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Média indocile – nouvelle formule

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Rude tâche que celle de trouver dans les discours de Poutine contre l’Ukraine la plus ignoble formule. Parmi les douilles laissées par la mitraille de sa rhétorique: la négation de l’Ukraine en tant que nation. Réifier son ennemi pour mieux le tuer, c’est vieux comme l’immonde. Pourtant, l’Ukraine existe… La preuve par ses poètes.



Comme tant d’autres prédateurs avant lui, à commencer par Hitler, Vladimir Poutine inverse systématiquement la signification des mots. L’agresseur devient l’agressé, l’oppresseur, le libérateur et le président de l’Ukraine Volodymyr Zelensky démocratiquement élu, le chef d’une junte nazie.

Pour rétablir la vérité des mots, il faut revenir à leur source, la poésie. C’est pourquoi sans doute, les poètes sortent de l’oubli lorsque surgissent les lance-missiles. Jamais les Français n’avaient lu autant de poèmes que lors de l’Occupation et de la Libération. 

L’autre mission qui incombe aux poètes, c’est de faire vivre une nation quel que soit son statut politique et administratif. Au fil des siècles, l’Ukraine a souvent été dépecée par ses voisins Russes, Polonais, Autrichiens, Hongrois. Si elle est apparue comme nation ce n’est nullement par la grâce d’un décret signé Lénine. Elle le doit à ses poètes qui ont fixé et développé sa langue. A ce propos, on consultera avec fruit l’article de Milena Nikolova que l’on peut lire (en anglais) sur le site Emerging Europe.

Les historiens des lettres considèrent que la première œuvre écrite en ukrainien est le poème Eneyida d’Ivan Kotliarevsky composé en 1798. Mais c’est un poète au destin exceptionnel qui va propulser la littérature ukrainienne vers les hauteurs: Taras Chevtchenko. Contrairement à son glorieux compatriote Nicolas Gogol – devenu un classique de la langue russe –, Chevtchenko choisit l’ukrainien pour s’exprimer sur le plan littéraire.

De l'esclavage à la liberté

Né serf le 25 février 1814 à Moryntsi, au sud de Kiev, il est considéré comme le fondateur de la littérature proprement ukrainienne. La zone où il voit le jour est alors annexée par l’Empire russe qui avait absorbé l’Etat Cosaque, ancêtre de l’Ukraine. 

Le jeune Chevtchenko démontre rapidement ses talents de peintre et de poète qui sont repérés par un groupe d’artistes et d’écrivains russes et ukrainiens qui, selon le site de France-Culture, «vont changer son destin en s’organisant pour l’affranchir. On y trouve notamment Vassili Joukovski, un important poète russe, et le peintre Karel Brioullov. Celui-ci va peindre un portrait du premier, vendu aux enchères 2'500 roubles, soit la somme réclamée par le tuteur de Chevtchenko pour obtenir sa liberté.»

Kobzar

Sa liberté acquise, c’est vers une autre, plus large, qu’il consacre sa peinture et ses poèmes: celle de l’Ukraine qui ploie sous le joug tsariste. Son plus célèbre recueil a pour titre Kobzar, du nom des bardes ukrainiens qui s’accompagnaient d’une sorte de luth appelé kobza.

Ce livre provoquera un électrochoc parmi la population urkrainienne et sera à l’origine d’une nouvelle conscience nationale. Il a été publié en français par les Editions Bleu & Jaune et traduit et annoté par Darya Clarinard, Justine Horetska, Enguerran Massis, Sophie Maillot et Tatiana Sirotchouk.

Ecrit en 1840, Kobzar est paru clandestinement à Saint-Pétersbourg mais s’est répandu comme un feu de broussaille sèche, embrasant le sentiment national ukrainien. Selon sa fiche Wikipédia, le poète s’engage encore plus frontalement en rejoignant une société secrète, la Confrérie Cyrille et Méthode qui s’est assigné comme vaste programme, l’abolition du servage (ce qui ne sera chose faite dans l’Empire tsariste qu’en 1861, année de la mort de Chevtchenko) et l’établissement de l’égalité sociale (on l’attend toujours et pas seulement en Russie!).

La police politique du Tsar Nicolas Ier arrête le poète et ses compagnons le 5 avril 1847; il est ensuite condamné à la déportation en Sibérie pour avoir prôné l’indépendance de l’Ukraine et s’être moqué de la famille impériale dans des textes saisis par la police. Nicolas Ier, par décision personnelle, lui interdit d’écrire et de peindre.

Chevtchenko ne retrouve une liberté toute relative – il restera sous l’œil de l’ancêtre du KGB jusqu’à son décès à Saint-Pétersbourg le 10 mars 1861 à l’âge de 47 ans – qu’en 1857. Il consacre la fin de sa vie à l’élaboration de l’alphabet ukrainien, entre autres.

La grande Lina Kostenko donne de la voix

Depuis, l’Ukraine fera éclore bien des poètes, artistes et écrivains de grand talent. Parmi ces étoiles, brille particulièrement celle de Lina Vassylivna Kostenko qui va fêter son nonante-deuxième anniversaire le 19 mars prochain dans cette Ukraine livrée aux troupes de Poutine.

Elle vient de diffuser sur sa page Facebook un court poème rédigé peu après le début de l’invasion, le 24 février dernier. La poétesse dénonce notamment les propos dégradants de Poutine vis-à-vis de l’Ukraine. Le voici:

Vous devez l'avoir

Cette intention satanique

Cachée en vous

rage incurable

être dur donc

se moquer de nous

et nous blâmer pour tout!

Née à Rjychtchiv dans l’oblast (région) de Kiev, Lina Kostenko est très vite confrontée aux rigueurs moscovites, son père ayant été expédié au Goulag pendant dix ans. Son talent poétique est repéré dès la parution de son premier poème en 1946. Dans les années 1950, ses recueils connaissent un succès notable. C’est à cette époque qu’elle a fait partie d’un mouvement littéraire ukrainien dissident, les Shestydesiantnyky.

En 1962, son recueil de poèmes «L’intégrale des étoiles» est refusé par la censure soviétique, de même que «La Montagne du Prince» en 1972. Jusqu’au dégel gorbatchévien, la poétesse n’écrit que pour son tiroir. Ses œuvres de l’ombre sortiront au grand jour, surtout lors de l’indépendance de l’Ukraine en 1991. Elle ne cessera alors d’incarner la résistance de l’Ukraine face à toutes les velléités de porter atteintes à son indépendance.

Honorée par divers prix, Lina Kostenko, au caractère bien trempé, refusera le titre de «Héros de l’Ukraine» en expliquant qu’elle ne porte pas «de bijoux politiques», selon l’article d’Alla Tanasyuk  paru sur le site «Lettres ukrainiennes».

Son livre le plus récent, premier roman en prose, vient d’être publié en français chez L’Harmattan: Journal d’un Fou Ukrainien. Le Fou en question est un programmeur de Kiev aux prises avec le vertige de la mondialisation, de la désinformation et des rapports virtuels entre les humains. Aujourd’hui, la folie embrase ce pays que ses voisins ont tant fait souffrir. Et cela n’a rien de virtuel.


L’un des poèmes les plus connus de Taras Chevtchenko a pour titre Ivan Pidkova, le voici.

Il fut un temps, en Ukraine,

Où les canons grondaient ;

Il fut un temps où les Zaporogues

Savaient régner.

Ils régnaient et gagnaient

Leur gloire et leur liberté ;

 

Cela est passé, seules sont restées

Des tombes dans la plaine.

Hautes sont les tombes

Où sombrèrent dans le repos

Les corps blancs des Cosaques,

Drapés dans une toile écarlate.

 

Hautes sont ces tombes,

Noires, semblables aux montagnes,

Qui conversent à voix basse, dans la plaine,

De la liberté avec les vents.

Ces témoins de la gloire des ancêtres

Discutent avec le vent,

Tandis que leur descendant porte sa faux

dans la rosée,

En reprenant leur chant.

 

Il fut un temps, en Ukraine,

Où le malheur dansait,

Le chagrin s’enivrait à la taverne

D’hydromel par seaux entiers.

Il fut un temps où il faisait bon vivre

En cette Ukraine…

Souvenons-nous-en ! Notre cœur, peut-être,

Connaîtra un répit. 

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