Actuel / Loi Covid et pluralité: la RTS épinglée
© Lena Ebener
Une plainte a récemment été admise par l’AIEP contre un reportage de la RTS. La pluralité des opinions n’a pas été respectée. Quel poids a vraiment cette décision?
L’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) est une commission extraparlementaire de la Confédération. Elle existe depuis 1984 mais reste encore relativement peu connue du public, même si, depuis quelques mois, les Romands sont de plus en plus nombreux à y avoir recours pour dénoncer un traitement de l’information qu’ils estiment parfois trompeur ou partisan. Le rôle de l’AIEP est d’établir si les contenus des diffuseurs de radio/télévision suisses respectent la présentation fidèle des événements, l’exigence de pluralité, la protection de la jeunesse et les droits fondamentaux. En 2021, 30 nouvelles plaintes ont été déposées auprès de l’AIEP, ce qui est globalement supérieur à la moyenne. Ces chiffres ne représentent que 2,5% des cas adressés aux organes de médiation qui interviennent en premier. En 2020, un record de 43 plaintes a été atteint. Les mesures gouvernementales liées au coronavirus ont constitué un thème prioritaire, comme par exemple dans la plainte admise contre un reportage du 19h30 de la RTS, sur la stratégie suédoise de lutte contre la propagation du virus, jugée non conforme au principe de la présentation fidèle des événements.
Nouvelle plainte admise contre la RTS
Le 23 juin 2022, l’AIEP s’est prononcée sur un reportage réalisé par la journaliste et productrice Nathalie Ducommun pour l’émission télévisée Mise au Point, diffusé le 14 novembre 2021, soit deux semaines avant la votation fédérale sur la loi Covid. Les devoirs de diligence accrus avant les votations populaires n’ont pas été respectés dans ce sujet traitant de «la haine avant la votation sur la loi Covid» et qui s’intitule «Sous les pavés, la rage!» L’un des membres de l’AIEP m’a fait savoir qu’il est rare que l’article 4 alinéa 4 de la LRTV soit retenu comme dans le cas présent. L’AIEP est arrivée à la conclusion que le reportage a violé le principe de pluralité, car il n’a pratiquement donné la parole qu’aux partisans des mesures. Il a véhiculé une image unilatérale des responsables de la dégradation du climat politique.
Qu'en pensent les intéressés?
Contactés, Sébastien Faure et Gilles Clémençon, respectivement producteur et journaliste à la RTS pour l’émission Mise au Point, ont livré leurs premières réactions. «Nous avons été surpris et un peu déçus. Nous estimons que c’était un sujet lié à des faits de campagne et qu’il n’était pas directement lié à la votation. Nous avons tenté d’être les plus exhaustifs possible sur les menaces faites aux politiques de tous bords. Nous avons également abordé le ressenti des manifestants, qui témoignaient de tensions et de violences verbales pendant la campagne. Il n’y a pas eu de volonté de tromper ni tronquer les propos.» Selon Sébastien Faure et Gilles Clémençon «la plainte abordait une série de griefs plus généraux sur la couverture du Covid par les médias, pour lesquels la commission n’est même pas entrée en matière.» Certains membres de l’AIEP affirment le contraire: «durant l’audience, nous sommes plusieurs à avoir reconnu que la couverture générale a été décevante au sujet de la pandémie!»
Quels sont lesdits griefs?
Le plaignant s’interroge sur la possibilité que la RTS soit indirectement responsable de la dégradation d’ambiance dont parle l’émission, à la fois parce qu’elle ne joue pas son rôle de contre-pouvoir et parce qu’elle contribue à la division. Ce que rejette évidemment la RTS. «Cette crise mondiale sans précédent a provoqué une polarisation accrue du discours public. La RTS en a été un observateur attentif parmi d’autres. Comme tous les autres médias, nous avons eu un rôle important à jouer pour recueillir, analyser, et transmettre avec le recul critique les informations liées à la pandémie» explique la porte-parole Emmanuelle Jaquet.
Je me suis demandé si néanmoins, la RTS comprenait que certaines personnes puissent être déçues voire fâchées avec son traitement de l’information. La réponse est un oui nuancé. «Les rédactions de la RTS se remettent quotidiennement en question et reconnaissent leurs erreurs si elles sont avérées. Dès lors que nous sommes un acteur essentiel au débat démocratique et que nous touchons un très large public en Suisse, nous acceptons bien sûr l’idée que certains traitements suscitent la discussion.» La plainte ayant été reçue, l’erreur pourrait être considérée comme avérée. Néanmoins, aucune mesure particulière ne semble être à l’ordre du jour pour veiller à ce que cela ne se reproduise pas. «Nos journalistes vont continuer de travailler en toute indépendance, dans le cadre d’une charte déontologique qui leur impose d’être rigoureusement impartiaux, de présenter les événements de façon fidèle et d’accorder un temps de parole équitable aux différentes parties prenantes, sur une période donnée et non dans chaque émission» argumente la responsable communication.
Quant à savoir si la RTS remarque, comme le prétend le plaignant, que cet avis est partagé par des centaines de milliers de personnes qui ont perdu confiance en leur média public, le constat n’est pas partagé et la RTS s’en défend. «Nous ne connaissons pas la source sur laquelle s’appuie le plaignant pour affirmer que des "centaines de milliers de personnes partagent son opinion". Nous constatons au contraire qu’en situation de crise, le service public rassemble une plus grande frange de la population autour de ses émissions d’information. Les sondages et études effectués chaque année sur notre légitimité et la crédibilité en matière d’information montrent que le public nous accorde toujours une grande confiance. Par exemple, le Digital news report 2022 de Reuters Institute, qui vient de paraître, affiche que seulement 10% de la population ne fait pas confiance à RTS info.»
Il n’empêche que si on calcule le 10% de quelque 2 millions de Romands, ça fait bien 200'000 déçus.
L'homme derrière la plainte
C’est Wouter van der Lelij qui, après des hésitations, a décidé de déposer plainte. Peu après les premières mesures sanitaires discriminant une partie des citoyens, cet entrepreneur genevois s’est exprimé sur LinkedIn et, y a généré une forte adhésion. «J’adorais la presse avant. Je ne m’identifierais jamais à ceux qui utilisent le terme de "merdias" et qui pensent que tous les journalistes sont corrompus. Mais quand un journal comme Le Temps se permet d’exprimer ouvertement sa position sur une votation comme il l’a fait avec la loi Covid, il y a quelque chose qui ne va pas.»
Wouter s’interroge sur ce qu’est une démocratie où les médias se permettent de se placer en juge de ce qui est bien ou non. «J’ai suspendu mes abonnements, également celui à la Tribune de Genève et à Heidi.news et cela me manque, j’aime apprendre et ouvrir mon horizon, être bouleversé dans mes certitudes. Je leur ai même écrit pour leur signifier ma déception, c’est mon seul pouvoir, ils sont privés, ils font ce qu’ils veulent. Mais la RTS est publique, elle est censée défendre tout le monde. Je n’ai pas déposé plainte pour démontrer que je détiens une vérité alternative, mais dans une démarche citoyenne. Je suis pour la RTS en fait. Tout ce que j’attendais dans la phase de médiation, c’était une remise en question de leur part. S’ils n’avaient pas fait preuve de tant d’arrogance et de mépris, je ne serais même pas allé plus loin. Je me dis que cela peut constituer un moyen de les faire avancer.»
Le 28 juin, il a partagé sa victoire sur LinkedIn, trois jours plus tard, il avait déjà reçu 1'726 likes et 237 commentaires encenseurs. Indéniablement, il fédère. «Je ne cherche pas à créer un quelconque mouvement ou gonfler mon ego. Je ne souhaite surtout pas me placer en victime, trop de gens – dans lesquels on retrouve notamment ceux qu’on appelle complotistes – le font par rapport à cette crise, ce n’est pas la solution. Ils sont convaincus de détenir le savoir, et moi j’ai de la peine avec les gens qui sont incapables de se remettre en question, cela est valable pour les deux camps. La vraie question est de savoir ce qu’on a appris de tout ça.» Wouter en retire de grandes questions philosophiques sur la vie. Il se fiche de la pluralité scientifique, il veut simplement un débat sociétal et, qu’on se demande si on a vraiment envie de continuer à vivre dans la peur. «Même si la maladie était cinq fois plus létale, veut-on vraiment laisser nos aînés mourir seuls dans les EMS?»
Mais lui qui se questionne et ne détient pas de vérité absolue, comment peut-il prétendre que des centaines de milliers de personnes pensent comme lui? A vrai dire il n’en a aucune idée. «Je crois seulement que c’est un chiffre tout à fait plausible. La propagande médiatique inédite en faveur du "oui" à la loi Covid a choqué un grand nombre de personnes. Tient-on compte des 38% de la population qui a malgré tout voté "non" – est-il satisfait du traitement des informations lui? Au-delà du chiffre exact, il est étonnant que la RTS refuse d’admettre que tout le monde ne trouve pas sa couverture fantastique, même après cette décision de l’AIEP» argue Wouter van der Lelij.
Tout homme d’affaires y verrait un marché à prendre, une opportunité de lancer son propre média. Alors bien sûr il y a pensé. «Je n’arrive pas à savoir si c’est ma mission, je ne prétends pas pouvoir faire mieux, c’est un métier. D’ailleurs je suis tellement émotionnel que je ne suis pas sûr d’avoir le recul suffisant» reconnait-il humblement.
La RTS est-elle intouchable?
Presque. L’AIEP ne représente que le volet administratif, celui qui essaie de corriger sans sanctionner. En comparaison, le volet pénal est celui qui punit, et le civil permet d’obtenir réparation. Jusqu’en 2015 l’AIEP avait la possibilité d’infliger une amende, mais cette possibilité n’a jamais été utilisée. En septembre, la RTS devrait recevoir les considérants de la part de l’AIEP, elle aura alors 30 jours pour décider de faire recours au Tribunal Fédéral. Ensuite, elle peut même aller jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour dénoncer une atteinte à sa liberté d’expression, elle l’a déjà fait. Si elle accepte simplement la décision, elle devra informer la commission des mesures qu’elle va prendre en l’interne, pour qu’une telle erreur ne se reproduise plus. C’est tout. Théoriquement, le règlement de la carte de presse suisse, permet, selon l’article 14, la radiation du registre en cas de violation grave ou répétée de la Déclaration des devoirs et des droits du journaliste. Mais là aussi, ce serait du jamais-vu.
On a les médias qu'on mérite
Consciemment ou inconsciemment, nous avons tendance à jouer aux victimes. Pourtant, le monde n’a pas besoin de plus de victimes, ni d’un messie et de ses suiveurs. Ceux qui placent Wouter van der Lelij sur un piédestal se trompent, il ne souhaite pas être un guide, il préfère d’ailleurs laisser cette histoire de plainte derrière lui. En fait, le monde a besoin de plus de gens qui ont une vision.
«Les pensées mènent aux sentiments, qui mènent aux actions, qui mènent aux résultats» selon l’homme d’affaires T. Harv Eker, auteur de l’ouvrage Les secrets d’un esprit Millionnaire et dont le sous-titre est «Maîtrisez le jeu intérieur de la richesse». Quel rapport entre la richesse et le sujet qui nous intéresse ici? Le lien est à chercher du côté de l’enrichissement, il n’est pas forcément matériel, il peut aussi être simplement personnel, intellectuel. «Concentrez votre temps et votre énergie à la création de ce que vous voulez. Concentrez votre temps et votre énergie à penser et agir en allant continuellement de l’avant vers votre but» conseille T. Harv Eker. Si nous voulons un meilleur traitement de l’information, concentrons-nous sur les solutions, pas sur les problèmes. Ce sur quoi on se concentre prend de l’ampleur. Si on consacre de l’énergie à critiquer les médias, on ne fera que diviser un peu plus les camps: les «complotistes» versus «les journalistes». La planète a deux pôles mais elle ne se limite pas à ça, il y a bien des mers et des terres au milieu et il n’y a aucun intérêt à polariser ses habitants. De plus, l’énergie est contagieuse, elle peut se transmettre positivement ou infecter les gens. La pensée négative est le Covid de l’esprit. Au lieu de nous donner de la fièvre, elle nous pousse à nous plaindre. Au lieu de tousser, nous dénigrons. Au lieu d’être fatigués, nous sommes frustrés. Hélas contre ce fléau, personne n’a encore trouvé de vaccin.
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Comme tous les autres médias, nous avons eu un rôle important à jouer pour recueillir, analyser, et transmettre avec le recul critique les informations liées à la pandémie» explique la porte-parole Emmanuelle Jaquet.</p> <p>Je me suis demandé si néanmoins, la RTS comprenait que certaines personnes puissent être déçues voire fâchées avec son traitement de l’information. La réponse est un oui nuancé. «Les rédactions de la RTS se remettent quotidiennement en question et reconnaissent leurs erreurs si elles sont avérées. Dès lors que nous sommes un acteur essentiel au débat démocratique et que nous touchons un très large public en Suisse, nous acceptons bien sûr l’idée que certains traitements suscitent la discussion.» La plainte ayant été reçue, l’erreur pourrait être considérée comme avérée. 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Je n’ai pas déposé plainte pour démontrer que je détiens une vérité alternative, mais dans une démarche citoyenne. Je suis pour la RTS en fait. Tout ce que j’attendais dans la phase de médiation, c’était une remise en question de leur part. S’ils n’avaient pas fait preuve de tant d’arrogance et de mépris, je ne serais même pas allé plus loin. Je me dis que cela peut constituer un moyen de les faire avancer.» </p> <p>Le 28 juin, il a partagé sa victoire sur <a href="https://www.linkedin.com/posts/wouter-van-der-lelij-169abbb8_je-viens-de-remporter-la-plainte-citoyenne-activity-6947662211716632576-jA5x?utm_source=linkedin_share&utm_medium=member_desktop_web">LinkedIn</a>, trois jours plus tard, il avait déjà reçu 1'726 likes et 237 commentaires encenseurs. Indéniablement, il fédère. «Je ne cherche pas à créer un quelconque mouvement ou gonfler mon ego. 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A vrai dire il n’en a aucune idée. «Je crois seulement que c’est un chiffre tout à fait plausible. La propagande médiatique inédite en faveur du "oui" à la loi Covid a choqué un grand nombre de personnes. Tient-on compte des 38% de la population qui a malgré tout voté "non" – est-il satisfait du traitement des informations lui? Au-delà du chiffre exact, il est étonnant que la RTS refuse d’admettre que tout le monde ne trouve pas sa couverture fantastique, même après cette décision de l’AIEP» argue Wouter van der Lelij. </p> <p>Tout homme d’affaires y verrait un marché à prendre, une opportunité de lancer son propre média. Alors bien sûr il y a pensé. «Je n’arrive pas à savoir si c’est ma mission, je ne prétends pas pouvoir faire mieux, c’est un métier. D’ailleurs je suis tellement émotionnel que je ne suis pas sûr d’avoir le recul suffisant» reconnait-il humblement. </p> <h3>La RTS est-elle intouchable?</h3> <p>Presque. 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Les devoirs de diligence accrus avant les votations populaires n’ont pas été respectés dans ce sujet traitant de «la haine avant la votation sur la loi Covid» et qui s’intitule «Sous les pavés, la rage!» L’un des membres de l’AIEP m’a fait savoir qu’il est rare que l’article 4 alinéa 4 de la <a href="https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2007/150/fr">LRTV</a> soit retenu comme dans le cas présent. L’AIEP est arrivée à la <a href="https://www.uvek.admin.ch/uvek/fr/home/detec/medias/communiques-de-presse.msg-id-89463.html">conclusion</a> que le reportage a violé le principe de pluralité, car il n’a pratiquement donné la parole qu’aux partisans des mesures. Il a véhiculé une image unilatérale des responsables de la dégradation du climat politique. </p> <h3>Qu'en pensent les intéressés?</h3> <p>Contactés, Sébastien Faure et Gilles Clémençon, respectivement producteur et journaliste à la RTS pour l’émission Mise au Point, ont livré leurs premières réactions. «Nous avons été surpris et un peu déçus. Nous estimons que c’était un sujet lié à des faits de campagne et qu’il n’était pas directement lié à la votation. Nous avons tenté d’être les plus exhaustifs possible sur les menaces faites aux politiques de tous bords. Nous avons également abordé le ressenti des manifestants, qui témoignaient de tensions et de violences verbales pendant la campagne. Il n’y a pas eu de volonté de tromper ni tronquer les propos.» Selon Sébastien Faure et Gilles Clémençon «la plainte abordait une série de griefs plus généraux sur la couverture du Covid par les médias, pour lesquels la commission n’est même pas entrée en matière.» Certains membres de l’AIEP affirment le contraire: «durant l’audience, nous sommes plusieurs à avoir reconnu que la couverture générale a été décevante au sujet de la pandémie!»</p> <h3>Quels sont lesdits griefs?</h3> <p>Le plaignant s’interroge sur la possibilité que la RTS soit indirectement responsable de la dégradation d’ambiance dont parle l’émission, à la fois parce qu’elle ne joue pas son rôle de contre-pouvoir et parce qu’elle contribue à la division. Ce que rejette évidemment la RTS. «Cette crise mondiale sans précédent a provoqué une polarisation accrue du discours public. La RTS en a été un observateur attentif parmi d’autres. 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Néanmoins, aucune mesure particulière ne semble être à l’ordre du jour pour veiller à ce que cela ne se reproduise pas. «Nos journalistes vont continuer de travailler en toute indépendance, dans le cadre d’une charte déontologique qui leur impose d’être rigoureusement impartiaux, de présenter les événements de façon fidèle et d’accorder un temps de parole équitable aux différentes parties prenantes, sur une période donnée et non dans chaque émission» argumente la responsable communication. </p> <p>Quant à savoir si la RTS remarque, comme le prétend le plaignant, que cet avis est partagé par des centaines de milliers de personnes qui ont perdu confiance en leur média public, le constat n’est pas partagé et la RTS s’en défend. «Nous ne connaissons pas la source sur laquelle s’appuie le plaignant pour affirmer que des "centaines de milliers de personnes partagent son opinion". Nous constatons au contraire qu’en situation de crise, le service public rassemble une plus grande frange de la population autour de ses émissions d’information. Les sondages et études effectués chaque année sur notre légitimité et la crédibilité en matière d’information montrent que le public nous accorde toujours une grande confiance. Par exemple, le Digital news report 2022 de Reuters Institute, qui vient de paraître, affiche que seulement 10% de la population ne fait pas confiance à RTS info.» </p> <p>Il n’empêche que si on calcule le 10% de quelque 2 millions de Romands, ça fait bien 200'000 déçus. </p> <h3>L'homme derrière la plainte</h3> <p>C’est Wouter van der Lelij qui, après des hésitations, a décidé de déposer plainte. Peu après les premières mesures sanitaires discriminant une partie des citoyens, cet entrepreneur genevois s’est exprimé sur LinkedIn et, y a généré une forte adhésion. «J’adorais la presse avant. Je ne m’identifierais jamais à ceux qui utilisent le terme de "merdias" et qui pensent que tous les journalistes sont corrompus. Mais quand un journal comme <em>Le Temps</em> se permet <a href="https://www.letemps.ch/suisse/retour-normalite-passe-loi-covid">d’exprimer ouvertement sa position</a> sur une votation comme il l’a fait avec la loi Covid, il y a quelque chose qui ne va pas.»</p> <p>Wouter s’interroge sur ce qu’est une démocratie où les médias se permettent de se placer en juge de ce qui est bien ou non. «J’ai suspendu mes abonnements, également celui à la <em>Tribune de Genève</em> et à <em>Heidi.news</em> et cela me manque, j’aime apprendre et ouvrir mon horizon, être bouleversé dans mes certitudes. Je leur ai même écrit pour leur signifier ma déception, c’est mon seul pouvoir, ils sont privés, ils font ce qu’ils veulent. Mais la RTS est publique, elle est censée défendre tout le monde. Je n’ai pas déposé plainte pour démontrer que je détiens une vérité alternative, mais dans une démarche citoyenne. Je suis pour la RTS en fait. Tout ce que j’attendais dans la phase de médiation, c’était une remise en question de leur part. S’ils n’avaient pas fait preuve de tant d’arrogance et de mépris, je ne serais même pas allé plus loin. Je me dis que cela peut constituer un moyen de les faire avancer.» </p> <p>Le 28 juin, il a partagé sa victoire sur <a href="https://www.linkedin.com/posts/wouter-van-der-lelij-169abbb8_je-viens-de-remporter-la-plainte-citoyenne-activity-6947662211716632576-jA5x?utm_source=linkedin_share&utm_medium=member_desktop_web">LinkedIn</a>, trois jours plus tard, il avait déjà reçu 1'726 likes et 237 commentaires encenseurs. Indéniablement, il fédère. «Je ne cherche pas à créer un quelconque mouvement ou gonfler mon ego. Je ne souhaite surtout pas me placer en victime, trop de gens – dans lesquels on retrouve notamment ceux qu’on appelle complotistes – le font par rapport à cette crise, ce n’est pas la solution. Ils sont convaincus de détenir le savoir, et moi j’ai de la peine avec les gens qui sont incapables de se remettre en question, cela est valable pour les deux camps. La vraie question est de savoir ce qu’on a appris de tout ça.» Wouter en retire de grandes questions philosophiques sur la vie. Il se fiche de la pluralité scientifique, il veut simplement un débat sociétal et, qu’on se demande si on a vraiment envie de continuer à vivre dans la peur. «Même si la maladie était cinq fois plus létale, veut-on vraiment laisser nos aînés mourir seuls dans les EMS?»</p> <p>Mais lui qui se questionne et ne détient pas de vérité absolue, comment peut-il prétendre que des centaines de milliers de personnes pensent comme lui? A vrai dire il n’en a aucune idée. «Je crois seulement que c’est un chiffre tout à fait plausible. La propagande médiatique inédite en faveur du "oui" à la loi Covid a choqué un grand nombre de personnes. Tient-on compte des 38% de la population qui a malgré tout voté "non" – est-il satisfait du traitement des informations lui? Au-delà du chiffre exact, il est étonnant que la RTS refuse d’admettre que tout le monde ne trouve pas sa couverture fantastique, même après cette décision de l’AIEP» argue Wouter van der Lelij. </p> <p>Tout homme d’affaires y verrait un marché à prendre, une opportunité de lancer son propre média. Alors bien sûr il y a pensé. «Je n’arrive pas à savoir si c’est ma mission, je ne prétends pas pouvoir faire mieux, c’est un métier. D’ailleurs je suis tellement émotionnel que je ne suis pas sûr d’avoir le recul suffisant» reconnait-il humblement. </p> <h3>La RTS est-elle intouchable?</h3> <p>Presque. L’AIEP ne représente que le volet administratif, celui qui essaie de corriger sans sanctionner. En comparaison, le volet pénal est celui qui punit, et le civil permet d’obtenir réparation. Jusqu’en 2015 l’AIEP avait la possibilité d’infliger une amende, mais cette possibilité n’a jamais été utilisée. En septembre, la RTS devrait recevoir les considérants de la part de l’AIEP, elle aura alors 30 jours pour décider de faire recours au Tribunal Fédéral. Ensuite, elle peut même aller jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour dénoncer une atteinte à sa liberté d’expression, elle l’a déjà fait. Si elle accepte simplement la décision, elle devra informer la commission des mesures qu’elle va prendre en l’interne, pour qu’une telle erreur ne se reproduise plus. C’est tout. Théoriquement, le <a href="https://www.impressum.ch/fileadmin/user_upload/Dateien/GAV_CCT/Reglement_carte_presse.pdf">règlement de la carte</a> de presse suisse, permet, selon l’article 14, la radiation du registre en cas de violation grave ou répétée de la <a href="https://presserat.ch/wp-content/uploads/2017/08/Meilensteine_fr.pdf">Déclaration des devoirs</a> et des droits du journaliste. Mais là aussi, ce serait du jamais-vu. </p> <h3>On a les médias qu'on mérite</h3> <p>Consciemment ou inconsciemment, nous avons tendance à jouer aux victimes. Pourtant, le monde n’a pas besoin de plus de victimes, ni d’un messie et de ses suiveurs. Ceux qui placent Wouter van der Lelij sur un piédestal se trompent, il ne souhaite pas être un guide, il préfère d’ailleurs laisser cette histoire de plainte derrière lui. En fait, le monde a besoin de plus de gens qui ont une vision.</p> <p>«Les pensées mènent aux sentiments, qui mènent aux actions, qui mènent aux résultats» selon l’homme d’affaires T. Harv Eker, auteur de l’ouvrage <em><a href="https://www.payot.ch/Detail/les_secrets_dun_esprit_millionnaire-t_harv_eker-9782922405415">Les secrets d’un esprit Millionnaire</a></em> et dont le sous-titre est «Maîtrisez le jeu intérieur de la richesse». Quel rapport entre la richesse et le sujet qui nous intéresse ici? Le lien est à chercher du côté de l’enrichissement, il n’est pas forcément matériel, il peut aussi être simplement personnel, intellectuel. «Concentrez votre temps et votre énergie à la création de ce que vous voulez. Concentrez votre temps et votre énergie à penser et agir en allant continuellement de l’avant vers votre but» conseille T. Harv Eker. Si nous voulons un meilleur traitement de l’information, concentrons-nous sur les solutions, pas sur les problèmes. Ce sur quoi on se concentre prend de l’ampleur. Si on consacre de l’énergie à critiquer les médias, on ne fera que diviser un peu plus les camps: les «complotistes» versus «les journalistes». La planète a deux pôles mais elle ne se limite pas à ça, il y a bien des mers et des terres au milieu et il n’y a aucun intérêt à polariser ses habitants. De plus, l’énergie est contagieuse, elle peut se transmettre positivement ou infecter les gens. La pensée négative est le Covid de l’esprit. Au lieu de nous donner de la fièvre, elle nous pousse à nous plaindre. Au lieu de tousser, nous dénigrons. Au lieu d’être fatigués, nous sommes frustrés. Hélas contre ce fléau, personne n’a encore trouvé de vaccin. </p>', 'content_edition' => 'L’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) est une commission extraparlementaire de la Confédération. Elle existe depuis 1984 mais reste encore relativement peu connue du public, même si, depuis quelques mois, les Romands sont de plus en plus nombreux à y avoir recours pour dénoncer un traitement de l’information qu’ils estiment parfois trompeur ou partisan. 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C’est ainsi que 28 ressortissants suisses se trouvaient à bord du Titanic, dont neuf membres de l’équipage, huit passagers de 1ère classe, deux de 2e classe, et neuf de 3e classe. Ils venaient d’Aarwangen, Altdorf, Aquila, Bâle, Brissago, Bubikon, Couvet, Fleurier, Inwil, Langnau, Osco, Poschiavo et Reigoldswil.</p> <h3>Précarité suisse et émigration</h3> <p>On a tendance à oublier que la Suisse, entre le XVIème et le début du XIXème siècle, était considérée comme l’un des pays les plus pauvres d’Europe. Dans le Dictionnaire Historique de la Suisse (DHS), on peut lire que «jusqu’à l’apparition des modes de production industriels, à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, le niveau de vie de la grande majorité de la population dépassait de peu le minimum vital, voire ne l’atteignait pas.» La Suisse préindustrielle était marquée par l’extrême pauvreté, des famines, et la mortalité infantile. 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Dans son article du DHS, l’historienne Anne-Lise Head-König nous explique que: «Les attitudes des autorités cantonales ont été très variées selon les régions et les périodes, couvrant un large spectre allant de l'émigration tacitement tolérée à l'interdit; de l'intervention positive de l'Etat avec aide à l'émigration à l'expulsion forcée des pauvres que certains cantons appliquaient à grande échelle, parfois sous forme de déportation. Le cumul d'un certain nombre de dysfonctionnements et d'abus dans la politique émigratoire et dans celle des agences d'émigration a eu pour effet la création d'un article constitutionnel en 1874, qui a donné au gouvernement fédéral la compétence d'intervenir en cas de nécessité et d'une loi fédérale en 1880 qui a confié la surveillance des agences d'émigration à la Confédération.»</p> <h3>Est-ce que les choses ont vraiment changé?</h3> <p>Après une période prospère où le niveau de vie a augmenté, où la Suisse est devenue un pays de Cocagne attirant de nombreux étrangers, ne va-t-elle pas redevenir un pays dont on part? La Suisse ne serait-elle pas devenue <a href="https://www.rts.ch/decouverte/monde-et-societe/economie-et-politique/la-pauvrete/">une prison dorée</a> dont l’éclat s’estompe sous le poids de l’impôt et des taxes? Si cette charge devait conduire à un exode massif, il concernerait cette classe moyenne qui ne peut plus faire face à la pression à laquelle elle est soumise, laissant dans le pays uniquement ceux qui dépendent de l’Etat-providence et les plus riches, qui se retrouveraient seuls à payer pour les autres. Pendant combien de temps encore la Suisse sauvegardera-t-elle ses prestations sociales alors qu’elles ont tendance à être supprimées? Selon de récents <a href="https://www.rts.ch/info/dialogue/2024/article/un-tiers-des-suissesses-et-des-suisses-trouvent-leur-situation-financiere-difficile-28672638.html" target="_blank" rel="noopener">sondages</a>, un tiers des Suisses estiment que leur situation financière est difficile. Certains retraités finissent leurs jours dans des pays plus abordables. Malgré cela, <a href="https://www.rts.ch/info/suisse/2024/article/le-conseil-federal-veut-economiser-3-6-milliards-en-2027-notamment-au-detriment-du-social-28637489.html">le Conseil fédéral a décidé d’économiser</a> au détriment du social. <a href="https://www.rts.ch/info/suisse/2024/article/les-rentes-des-veufs-et-veuves-bientot-reduites-aux-25-ans-de-leur-plus-jeune-enfant-28671764.html">Les rentes de veufs et de veuves seront bientôt supprimées</a> (sauf en cas d’enfants à charge), le survivant n’ayant plus qu’à solliciter, en cas de difficulté, les prestations complémentaires (opaques, invasives et donc inaccessibles pour la plupart des personnes âgées qui finissent par renoncer à en faire la demande). Mais les plus jeunes aussi sont concernés: la Confédération a récemment décidé de se désengager du financement des crèches.</p> <p>Ce qui est intéressant, c’est que même à l’époque où la Suisse connaissait une importante émigration, elle connaissait aussi de l’immigration. Tandis que des Suisses partaient pour l’agriculture (ou le mercenariat bien souvent, mais qui n’a volontairement pas été abordé dans cet article, étant généralement une émigration temporaire), des étrangers, notamment italiens, affluaient pour répondre à la demande dans les usines, les mines et les chantiers de construction. Ce besoin s’est accentué après la Seconde Guerre mondiale, lorsque la croissance économique suisse nécessitait plus de main-d’œuvre.</p> <h3>Faisons un bref comparatif afin de bien comprendre</h3> <p>Passé: pauvreté et migration économique</p> <ul> <li>Emigration de Suisse: historiquement, les Suisses partaient pour fuir la pauvreté, surtout les agriculteurs face à un manque de terres et de perspectives économiques. Partir était souvent une nécessité pour survivre.</li> <li>Immigration en Suisse: malgré la pauvreté en Suisse, le pays attirait des travailleurs pour des emplois industriels ou de construction, où des étrangers, principalement Italiens, trouvaient des opportunités non disponibles chez eux.</li> </ul> <p>Aujourd'hui: niveau de vie élevé mais tensions économiques de plus en plus fortes</p> <ul> <li>Immigration actuelle: la Suisse attire de nombreux immigrés pour son niveau de vie, ses opportunités économiques et son système social protecteur, qui inclut des aides importantes pour les plus démunis. 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Les «working poors» qui peinent à joindre les deux bouts malgré de longues heures de travail pourraient gagner en pouvoir d’achat dans des pays moins coûteux, parfois simplement en s’établissant de l’autre côté de la frontière.</li> </ul> <h3>Conclusion</h3> <p>La Suisse, autrefois synonyme d’eldorado pour les travailleurs suisses et étrangers, pourrait voir, dans un futur proche, sa classe moyenne chercher des perspectives plus favorables ailleurs.</p> <p>N’assisterait-on pas à un recommencement? Les Suisses cherchent à l’étranger de meilleures conditions de vie, tandis que des étrangers viennent en Suisse également pour y trouver de meilleures perspectives.</p> <p>En attendant, on peut toujours s’échapper, le temps d’une exposition, à bord du Titanic qui reste à quai en tout sécurité à Beaulieu, jusqu’au 26 janvier 2025.</p> <p>En espérant, pour nous tous, un avenir plus radieux que celui de ses passagers…</p> <hr /> <h4>Sources: </h4> <h4>François Höpflinger: "Niveau de vie", in: <i>Dictionnaire historique de la Suisse (DHS)</i>, version du 19.02.2015, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/015994/2015-02-19/, consulté le 28.10.2024.</h4> <h4>Anne-Lise Head-König: "Emigration", in: <i>Dictionnaire historique de la Suisse (DHS)</i>, version du 15.10.2007. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/007988/2007-10-15/, consulté le 28.10.2024.</h4> <h4>François Höpflinger: "Politique démographique", in: <i>Dictionnaire historique de la Suisse (DHS)</i>, version du 21.05.2010, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/007987/2010-05-21/, consulté le 23.10.2024.</h4> <h4>Marc Perrenoud: "Colonies suisses", in: <i>Dictionnaire historique de la Suisse (DHS)</i>, version du 13.10.2011. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/007989/2011-10-13/, consulté le 28.10.2024.</h4>', 'content_edition' => 'Pour certains, le Titanic représente le souvenir d’un vieux cours d’histoire; pour la plupart, c’est surtout le film de James Cameron. Dans celui-ci, Jack et Rose sont des personnages fictifs inventés pour les besoins narratifs du scénario. 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Mais quelle est cette colère qui gronde et a-t-on raison de s’inquiéter de l’ampleur du phénomène «drag»?</p> <p>Vincent David, alias Tralala Lita, qui se livre à ces performances pour le jeune public, a été interrogé par la <em><a href="https://www.tdg.ch/drag-queen-et-conteuse-pour-enfant-un-artiste-suisse-explique-la-demarche-742326925595">Tribune de Genève</a></em> en mai dernier. Il déclare que «la mission principale de cette animation est de promouvoir de manière inclusive et ludique la lecture auprès des enfants. Nous abordons des questions liées à l’inclusion et à la différence avec des personnages touchés par ces thématiques. Comme l’histoire d’une fille plus grande que les autres». Vincent David dit comprendre «qu’on ne puisse pas mettre tout le monde d’accord», mais «qu’il faut venir voir de quoi il s’agit concrètement.» Qu’en est-il réellement? J’ai assisté à un événement de ce type au MEG.</p> <h3>Iel était une fois</h3> <p>Normalement, qu’attend-on d’un conteur? Une belle voix, une parfaite diction, un sens du récit, la capacité de mettre de l’emphase par moments… Bref, si la lecture de l’histoire du soir est à la portée de tous les parents lettrés, nous attendions une certaine qualité quand le conte fait l’objet de médiation culturelle. Une exigence à conjuguer à l’imparfait, car il faut croire qu’en 2023, l’intérêt ne se mesure pas à la déclamation, mais à la transformation.</p> <p>Oubliez les «Il était une fois une belle princesse qui rêvait de rencontrer le prince charmant», bienvenue à «Iel était une fois» des contes et légendes degenréex. Voici la présentation sur le site du musée. «<em>Iel était une fois… un pays flamboyant près d’un lac qu’on appelle Léman. Une contrée où vivaient en harmonie orgresses, sorcièrex, fées et sirènex dans un joyeux sabbat! Sortilèges, chaudrons fumants et dents de lait ne sont pas des fables et des sornettes mais bien des histoires vraies ment vraies d’un nouveau folklore vivant, en chair en os et en paillettes</em>». La description de l’événement est pour le moins troublante, j’ai eu la curiosité de voir à quoi cela pouvait bien ressembler. J’ai donc assisté aux «Histoires vagues de la sirène et du sirein du lac léman» [sic].</p> <p>Les enfants étaient nombreux à boire les paroles de deux créatures étranges, affublées d’encombrantes queues de poisson et allongées sur ce qui ressemble à des brancards. Ces créatures? Des drag queens, ou plutôt un drag queen et une drag king à moins que ce ne soit l’inverse au niveau des pronoms, je m’y perds. En décodé cela nous donne un homme déguisé en femme sirène et une femme déguisée en homme «sirein» comme ils disent. </p> <p>Et c’est parti pour des «iels» et des «tous.x.tes» à tout va. Tout a commencé par l’histoire de <a href="https://kaleidoscope.quebec/lenfant-de-fourrure-de-plumes-decailles-de-feuilles-de-paillettes/">Miu Lan</a>, un enfant pas comme les autres qui peut se transformer au gré de ses envies et de son imagination. Au moment d’entrer à l’école, un défi se présente: être une fille ou un garçon, un oiseau ou un poisson, une fleur ou une étoile filante? Pourquoi faudrait-il choisir? Là, les conteurs.x.euses commentent: «Ce n’est pas très sympa que les autres enfants demandent à Miu Lan ce qu’iel est». Miu Lan a de la fourrure, des plumes, des écailles, des feuilles et des paillettes, mais personne ne l’invite à jouer. Heureusement iel retrouve du réconfort à la maison auprès de sa mère qui lui chante «tout ce dont tu rêves tu peux le devenir». A la fin, les enfants hostiles finissent par reconnaitre qu’ils étaient simplement jaloux de cet être qui peut devenir ce qu’il veut, c’est la conclusion, le message qu’on veut nous faire passer. Cet album est présenté comme s’adressant aux enfants non-binaires. Il introduit l’usage des pronoms «neutres». </p> <p>Le second conte lu est «<a href="https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/julian-est-sirene">Julian est une sirène</a>», l’histoire d’un garçon de couleur qui s’identifie en tant que sirène. Au début sa grand-mère Mamita a de la peine à le reconnaître en tant que tel, mais une fois qu’elle le voit paré de ses plus beaux atours, elle finit par reconnaître qui il est, et partir main dans la main avec lui pour participer à une parade. </p> <p>Mais pourquoi les parents ont-ils amené leurs enfants à cet événement? Pour éveiller l’esprit de leurs bambins à l’ouverture et la tolérance. Leur motivation était de «faire savoir aux enfants que ça existe et que si un jour ils doivent se poser des questions, ils pourront se sentir légitimes de le faire. Si les adultes trouvent ça bizarre pour le moment, c’est une question de génération et d’éducation. Mais en le visibilisant, tout le monde trouvera ces questions de genre normales» m’a-t-on répondu. Par contre, impossible d’avoir de réponses du musée. Pourquoi organisent-ils cela? La médiatrice semblait bien inquiète de ma présence de journaliste non-annoncée. Elle s’est contentée de dire que le MEG appartient à la Ville de Genève et qu’ils ne font que suivre leur recommandation. J’ai néanmoins été orientée vers une chargée de communication qui n’a jamais répondu à mes questions.</p> <p>Maintenant que le décor de ce conte sans fées est planté, il nous reste à explorer les raisons de la popularisation de ces séances animées par des créatures qui jusqu’ici ne sortaient que la nuit. </p> <p>Autrefois, les drag queens se produisaient uniquement dans les cabarets, devant des spectateurs majeurs. En 2023, pourquoi s’attaquer aux mineurs? Quelle est la quête de ces croque-mitaines de la pensée? </p> <h3>De quoi s'agit-il?</h3> <p>Le concept des «Drag Queen Story Hour» a été pensé à l’automne 2015 à San Francisco par Michelle Tea, auteure américaine s’intéressant en particulier à la culture queer, au féminisme et à la prostitution. Mais savez-vous ce qu’est la culture queer? Le mot signifie étrange/bizarre, et désigne l’ensemble des minorités sexuelles et de genre. C’était une injure homophobe avant que des militants homosexuels américains ne se l’approprient pour se désigner eux-mêmes au début des années 1990. La théorie queer est si compliquée à comprendre qu’ils ont sans doute raison, pour avoir une chance de la saisir, mieux vaut l’embrasser très tôt en initiant les enfants.</p> <p>Mais ces lectures, qui se présentent comme des événements familiaux destinés à promouvoir la lecture, la tolérance et l’inclusion, inquiètent de plus en plus de parents à travers le monde. C’est le cas en Suisse: le Collectif Parents, en date du 24 mars 2023, a adressé <a href="https://collectifparents.ch/wp-content/uploads/2023/03/lettre-Collectif-Parents-Suisse.pdf">un courrier</a> à la Syndique du Mont-sur-Lausanne, avant la venue de la drag queen Tralala Lita à la Médiathèque du Mont le 29 mars. Cette lettre revient notamment sur les origines du mouvement queer, pour expliquer le but qui sous-tend ces lectures.</p> <p>Il faut dire que le message des mouvements derrière ces événements se veut rassurant, il est alors difficile pour les autorités et les parents de savoir comment se positionner. Face aux parents qui éprouvent une méfiance instinctive à l’égard d’hommes adultes déguisés en femmes caricaturales et sexualisées, qui abordent des questions de genre avec leurs enfants, <a href="https://www.tdg.ch/un-homme-en-robe-ca-ne-fait-pas-toujours-peur-746857973373">les critiques sont vives</a>. Certains n’hésitent pas à dépeindre ces parents inquiets comme des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=qqJFidPmm40">complotistes</a> antisystème, les mêmes que ceux qui se soulevaient contre les mesures sanitaires durant la pandémie. Depuis quelques années, c’est devenu le moyen efficace de discréditer un adversaire lorsqu’on est à court d’arguments – le comparer à un personnage détesté ou risible, le procédé rhétorique de la <i>reductio ad Hitlerum</i> est maintenant de toutes les causes. Ce sophisme, tantôt brandi pour se moquer des conservateurs chrétiens, tantôt de l’extrême-droite, tantôt des soi-disant «complotistes», voire des trois à la fois comme ici, lorsqu’on cherche à expliquer pourquoi certains s’opposent à ces lectures «innocentes». Mieux vaut donc comprendre la politique sexuelle qui se cache derrière les paillettes et les sequins.</p> <h3>Un peu d'histoire</h3> <p><a href="https://www.city-journal.org/article/the-real-story-behind-drag-queen-story-hour">Pour comprendre</a> les «Drag Queen Story Hour», il faut remonter aux débuts de l’art du travestissement et au premier drag queen connu, un ancien esclave du nom de William Dorsey Swann, condamné en 1896 pour avoir tenu une maison close aux Etats-Unis. Du point de vue de la politique sexuelle moderne, Swann est présenté comme un homme qui s’est libéré de l’esclavage, puis d’une culture sexuelle répressive, malgré les efforts des oppresseurs, des puritains et de la police. C’est en 1969 que le mouvement drag est devenu une forme de résistance et de révolution. Le but de la performance drag queen, suivant les thèmes de Gayle Rubin et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Judith_Butler">Judith Butler</a>, est d’oblitérer les conceptions stables du genre, et de <a href="https://hal.science/hal-03311375">réhabiliter le bas de la hiérarchie</a> sexuelle par l’élévation du marginal. La performance joue sur la distinction entre l’anatomie de l’interprète et le genre qui est interprété.</p> <p>Gayle Rubin est une militante lesbienne qui a beaucoup fréquenté les milieux dits «cuir», du bondage, du fisting et du sado-masochisme en général dans le San Francisco des années 1970. Auteure, elle a cherché à réconcilier ses expériences de sexualité <em>underground</em> avec la société américaine en s’inspirant des travaux d’un des penseurs de la French Theory, Michel Foucault, sadomasochiste notoire qui, souvenons-nous, s’était joint à des dizaines d’autres intellectuels pour signer une pétition visant à légaliser les relations sexuelles entre adultes et enfants. Foucault se délectait de sexualité transgressive et estimait qu’«il se peut que l’enfant, avec sa propre sexualité, ait désiré cet adulte, qu’il ait même consenti, qu’il ait même fait le premier pas». Gayle Rubin s’est ainsi efforcée d’exposer la dynamique du pouvoir qui façonne et réprime l’expérience sexuelle humaine. Pour elle et les théoriciens queer qui lui ont succédé, le sexe et le genre sont malléables, la sexualité est politique et sa hiérarchie peut être démolie et reconstruite à leur image. Pour Rubin, «les sociétés occidentales modernes évaluent les actes sexuels selon un système hiérarchique de valeur. Les hétérosexuels mariés sont seuls au sommet de la pyramide». Il faudrait abolir les restrictions sur le comportement situé au bas de l’échelle morale, dont la pédophilie. Elle qualifie les craintes d’abus sexuels sur les enfants «d’hystérie érotique» dans son ouvrage <i>Thinking sex</i>, s’insurge contre les lois anti-pornographie infantile et plaide pour la légalisation et la normalisation du comportement de ceux «dont l’érotisme transgresse les frontières générationnelles». Patrick Califia, un homme transgenre qui a collaboré avec Rubin, affirmait que la société américaine a fait des pédophiles «les nouveaux communistes, les nouveaux nègres, les nouvelles sorcières». 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Il a organisé certaines des premières lectures dans des bibliothèques américaines et siège au conseil d’administration de Drag Queen Story Hour, l’organisation à but non lucratif fondée par Michelle Tea, qui a gagné, petit à petit, l’ensemble des Etats-Unis.</p> <p>Harris Kornstein est le co-auteur du manifeste <i>Drag Pedagogy: The playful Practrice of Queer Imagination in Early Childhood</i> («La pratique ludique de l’imagination queer dans la petite enfance»), avec Harper Keenan, autre théoricien queer. L’ouvrage cite Foucault et Butler et propose une nouvelle méthode d’enseignement afin de stimuler «l’imagination queer» et apprendre aux enfants «comment vivre de manière queer». Dans cette «pédagogie» drag queen, le fait de travailler 40 heures par semaine et de fonder une famille est une norme bourgeoise oppressive hétérosexuelle et capitaliste qui doit être déconstruite et subvertie. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
6 Commentaires
@Apropos 08.07.2022 | 09h29
«Merci pour cet éclairage. Si l’on ne peut espérer un questionnement de la RTS sur sa pratique , ce sont tout de même des arguments à faire valoir par des journalistes les plus consciencieux de la chaîne sur de futurs reportages à l’encontre de leur direction. Donc merci à ce monsieur d’être aller gratter de ce côté là !»
@Maryvon 08.07.2022 | 10h53
«Chère Madame, je vous remercie d'avoir rédigé cet article très instructif. Pour ma part, depuis mars 2020, j'ai pris une décision radicale et je m'y tiens. Je n'écoute plus que quelques émissions radiophoniques bien choisies et à part le football je ne regarde plus du tout la télévision. Et pour quelle raison me direz-vous ? Et bien par lassitude d'entendre parler COVID toute la journée même pendant des émissions dites de divertissement. Lorsqu'un bulletin d'information pointe le bout de son nez, je coupe instantanément le son. C'est un exercice contraignant mais excellent pour la santé mentale. Par contre je suis abonnée à des journaux en ligne tels que le vôtre dont les articles m'informent suffisamment.»
@Philemon 08.07.2022 | 10h59
«Excellent article. Merci.»
@leti 08.07.2022 | 13h05
«Madame Ebener,
Je vous remercie pour cet excellent article. Je voudrais également remercier M. Wouter van der Lelij pour son engagement et ses critiques sur le rôle des presses.
J'ai également de mon côté suspendu les journaux auxquels j'étais abonnées, trouvant que tous sens critique constructif avait disparu. Je l'ai heureusement trouvé auprès de certains médias écrits ou radiophoniques en ligne. Merci pour tous ces journalistes qui font encore leur travail et se questionne encore sur ce que devrait être l'information.
Je pense que la RTS avait un autre rôle neutre et objectif à jouer durant cette crise Covid et a clairement raté. Je n'écoute d'ailleurs plus la radio et ne vais que très rarement voir s'il reste une émission capable de m'intéresser. Je ne pense pas être seule dans ce cas. Ce serait bien d'avoir des chiffres. Dommage!»
@Gretel 09.07.2022 | 18h36
«"Mais la RTS est publique, elle est censée défendre tout le monde...." Dois-je comprendre que dans un reportage consacré à l'astronomie, la RTS se devrait de consacrer un certain temps aux théories selon lesquelles la terre étant notoirement plate, tous les documents la montrant ronde sont des constructions mensongères. Si l'on ajoute à cela le temps nécessaire à la réfutation (tout en nuances, bien sûr) de cette approche, les émissions risquent d'être singulièrement allongées.
J'ajoute que si tous vos lecteurs qui affirment ne plus lire de journaux et ne plus regarder la télévision indiquaient où ils s'informent, leurs avis seraient certainement plus amusants (ou déprimants...) à lire.
RAEPS»
@Richard Golay 11.07.2022 | 11h42
«Merci pour cet article. Sur la gestion du COVID, la RTS, comme les autres médias dominants en Suisse romande, a systématiquement cessé de donner (ou très fortement limité) la parole aux experts en désaccords avec l'ex-Task Force ou nos autorités. Le déni à reconnaître l'échec complet du certificat sanitaire à limiter la circulation du virus l'autome et l'hiver dernier n'est que peu surprenant face à la dérive totalitaire en cours chez nous et en Europe, très bien analysée par le philosophe italien Giorgio Agamben (lire son discours aux étudiants sur l’état d’exception https://www.arianebilheran.com/post/discours-a-la-conference-des-etudiants-venitiens-contre-le-greenpass ).»