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<p>Sadowsky évacue d’abord deux points cardinaux du raisonnement. Oui, la dépression a une dimension politique, mais cela n’est pas une caractéristique propre à cette pathologie. Toutes, en réalité, revêtent cette dimension. Et oui, surtout, la dépression est une maladie. Aucun doute n’est permis ni toléré par la science.</p>
<p>Cela étant posé, revenons à ce qui nous échappe, à ce qui butte et complexifie toujours davantage notre approche: l’écueil du dualisme. La distinction essentielle du corps et de l’esprit nous vient, grossièrement, de Descartes, qui a théorisé au XVIIème siècle l’idée que l’esprit était immatériel et non assimilable à la chair, c’est-à-dire au cerveau: au corps.</p>
<p>Sadowsky tend à élargir la focale, à inscrire la dépression dans le temps long, dans un universel géographique et culturel également. Le dualisme existe déjà dans les philosophies de l’Antiquité, notamment chez Platon et Aristote... ainsi que la dépression, conçue déjà comme un trouble de l’âme <i>et</i> du corps. </p>
<p>La médecine hippocratique et galénique identifie la dépression comme un excès de «bile noire», à l’origine de la mélancolie dans la théorie des humeurs, un excès qu’il faut purger, notamment avec des règles alimentaires et une hygiène de vie particulières. Déjà, la «thérapie» proposée allie des soins physiques et psychiques. </p>
<p>Au Moyen Age, la question de la morale et du péché est introduite dans la prise en charge de ce qu’on appelle plus volontiers l’acédie (du latin qui signifie «dégoût», «indifférence»). La mélancolie est alors associée à la paresse, un péché capital. Elle contrevient également au commandement chrétien d’être joyeux. Ce déséquilibre des humeurs est imputable alors à la seule responsabilité du patient. On parle de «démon», de «possession» et de «tentation», qu’il faut traiter par la pénitence et la confession, une fois encore donc, dans l’âme et le corps à la fois. </p>
<p>A la Renaissance, le terme de mélancolie reprend le pas. Martin Luther souligne que «les maladies de l’âme sont de vraies maladies», mais, fasciné par la folie, le réformateur trouve aussi du bon dans l’état dépressif. «Les personnes satisfaites sur le plan spirituel lui paraissaient suspectes. Pour lui, les conflits intérieurs étaient signes de vitalité mentale et de sagesse. Avoir le moral au plus bas témoignait que l’on savait combien l’état du monde et la condition humaine étaient viciés, et la tristesse était la manifestation d’un sens moral aigu.» Luther partage également avec Paracelse la conviction que la mélancolie peut être le résultat d’une possession démoniaque. </p>
<p>Après l’abandon définitif de la théorie des humeurs, le tableau clinique ne change pas. Freud insiste sur les notions de culpabilité et sur le rôle de la sexualité. Dans les années 1950, le statut de la dépression (considérée comme une humeur) et celui de la mélancolie (un syndrome clinique) sont inversés. </p>
<p>C’est seulement avec l’invention et surtout la démocratisation des médicaments anti dépresseurs, dans les années 1970 et 1980, que notre perspective sur la dépression se rétrécit considérablement. Effet d’une volonté de rationnaliser, d’éliminer la dimension d’histoire personnelle, ou anomalie d’un scientisme mal réfléchi? Toujours est-il que l’approche bio-psychiatrique ne considère plus que la dépression est du double ressort de l’âme (ou de l’esprit) <i>et</i> du corps. Puisque les anti dépresseurs agissent sur les processus chimiques à l’œuvre dans le cerveau – et produisent des résultats très satisfaisants sur l’humeur des patients – l’idée s’impose selon laquelle la dépression est un trouble de fonctionnement du cerveau. En 1985, les Etats-Unis autorisent la publicité pour les anti dépresseurs; deux ans plus tard, le Prozac obtient de la FDA l’autorisation de commercialisation. C’est alors un élément de langage publicitaire, plus qu’une expression à l’usage dans les milieux scientifiques, qui s’impose auprès du grand public: la dépression est un «déséquilibre chimique». Analogie est faite avec le diabète notamment. Et la logique est simple: en corrigeant ce déséquilibre par les médicaments, la dépression est traitée. Plus besoin de faire appel à nos traumatismes d’enfance, à notre histoire familiale, à nos angoisses et à nos colères, tout se joue à l’échelle moléculaire, dans la chimie organique.</p>
<p>Pourtant, l’enthousiasme que suscitent les différents types de médicaments anti dépresseurs se heurte rapidement à des limites de diverses natures.</p>
<p>Plus la science veut nommer, normaliser, quantifier, plus on s’éloigne de l’individu. Cela dans un double mouvement tout de même: la psychiatrie aussi connait des tâtonnements, le psychiatre ajuste, adapte les molécules et les dosages au patient, sans règle véritablement définie. La réponse thérapeutique et chimique n’est donc pas aussi rigoureuse que dans le cas du diabète. </p>
<p>Sur le plan théorique, cette position dominante pose aussi un problème. D’abord, le savoir médical se détourne de la considération des cas individuels pris dans leur singularité pour porter toute son attention sur les données chiffrées. Or, aussi loin que remontent les savoirs sur la dépression, la notion d’individualité n’en est jamais absente. L’hégémonie du modèle bio-psychiatrique relève du réductionnisme scientifique. «Le réductionnisme – qui consiste par exemple à rechercher la cause unique d’une maladie – est un des plus puissants instruments de la science. Cet instrument a permis des progrès considérables dans le cas des maladies infectieuses, une fois la théorie des germes validée. Mais la doctrine de la cause unique est un outil particulièrement tranchant qui opère aussi, parfois, des coupes trop nettes. Cet outil ne permet pas de rendre compte des origines sociales des maladies – or toutes les maladies en ont, y compris les maladies infectieuses.»</p>
<p>A la lumière des plus récentes avancées, y compris dans le domaine des thérapies psychologiques, on ne le répétera jamais assez, et Jonathan Sadowsky lui-même sacrifie à ce martèlement: «les modèles biologiques et psychologiques ne sont pas incompatibles, ils sont complémentaires». Les médicaments fonctionnent, les thérapies psychologiques fonctionnent. L’un ou l’autre, ou l’association des deux fonctionnent. </p>
<p>La dépression fait l’objet d’un double réductionnisme alors que sa double dimension, physique et psychologique, est factuelle et attestée. Pourquoi est-ce si difficile de nous en convaincre une fois pour toutes, questionne l’auteur?</p>
<p>La réponse semble en partie énoncée lorsque Sadowsky propose, à plusieurs reprises dans son essai, une démonstration selon laquelle les anti dépresseurs – et le modèle bio-psychiatrique qui les accompagne – sont à la fois scories et carburant du système capitaliste. </p>
<p>«L’industrie du bonheur», comme l’ont dénoncée des critiques du tout-psychiatrique dans les années 1980, en est le corollaire: le Prozac est un produit de consommation qui a été vendu comme un autre, répondant à un besoin plus ou moins préexistant. La tentation est grande, en effet, et même si l’on ne se sent pas particulièrement de souffrance psychologique, d’essayer d’être «mieux que bien» en avalant ces pilules magiques...</p>
<p>Dans un autre sens, on peut comprendre «l’épidémie» de dépressions de notre époque post-moderne comme la résultante du broyage des individualités par la machine capitaliste. Même si la notion d’épidémie de dépression est à fortement nuancer, et statistiquement peu valable. «Ce que le néolibéralisme, la postmodernité et la dépression clinique ont en commun, c’est l’absence d’espoir», explique l’auteur, ou la conviction que les choses ne peuvent pas, pour des raisons systémiques, s’améliorer.</p>
<p>Du côté des thérapies, il note que les exigences financières des assurances-maladie, quand elles existent, ou les contraintes budgétaires des ménages le cas échéant, poussent inexorablement à l’adoption d’un paradigme qui réduit à la plus faible part possible la complexité et la multi factorialité de la dépression. Dans ce cas, le temps coûte, les tâtonnements coûtent, il est donc tentant de se tourner vers un modèle thérapeutique simple: symptôme-traitement-guérison, c’est exactement ce que propose l’approche bio-psychiatrique. </p>
<p>En incise, l’auteur remarque que ce modèle est typiquement occidental. Considérant le dualisme cartésien comme un artefact culturel, et la domination des anti dépresseurs comme l’une de ses conséquences, il relève que cette manière d'envisager les choses a dû faire l’objet de véritables opérations d’exportation et de greffe dans d’autres sphères culturelles. La dépression n’est pas une maladie occidentale, l’étude des cas de détresse psychologique chez les esclaves aux Etats-Unis a notamment démenti les affirmations racistes selon lesquelles seuls les blancs étaient capables de ressentir de la mélancolie. En revanche, si la dépression est universellement répandue et ressentie, la notion de «déséquilibre chimique» n’est pas évidente partout. En Lettonie, par exemple, il a fallu se débarrasser de l’influence soviétique jusque dans la médecine: «la médecine soviétique avait (...) adopté une approche holistique qui intégrait les affects, le vécu corporel et les comportements». Depuis l’indépendance du pays, cette approche a été gommée, et si les médecins psychiatres et neurologues tiennent compte des conditions de vie de leurs patients, ces éléments sont simplement contextuels et il n’est pas question d’agir dessus. «Les colloques organisés par les grands groupes de l’industrie pharmaceutique ne se contentent pas de faire la promotion des médicaments: ils contribuent à acclimater les catégories diagnostiques – comme celle de la dépression – qui justifient leur prescription». </p>
<p>Le Prozac a également été introduit en Iran, et son essor coïncide avec une importance souffrance dans la population due à la guerre Iran-Irak dans les années 80. «Avant la révolution iranienne de 1979, les Iraniens évoquaient la souffrance psychique en termes poétiques et spirituels. Un certain degré de mélancolie était associé au fait d’avoir du caractère et de s’être affirmé sur le plan spirituel». Le traitement par les médicaments s’est imposé dans le pays, mais leur efficacité n’a pas permis de glissement complet du paradigme jusqu’à faire considérer la dépression comme «simplement chimique». Dans la culture iranienne se maintient l’idée que la dépression a d’abord des causes sociales – voire géopolitiques. </p>
<p>Examinant aussi le cas du Japon ou les témoignages d’immigrés aux Etats-Unis, l’auteur parle de «mondialisation des anti dépresseurs», dont la consommation est aujourd’hui aussi répandue que celle du Coca-Cola dans le monde. </p>
<p>Dans ce contexte, définir et mesurer la dépression de manière précise devient de plus en plus important et les solutions sont peu convaincantes. Un ressort important de l’argumentation de Sadowsky est la continuité sémiologique entre l’acédie médiévale et la dépression du XXIème siècle: nous parlons bel et bien de la même chose. Mais comment circonscrire cette «chose»? Et finalement, où se trouve, dans ce cas, la limite entre le normal et le pathologique? Qu’est-ce qu’une tristesse «normale» devant l’état du monde ou face à une contrariété personnelle, et à quel moment parle-t-on de tristesse «anormale», «excessive»? Dans quelle mesure une souffrance est-elle «tolérable» ou «invalidante»? La médecine ne saurait répondre à ces questions, et c’est là, malheureusement, l’angle mort de cet essai. </p>
<p>Peut-être aurait-il fallu le secours de Canguilhem (<em>Le Normal et le Pathologique</em>, 1943), dont la thèse est: «en matière de normes biologiques, c’est toujours à l’individu qu’il faut se référer», contre la systématisation des grilles diagnostiques. Réintroduire, donc, une dose d’individualité dans les processus de normalisation.</p>
<p>Certes, l’état actuel de la recherche et de la psychiatrie permet de s’appuyer sur des perspectives encourageantes – car plus nuancées. Mais force est d’admettre que depuis l’Antiquité, le tableau n’a pas fondamentalement changé. La dépression, aux multiples et déroutantes facettes qui ne se plient vraiment à aucun paradigme, reste un embarras pour la science, un fardeau pour les malades et la manifestation de l’irréductibilité coriace de l’esprit humain.</p>
<hr />
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<h4>«L’empire du malheur. Une histoire de la dépression», Jonathan Sadowsky, Editions Amsterdam, 384 pages. </h4>',
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<p>Du côté des thérapies, il note que les exigences financières des assurances-maladie, quand elles existent, ou les contraintes budgétaires des ménages le cas échéant, poussent inexorablement à l’adoption d’un paradigme qui réduit à la plus faible part possible la complexité et la multi factorialité de la dépression. Dans ce cas, le temps coûte, les tâtonnements coûtent, il est donc tentant de se tourner vers un modèle thérapeutique simple: symptôme-traitement-guérison, c’est exactement ce que propose l’approche bio-psychiatrique. </p>
<p>En incise, l’auteur remarque que ce modèle est typiquement occidental. Considérant le dualisme cartésien comme un artefact culturel, et la domination des anti dépresseurs comme l’une de ses conséquences, il relève que cette manière d'envisager les choses a dû faire l’objet de véritables opérations d’exportation et de greffe dans d’autres sphères culturelles. La dépression n’est pas une maladie occidentale, l’étude des cas de détresse psychologique chez les esclaves aux Etats-Unis a notamment démenti les affirmations racistes selon lesquelles seuls les blancs étaient capables de ressentir de la mélancolie. En revanche, si la dépression est universellement répandue et ressentie, la notion de «déséquilibre chimique» n’est pas évidente partout. En Lettonie, par exemple, il a fallu se débarrasser de l’influence soviétique jusque dans la médecine: «la médecine soviétique avait (...) adopté une approche holistique qui intégrait les affects, le vécu corporel et les comportements». Depuis l’indépendance du pays, cette approche a été gommée, et si les médecins psychiatres et neurologues tiennent compte des conditions de vie de leurs patients, ces éléments sont simplement contextuels et il n’est pas question d’agir dessus. «Les colloques organisés par les grands groupes de l’industrie pharmaceutique ne se contentent pas de faire la promotion des médicaments: ils contribuent à acclimater les catégories diagnostiques – comme celle de la dépression – qui justifient leur prescription». </p>
<p>Le Prozac a également été introduit en Iran, et son essor coïncide avec une importance souffrance dans la population due à la guerre Iran-Irak dans les années 80. «Avant la révolution iranienne de 1979, les Iraniens évoquaient la souffrance psychique en termes poétiques et spirituels. Un certain degré de mélancolie était associé au fait d’avoir du caractère et de s’être affirmé sur le plan spirituel». Le traitement par les médicaments s’est imposé dans le pays, mais leur efficacité n’a pas permis de glissement complet du paradigme jusqu’à faire considérer la dépression comme «simplement chimique». Dans la culture iranienne se maintient l’idée que la dépression a d’abord des causes sociales – voire géopolitiques. </p>
<p>Examinant aussi le cas du Japon ou les témoignages d’immigrés aux Etats-Unis, l’auteur parle de «mondialisation des anti dépresseurs», dont la consommation est aujourd’hui aussi répandue que celle du Coca-Cola dans le monde. </p>
<p>Dans ce contexte, définir et mesurer la dépression de manière précise devient de plus en plus important et les solutions sont peu convaincantes. Un ressort important de l’argumentation de Sadowsky est la continuité sémiologique entre l’acédie médiévale et la dépression du XXIème siècle: nous parlons bel et bien de la même chose. Mais comment circonscrire cette «chose»? Et finalement, où se trouve, dans ce cas, la limite entre le normal et le pathologique? Qu’est-ce qu’une tristesse «normale» devant l’état du monde ou face à une contrariété personnelle, et à quel moment parle-t-on de tristesse «anormale», «excessive»? Dans quelle mesure une souffrance est-elle «tolérable» ou «invalidante»? La médecine ne saurait répondre à ces questions, et c’est là, malheureusement, l’angle mort de cet essai. </p>
<p>Peut-être aurait-il fallu le secours de Canguilhem (<em>Le Normal et le Pathologique</em>, 1943), dont la thèse est: «en matière de normes biologiques, c’est toujours à l’individu qu’il faut se référer», contre la systématisation des grilles diagnostiques. Réintroduire, donc, une dose d’individualité dans les processus de normalisation.</p>
<p>Certes, l’état actuel de la recherche et de la psychiatrie permet de s’appuyer sur des perspectives encourageantes – car plus nuancées. Mais force est d’admettre que depuis l’Antiquité, le tableau n’a pas fondamentalement changé. La dépression, aux multiples et déroutantes facettes qui ne se plient vraiment à aucun paradigme, reste un embarras pour la science, un fardeau pour les malades et la manifestation de l’irréductibilité coriace de l’esprit humain.</p>
<hr />
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'content' => '<p>Entre 1912 et 1948, nous apprend ce livre, les Jeux olympiques modernes tels que ressuscités par Pierre de Coubertin intégraient des épreuves artistiques. Des médailles d’or, d’argent et de bronze distribuées dans les catégories peinture, sculpture, architecture, littérature... Suivant un idéal antique: <em>mens sana in corpore sano, </em>Coubertin croyait nécessaire de pratiquer à la fois sports et arts. Centré sur les Jeux de Paris de 1924, le récit offre un panorama vivant et riche du monde du sport durant les Années folles. On ne peut bien sûr s’empêcher de comparer les deux olympiades, à un siècle d’écart. Alors, la figure de l’écrivain-sportif avait les faveurs de la critique. Le jury des épreuves artistiques comptait Jean Giraudoux, Paul Claudel, ou encore Edith Warthon dans ses rangs; Henry de Montherlant, favori pour la médaille en littérature, ne l’obtint finalement pas... Au profit d’un certain Géo-Charles, inconnu jusque là et oublié depuis. Louis Chevaillier nous rappelle que les Jeux olympiques, comme le sport en général, étaient il y a un siècle une affaire de <em>gentlemen</em> et donc de riches amateurs. Jusqu’au mitan du XXème siècle, être athlète «professionnel» constituait une infamie. Et plus infamant encore aux yeux de Coubertin lui-même: le sport féminin... Le baron dit n’avoir jamais rien vu de plus laid qu’une femme sur une luge. On cantonne les sportives à quelques disciplines «inoffensives», puis le régime de Vichy interdira complètement la pratique du sport de haut niveau aux femmes. Leur corps n’appartient-il pas à leur époux et à la patrie? Bien des choses ont été balayées, réformées, dépoussiérées depuis la fin du XIXème siècle. A commencer par les épreuves artistiques et littéraires, qui ont fait long feu. D'autres se sont ancrées durablement dans la tradition et l'esprit olympiques. Ce livre est aussi l’occasion de s’interroger sur la nature même de l'art. Peut-on associer poésie et littérature au spectacle et au spectaculaire? A la quête de la performance? Le dépassement de soi en art se fait bien plutôt en silence à l’ombre de l'atelier. Imagine-t-on les lauréats du Goncourt juchés sur un podium? Peut-être qu’un «esprit sain dans un corps sain» n’est plus un horizon à atteindre, au temps de la XXXIIIème olympiade de l’ère moderne.</p>',
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'content' => '<p>Carlos Ramirez, 26 ans, est enseignant et réside à Barcelone. Sur les images prises par les reporters de la télévision américaine, il arbore un t-shirt orange vif sur lequel il est écrit en grosses lettres: «<em>tourists, go home</em>», «les touristes, rentrez chez vous». Il dénonce la hausse spectaculaire des prix de l’immobilier dans la capitale catalane. Même avec un salaire décent comme celui de Carlos, il est devenu quasi-impossible de louer un appartement en centre-ville, à moins de décrocher une place dans une colocation de 3 ou 4 personnes. Les loyers ont augmenté de 68% en dix ans et l’accession à la propriété est devenue une chimère inatteignable pour les jeunes actifs.</p>
<p>Comme ailleurs dans le sud de l’Europe, la population double durant les vacances d’été, une situation invivable pour les résidents. «Il y a de plus en plus de monde» déplore Carlos. En plus de porter des t-shirts qu’on ne risque pas de manquer en déambulant sur les <em>R</em><i>amblas</i>, les habitants des régions concernées redoublent d’imagination pour faire entendre leur voix. Aux îles Canaries, c’est une grève de la faim qui a été décidée dès le mois d’avril. A Barcelone toujours, des locaux excédés s’amusent à viser les touristes au pistolet à eau. Les températures avoisinent les 40 degrés, rien de bien méchant. Ils étaient également près de 3’000 Barcelonais à se réunir devant la mairie début juillet pour tâcher d’attirer l’attention médiatique sur la question.</p>
<p>La mairie, <span>quant à elle, e</span><span>nvisage d’augmenter le montant de la taxe de séjour pour les visiteurs qui débarquent des bateaux de croisière. Cette taxe rapporte actuellement une centaine de millions d’euros, soit la troisième ressource économique de la ville. Le maire, Jaume Colboni, vise particulièrement les touristes ne passant pas plus de 12 heures sur place et se pressant tous autour de la Sagrada Familia et du quartier conçu par le célèbre architecte Gaudí. </span></p>
<p>Il est aussi question de révoquer l’autorisation de location de courte durée à environ un millier d’appartements, autant de locations qui seront remises sur le marché local à destination des Barcelonais.</p>
<p>A Venise, les autorités ont instauré un droit de péage de 5 euros pour les touristes qui ne passent qu’une journée sur le pont des Soupirs. L’opération a déjà rapporté plus de 2 millions d’euros, bien plus qu’anticipé. Si certains Vénitiens ont perçu une légère baisse de la fréquentation sur les canaux, la mesure leur semble insuffisante. Voire contre-productive pour les associations de résidents qui craignent que leur ville ne se transforme en «Venise-land», le droit de péage constituant le ticket d'entrée pour ce parc d'attraction. «Nous avons atteint un point de non-retour» déplorent les Vénitiens. «Notre ville se meurt pour le profit de quelques uns». Des services de santé ont en effet dû fermer leurs portes, les boutiques de souvenirs kitsch remplacent les enseignes locales: la vie quotidienne devient impossible.</p>
<p>De fait, le pari de Carlos Ramirez et de ses voisins a réussi: plusieurs agences de voyages et compagnies aériennes avertissent désormais leurs clients. Il règne en Catalogne un «climat hostile» à leur venue. «Barcelone a à présent mauvaise réputation. De plus en plus de visiteurs ont peur de s’y rendre», explique Antje Martins, spécialiste du tourisme à l’université du Queensland. D’autres professionnels craignent même que la ville ne se retrouve «isolée» et que l’attitude des résidents n’entache la réputation de toute l’Espagne.</p>
<p>Car cette révolte s'inscrit dans un paradoxe économique. Barcelone vit largement du tourisme, comme de nombreuses autres régions européennes. Comment concilier prospérité et tranquillité? L’exaspération des habitants ne se dirige d’ailleurs pas vers les touristes eux-mêmes, mais plutôt vers les autorités qui n’ont pas engagé de réflexion profonde – et politique – sur un modèle touristique durable à adopter pour atteindre une forme de consensus entre visiteurs et habitants, un équilibre vivable à long terme. Il s’agit d’un problème structurel. </p>
<p>En sus des logements confisqués et de la dévitalisation des centres-villes, la question du respect de l’environnement et des habitants par les visiteurs commence à être abordée et regardée en face. La manne financière du tourisme ne justifie plus tous les excès et toutes les indulgences. A Florence, une touriste mimant une scène sexuelle avec une statue représentant Bacchus a fait scandale. La dégradation d’une fontaine du XVIème siècle par un autre visiteur l’été dernier a soulevé l'indignation des Florentins.</p>
<p>Carlos a lui aussi constaté que les touristes se «lâchaient» une fois sur leur lieu de villégiature, s’autorisaient «ici ce qu’ils ne se permettent pas chez eux». «Nous nous sentons véritablement insultés». </p>
<p>Amsterdam, la ville du «quartier rouge» et des coffee-shops, a décidé de répliquer: une campagne de «non promotion» lancée en 2023 visait spécialement les jeunes hommes, principaux responsables des nuisances selon les habitants. Les enterrements de vie de garçon ont quelque peu cessé d’empoisonner le quotidien et les nuits des riverains des bars et boîtes de nuit.</p>
<p>Une autre stratégie consiste à augmenter drastiquement les prix pour se débarrasser des foules. Mais la gentrification qui s’en suit est encore un fléau pour les locaux. Ainsi à Majorque, tout est désormais «hors de prix» afin de dissuader les «touristes alcoolisés» d’envahir l'île et ses plages. Seulement cette inflation ne bénéficie pas aux habitants.</p>
<p>Quelles que soient les méthodes employées, une intervention politique semble indispensable aux habitants de ces zones exposées à la surfréquentation. D’Amsterdam à Venise en passant par Palma de Majorque, tous sont décidés à poursuivre leur combat, «jusqu’à ce que l’équilibre soit rétabli». Un équilibre d’avant EasyJet et AirBnB.</p>
<hr />
<h4><a href="https://edition.cnn.com/2024/07/27/travel/why-europe-has-become-an-epicenter-for-anti-tourism-protests-this-summer/index.html" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>',
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<p>Un cas d’école, en somme: pour l’historien du sport Robert Withing, cité par le quotidien, «l’opinion publique n’aura pas pu vivre les émotions qui permettent normalement d’effacer toutes les polémiques qui précèdent traditionnellement les JO.» C’est ainsi que les Japonais ont pu découvrir la facture finale de 1’700 milliards de yens (environ 13 milliards de dollars), c’est-à-dire le double des dépenses prévues. Les infrastructures construites pour l’occasion, en particulier le Stade national de Tokyo, dont les gradins sont demeurés vides pendant les Jeux, coûtent aujourd’hui des sommes considérables.</p>
<p>Des entreprises privées se proposent d’exploiter le stade d’ici quelques mois, afin d’éponger quelque peu les coûts faramineux: presque jamais utilisé, le stade conçu par l’architecte Kengo Kuma, une harmonieuse structure hybride de bois, d’acier et de béton, coûte près de 50’000 euros par jour aux contribuables.</p>
<p>Avec prudence, on évoque la possibilité d’employer cette arène à l’organisation d’une prochaine coupe du monde de football. Mais d’une manière générale, les autorités japonaises comptent patienter avant d’envisager d’accueillir d’autres grands événements internationaux. La candidature de Sapporo pour les Jeux d’hiver 2030 a par exemple été retirée. Selon les dernières études d’opinion, 60% de la population de l’île d’Hokkaido, qui aurait dû accueillir les épreuves, s’opposait à ce projet. Ce sont les Alpes françaises qui auront <em>a priori</em> la charge et le plaisir de les organiser.</p>
<p>La population réclame désormais des comptes. Les procès, très médiatisés, se multiplient: «après avoir déjà prononcé plus d’une dizaine de condamnations, les tribunaux de Tokyo continuent de juger de multiples malversations allant de l’attribution même des Jeux à la distribution des contrats de sponsoring. Des entreprises, des cadres, des hauts fonctionnaires sont punis...»</p>
<p>«Du pain et des jeux» afin de distraire le peuple des rouages peu reluisants du pouvoir: cette méthode vieille comme l’Antiquité s’est enrayée à Tokyo. Par la faute d’un invisible virus, c’est toute la structure du pouvoir politique et économique qui s’est retrouvée nue aux yeux des citoyens. Comme le concède Keiko Momii, membre du comité olympique japonais: «Il va falloir plus de temps pour expliquer ces projets et essayer de regagner le soutien du public».</p>
<hr />
<h4><a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/jo-de-tokyo-la-grande-frustration-des-jeux-fantomes-2109005" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>',
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'content' => '<p>A Aigues-Mortes, dans le sud de la France, l’économie tourne depuis des siècles autour des salines. A l’été 1893, comme chaque année, les compagnies ont recruté des saisonniers piémontais pour lever le sel, une tâche harassante. Les locaux ne veulent plus s’y épuiser ni s’exposer aux brûlures du sel et du soleil sur la peau, les mains, les pieds. Pour espérer effectuer ce «travail de bagnard», des trimards, vagabonds et saisonniers ardéchois sont aussi descendus en Camargue. Seulement, le pays traverse l’une des premières crises du capitalisme moderne: le chômage explose, les Français s’aperçoivent tout à coup que ces étrangers, les «macaronis», leur «volent» leur travail... Un fossé se creuse entre «eux» et «nous», la vieille, très vieille histoire de ce que l’on appelle avec nos mots d’aujourd’hui la xénophobie. En 1893, cela se traduit par une explosion de violence contre les Piémontais. Des bagarres éclatent. Durant deux jours, une folie meurtrière s’empare de la ville. Très peu d’habitants se tiennent éloignés des lynchages, qui causeront des centaines de blessés et la mort de 10 Italiens. L’armée intervient un peu tard, les autorités décident de révoquer les permis de travail des étrangers, tout rentre dans l’ordre: chacun chez soi... Le massacre des Italiens, ses victimes, ses coupables, le scandale diplomatique qui a suivi, tout cela a vite sombré dans l’oubli. «C’est une vieille histoire», oui, une éternelle histoire.</p>',
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1 Commentaire
@stef 24.10.2022 | 17h38
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