias: fanatisme et hystérie. Voici ce que lon entend à la radio le 19 novembre 1961, le lendemain, dans Interactualités: «la police a dû intervenir en masse pour empêcher les fans – si vous préférez les fanatiques – de Monsieur Vince Taylor de tout massacrer; ce ne fut plus du délire, ce fut de lhystérie».

Horrifiés, les médias pour croulants (terme qui était utilisé par les vieux de maintenant pour qualifier ceux d’alors) vouent cette «musique de sauvages» aux gémonies. Le préfet de police parisien Maurice Papon, de triste mémoire, souhaite même l’interdiction des concerts de rock en France. Le rock devient le vecteur de la rage de vivre de toute une génération coincée dans des carcans moraux hérités du XIXème siècle. Une rage qui explosera en Mai-68. Vince Taylor payera cher les fauteuils brisés, poursuivant une carrière en dents de scie alors qu’il était promis à la gloire rockeuse. Le chanteur se retirera à Lutry avec sa famille en 1983 pour y mener une vie plus tranquille, consacrée à la mécanique aéronautique. Il y décèdera le 27 août 1991 à l’âge de 52 ans des suites d’un cancer aux os.

Scopitone de Vince Taylor

En replaçant l’«affaire Itzïa» dans sa perspective historique, il apparaît que les indignations qu’elle a suscitées sont disproportionnées. Certes, balancer de tels propos sur le président Macron alors que nombre d’élus subissent actuellement des violences n’est pas la marque d’une vive intelligence. Toutefois, les agresseurs de maires n’ont pas attendu la rockeuse pour passer à l’acte. La fille de Jacques Higelin a tenté d’expliquer son sulfureux propos lors d’une interview donnée à Ouest-France: 

«C'est une histoire, un liant improvisé et surréaliste entre deux titres, qui parle de tout et de rien et qu'il ne faut surtout pas prendre au premier degré.» C’est ignorer qu’aujourd’hui l’usage intensif des réseaux ainsi, peut-être, qu’une certaine décérébration induite par près de septante ans de télévision à haute dose, ont tué le second degré. Dans un monde où la culture littéraire s’effiloche, on prend tout au pied de la lettre. Un pied qui fait boiter notre sens de l’humour.


1D’origine mexicaine, la piñata est un objet creux fourré de friandise que les enfants tentent de casser au moyen de bâtons afin de s’emparer de son contenu, une fois à terre. Evidemment, comparer le président de la République à un objet creux plein de friandise, ce n’est pas très gentil. Sans oublier les coups de bâton pour le faire éclater… 

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Maryvon 24.07.2023 | 14h37

«Pour ma part, j'en ai plus qu'assez de ces filles et fils de..., lesquels se permettent de dire n'importe quoi sachant qu'ils ne risquent rien ou pas grand-chose. De plus, c'est tellement facile d'être de gauche lorsqu'on a le porte-monnaie bien rempli grâce à papa. Quant à Brassens que vous citez dans votre article, il avait non seulement du talent mais de l'humour également. Si je ne fais erreur, ses débuts dans le monde de la chanson n'ont pas été facile et il vivait très chichement.»


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