Chronique / Délices d'été: les plaisirs du lac
Le Léman par Ferdinand Hodler, 1905. © DR
L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon Pour La Tête. Episode 2: les plaisirs du lac.
Il y a des joies propres à la baignade. Plonger, et sentir tout son corps dans l’eau. Quel que soit le cadre, dans quelque destination que ce soit, je me retrouve dans une autre dimension lorsque je me baigne. Je nage, et tout mon corps se retrouve en apesanteur. Tous les mouvements sont plus lents, plus apaisés.
Je danse dans l’eau. Je me tourne et me retourne. Je ris d’une indicible joie. Et puis je plonge à nouveau la tête sous l’eau. Mes cheveux volent: je les touche, il sont tout doux. Je passe ma main sur tout mon corps. Je touche mes joues, mon ventre et même mes pieds: je me sens transformé.
Je regarde mes mains: j’ouvre et ferme mes doigts. Je me tire vers le fond, et ces mêmes mains redécouvrent la sensation agréable et étrange de tâter le sable moelleux et visqueux au fond de l’eau. J’aime attraper des poignées de ce sable et m’en frotter les mains.
Mais il déjà temps de ressortir la tête de l’eau. Alors je nage, les yeux bridés, parce que mon front dégouline et parce que je suis face au soleil puissant. Il me regarde, je lui souris. Je nage encore et me repose, me laissant flotter sur le dos. Plus rien n’existe autour moi. Je suis porté, je m’abandonne. Tous les soucis coulent et se défont de moi.
Il y a les plaisirs de l’eau, qui ne vont pas sans les plaisirs de la plage. Quel exercice jouissif que de revenir tout mouillé sur le sable, et se rouler dedans – si vous n’avez jamais osé le faire, allez-y, cela en vaut la peine malgré le ridicule dont vous vous couvrirez, et expérience faite, le ridicule ne tue pas. Comme une escalope à la milanaise, mon corps est panné de sable. Je me roule et roule encore, et la chaleur du sable fin s’unit à ma peau.
Puisque les meilleures plaisanteries sont les plus courtes, je ne tarde pas à me rincer dans l’eau pour retourner m’asseoir sur ma serviette colorée et me laisser bronzer, plus ou moins passif, comme «les gens normaux» qui vont à la plage. Je déguste une pêche bien fraîche, je la suce et la lèche, que c’est bon… Connotations érotiques mises à part, ce n’est vraiment pas la même chose de manger un fruit sur la plage qu’à la maison. C’est étrangement mais vraiment plus savoureux.
Je regarde autour de moi, contemple la poésie des remous qui vont et qui viennent sur le sable, leur laissant d’éphémères mots d’amours en écume. C’est émouvant. Mais ce qui me touche encore plus, ce qui me ravit le cœur à pleurer, c’est de voir les familles. Même les plus malheureuses d’entre elles y paraissent heureuses. Comme si l’eau, le soleil et le sable se livraient ensemble à la guérison de l’âme des plus tristes.
Ce qui porte pleinement la joie de ces familles, ce sont les enfants. Ils goûtent spécialement à la plage une béatitude éternelle. Ils courent, certains encore en couches, et rient sous leurs casquettes. Ils me ramènent à ma propre enfance, où aller au lac ou à la mer rimait avec gloire. La gloire des enfants qui se sentent invincibles, parce que les cris des parents, les angoisses et les cauchemars n’existent plus à ce moment-là. La gloire des enfants qui découvrent leurs premières nostalgies. Je me vois encore, enfant, face à la mer, me demander comment tant de beauté est possible.
Je vois les enfants, allant et revenant sur la pointe des pieds sur la sable mouillé. Je les vois dans l’eau avec leurs manchons aux bras potelés, clignant des yeux, riant en risquant de boire la tasse. Je les vois taper des mains sur la surface de l’eau, et ça gicle et c’est drôle.
Mais dans ces plaisirs de la baignade, il y en a qui sont encore tout particuliers à la baignade au lac. L’eau y est fraîche, elle est généralement calme. Le charme du cadre change tout: au lac, on peut être entouré tant d’une forêt que des montagnes, et le regard divague.
Un seul pied mouillé et l’appel d’une sirène m’empêche de revenir en arrière. J’entre dans le lac et chaque membre, des pieds aux genoux, des genoux aux parties intimes, des parties intimes au torse, retrouve la vigueur et la fermeté. Je suis revitalisé et je respire plus profondément, plus librement. J’épouse la fraîcheur vierge de l’eau et lui promets fidélité. Je me fonds en elle, et je me sens vivre.
Plus encore, les plaisirs du lac me donnent envie de vivre. C’est bizarre de le dire ainsi, mais c’est tout ce que je peux exprimer. Je me sens vivre, et j’ai envie de vivre. J’ai envie d’être heureux. Et je veux que toute mon existence s’inspire de ce moment dans l’eau du lac. Je veux réussir, je veux jouir, je veux sentir mon corps, sentir les muscles de la natation, je veux m’y sentir bien.
Je sors de l’eau, et je garde avec moi la fraîcheur du lac, je garde l’espérance qu’elle me donne. Je garde sa vérité et sa force, je garde en moi le lac, mais sa sirène me rappelle aussitôt. Elle veut me voir, elle veut que j’entre en son empire, que j’entre en elle. J’ai pactisé avec elle. Elle me veut. Je la veux. C’est inscrit en nos corps.
Ce sont mes plaisirs du lac. Ceux que j’ai vécus et qui sont encore à vivre, pour cet été en tout cas.
Episode 1: les amours estivales.
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Pourrait s’ensuivre la traque menée par un époux fou furieux qui va tout franchir, tout casser, pour mettre la main sur celui qui a massacré son épouse. Ce n’est pas cela non plus dans notre roman.</p> <p>Sans entrer forcément en contradiction avec un <i>polar</i> classique, la scène de crime est particulièrement macabre. L’époux en question, Wahhch Debch, retrouve sa femme Léonie morte, après avoir été éventrée et violée. L’enfant qu’elle portait en son sein est évidemment mort aussi. Plus qu’un meurtre, il s’agit là d’une profanation, saignant d’une originalité terriblement créative. Féminicide et infanticide à la fois, qui laisse l’époux et le père meurtri, sans repères, sans voix, sans plus de paroles même, amputé quasiment de toute son humanité: il a perdu son âme. </p> <p>Wahhch, ayant perdu la raison, faculté traditionnellement attribuée à l’homme seul, en vient à se demander si ce n’est pas lui qui a tué. Pour retrouver la raison, il se lance à la recherche de l’assassin. 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Tel est le cas avec les animaux, qui ne sont pas considérés en tant qu’entité unique, mais bien dans leur individualité, et j’oserais dire dans leur <i>personnalité</i> respective.</p> <p>La forme parle pour le fond: à travers les récits des animaux, l’auteur n’a nul besoin d’affirmer que chaque animal est doté d’une âme dont les caractéristiques sont traditionnellement attribuées à l’homme seul, nous en dressons le constat en nous laissant porter par le style soumis du chien ou passif du poisson.</p> <p>Au niveau sémantique, le regard de l’animal nous permet de poser un regard nouveau sur l’homme. En effet, la considération de l’animal pour l’homme prend une dimension plus profonde lorsqu’elle n’est pas expliquée par l’homme, mais qu’elle sort de la gueule ou du bec de l’animal lui-même, par ses propres <i>paroles</i>. Certes, on sait bien que dans les paroles du chien il y a celles de l’auteur, et pourtant la littérature permet de créer des possibilités que la science ignore. 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