Culture / «Que les lecteurs se laissent porter par l’esprit d’aventure de Matteo Ricci». Rencontre avec le bédéiste Martin Jamar
© Loris S. Musumeci
C’était le jour des premières neiges sur la Suisse. Martin Jamar a bien failli ne pas arriver à bon port depuis la Belgique. Encore presque essoufflé, il fut bien à l’heure à Fribourg pour notre rencontre. J’ai eu la chance de m’entretenir avec le bédéiste de renom sur son dernier album «Matteo Ricci dans la Cité interdite», sorti en septembre dernier. C’est le troisième album à caractère religieux, après une œuvre aussi riche que diverse dans ses thèmes. Nous remercions la librairie St-Augustin de Fribourg qui a invité l’artiste et permis l’interview.
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Il se ruine, il est boudé, ridicule, mais sait prendre sa revanche sur la critique, en s’élevant là où il se voyait déjà, «en haut de l’affiche». Rolls, fourrures, Vegas, mais aussi travail et encore travail, sans oublier les drames et un malheur qui le poursuit. Et le film s’achève, à l’aube des années 70.</p> <h3>Critique</h3> <p>Si j'avais été grincheux, j’aurais dit que le film était un raté grotesque, dirigé par une équipe d’amateurs, interprété selon une performance proche de celle des kermesses, rythmé de façon banale, sans originalité aucune, ne sachant pas rendre à l’écran une once de qui fut ce «Monsieur Aznavour», pompeusement nommé, ni de son œuvre infiniment plus riche que celle qui passe comme une musique de fond sous le jeu d’un acteur qui singe Aznavour. Mais je ne suis pas grincheux. Le film est bien décevant sous certains aspects, il comporte bien des problèmes tant au niveau du jeu que de la réalisation. <i>Et pourtant, pourtant…</i> ce film a du cœur.</p> <p>Aussi, être grincheux face à cette équipe de jeunes qui aiment sincèrement Aznavour et qui se sont donnés de la peine pour réaliser ce film, ce serait jouer les scribouillards qui critiquent tout sans avoir jamais rien fait par soi. La critique aurait eu de quoi se déchaîner si le film et son équipe étaient prétentieux. <i>Et pourtant, pourtant…</i> il n’en est rien. Etre grincheux, c’eût été encore faire le jeu de ces critiques qui s’en prenaient à Aznavour lui-même en écrivant, pour l’un d'eux cité dans le film, «comment peut-on laisser un infirme chanter?», avant de venir présenter ses excuses à un Aznavour bonhomme qui n’en tient pas rigueur et qui offre même une coupe de champagne à son détracteur.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> disons ce qu’il y a à dire. Le jeu de Tahar Rahim, avec les qualités de ses défauts, est davantage une imitation, parfois exagérée aux confins du ridicule, qu’une interprétation. Sans parler des colères surfaites de Charles qui auraient eu davantage leur place sur des planches de théâtre que sur un plateau de cinéma. Quant à la famille Aznavourian et leur entourage, jamais n’a été livrée une mise en scène aussi caricaturale des gentils Arméniens qui aiment la poésie et les fêtes, et qui sont très pauvres mais vraiment très très gentils, généreux et accueillants alors. On est à la limite du racisme.</p> <p>La musique et les paroles d’Aznavour passent comme une bande-son qui font compagnie aux images. Et la trame est agencée sans aucune originalité. Comme un défilé de clowns, on voit tantôt apparaître un Johnny Hallyday, tantôt un Sinatra, tantôt tel compositeur, tel imprésario, telle femme à séduire, telle autre qui viennent remplir la scénario d’une lourdeur insupportable.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i>, le film a certes du cœur, et c’est l’essentiel, mais il compte aussi de réelles qualités. Si aucun acteur adulte ne crève l’écran, les enfants eux, notamment les interprètes de Charles et de sa sœur, sont fascinants tant ils inspirent de la sympathie, mais surtout tant ils rendent le sentiment et la vie de l’époque où les Aznavourian étaient des réfugiés en terre de France.</p> <p>Autre grande qualité du film par son scénario, c’est la complexité avec laquelle est dépeinte l’artiste: loin d’être idéalisé, il est montré dans sa gloire, certes, mais aussi dans ses échecs, ses erreurs et avec une tristesse qui le suit jusqu’au sommet. 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Aznavour me rejoint dans ma <a href="https://leregardlibre.com/musique/la-dimension-chretienne-de-loeuvre-daznavour/" target="_blank" rel="noopener">vie spirituelle</a>, dans ma vie sexuelle – ou du moins telle que je la <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-un-chanteur-du-sexe/" target="_blank" rel="noopener">phantasme</a> – et surtout dans ma vie de <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-chante-les-loosers/" target="_blank" rel="noopener"><i>loser</i></a>. Aznavour chante les <i>losers</i>. Aznavour est un <i>loser</i>. J’en suis un aussi. <i>Et pourtant, pourtant…</i> le <i>loser</i> n’est pas celui qui a tout raté, loin de là. 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Bon Pour La Tête: Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans les BD à caractère religieux?
Martin Jamar: Vous faites bien de dire «à caractère religieux» car il ne s’agit pas BD religieuses, mais simplement de trois albums qui parlent de personnages religieux, de figures chrétiennes plus précisément. Avec mon ami, le scénariste Jean Dufaux, nous ne voulions pas réaliser des BD hagiographiques, mais bien parler de ces trois personnages à travers notre art.
Mais pourquoi parler de ces trois grands noms de l’Eglise, à savoir saint Vincent de Paul, saint Charles de Foucauld et Matteo Ricci?
A un certain moment de sa vie, Dufaux en a ressenti le besoin. Celui-ci a écrit près de trois cent scénarios sans jamais aborder de sujets religieux. Un jour, nous marchions ensemble pour nous rendre au restaurant où nous avons l’habitude de travailler, et il me demande «Est-ce que tu es croyant?» Très surpris de la question, je lui ai expliqué que j’avais grandi dans une famille catholique pratiquante, mais qu’avec le temps je me suis éloigné de la pratique, sans pour autant renier les valeurs chrétiennes. Je suis croyant à ma façon. A ma réponse, Dufaux et moi avons compris que nous voulions écrire et dessiner sur des personnages inspirants de l’Eglise. Ce fut un appel pour Dufaux, et moi je l’ai suivi dans cet appel.
Et pourquoi ces trois personnages?
Pour les saints Vincent et Charles, Dufaux les affectionnait particulièrement alors nous nous sommes lancés. Quant à Matteo Ricci, ni moi ni lui ne le connaissions. Parler de ce jésuite qui vécut au XVIème siècle nous a été suggéré par des analystes et amateurs de BD proches des jésuites.
Vous, personnellement, quels liens avez-vous tissés avec l’histoire de ces trois personnages?
En travaillant sur saint Vincent de Paul, c’est sa vie vouée aux pauvres qui m’a touché. Je l’ai vu comme un abbé Pierre du XVIIème siècle. En deux ans de travail sur lui, je peux dire que je m’y suis profondément attaché. Quand à Charles de Foucauld, ce fut moins marquant. Certes, beaucoup d’admiration pour son parcours, parce qu’il a tout quitté pour partir dans le désert et vivre dans la pauvreté, au milieu des Touaregs. Mais je ne peux pas dire que j’ai eu pour lui le même attachement que pour Vincent. Quant à Matteo Ricci, je crois que ce qui m’a plu chez lui, c’est comme pour Charles: son insertion dans une autre culture, avec un esprit de tolérance. Certes Matteo avait pour but la conversion de l’empereur de Chine et par là des Chinois, mais toujours en se servant et en valorisant la culture chinoise dans sa langue, sa science, ses coutumes et sa spiritualité.
Matteo Ricci dans la Cité interdite est plein d’action et d’aventure. Est-ce pour vous un moteur dans votre travail?
Oui, absolument. Cela ne nous intéressait pas forcément de dresser une biographie de Matteo Ricci. Nous voulions par l’aventure et une part de fiction inviter un plus large public à s’intéresser à ce personnage, et pas seulement des catholiques. Avec l’aventure, le lecteur participe à une histoire et a envie de tourner les pages. Pour moi aussi, c’est plus stimulant de dessiner en travaillant sur des scènes plus mouvementées, avec du suspense dans les décors de la Cité interdite. Je me suis beaucoup amusé avec Matteo Ricci.
Vous vous êtes amusé et, très concrètement, comment le bédéiste que vous êtes a travaillé à cet ouvrage?
Je rencontre le scénariste Dufaux au restaurant pour les mises en commun et la convivialité (rires), mais moi je dessine seul dans mon atelier à la maison. Dufaux commence par travailler de son côté au scénario à partir de ses lectures et ses recherches. Il me présente ce scénario, découpé case par case, auquel je peux donner mon avis, et après seulement je commence à travailler sur mes dessins dans les cases. Au fur et à mesure que je crayonne mes planches, je les lui montre et il me donne aussi son avis. Une fois que nous sommes d’accord sur le crayonnage, je passe à l’encrage et la mise en couleur.
Au niveau des couleurs, vous avez choisi le bleu comme «fil rouge» à travers les planches. Travaillez-vous d’une façon particulière avec cette couleur?
Oui, le bleu est très présent dans cette BD. Mais ce n’est pas toujours le cas. Je dirais que c’est le sujet et l’ambiance que je dessine qui appellent telle ou telle couleur. Pour Matteo Ricci, j’ai été amené au bleu en premier lieu par une gravure fameuse du personnage où sa tunique chinoise est bleue. Au fond, je peux dire que je cherche l’harmonie par la couleur dominante. Chaque album a sa couleur. Pour Foucauld, on est dans le désert, ce sont alors davantage des jaunes et des ocres qui dominent.
Vous avez fréquenté Matteo Ricci pendant deux années de dessin. Quel est, selon vous, le message de Matteo Ricci pour le monde d’aujourd’hui?
Ce que je retiendrais surtout de lui c’est qu’il ne faut pas avoir peur d’aller vers l’autre. Il lui a fallu quand même un sacré courage pour quitter son Europe natale et passer le restant de ses jours à l’autre bout du monde, dans une culture tout autre, sans savoir si et comment sa mission d’évangélisation aboutirait. Le message que nous laisse donc ce personnage c’est le courage de découvrir l’étranger, et de proposer sans imposer. Son but est la conversion des Chinois, mais une conversion par l’adhésion libre du cœur, et non par la force ou par la peur. Je crois que c’est une pensée très forte pour aujourd’hui.
Et vous, quel message adressez-vous à tous les lecteurs qui découvriront cet album après l’avoir reçu à Noël?
Eh bien simplement: bonne lecture et joyeux Noël! Plus sérieusement, je veux les inviter à la curiosité, à l’ouverture d’esprit pour partager un bout de chemin avec Matteo Ricci. Qu’ils se laissent aussi porter par l’esprit d’aventure, l’intelligence et le courage du personnage.
«Matteo Ricci - Dans la Cité interdite», Martin Jamar (illustration), Jean Dufaux (auteur), Editions Dargaud, 56 pages.
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Travaillez-vous d’une façon particulière avec cette couleur?</strong></p> <p>Oui, le bleu est très présent dans cette BD. Mais ce n’est pas toujours le cas. Je dirais que c’est le sujet et l’ambiance que je dessine qui appellent telle ou telle couleur. Pour <i>Matteo Ricci</i>, j’ai été amené au bleu en premier lieu par une gravure fameuse du personnage où sa tunique chinoise est bleue. Au fond, je peux dire que je cherche l’harmonie par la couleur dominante. Chaque album a <i>sa</i> couleur. Pour <i>Foucauld</i>, on est dans le désert, ce sont alors davantage des jaunes et des ocres qui dominent.</p> <p><strong>Vous avez fréquenté Matteo Ricci pendant deux années de dessin. Quel est, selon vous, le message de Matteo Ricci pour le monde d’aujourd’hui?</strong></p> <p>Ce que je retiendrais surtout de lui c’est qu’il ne faut pas avoir peur d’aller vers l’autre. Il lui a fallu quand même un sacré courage pour quitter son Europe natale et passer le restant de ses jours à l’autre bout du monde, dans une culture tout autre, sans savoir si et comment sa mission d’évangélisation aboutirait. Le message que nous laisse donc ce personnage c’est le courage de découvrir l’étranger, et de proposer sans imposer. Son but est la conversion des Chinois, mais une conversion par l’adhésion libre du cœur, et non par la force ou par la peur. Je crois que c’est une pensée très forte pour aujourd’hui.</p> <p><strong>Et vous, quel message adressez-vous à tous les lecteurs qui découvriront cet album après l’avoir reçu à Noël?</strong></p> <p>Eh bien simplement: bonne lecture et joyeux Noël! Plus sérieusement, je veux les inviter à la curiosité, à l’ouverture d’esprit pour partager un bout de chemin avec Matteo Ricci. 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Dans la tourmente de l’entre-deux guerres, connaissant la pauvreté et le racisme, mais aussi les fêtes de la diaspora arménienne dans le café de son père, les danses, les chants, et les premiers pas sur les planches. «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=jSqkbJxF-Mo" target="_blank" rel="noopener">Les deux guitares</a>», chant tzigane, nous ramène à cette époque.</p> <p>Place ensuite au jeune homme, qui rêve de gloire, et qui collectionne les petits boulots. Fatigué d’imiter Trenet et de chanter les bruits de fond des cabarets, il se bat «à corps perdu, assoiffé, obstiné» pour chanter lui aussi l’amour, pour écrire les grands textes qui feront pleurer la France et le monde. Il construit sa vie, avec un mariage, une enfant, une tournée au Québec, et puis déconstruit tout. Il se sépare même de celle dont il est l’homme à tout faire, j’ai nommé «la Môme». 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Le film est bien décevant sous certains aspects, il comporte bien des problèmes tant au niveau du jeu que de la réalisation. <i>Et pourtant, pourtant…</i> ce film a du cœur.</p> <p>Aussi, être grincheux face à cette équipe de jeunes qui aiment sincèrement Aznavour et qui se sont donnés de la peine pour réaliser ce film, ce serait jouer les scribouillards qui critiquent tout sans avoir jamais rien fait par soi. La critique aurait eu de quoi se déchaîner si le film et son équipe étaient prétentieux. <i>Et pourtant, pourtant…</i> il n’en est rien. Etre grincheux, c’eût été encore faire le jeu de ces critiques qui s’en prenaient à Aznavour lui-même en écrivant, pour l’un d'eux cité dans le film, «comment peut-on laisser un infirme chanter?», avant de venir présenter ses excuses à un Aznavour bonhomme qui n’en tient pas rigueur et qui offre même une coupe de champagne à son détracteur.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> disons ce qu’il y a à dire. 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Aznavour me rejoint dans ma <a href="https://leregardlibre.com/musique/la-dimension-chretienne-de-loeuvre-daznavour/" target="_blank" rel="noopener">vie spirituelle</a>, dans ma vie sexuelle – ou du moins telle que je la <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-un-chanteur-du-sexe/" target="_blank" rel="noopener">phantasme</a> – et surtout dans ma vie de <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-chante-les-loosers/" target="_blank" rel="noopener"><i>loser</i></a>. Aznavour chante les <i>losers</i>. Aznavour est un <i>loser</i>. J’en suis un aussi. <i>Et pourtant, pourtant…</i> le <i>loser</i> n’est pas celui qui a tout raté, loin de là. 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