Actuel / Jeu de geeks, mode d’emploi pour les nuls
© M.F.
Pont-la-Ville (FR), sélection de l’équipe suisse pour les championnats du monde de WarHammer à Atlanta, USA. Vous n’y comprenez rien? Moi non plus, mais je suis fasciné par cet engouement des jeunes pour les jeux, vidéo ou non. On se représente souvent les geeks comme des asociaux isolés et en rupture avec la société, ici c’est tout le contraire. J’ai voulu comprendre, j’ai été voir.
Samedi 18 mars 2023, 9 heures du matin. Un charmant village fermier au bord d’un lac qui respire la tranquillité. Ça sent bon la Gruyère. Le temps est lent. Une salle communale classique, polyvalente, des lignes de terrain de basket au sol et des espaliers sur le côté. En classe de gym, les ados s’affrontent autour d’un ballon. Aujourd’hui, les combattants se feront face par deux, le décor des batailles épiques planté sur des tables banales. Vingt-et-une tables pour quarante-deux compétiteurs.
La journée va être longue, trois rounds de combats, trois rounds de 3 heures 30. Sur chaque table, des figurines, un décor. L’imagination est fertile, la créativité présente, le futurisme au rendez-vous (le futurisme pour mémoire est aussi un mouvement littéraire et artistique du début du XXème siècle qui rejette toute tradition passée et exalte le futur). Les joueurs créent et peignent leurs figurines comme les anciens créaient les soldats de plomb, la filiation n’est pas rejetée. Le décor est planté avec le soin d’un maquettiste de trains électriques. La bataille peut commencer.
A gauche, L’homme en mouvement, Umberto Boccioni, 1913, Museum of Modern Art, New York. Au centre, une figurine de warhammer au tournoi de Pont-la-Ville. A droite, un dragon sur le sentier du tour du Schwarzsee.
Nous n’entrerons pas ici dans le détail des règles du jeu et de la sélection, c’est la motivation des joueurs, les aspects sociétaux et relationnels qui nous intéressent. Casser le cliché. Et pour cela, entendons-les en parler. Notre premier interlocuteur, Pierrick, 35 ans. Pierrick accompagne la transition numérique dans une grande enseigne de sport, il est président du club régional de warhammer, moteur de l’organisation.
M.F.: Vous êtes manifestement tombé tout jeune dans cette marmite, comment cela s’est-il passé?
Pierrick: J’avais neuf ans. Un anniversaire, une initiation dans un magasin de jouets. J’habitais Cahors. La passion ne m’a plus quitté. J’ai fait plus tard de l’accompagnement en environnement de jeux comme conseil en entreprise. Les jeux de rôle sont une façon ludique, donc efficace, d’apprendre. C’est devenu mon métier pour un temps.
Qu’est-ce qui vous a tellement plu dans ce jeu?
L’attrait du fantastique, le fait qu’on se projette dans un scénario, on le vit, la créativité. J’ai toujours aimé la compétition, on peut en tirer le meilleur de nous-mêmes.
L’univers du jeu vidéo véhicule une image de déconnexion avec la société, de dangereux isolement des joueurs cloitrés dans leur chambre et n’ayant plus que des contacts virtuels avec le monde, qu’en pensez-vous?
C’est bien le contraire qui se passe ici, il vous suffit d’ouvrir les yeux pour le voir. Au-delà du jeu virtuel, ce sont des rencontres bien physiques qui ont lieu, une communauté soudée, des figurines réalisées et peintes avec de la vraie matière, de la vraie peinture, un espace bien réel pour nos champs de bataille. Le virtuel n’empêche pas le réel.
L’équipe de mise en place. © M.F.
Et en avant la zizique. © M.F.
Toute cette équipe est bien sympathique. Ça n’est pas la bénichon, mais l’ambiance kermesse est sensible derrière le sérieux du jeu, la buvette au rendez-vous. Les tactiques font penser aux échecs, peut-être aussi en raison du système de pendules de contrôle du temps de jeu de chacun. Je n’ai manifestement pas affaire à des écervelés, alors je demande à Pierrick si, au-delà des combats qui se mettent ici en scène, il s’intéresse aussi à l’histoire des champs de bataille et si cela lui apporte plus que du divertissement dans sa vie courante. La culture est au rendez-vous.
Pierrick: J’ai lu plusieurs fois L’Art de la Guerre de Sun Tsu, lu Clausewitz, étudié les batailles napoléoniennes, je suis passionné des légendes arthuriennes. Notre univers permet de fédérer des armées comme elles le furent dans le passé. Notre façon de penser, d’agir dans le jeu se répercute dans la vie professionnelle.
M.F.: De quelle façon?
Le jeu nous apprend à faire des choix stratégiques, nous exerce sans conséquence autre que perdre la partie quand nos choix sont mauvais. On apprend sans avoir peur de perdre. Il y a aussi un côté psychologique, poker et bluff, on apprend à feinter pour désarçonner l’adversaire. C’est très précieux dans la vraie vie.
Quelque chose à ajouter?
Il ne faut pas avoir peur d’essayer. Le montage des figurines est un acte créatif, les maquettes une dynamique sociale et la communauté crée de solides amitiés. On peut nous joindre sur Facebook ou Instagram, groupe Adeptus Geekus.
Espace, hasard et temps. © M.F.
Frédéric, 48 ans, capitaine de l’équipe suisse de warhammer, cadre dans l’administration fédérale suisse, complète le propos de Pierrick.
M.F.: Qu’est-ce qui vous a amené vers ce jeu, Frédéric?
Frédéric: J’ai commencé à 13 ans, dans un cercle d’amis. Collectivement, l’intérêt était dans les jeux de rôle et la sociabilité. Individuellement, dans une création de l’ordre du modélisme avec ces figurines qui réunissent peinture, jeu et collection.
Quand vous aviez 13 ans, c’était le tout début des jeux, non?
Oui, il s’agissait de dénicher les bons coins, aller acheter à Paris, se frotter au monde anglo-saxon, pionnier en la matière, trouver les magazines. L’accès était difficile, cela faisait partie de l’intérêt.
Vous y trouvez aussi un intérêt pour votre travail?
Non, je joue pour me vider la tête. Je cloisonne, ça me permet justement de penser à autre chose qu’au travail. C’est la convivialité des groupes, des tournois qui me plaît.
Comme capitaine d’équipe, comment voyez-vous la victoire dans les tournois?
Comme la satisfaction personnelle de chacun, la reconnaissance au sein du groupe. C’est toujours la convivialité qui compte. Se retrouver en groupe, dans les conventions, développer le côté amical est important.
C’est le hasard qui m’a amené à ce reportage. J’ai été surpris de constater à quel point les quelques préjugés que je pouvais avoir étaient infondés. Bien sûr, je ne suis pas naïf, je sais bien aussi que l’isolement excessif derrière les écrans est un danger sociétal préoccupant. Alors message aux guerriers isolés: allez donc rejoindre ces groupes! L’affrontement est une pulsion de l’homme, innée pour Hobbes, acquise pour Rousseau. Le jeu aussi, tant qu’on ne perd pas son âme d’enfant. Il reste omniprésent dans nos vies. Certains sont passionnés par le foot, le tennis ou le ski, d’autres par le warhammer, l’un n’empêche pas l’autre.
L’archétype du guerrier est présent en nous. Là, il est canalisé par des règles, ces règles dont seuls les grands et petits voyous s’affranchissent pour le plus grand malheur de tous; comme tout, c’est ce qu’on en fait qui compte. Ce que j’ai découvert aujourd’hui me rassure partiellement sur le monde de ces jeux guerriers que je connais si mal. La passion et l’amitié de ceux qui s’y adonnent orientent l’action, peu de risque qu’ils appuient un jour sur un bouton pour envoyer, planqués derrière un écran guerrier, un missile hypersonique sur de pauvres gens. Ça n’est pas le genre de la maison.
Ayant parlé de Sun Tsu, je terminerai en citant le livre d’une auteure qui a transposé l’Art de la Guerre en stratégie de la bienveillance en entreprise: Juliette Tournand, Un Art de la Paix, paru aux éditions Interéditions.
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C’est très précieux dans la vraie vie.</p> <p><strong>Quelque chose à ajouter?</strong></p> <p>Il ne faut pas avoir peur d’essayer. Le montage des figurines est un acte créatif, les maquettes une dynamique sociale et la communauté crée de solides amitiés. On peut nous joindre sur Facebook ou Instagram, groupe <i>Adeptus Geekus</i>.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1679562459_capturedcran2023032310.06.52.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><i>Espace, hasard et temps. © M.F.</i></h4> <p>Frédéric, 48 ans, capitaine de l’équipe suisse de warhammer, cadre dans l’administration fédérale suisse, complète le propos de Pierrick.</p> <p><strong>M.F.</strong>: <strong>Qu’est-ce qui vous a amené vers ce jeu, Frédéric?</strong></p> <p><strong>Frédéric</strong>: J’ai commencé à 13 ans, dans un cercle d’amis. Collectivement, l’intérêt était dans les jeux de rôle et la sociabilité. 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Se retrouver en groupe, dans les conventions, développer le côté amical est important.</p> <hr /> <p>C’est le hasard qui m’a amené à ce reportage. J’ai été surpris de constater à quel point les quelques préjugés que je pouvais avoir étaient infondés. Bien sûr, je ne suis pas naïf, je sais bien aussi que l’isolement excessif derrière les écrans est un danger sociétal préoccupant. Alors message aux guerriers isolés: allez donc rejoindre ces groupes! L’affrontement est une pulsion de l’homme, innée pour Hobbes, acquise pour Rousseau. Le jeu aussi, tant qu’on ne perd pas son âme d’enfant. Il reste omniprésent dans nos vies. Certains sont passionnés par le foot, le tennis ou le ski, d’autres par le warhammer, l’un n’empêche pas l’autre.</p> <p>L’archétype du guerrier est présent en nous. Là, il est canalisé par des règles, ces règles dont seuls les grands et petits voyous s’affranchissent pour le plus grand malheur de tous; comme tout, c’est ce qu’on en fait qui compte. Ce que j’ai découvert aujourd’hui me rassure partiellement sur le monde de ces jeux guerriers que je connais si mal. La passion et l’amitié de ceux qui s’y adonnent orientent l’action, peu de risque qu’ils appuient un jour sur un bouton pour envoyer, planqués derrière un écran guerrier, un missile hypersonique sur de pauvres gens. Ça n’est pas le genre de la maison.</p> <p>Ayant parlé de Sun Tsu, je terminerai en citant le livre d’une auteure qui a transposé l’Art de la Guerre en stratégie de la bienveillance en entreprise: Juliette Tournand, <i>Un Art de la Paix</i>, paru aux éditions Interéditions.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'jeu-de-geeks-mode-d-emploi-pour-les-nuls', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 434, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 3085, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4880, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Le suicide, notre dernière liberté?', 'subtitle' => '«Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, c’est le suicide.» Ainsi Albert Camus commence-t-il son «Mythe de Sisyphe», par cette phrase qui cloue. 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Cette loi pose cinq critères, seuls les deux derniers nous intéressent: </p> <ul> <li> Critère 4: Si votre «pronostic vital» n’est pas engagé <i>à court ou moyen terme</i>, vous pouvez toujours repasser (la Haute Autorité de santé définit la fin du moyen terme à 12 mois nous dit la ministre en charge du dossier). </li> <li>Critère 5: Il faut souffrir pour mourir:<i> physiquement ou psychologiquement, de façon réfractaire ou insupportable</i>.</li> </ul> <p>Ces deux critères doivent être simultanément satisfaits pour pouvoir bénéficier d’une aide à mourir. Ainsi, si l’horizon de la fin de vos souffrances est proche, on peut les abréger. Mais si la mort se fait attendre, si vos souffrances peuvent durer des années, alors il ne vous reste plus qu’à en profiter aussi longtemps que requis par la loi. Même si elles sont réfractaires à tout traitement permettant de les soulager, même si elles sont insupportables. Bonjour la logique. Et au fait, qui décide si vous souffrez ou pas?… pas vous évidemment, il faut des experts! J’imagine la carte de visite: «Expert en souffrances». </p> <p>Bon, pour l’aide à mourir, ça bouge un peu quand même et ça c’est plutôt bien. Mais il n’y a pas que les grands malades qui sont concernés. Elargissons un peu le débat.</p> <p>L’envie de mourir n’est pas un apanage catégoriel. «<i>Le suicide touche tout le monde. C’est un phénomène banal, et de façon saisissante. Plus d’un million de personnes se tuent chaque année dans le monde.</i>» (Siri Hustvedt, <i>Que sommes-nous?)</i> Des hommes, des femmes, des ados et des vieux et tous les âges entre deux, des malades et des pas malades, une rupture inattendue, une faillite, une honte, un viol, des parents outrageusement envahissants, un harcèlement, un manque de sérotonine, un mal-être, un deuil mal vécu, une souffrance de SDF, un chagrin d’amour, être rabaissé dans une famille qui réussit tout, être la victime d’une injustice, être l’auteur d’une injustice, la solitude, une maladie défigurante, une angoisse climatique, une angoisse face à ces guerres imbéciles, face à ce monde imbécile, tout peut nous mener à cet acte ultime, définitif, libérateur. Inventaire à la Prévert.</p> <p>Pourquoi ce silence, cette pudeur? Peut-être parce que nous pouvons nous sentir coupables de tout. De n’avoir rien vu venir, de n’avoir rien su empêcher, d’avoir eu cette dernière parole maladroite qu’on croit fatale. Tandis que pour un cancer, une maladie incurable: «Oh là là c’est la fatalité que voulez-vous! Un cancer du poumon?… et dire qu’il ne fumait même pas le pauvre! Et puis c’est incurable, on n’peut rien y faire, c’est ben triste mais c’est comme ça.» De ceux-là, on ose parler; on ose en débattre, argumenter, légiférer. Pour le reste, c’est trop douloureux, déstabilisant, presque honteux. Alors on se tait.</p> <p>Trois crépuscules, trois histoires:</p> <p><strong>Stefan Zweig</strong> a choisi de mourir au Brésil, un 22 février 1942. Il avait tout, le succès, l’amour, la santé, la sécurité, mais n’en pouvait plus de ce monde de brutes. Bien sûr je ne suis pas dans sa tête, pas dans sa peau, je caricature, mais toutes les valeurs de ce grand pacifiste brûlaient avec l’Europe à feu et à sang. C’était un amputé de l’espoir. Avec sa femme, Lotte, ils ont décidé d’en finir. Des barbituriques, comme Marylin, comme tant d’autres. Peut-être en vente libre à l’époque. En tout cas ça ne semblait pas un problème d’en trouver. Elle a posé sa tête sur son épaule, ils se sont endormis, pas réveillés.</p> <p>Et puis il y a <strong>cet homme</strong> qui voulait en finir avec ses souffrances, partir sous sédatif, accompagné. Ses frères s’y opposèrent. Procéduriers, ils mirent des bâtons dans sa roue. L’homme n’avait ni la force ni le temps ni l’envie de se battre. Il a dit d’eux «[…] ils m'empêchent d'avoir un accompagnement en fin de vie harmonieux et paisible, entouré de personnes qui m'aiment. […] Littéralement, ils me torturent.» Alors il a mis fin à ses jours dans la solitude. Sans vraiment savoir, je l’imagine comme Bruno Bettelheim se mettre la tête dans un sac en plastique et attendre de n’avoir plus d’oxygène pour s’en aller. Ça, personne ne peut l’empêcher.</p> <p>Enfin <strong>cette dame</strong> de 86 ans qui voulait mourir avec son mari, condamné, en lui tenant la main. Un médecin engagé et compatissant l’aida. Le Ministère public genevois l’attaqua. Le médecin, n’étant pas agi par un motif égoïste dont il se serait rendu coupable, ne pouvait être poursuivi pénalement. Alors la «justice», dans une contorsion indigne déplaça l’accusation vers la loi sur les stupéfiants. Elle voulait le faire condamner comme un vulgaire dealer, lui qui s’était rendu coupable d’un acte de compassion. Condamné, puis acquitté, le Ministère public ayant la dent dure porta l’affaire devant le Tribunal fédéral. En vain. Les Sages savent parfois être sages!</p> <p>Dialogue imaginaire en épilogue de cette histoire: «Vous n’avez pas le droit Madame, lui dit la loi. — Mais c’est ma vie, répondit-elle, je ne veux pas rester toute seule, déchirée, malheureuse, je vous en supplie, laissez-moi mourir avec lui. — Pas question, Madame, il faut être gravement malade pour mourir. Lui l’est, vous pas. Vous devez attendre. — Pitié, je ne veux pas de l’enfer du survivant! — Non Madame, pas question! Et puis… c’est pour votre bien!» </p> <p>Trois histoires, trois morales.</p> <p>Et des histoires, il y en a tant. Des poignantes, des tristes, des belles aussi. Allez, encore une petite, presque tendre. Tout récemment, un ami cher me parla de son oncle, alpiniste, qui un jour organisa une soirée en famille, plaisantant, riant, apparemment heureux – et sans doute l’était-il – en ce dernier moment qu’il s’offrait, fier de cette dernière image de lui qu’il laissait. Tout le monde était bien. Une soirée euphorique. Personne ne se doutait, personne ne savait. Il avait préparé un petit plat mijoté, tout simple, qu’il préférait aux sophistications exotiques, ouvert une bonne bouteille de Dézaley et même dansé le French Cancan. Et comme il était grand, pourvu de longues jambes, ses pieds touchaient presque le plafond, me confia mon ami, ému. Le lendemain, on l’a retrouvé mort au pied d’une falaise, une lettre d’adieu dans la poche. Il était monté, lentement, jusqu’au sommet de la Cape au Moine. Sa descente ne dura que le temps de son dernier souffle. On ose imaginer une ultime bouffée de bonheur, contemplant le Léman en majesté, perché tout en haut de cette chaîne de l’arrière-pays montreusien qu’il aimait tant.</p> <p>Derrière tout ça, il y a ce qu’on appelle une question éthique. Faut-il aider ceux dont on sait que de toute façon, ils arriveront à leurs fins? Faut-il à un moment donné comprendre que leur décision est irrévocable et leur éviter l’euphémisme de <i>l’accident de personne</i>, de la <i>chute accidentelle en randonnée</i>, ou de <i>l’overdose</i> <i>médicamenteuse</i>. Moi, je ne sais pas. Mon éthique est personnelle, pas sociétale. Mais ce que je sais, c’est qu’il faut en parler.</p> <p>Sinon, celui qui a du temps et de l’argent ira à Tijuana chercher la mort en flacon pour 50 dollars, un autre s’ouvrira les veines dans sa baignoire après avoir pris un sédatif, un troisième finira comme un oiseau qui perd ses ailes, au fond d’un ravin. Pour celui qui veut en finir avec la vie, il y a l’embarras du choix. Il y eut même un livre, <i>Suicide mode d’emploi</i>. Il fut censuré. Il faut dire qu’il donnait, produit par produit, les doses recommandées, létales. Il donnait le moyen de ne pas se rater. Et ça, ça ne se fait pas! Affirmer: «Sauter du 5ème étage, mort probable, du 10ème, mort certaine; sur les rails, mort certaine aussi», c’est permis, mais écrire: «<i>Nembutal : DM [dose minimale] 6 à 8 g., DS [dose suggérée] 10 g. soit 100 comp. à 100 mg (4 flacons de 25 comp.), ou 4 flacons de soluté injectable à 2.5 g. Effet rapide. Tableau C</i>», ça c’est interdit! On peut prescrire une mort violente dans une déclaration approximative avec dégâts collatéraux (ramasser les corps brisés, déchiquetés), mais pas question de favoriser une mort douce, voulue en conscience.</p> <p>En conclusion de cet article par nature réducteur et évidemment limité, je reviens à la case philosophie. «<i>Aucune liberté ne devrait être retirée à celui qui ne nuit pas à autrui</i>» écrit John Stuart Mill dans<i> De la Liberté</i>. Cela, même s’il se nuit à lui-même gravement, précise-t-il en substance. Cette maxime, aussi simple à comprendre que délicate à appliquer (je n’y reviens pas, j’ai développé le sujet dans <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/liberte-j-ecris-ton-nom-1" target="_blank" rel="noopener">un précédent article</a>), résume tout des dérives du contrat social. 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Parce qu’existentiellement, c’est autre chose… Et puis ils sont quand même gonflés ces empêcheurs de mourir en rond, tous ceux qui nous promettent un paradis céleste et veulent nous empêcher d’y aller, qui veulent faire durer un enfer sur terre à ceux qui y sont englués.</p>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'le-suicide-notre-derniere-liberte', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 538, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 13, 'person_id' => (int) 3085, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4446, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Ok boomer!', 'subtitle' => 'Les boomers sont responsables de tous les maux de la terre, c’est bien connu. 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Alors je veux au moins «tenter» de chuchoter que notre génération n’a pas fait que des bêtises. Ethiquement parlant. </p> <p>En premier lieu, les combats pour la liberté et pour l’égalité. Pour la fraternité, c’est raté.</p> <p>Il reste beaucoup à faire en matière d’égalité, c’est entendu, mais voyez les progrès réalisés pendant cette génération boomer. Comparez la situation des femmes de 1960 à celle de 2020, ça n’est pas rien nom de Dieu! Et en ce qui concerne la liberté, itou. Je me souviens que <em>Charlie Hebdo</em> (son ancêtre), déjà lui, fut interdit parce qu’il avait titré, suite la mort du général: «<i>Bal tragique à Colombey: 1 mort!</i>» Et paf! Censuré! Contraire à l’ordre moral. Ce qui était «contraire à l’ordre moral» fondait la justification de la censure. Une forme de dictature de la liberté d’expression, on appelait ça <i>les Ciseaux d’Anastasie</i>. Eh bien ce sont les boomers qui ont fait voler en éclats cette dictature déguisée, pour le meilleur et pour le pire! Mai 68, Black Power, Flower Power aussi, manifestations contre l’imbécile guerre du Vietnam, <i>Make Love not War</i>, <i>Hair</i> – en comédie musicale, en film –, c’est les boomers. La jouissance décomplexée – et pas seulement masculine –, encore eux! Aujourd’hui on n’ose même plus monter dans un ascenseur si on n’est pas au moins trois pour se défendre en cas de procès, mais dans quel monde vit-on? Bien sûr les extrémistes de toutes sortes et les racistes gluants utilisent cette liberté à mauvais escient, mais interdit-on les couteaux en cuisine au prétexte qu’ils peuvent tuer dans la rue?</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1693423117_bpltcharlielove.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="607" height="399" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Arrêter la censure, arrêter la guerre. © DR</em></h4> <p>En marge de ces grandes valeurs, j’ai encore envie de parler de deux ou trois «petites choses» que la jeunesse doit aux boomers. D’abord, cet étrange rectangle lumineux dont on use et souvent abuse et qu’on appelle chez nous <i>Natel</i> et ailleurs <i>portable</i>… héhé ce sont les boomers qui l’ont inventé. Ils ont créé cet instrument dont personne ne peut plus se passer, celui-là même qui permet aux jeunes générations de les vilipender. Soit dit en passant, les boomers ont aussi inventé internet et les réseaux sociaux… sur lesquels ils sont parfois détestés. Dans un tout autre registre, ils ont construit les stations d’épuration. Aujourd’hui, nous baigner dans des lacs propres va presque de soi alors que quand j’avais vingt ans, les lacs étaient dits <i>en état d’eutrophisation </i>avancée (manque d’oxygène, mort des poissons) et il fallait nager en zigzagant entre les étrons et les capotes usagées. On pourrait bien sûr encore évoquer l’excellence du système éducatif, du système de santé, et de tous les systèmes qui font que notre société tourne plutôt pas trop mal, mais je m’arrête là, l’idée de cet article n’est pas de faire défensivement la liste des actifs favorables, mais de prendre du recul sur les critiques exagérées et d’instiller de la nuance dans le texte.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1693423182_bpltplageselfie.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="742" height="266" /></p> <h4 style="text-align: center;"><i>La fera et les perches frétillent de nouveau </i><em>© DR / L’appareil est moderne, le geste est antique © M.F.</em></h4> <p>Dans toute activité humaine, il y a du bon et du mauvais. En 1953, Hergé écrivait <i>On a marché sur la lune</i>. En 1969, à l’aube des boomers, on l’a fait. En y envoyant des hommes, le président Kennedy a contribué à l’effet de serre autant qu’il a fait avancer la connaissance humaine, il a marqué son territoire géopolitique jusque dans l’espace autant qu’il a permis à des millions de gens de rêver. En faisant la guerre au Vietnam en revanche, pas grand-chose de bon à retenir, comme pour toutes les guerres. A propos de guerres, relevons que les boomers ont assuré la paix en Europe durant toute leur génération, ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de ce continent! Une paix qui a créé de la prospérité, une prospérité qui a causé le réchauffement climatique. Les voies du bonheur sont un brin vicieuses!</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1693423240_bpltlune.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><i>Lever de terre depuis la lune… ou changer de point de vue </i><i></i><em>© DR</em></h4> <p>Alors bien sûr qu’on le déplore, le réchauffement climatique, on s’en désole tous, mais n’y a-t-il pas parfois un double discours chez ces millions de jeunes procureurs qui prennent l’ascenseur pour monter deux étages, qui aiment le confort d’un SUV quand ils ont la trentaine riche et qui prennent l’avion pas cher pour flâner un week-end à Barcelone? Résultat, ça chauffe toujours et de plus en plus. Et au final, vers quoi nos enfants se dirigent-ils? Adaptation ou dystopie? Ce qui est sûr, c’est qu’un nouveau modèle de société doit être reconstruit, moins égoïste, plus respectueux. Sera-ce une réussite? «L’avenir nous dira ce que nous réserve le futur» comme l’a si bien exprimé un lauréat du <i>Prix Champignac</i>.</p> <p>Après ces quelques exemples qui soulignent la complexité du jugement, l’ambivalence de chaque situation et la nécessité de la nuance, je conclurai cet article en passant le micro à Michel Polnareff qui a composé ce qui pourrait être l’hymne des bommers: «<i>On ira tous au paradis… même moi!</i>» Car après tout, après avoir honteusement profité des bontés de la Terre, on a bien l’intention de profiter de celles du ciel. 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Elle soulève des questions-clés sur le fonctionnement de nos sociétés en général et de nos démocraties en particulier. Précisément, Mill écrit dans<i> De la Liberté</i>: «(...) liberté des goûts et des occupations, liberté de tracer le plan de notre vie suivant notre caractère, d’agir à notre guise et risquer toutes les conséquences qui en résulteront, et cela sans en être empêché par nos semblables tant que nous ne leur nuisons pas, même s’ils trouvaient notre conduite insensée, perverse ou mauvaise.»</p> <p>La première des questions qu’il faut se poser est évidemment: «qu’est-ce que nuire à autrui?» Car en fait, dès notre naissance, nous nuisons. Nous nuisons, «à la planète» comme on dit aujourd’hui, rien qu’en respirant. En effet, dès son premier cri, tout bébé rejette du CO<sub>2</sub>. Il le fera toute sa vie. Et le CO<sub>2</sub>, c’est du gaz à effet de serre. C’est caricatural mais cela montre bien que l’absence de nuisance ne peut être un critère en tant que tel. Il faut définir sa nature et un seuil qui justifient une restriction. On ne va pas décimer le cheptel des vaches sous prétexte qu’elles émettent du méthane en ruminant.</p> <h3>Quelle légitimité ont ceux qui imposent?</h3> <p>Alors, ça nous mène à la question suivante, essentielle: qui décide de cette nature acceptable ou non de la nuisance et de son seuil, donc de nos libertés? Et avec quelle légitimité?</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1668674955_rvolutionfrancaise.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="606" height="408" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>© DR</em></h4> <p>Les autocraties sont par nature illégitimes, n’en parlons donc pas. Mais qu’en est-il des systèmes dits démocratiques? Ecoutons ce qu’en pense Churchill: «La démocratie est la pire forme de gouvernement… si l’on excepte tous les autres.» Intéressant. Et dire qu’un tout récent Premier ministre de la démocratie de son pays – considérée comme une référence historique – fut portée au pouvoir par moins de 1% des citoyens… pour 44 jours. Au-delà de cette anomalie, il faut bien constater que 51% des citoyens peuvent imposer leur volonté aux 49% restants (dans les institutions démocratiques pas trop alambiquées), et que ces 51% peuvent voter des lois parfois moralement illégitimes, discriminatoires ou excessives. Mais on n’a guère trouvé mieux. Mill nomma ces abus <i>la Tyrannie de la majorité</i>. Cette «tyrannie» mise en œuvre par des actes légaux se double parfois d’une tyrannie de l’opinion. Ecoutons encore la voix de Mill: «Il faut aussi se protéger contre la tyrannie de l’opinion, (…) contre la tendance de la société à imposer (…) ses propres idées et ses propres pratiques comme règles de conduite à ceux qui ne seraient pas de son avis.» Une petite musique qui bourdonne encore aux oreilles des non-vaccinés.</p> <h3>L’effet panique des pandémies</h3> <p>Après ces généralités, entrons dans vif du sujet. Voyons comment tout ça fonctionne dans ce cas qui nous intéresse, les pandémies. En période pandémique, tant que la compréhension n’est pas là et que les remèdes (préventifs ou curatifs) restent absents, on peut comprendre états d’urgence et lois d’exception. Notre mémoire collective des pestes passées est à l’œuvre: protection à tout prix, même au prix de la liberté. Mais quand tout le monde est en mesure de se protéger – accès au vaccin – ou de se soigner – anticorps monoclonaux–, l’heure de l’infantilisation devrait disparaître et la possibilité de choix personnels libres être réhabilitée.</p> <h3>Un point de vue médical sur les restrictions de liberté</h3> <p>Pour y voir clair, le Professeur Antoine Flahault, directeur de l’Institut de Santé Globale en faculté de médecine de l’université de Genève, a eu la gentillesse de nous recevoir et de répondre à nos questions. Je précise d’emblée que lui comme moi sommes persuadés de la nécessité d’une large couverture vaccinale, non pour éradiquer le Covid mais pour transformer la pandémie en maladie endémique, contrôlée. Personnellement, je considère en revanche la politique du pass vaccinal comme abusive, et je m'attendais à entendre une argumentation implacable de sa part me démontrant l’immaturité de ma position. Eh bien non!</p> <p>Lui aussi est critique, très critique même à l'égard de cet <i>Ausweiss</i> responsable d’une nouvelle forme d’<i>apartheid</i>. Il commença par qualifier cette politique coercitive de «spécieuse», terme autant désuet que délicieux. Le Professeur Flahault le souligne bien, le vaccin – et particulièrement depuis le variant Omicron (mais aussi les autres avant) – n’empêche pas un vacciné d’être porteur du virus ni de contaminer son entourage, et notamment les plus faibles, ceux qu’on veut protéger. C’est donc une fausse sécurité qui est mise en place. En fait, les personnes immunodéprimées ou à comorbidité, même vaccinées, devraient tout simplement renoncer aux lieux publics dans la mesure du possible car ils peuvent de toute façon s’y faire contaminer… que les lieux soient soumis au pass ou non.</p> <p>Toujours pour ces personnes dites les plus fragiles (car le problème ne se pose pratiquement que pour elles, nous allons le voir ci-dessous), si renoncer pour un temps limité au resto est juste un désagrément, il est des lieux où elles n’ont souvent pas le choix de ne pas se rendre. L’hôpital. Le travail. Et malheureusement, là aussi elles sont confrontées à la contamination, vu les trous dans la raquette du pass vaccinal. D’autres politiques – tests en pool pour les personnels, individuels pour les visiteurs, mesures de CO<sub>2</sub> et aération renforcée, distanciation et jauges – auraient mérité plus d’attention, mais ces mesures moins drastiques sont aussi moins spectaculaires et impropres à satisfaire une opinion majoritaire qui a soif d’action forte. En fait, personne n’est dupe, le pass n’est pas fait pour protéger de la contagion mais pour forcer les récalcitrants à se faire vacciner. Et c’est presque un détail par rapport à ce qui suit.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1668675028_cpourtonbien.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="514" height="289" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Ce n’est pas pour embêter qu’on limite, oblige, verbalise: «c’est pour ton bien!» © M.F.</em></h4> <h3>Les dommages collatéraux du passe-vaccinal</h3> <p>Le gros problème que le Professeur Flahault relève avec la politique du pass vaccinal est un problème de santé globale, sa spécialité. Outre cette illusion de protection qui peut amener à diminuer les gestes-barrières ou inciter à se rendre dans des lieux qu’il serait préférable d’éviter, le pass pénalise en santé morale et mentale tous les malades qui n’ont pas pu tenir la main d’un proche à l’hôpital, tous ceux qui n’ont pas pu accompagner un mourant en soins palliatifs, tous ceux qui n’ont pas pu assister à l’enterrement d’un proche, tous ceux qui n’ont pas pu sourire tendrement à un aîné en maison de retraite, accentuant un isolement déjà considérable. Le toucher, l’étreinte, le sourire participent à la guérison, aident à soulager les souffrances. Et puis il y a bien sûr aussi tous ceux qui furent forcés à renoncer à leur emploi. Résultat: psychiquement, les plus fragiles sont devenus plus fragiles encore. D’un point de vue de santé globale, le bilan du pass est plus que douteux.</p> <p>Le Professeur Flahault poursuit en expliquant qu’en fait, une des raisons d’être du pass vaccinal est d’éviter de potentielles poursuites judiciaires aux personnels concernés… et indirectement aux institutions hospitalières qui les emploient. Le personnel soignant, qu’il soit vacciné ou non, peut contaminer, on le sait. Mais du personnel non-vacciné serait plus vulnérable juridiquement en cas de plainte d’un «fragile» qui aurait été contaminé, ou de sa famille si le patient décède. De ce point de vue, le pass signifie: «On a fait le mieux qu’on a pu, même si c’est excessif. Et de plus, le personnel non-vacciné est à l’abri de toute poursuite juridique… puisqu’absent.» Ainsi le principe de <i>prévention</i> sanitaire s’est transformé en principe de <i>précaution</i> juridique.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1668675121_hpital.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Votre passe svp! On ne vous garantit pas que vous ne serez pas contaminé, mais on vous garantit que si vous l’êtes, nous serons juridiquement couverts. © M.F.</em></h4> <p>Tout ce que nous venons d’évoquer vaut pour les personnes dites «à risque». Pour toutes les autres, la question du pass ne devrait tout simplement pas se poser. Aux vaccinés, parce qu’ils ne risquent par définition pas grand-chose en terme d’hospitalisation (c’est pour ça qu’ils se font vacciner), aux non-vaccinés parce que c’est leur choix. Ils prennent leurs responsabilités, et personne n’a à décider à leur place ce qui est bon pour eux. C’est en tout cas l’avis de Mill. Et le mien.</p> <h3>Les bénéfices collatéraux du pass vaccinal</h3> <p>Lorsque j’ai soumis mon article au Professeur Flahault pour approbation de sa partie, il m’a fait remarquer – à juste titre – qu’il convient de parler aussi des réels bénéfices du pass vaccinal, ceux relatifs à la couverture vaccinale. Il me prie de compléter mon propos par: «Les passes instaurés au Danemark en avril 2021 (Coronapass), en Italie en juillet, en France en août (passe sanitaire), puis en Suisse (certificat covid) en septembre de la même année, ont eu un effet spectaculaire sur la couverture vaccinale, propulsant la France, par exemple, parmi les pays à la plus forte couverture vaccinale d’Europe alors qu’elle stagnait jusque-là avec des taux de vaccination relativement médiocres.» Sa déclaration souligne en fait ce que je disais précédemment, à savoir que le pass est fait pour forcer les récalcitrants et les indécis à se faire vacciner. Et sur ce plan, la réussite est totale.</p> <h3>Ceux qui refusent le vaccin pour eux-mêmes sont-ils tous irresponsables, débiles et analphabètes sociaux?</h3> <p>Je suis, je l’ai dit, convaincu des bienfaits du vaccin. Je suis à un niveau de crainte zéro et me suis fait vacciner dès que j’ai pu, encore hier par du bivalent. Mais je décide pour moi, pour me protéger, et pas pour les autres; malgré ma confiance presque totale en la vaccination, je suis tout aussi convaincu qu’il faut respecter ceux qui en ont peur ou qui pensent autrement. Mais de quoi ont-ils peur au juste?</p> <p>On ne connaît pas les effets à long terme du vaccin puisqu’il n’existe que depuis peu de mois, c’est une tautologie. Mais on sait aujourd’hui que le virus provoque des lésions neurologiques dont on ne comprend pas encore bien les mécanismes; pour le vaccin, on n’a pas de certitudes et ceux qui disent en avoir sont hors de la logique scientifique. A quelques exceptions près (thromboses), tout semble bien se passer, mais le doute reste permis: la parole dominante est parfois vacillante. Dès lors, quand on connaît les scandales passés (Médiator, crise des opioïdes, sang contaminé), il n’est pas complètement délirant de se méfier du futur, surtout quand tout se fait très vite en bousculant – légitimement – les processus de tests cliniques sous une pression émotive certaine. Alors, un jeune qui ne risque pas grand-chose s’il attrape le Covid serait-il complètement stupide de préférer s’abstenir, par prudence, de s’injecter dans le corps un produit dont il se méfie?</p> <h3>Les cafouillages</h3> <p>Dans cette crise, la communication et les postures étatiques ont été suffisamment, disons maladroites, pour ne pas traiter d’imbéciles sphériques les nombreux «méfiants modérés» qui refusent les pleins pouvoirs des tiers sur leur corps?</p> <p>Pour se rendre compte de la faillibilité du jugement politique, il suffit de se souvenir des tonitruantes déclarations d’inutilité du masque… précédant son obligation; de penser en France à la destruction de millions de masques encore utilisables au plus fort de la crise en mars 2020 – un des motifs de la récente convocation d’Edouard Philippe devant la Cour de la République; de réaliser que, toujours en France, les promenades sur les plages furent interdites aux riverains (les autres ne pouvaient de toute façon pas se déplacer pour y accéder); que s’aérer dans les parcs fut également interdit; et que les sentiers de randonnées furent surveillés par des drones pour renvoyer chez eux les pauvres randonneurs qui n'aspiraient qu’à respirer un peu d’air pur. Tout cela pour confiner des familles dans la contagiosité de leurs studios ou appartements exigus. Sans parler des prévisions exagérément catastrophistes qui ont souvent fait <i>pschiiit</i>! Tous ces cafouillages devraient rendre humbles les autocrates de salon qui se croient infaillibles et ne respectent pas ceux qui sont d’un avis différent.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1668675218_cadavresain.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>N’approchez pas sans pass vaccinal, cet homme est mort en bonne santé, </em><br /><em>il ne faut pas risquer de le contaminer! © MF</em></h4> <h3>Vers un nouveau totalitarisme global?</h3> <p>Intéressons-nous en passant à la Chine dont on connaît l’approche zéro-covid et la volonté de contrôle des comportements. Il est intéressant de relever que l’approche de ce pays a peu changé au cours des siècles. Déjà au temps de Mill, il en parlait en ces termes: «Ils ont réussi [à] uniformiser un peuple en faisant adopter par tous les mêmes maximes et les mêmes règles pour les mêmes pensées et les mêmes conduites. (...) Et, si l’individualité n’est pas capable de s’affirmer contre ce joug, l’Europe, malgré ses nobles antécédents (…) tendra à devenir une autre Chine.»</p> <p>Ecrit en 1859! Cette vision, très générale, semble être aussi celle du Professeur Michael Esfeld, spécialiste de philosophie des sciences, qu’on ne peut soupçonner ni d’incompétence, ni d’irresponsabilité, ni de complotisme: «Une grande partie des formes d’organisation des groupes sociaux ainsi que des partis politiques – y compris ceux qui utilisent l’étiquette libérale – ont rejoint la tendance vers le nouveau totalitarisme du contrôle global.» C’est inquiétant.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1668676457_scfem.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Nos intervenants directs et indirects, de gauche à droite et par ordre d’apparition: </em><br /><em>John Stuart Mill, Winston Churchill, Antoine Flahault, Michael Esfeld, Pierre-Yves Maillard. © DR</em></h4> <p>Et maintenant, tournons notre oreille vers le politique et écoutons ce qu’un homme, reconnu par ses pairs pour son intégrité… et par le fait de ne pas avoir la langue dans sa poche, pense de tout ça. J’ai nommé Pierre-Yves Maillard, conseiller d’Etat du canton de Vaud responsable du département de la santé et de l’action sociale pendant 15 ans, député au Conseil national, président de l’Union syndicale suisse. </p> <p>PYM: J’ai vécu comme responsable de la santé dans le canton de Vaud de nombreuses alarmes, allant du H1N1 à l’alerte Ebola, en passant par le SARS-COV2, les grippes aviaires, et il faut à chaque fois se préparer à la suivante. Bien sûr, la pandémie du Covid a eu une tout autre ampleur. Mais, comme pour les autres crises, des jeux d’influence sont toujours en jeu. On se souvient par exemple du <i>Tamiflu </i>presque imposé par l’OMS aux gouvernements lors de la crise SARS-COV2 alors que ses recommandations étaient fortement influencées par le lobbyisme de Roche au plus haut niveau.</p> <h3>Tyrannie de la majorité, tyrannie de l’opinion, tyrannie des médias?</h3> <p>MF: Nous avons évoqué en début d’article la tyrannie de la majorité et de l’opinion… auxquelles on pourrait ajouter celle du matraquage médiatique. Pierre-Yves Maillard, vous avez dans une interview à <i>Anti </i>| <i>Thèse</i> évoqué la difficulté de faire entendre une voix qui pense au-delà de la seule question de la réduction de circulation du virus; que pensez-vous de ces situations où toute réflexion qui s’éloigne d’une forme de pensée unique vous ostracise?</p> <p>PYM: Il y a eu une inflation médiatique qui a nourri la peur, c’était fou. La pression sur les gouvernements qui en découla fut énorme. Toute critique à leur égard devait être modérée car tout le monde les rendait responsables du nombre de morts. Pour les spécialistes médicaux et les épidémiologistes, dans leur préoccupation naturelle de sauver des vies, tout le reste est devenu accessoire. Ils eurent une tribune permanente dans les médias, on n’entendait plus qu’eux. Des chiffres furent sortis de leur contexte, tout était en place pour orienter l’opinion publique vers une unique préoccupation. Des dégâts sanitaires importants autres que ceux causés par la circulation du virus, comme la dépression et le risque suicidaire qu’elle entraîne chez les jeunes, l’explosion de la dépendance aux écrans, les risques pour la santé liés au chômage et ceux liés à l’arrêt de l’école passèrent au second plan. On aurait pu éviter le passe-vaccinal, mais la Suisse a néanmoins été plutôt modérée dans ce domaine et a évité des excès qu’ont connus nos voisins. Je suis personnellement opposé à l’obligation de vaccination, y compris chez les soignants. Ce qui permet par ailleurs d’éviter d’aggraver les problèmes de pénurie de personnel. Mais surtout, même si le vaccin démontre une efficacité, son innocuité ne peut être démontrée avec certitude qu’après un certain temps. Donc une obligation vaccinale ne me paraît pas pouvoir être introduite dans un délai si court, sauf à provoquer des tensions extrêmes dans la société.</p> <p>MF: Tout cela a amené à une forme de pensée unique?</p> <p>PYM : Comme responsable politique, j’ai plaidé pour une certaine retenue. C’était difficile, mais possible. J’ai été un peu attaqué, mais j’étais préparé à cela. D’autres façons de voir les choses et de les dire étaient possibles. Quand il s’est agi de voter la loi sur le Covid avec ses restrictions, je l’ai fait, malgré quelques réticences. C’était un «paquet» et ne pas le voter aurait pu entraîner d’autres dégâts, un risque de fermeture de tout, d’empêcher la reprise d’activité dans un certain nombre de branches. C’était une question d’arbitrage.</p> <p>MF: Ce type de pression extrême sur les libertés va-t-il se reproduire lors des prochaines pandémies?</p> <p>PYM: Là où il y a eu exagération, il y aura un effet «retour de balancier». La résistance future sera plus grande. C’était l’un des risques en agissant trop fort: rendre des mesures éventuellement utiles plus difficiles à prendre à l’avenir. </p> <h3>Des politiques différentes dans des pays différents</h3> <p>Chaque pays, ou presque, a mené sa propre politique sanitaire. La Suède a été libérale, la Chine coercitive. Les réponses à la crise ne furent pas partout identiques, loin s’en faut. Peut-on a posteriori tirer des enseignements d’un point de vue global de ces politiques diverses et variées? Que pensez-vous du cas de la Suède qui fut si fortement critiquée, systématiquement vilipendée?</p> <p>PYM: C’était très étrange et pénible, cette agressivité des médias à l’égard de la Suède. Dans sa stratégie, elle jouissait d’un soutien populaire. Rappelons que la Suède était échaudée par une précédente crise: elle avait massivement vacciné sa population sur une base volontaire, et il y a eu des effets secondaires différés sous forme de graves narcolepsies. Elle déboursa d’importantes indemnités pour dédommager les victimes. Elle a fait un choix pas uniquement centré sur la lutte contre le virus, mais elle a aussi voulu éviter un trop fort stress sur la société. Elle a pris davantage en compte la santé psychique de sa population.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1668676531_autrichesude.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Courbes de contamination pour l’Autriche et la Suède. Johns Hopkins University</em></h4> <p>MF: Elle s’en est pourtant plutôt bien tirée, autant en terme d’incidence (contaminations) que de mortalité. Pour la mortalité, elle est à ce jour classée 47ème avec 2’038 morts par million d’habitants alors que l’Autriche, pays comparable à bien des égards mais qui fut beaucoup plus répressive (allant jusqu’à l’obligation vaccinale générale votée par son parlement) eut plus de décès: 38ème avec 2'375 morts par million d'habitants. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1668676590_mortalit2022.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Tableau de mortalité dans le monde à ce jour (Source : </em>Le Monde<em>)</em></h4> <p>PYM: On peut tirer des enseignements des différentes façons d’agir dans différents pays. Si tout le monde fait exactement la même chose, on ne peut faire un bilan et apprendre de la crise. Ce qui compte, c’est que les choix faits soient démocratiquement légitimes et raisonnablement inspirés des connaissances du moment.</p> <p>Notons que la Suisse, qui ne confina pas, ne figure même pas dans ce tableau. Ceci ne veut évidemment pas dire que moins on prend de mesures moins on a de morts, mais simplement qu’une approche différente de la doxa «on confine point-barre et ceux qui ne le font pas sont des crétins» mérite écoute et respect.</p> <h3>Le cas particulier de la France</h3> <p>Nos frères de langue sont souvent savoureux dans leur art administratif de l’usine à gaz. Là, ça n’a pas raté, évidemment. Seul pays au monde capable d’inventer des attestations auto-signées autorisant à sortir de chez soi. Outre ce singulier rapport à ses lois, la France a aussi osé le principe de nuisance étatique. Mesdames et Messieurs, écoutez la déclaration stupéfiante du Président de tous les Français: «Là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer à le faire jusqu’au bout. C’est là la stratégie.» </p> <p>Ici, le but de «nuire aux autres» est explicitement déclaré en tant que politique publique; le concept de non-nuisance est officiellement inversé. Et ça marche puisqu’il fut réélu. Mais avec une telle absence de pédagogie, peut-on vraiment en vouloir à ceux qui se méfient… de se méfier et aux récalcitrants… de <em>récalcitrer</em>?</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1668676648_paysflahault.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Restrictions de libertés: justifiées par des mesures proportionnées? (estimation Pr. Flahault)</em></h4> <p>Revenons un court instant au professeur Flahault à qui nous avons demandé, pour illustrer ces différences d’approche et de respect des libertés individuelles selon les pays, de juger sur une échelle de 0 à 10 si les pays cités respectaient les droits de leur minorité non-vaccinée, ou, ce qui revient au même, si les mesures prises étaient proportionnées et justifiées. Le tableau parle de lui-même, il n’y a pas lieu de le commenter.</p> <h3>Coûts des soins intensifs, saturation des hôpitaux</h3> <p>Ce sont les non-vaccinés qui finissent aux soins intensifs. Ils coûtent cher, c’est une réalité qu’il ne s’agit pas de nier. Les intégristes du pass vaccinal en font un argument, peut-être à tort, peut-être à raison. Ainsi, veut-on les empêcher de se rendre sur des lieux où ils pourraient se faire contaminer, mais surtout on veut, par ces restrictions de liberté, leur tordre le bras pour les obliger à se faire vacciner, on l’a compris. C’est entrer dans un débat moralement délicat, celui de la charge financière aux autres dans le cadre de la mutualisation des risques. Un fumeur coûte aux non-fumeurs, un habitué de la chopine aux abstinents. </p> <p>Même si le problème d'absorption de pics est moins critique pour les cirrhoses et les cancers du poumon parce qu’ils sont dilués dans un temps long, fondamentalement la question de la solidarité «sans restriction de liberté» est analogue. Faut-il pénaliser ceux qui ont choisi pour eux un comportement «à risque»?</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1668676719_fumebibine.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>N’entrez surtout pas ici pas sans pass vaccinal, vous risqueriez d’encombrer nos hôpitaux! © Photo Mariposa Fa</em></h4> <p>PYM: Je suis résolument contre. La question de savoir si ces personnes devraient payer une surprime d’assurances ou être moins remboursées est régulièrement posée, mais une telle pratique impliquerait une société de surveillance d’une telle complexité qu’il est préférable de s’abstenir. </p> <p>MF: Et en ce qui concerne la saturation des hôpitaux qui était peut-être le problème le plus sensible de la crise, quelle est votre vision des différents malades qui y participent?</p> <p>PYM: C’est un point-clé. Il est normal qu’il y ait eu auparavant des réductions du nombre de lits car la durée des séjours à l’hôpital a régulièrement baissé ces dernières années, pour diverses raisons. Mais ce qui manque, c’est une capacité de réserve mobilisable en temps de pic pandémique. Bien sûr ça coûte et ça doit faire l’objet d’un financement complémentaire au financement par l’acte, mais c’est possible. C’est une question de choix politique, idéologique. Il y a de fortes résistances car nous sommes pollués par 30 ans de néolibéralisme. Actuellement, la loi Covid contraint les cantons à augmenter leur capacité de réserve. Vaud et Zürich ont déjà évolué dans ce sens. Quand on compare ce que coûte un confinement (ou l’arrêt de pans entiers de secteurs de l’économie), on parle de 30 à 40 milliards en Suisse pour le Covid. Avoir une capacité de réserve mobilisable a un coût certain, évidemment, mais au final bien inférieur. Une des causes principales de ces très coûteux <i>lockdowns</i> [confinements] était la volonté d’éviter les drames de saturation des hôpitaux, situation insupportable, tel celui de Bergame au début de l’épidémie. </p> <p>MF: Alors est-il juste que les non-vaccinés soient les boucs émissaires des décisions prises par les politiques qui ont réduit la capacité hospitalière pour fonctionner en flux tendu?</p> <p>PYM: Il y a des horreurs qui ont été dites quand certains ont parlé de leur refuser l’accès aux soins. Mais le mouvement anti-vax a aussi eu ses outrances. Dans ces moments, chacun devrait essayer d’agir et parler avec retenue.</p> <h3>A-t-on toujours le choix?</h3> <p>«Si on a le choix, la possibilité de se soustraire à la nuisance de l’autre, on ne peut pas l’en tenir pour responsable», écrivit Mill. A nouveau, si l’idée est séduisante et donne cohérence à sa doctrine libérale, à nouveau elle se heurte au mur de la réalité. Ainsi, si un non-vacciné a le choix plutôt facile de renoncer à aller au théâtre, au restaurant ou au musée, c’est moins évident pour lui de renoncer à son emploi, et, insistons, à voir ses proches à l’hôpital ou en EMS.</p> <p>J’ai parlé dans <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/sur-la-route-avec-les-convois-de-la-liberte" target="_blank" rel="noopener"><i>Les Convois de la Liberté</i></a> de la chanteuse Hana Horka qui est morte à l’âge de 57 ans, après avoir délibérément contracté le virus afin d’obtenir l’équivalent du pass vaccinal pour pouvoir continuer à vivre une vie un tant soit peu normale. Hana Horka payait ses impôts, n’enfreignait aucune loi, ne faisait de mal à personne. Elle est morte d’être exclue de la vie courante par le pass vaccinal. On peut pour le moins dire que le gouvernement et ses lois lui a nui… et donc qu’il devrait être sanctionné pour cela. Mais Hana Horka avait le choix de ne pas le faire, elle a donc engagé sa responsabilité individuelle, et si ça c’est mal terminé pour elle, il n’y a, selon Mill, pas lieu d’en blâmer les autres. On a le droit d’être d’accord ou pas. </p> <h3>Et le futur?</h3> <p>Alors Mill, du vent? Comme tout concept, il a ses limites, mais ce vent est néanmoins rafraîchissant. Il décille nos yeux embrumés qui peinent à voir l’Etat qui tend à contrôler plus que nécessaire. La solidarité citoyenne est un acquis précieux, mais ne doit pas servir les causes autoritaires. Qu’en sera-t-il du futur? Une nouvelle pandémie se déroulera-t-elle selon le même schéma? Plus largement, les restrictions de liberté vécues lors de cette crise vont-elles s’accentuer? Mill craint qu’on ne suive l’exemple de la Chine, Michael Esfeld craint un totalitarisme du contrôle global, et personnellement je crains qu’ils aient raison. 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Son grand-père, Vladimir, vint de l’oblast de Tver, entre Moscou et Saint-Pétersbourg, pour construire une usine hydro-électrique. C’était alors une politique de peuplement libre et choisie, comme celle de tous les immigrés venus construire nos barrages et dont les descendants sont aujourd’hui Suisses, bien Suisses, souvent plus suisses que les Suisses; mais ils savent bien qu’ils ont une racine ailleurs, une part de sensibilité autre, et c’est une richesse. A la troisième génération, Oleg est Estonien, vrai Estonien… mais se sent quand même encore un peu Russe. Difficile à vivre de nos jours? pas pour lui. Oleg ne comprend pas qu’au XXIème siècle, on en soit encore à se faire la guerre, mais il n’a pas la moindre crainte pour sa ville, Narva, à l’abri grâce à l’OTAN et à l’Union européenne.</p> <p>Tatjana, elle, est terrorisée. Elle est sûre que les Russes vont débarquer. Et, me dit-elle, tous les habitants de Narva partagent ses craintes. Tatjana est esthéticienne. Tatjana aime bien la vie qu’elle mène, mais ses amis ne sortent plus, ils économisent de peur de manquer. Alors elle se sent un peu seule ce soir au bar à parler avec son iPhone, mais l’alcool accompagne sa solitude, sans excès… et l’amène à bien vouloir répondre à mes questions. Elle chancelle à peine et quand elle ne trouve pas un mot d’anglais, ses doigts ne ratent pas une touche de son clavier tactile. Ainsi elle me dit qu’elle a peur de «l’hiver...?», son traducteur lui glisse vite fait bien fait quand elle tape «следующий»: l’hiver «prochain». Tatjana n’a pas peur du manque de gaz, elle a peur de ne pas pouvoir se le payer. Parce que les prix ont doublé, triplé… le mauvais côté du capitalisme. Tatjana est d’origine russe elle aussi. Sa tante, Elena, vit à Ivangorod, de l’autre côté du fleuve – en Russie donc –, et elle ne l’a pas vue depuis trois ans. Je flaire un drame de la séparation forcée et je lui demande: «- Problème politique? de frontière? - Non Micha, pas du tout. Tu sais, des fois on n’a tout simplement plus grand-chose à se dire dans les familles. Ici aussi.» Je souris. </p> <p>Vlada est cuisinière au Sushi bar. Je l'attrape à la sortie de son service. Elle me répond volontiers. Elle non plus ne comprend pas la guerre. «Les gens sont magnifiques, ici comme ailleurs. Ça n’a pas de sens tout ça!» Dans ses paroles, je retrouve ma jeunesse, génération <i>Peace and Love</i>. Touchant. Vlada est une belle rouquine robuste au cœur tendre. Elle rêve de Tallinn… où il se passe des choses. Pas comme ici. Vlada ne craint pas la vie, ne craint pas la mort, elle est.</p> <p>Ces interviews furent improvisées. J’avais mon <i>Moleskine</i>, mais pas mon appareil photo. Tous m’assurent qu’ils seront là demain pour un <i>shooting</i>. Mais le lendemain, Tajana ne se montrera pas, Vlada non plus, elle a pris congé pour le soir. Seul Oleg posera, bravement, avant de filer à l’anglaise.</p> <p>Quant à Natascha (prénom d’emprunt), réceptionniste à l’hôtel où je loge, elle me confie qu’elle habitait à Saint-Pétersbourg avant de venir à Narva, il y a une dizaine d’années. Elle est venue, me dit-elle, pour suppléer au manque de main-d’œuvre en Estonie. Je suis un peu étonné qu’une fille belle, manifestement intelligente et parlant parfaitement l’anglais, quitte Saint-Pétersbourg pour venir s’enfermer dans ce qu’on peut quand même considérer comme un trou en comparaison de la grande ville russe. Je m’apprête à le lui demander, mais elle a déjà le nez dans un classeur: «Je suis désolée… beaucoup de travail. Revenez cet après-midi.» Le nez replonge dans le classeur quand je me présente l’après-midi: «Toujours beaucoup de travail, désolée. Mais vous pouvez interviewer les autres… ils ont du temps, eux. - C’est votre histoire qui m’intéresse Natascha, le passage de Saint-Pétersbourg à Narva, vos motivations.» Elle me glisse alors, comme une excuse pour se dédouaner de son ancienne vie russe: «Mais vous savez, quand même, je suis née en Estonie.» Je n’en saurai pas plus. Elle me dit de revenir jeudi, elle me dit qu’elle aura plus de temps, jeudi. «A quelle heure? - Je commence à 8 h. - Alors je serai là, à 8 h.» Jeudi matin, 8 h, je trouve un barbu à sa place. «En quoi puis-je vous aider? - Je voudrais voir Natascha. - Natascha n’est pas là, puis-je faire quelque chose pour vous? - Non, c’est personnel, elle m’avait dit de passer jeudi. - Désolé Monsieur, mais Natascha ne travaille jamais le jeudi.»</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1664372076_olegetcie.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>De gauche à droite, Oleg, Tatjana, Vlada, Natascha et Gissur. © MF</em></h4> <p>Alors, Natascha qui ne se montre pas, taupe du Kremlin? non, son refus aurait été plus subtil, manipulateur. Agent de <i>Kompromat</i>? Sans doute pas, pfff… elle n'a même pas tenté de me séduire! Non, c’est tout simplement, comme tous ici, la prudence de ne pas s’exposer. Malgré l’envie de parler. Un journaliste ukrainien sur zone de guerre (à Kherson) déclarait récemment: <i>«Je suis peut-être trop parano, mais par les temps qui courent, seuls les paranoïaques survivent.»</i> </p> <p>De mon côté, je pose un peu beaucoup de questions, il va être temps pour moi d’aller voir ailleurs si j’y suis. Mais avant de partir, encore une question à deux solitaires du petit-déjeuner. L’hôtel est plein et j’ai envie de savoir ce qui les amène à Narva, bout du monde européen, 66'000 habitants. Lui, Gissur est Islandais. Il m’apprend qu’il y a ici même, en ce moment, un festival d’opéra, à la <i>Kreenholm Manufaktuur</i>, immense manufacture de textile datant de l’empire russe (fondée en 1857) et reconvertie en lieu de culture. Il est ténor. Gissur parle volontiers, il n’a rien à craindre. Elle, Assya, est Russe. Elle s’excuse de ne pas pouvoir me parler. «Vous comprenez…» Mais au bout d’un moment, elle n’y tient plus, s’enhardit, et me glisse comme une confidence, si bas que j’ai de la peine à comprendre: «C’est de plus en plus difficile à la frontière. De moins en moins d’autobus et de plus en plus de gens qui veulent partir.» Puis elle me donne quelques chiffres inaudibles tant elle parle bas, débit hâché, fort accent slave. Pas facile à capter. Mais pas de regret, ils sont de toute façon invérifiables. Et son attitude en dit plus que ses chiffres.</p> <p>Il faut bien dire que dans ma quête, je ne cherche pas une vérité, ni des vérités, je me contente de prendre le pouls des autochtones. Ce qu’ils me disent n’a pas d’intérêt objectif en soi, mais par contre un intérêt certain en tant que c’est ce qu’ils veulent communiquer. Et même s’ils déguisent ou déforment leur vision des choses, c’est ainsi qu’ils veulent les présenter. C’est la seule chose dont on soit sûr.</p> <h3>Les <em>Aliens</em></h3> <p>Oleg, dans sa verve initiale, m’a parlé des <i>Aliens</i>. L’Estonie, m’a-t-il dit, est peuplée principalement d’Estoniens – rien d’étonnant –, de Russes – logique, on appelle ça la politique de peuplement –, mais plus étrange, d’Aliens. Et quand on dit Aliens, il s’agit de leur dénomination officielle, avec passeport à la clé! Une vraie identité. A la fin de la guerre, en 1945, tous les habitants vivant sur sol estonien, qu’ils soient russes ou sans-papiers, ont pu avoir accès à la nationalité estonienne… pour autant qu’ils maîtrisent un minimum la langue et aient de vagues connaissances en histoire. Le gouvernement estonien voulait mettre de l’ordre dans le fatras de populations qui habitait la république nouvelle. Certains échouèrent au «test estonien», d’autres refusèrent de s’y plier. Ils restèrent apatrides. Nombreux, très nombreux. Mais il fallait bien les répertorier pour les intégrer. C’est à cette occasion que fut créé ce fameux «passeport Alien», outil de contrôle des populations et des déclarations fiscales. Ils sont encore presque 100'000 à vivre sous cet étrange statut.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663832634_capturedcran2022092209.43.21.png" class="img-responsive img-fluid center " width="217" height="312" /></p> <h4 style="text-align: center;"><i>Passeport d’Alien en Estonie. DR</i></h4> <p>Avant de quitter Narva, je vais encore saluer le joueur d’échecs. Sur la place centrale, ce bronze que vous avez déjà vu en photo de tête d’article attend son adversaire. Il espère un nouveau Karpov, qui ne viendra pas. Il fut un temps où l'on se mesurait à ses adversaires par l’intelligence tactique. Ce temps est révolu. Aujourd’hui, les néoautocrates préfèrent la brutalité des bombes à la subtilité du mouvement des chevaux. On rase tout pour placer son roi sur l'échiquier dévasté. Je lisais récemment dans un article (<em>Le</em> <i>Monde</i>, 30.08.2022) sur la mort de Gorbachev, qu’un des problèmes auquel il dut faire face était que les usines militaires produisaient plus de missiles que, le reste de l’industrie, des chaussures. Evidemment, il est dès lors plus simple et moins coûteux de les balancer sur le pif de ceux qui sont d’un autre avis que vous, que de les recycler pacifiquement mais coûteusement.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663832767_capturedcran2022092209.44.50.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Les bombes remplacent les chevaux. © M.F.</em></h4> <p>Après trois jours, enfin je quitte Narva, trois jours de pluie, continue.</p> <p>Entre Narva et Kaliningrad, sur plusieurs centaines de kilomètres de côtes, une chose me frappe: on ne voit jamais (ou presque) la mer. Dans un premier temps, contrarié, je rouspète. Je me la fais franchouillarde, <i>Kicèkcékons</i> qui m’empêchent de longer MES côtes, qui m'empêchent de voir MA mer. Parce qu'elle n’est pas bien loin, la mer, à peine à 2 ou 300 mètres… derrière un rideau de forêt, un rideau de bois. Dans un deuxième temps, curieux, je cherche les causes d’une telle situation. Un panneau au cap Kolka me donne la solution, confirmée par des recherches postérieures: du temps de Staline, l’accès à la mer était interdit. Trop peur que ces Baltes qui ont du sang de viking dans leurs veines s’évadent de la prison URSS par la mer s’ils ont accès aux côtes. Alors les chemins sont intérieurs, restent intérieurs. Pas loin de l’eau, mais assez pour qu’on ne la voie pas. Ne pas rendre visible la tentation. Les régimes changent, les tracés des routes restent. Mais voyons plutôt le bon côté des choses: on se plaint du bétonnage outrancier de notre littoral à nous et on se plaindrait aussi quand la nature est intacte ailleurs? Allons, allons, un peu de cohérence Micha.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663832927_capturedcran2022092209.47.11.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Littoral baltique sous Staline (sur un panneau de cap Kolka). © M.F. </em></h4> <p>Et maintenant, venons-en à la fin du parcours balte:</p> <h3>Kaliningrad et le corridor Suwalki, une grenade dégoupillée…</h3> <p>… mais une grenade qui n’est sans doute qu’un pétard mouillé. </p> <p>Si Narva est adossée à un mastodonte qui fait 31 fois la France, l’enclave russe de Kaliningrad a une superficie d’à peine un tiers de celle de la Suisse. Pas de quoi faire peur à un moineau, sauf que Kaliningrad est surarmée, nucléarisée, et prétexte possible d’une présence militaire russe en Lituanie – par la force s’il le faut – déclencheuse de confrontation potentielle avec l’OTAN. </p> <p>Après la Seconde guerre mondiale, Staline a obtenu comme réparation de guerre que la Prusse cède sa capitale du nord, Königsberg. Königsberg, un port où les eaux de la Baltique ne gèlent pas. Précieux. Staline n'a gardé de cette ville que son initiale, «K», en la renommant Kaliningrad. Il n’a gardé aucun Allemand, les remplaçant tous par des Russes. Tant que l’Union Soviétique existait, pas de problème apparent, mais lorsque les pays Baltes ont déclaré leur indépendance en 1991, Kalinigrad fut séparée de la mère patrie par la terre. Un couloir de transit de trains, verrouillé, cadenassé, barbelé, fut mis en place. Comme un cordon ombilical. Mais aujourd’hui, au nom des sanctions prises contre la Russie, la Lituanie contrôle les contenus en transit, et ne laisse pas tout passer. Et ça, les Russes – et Poutine le premier d’entre eux –, n’appécient pas du tout. Mais alors pas du tout!</p> <p>Le corridor Suwalki – du nom de la plus proche ville polonaise –, désigne cette courte distance qui sépare Kaliningrad de la Biélorussie en longeant la frontière polono-lituanienne. Par extension, on parle du corridor Suwalki aussi pour l’espace de transit des trains parallèle à cette frontière. Ces trains quittent l’enclave de Kaliningrad à Kybartai et entrent en Biélorussie à Kena.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663833049_capturedcran2022092209.49.35.png" class="img-responsive img-fluid center " width="1052" height="554" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Corridor Suwalki et transit de trains entre Kalinigrad et Moscou. Source: </em>Le Monde<em>, 03.05.2022.</em></h4> <p>La question sur certaines lèvres est de savoir si Poutine, contrarié, voudra s’engager dans un contrôle par la force de ce couloir, prétextant la mise en danger de l’intégrité de la Russie et la préservation de ses habitants enclavés au bord de la Baltique. Oserait-il affronter l’OTAN au nom de sa guerre Sainte par lui baptisée <i>opération spéciale</i>? Personne ne le sait vraiment. Mais on sait qu’il est affaibli par une guerre qui se passe mal pour lui, exsangue même, au point de demander l’aide de la Corée du Nord pour renouveler ses munitions. Alors moi, pour y voir clair, fidèle à mon habitude, j’ai été demander aux gens sur place ce qu’ils en pensent.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663833185_capturedcran2022092209.52.15.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Le train Kaliningrad-Moscou du corridor Suwalki traverse la route comme le MOB, ou le Lausanne-Echallens-Bercher, ici à Kybartai. © M.F.</em></h4> <p><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663833268_capturedcran2022092209.52.26.png" class="img-responsive img-fluid center " /></em></p> <h4 style="text-align: center;"><em>A peine <i>barbeléifié</i> ici (à gauche), à peine <i>miradoré</i> là (photo droite ci-dessus) © M.F.</em></h4> <p>Je cible un groupe de jeunes ados, deux filles et un garçon. Les filles s’éparpillent en riant, telles des colombes effarouchées. Le garçon, stoïque, ne bouge pas. Mais quand, face à lui, je lui demande: «<em>Do you speak English?</em>», il me regarde, rougit, fait un bond sur ses pieds et se précipite pour rejoindre ses camarades dans un cent mètres digne d’Usain Bolt. J’en suis médusé. Ouh! Il y a là matière à creuser… des peurs à fleur de peau à analyser… si près d’un lieu aussi sensible…</p> <p>Voulant en avoir le cœur net, je m’adresse à une autre ado que je croise, cette fois par la fenêtre sans quitter mon <i>van</i>. «- Connaissez-vous Mademoiselle le corridor Suwalki, les trains Suwalki? - Bien sûr, ils passent juste là derrière vous! - Et craignez-vous que les Russes veuillent en prendre le contrôle?» Elle se marre. «Non, vraiment aucune crainte.» Effectivement, cette fille est la confiance incarnée. Et mes ados effarouchés avaient probablement plus peur de l’inconnu que je suis que de quoique ce soit d’autre, obéissant sans doute aux injonctions parentales universelles de se méfier de tout homme qui roule dans un van, même et surtout s’il a une bonne tête.</p> <p>Plus loin, je vois un homme qui s'éloigne dans une rue transversale, gilet rouge bien fluo. Je lui cours après. Il me dit qu’il s’appelle Andrej et me serre la main, la broyant avec un sourire jovial. «- Vous habitez ici Andrej? - Oui, juste là au bout de la rue. - Et qu’est-ce que vous faites dans la vie? - Je conduis les trains qui passent là.» Coup de bol, tomber sur un conducteur des convois de Suwalki! Je demande confirmation. «- Vous voulez dire les trains du corridor Suwalki? - <em>Tak tak</em> [Oui oui], ceux-là. - Et vous n’avez pas peur que les Russes viennent contrôler de force ce corridor?» Il me regarde, l’air surpris. «Quelle idée! Jamais ils n’oseraient faire ça!» Alors il tape de son poing droit dans sa paume gauche, si fort que j’en ai mal pour lui, et ajoute: «Et puis s’ils viennent, vous savez quoi? ON LES FOUT DEHORS!» Il le dit avec une telle force qu’elle mérite des majuscules. 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