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Média indocile – nouvelle formule

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En ces temps de pandémie, le mot «liberté» se porte comme un charme. Il fleurit aux lèvres des manifestants contre les restrictions sanitaires. Sur l’autre rive du fleuve salivaire, il sautille pour célébrer ce vaccin qui nous libère du Covid. La liberté, c’est l’Arlésienne de nos consciences. Toujours présente à nos esprits et le plus souvent absente de nos vies.



«Liberté Chérie1» clame le sixième couplet de La Marseillaise. Liberté comme un soleil qui bronze bien d’autres hymnes dont celui de la République et du canton de Neuchâtel…

Chérie, la liberté? Pas tant que ça! Depuis qu’Etienne de La Boétie a écrit au milieu du XVIème siècle son Discours de la servitude volontaire, nous n’avons guère accompli de progrès vers la liberté. «Les tyrans nous paraissent grands parce que nous sommes à genoux», écrivait–il encore adolescent (La Boétie était vraisemblablement âgé de 16 ou 18 ans lorsqu’il a conçu ce chef-d’œuvre). La formule reste aussi jeune que son auteur.

«C’est le peuple qui s’asservit»

Sans le consentement de ses sujets, l’oppresseur ne peut rien: «Celui-là, remarque La Boétie, n'a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'un corps, et n'a autre chose que ce qu'a le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon l'avantage que vous lui faites pour vous détruire. D'où a-t-il pris tant d'yeux, dont il vous épie, si vous ne les lui donnez? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne les prend de vous? [...] Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous?» (Présentation du Discours de la servitude volontaire par Raoul Vaneighem pour Encyclopædia Universalis, texte complet ici).

«C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge» poursuit le visionnaire ami indéfectible de Montaigne. Le remède semble tomber dans le panier de l’évidence: «Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libres.»

Aliénation quand tu nous tiens!

L’ennui, c’est que «le peuple a toujours fabriqué lui-même des mensonges pour y ajouter ensuite une foi stupide», ajoute La Boétie, près de cinq siècles avant fesse-bouc et autre insta-drame. Que d’histoires ne s’est-il pas forgées, ce peuple, pour rester soumis à son aliénation.

Ah tiens! Aliénation, voilà un terme aujourd’hui oublié… ll sent trop la naphtaline marxiste, paraît-il. Ou plutôt, il imprègne tellement notre société actuelle qu’elle ne veut, ni ne peut le voir.

Pourtant, c’est bien elle, l’opposé de la liberté. Etre aliéné, c’est se situer au-delà de l’oppression. Un humain qui résiste à la tyrannie subit la répression mais reste libre de concevoir sa résistance. Son corps est entravé mais son esprit demeure libre. L’aliénation, elle, constitue le degré suprême de l’absence de liberté. Celle ou celui qui en est l’objet ne s’appartient plus et n’est mû que par des volontés tierces. Il se livre au pouvoir, corps et âme.

Jouissive aliénation

Il est d’autant plus difficile de s’en sortir qu’il y a une sorte de jouissance de l’aliénation. La liberté entraîne l’épuisante angoisse du choix; elle induit le risque de se tromper, donc de s’en vouloir de s’être trompé et de s’en trouver fort déprimé avec son petit Narcisse personnel qui n’en peut plus de saigner.

Qu’il est doux d’être aliéné, de se laisser dériver dans le courant tiède, de confier à d’autres le soin de choisir, de plonger dans le bain hypnotique de ces bidules électroniques d’autant plus pervers qu’ils vous donnent l’escroque impression d’être libre alors que vos actes sont téléguidés et même algorithmés.

L'opium, religion du peuple?

Les électrobidules et les rézosociaux n’ont rien inventé. «Du pain et des jeux», ce n’est pas d’aujourd’hui. Ils se sont contentés de perfectionner les instruments de l’aliénation et de les diffuser à une échelle mondiale.

Ajoutons-y le délire en cailloux et autres poudres de la royale narine et nous voilà précipités dans les abysses de l’aliénation. L’imaginaire s’est fait la malle au profit du stupéfiant, qu’il soit honoré par les médias ou réprimé par l’hypocrisie.

L’opium deviendrait-il la religion du peuple?

Alors, avant de crier «liberté» à propos de tout et de rien, il conviendrait d’entreprendre cette rude cure de désaliénation qui passe par une remise en cause complète de soi-même puis de la société. 

Le programme tracé par La Boétie pour se déprendre des tyrans sera-t-il assez convaincant pour surmonter les danses du ventre de la séduisante aliénation? La balle est dans notre camp. Sinon dans cinq siècles, le Discours de la servitude volontaire aura gardé toute la fraîcheur d’un éternel adolescent.


1«Liberté Chérie», c’est aussi le nom de la Loge qui fut créée dans la clandestinité le 22 novembre 1943 par sept résistants francs-maçons du Grand Orient de Belgique que les nazis avaient déportés au camp de concentration Emslandlager VII d’Esterwegen en Basse-Saxe.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

5 Commentaires

@Latombe 04.02.2022 | 10h03

«Oh oui que je goûte à cette piqûre de rappel historico-littéraire. Merci.
Cette recherche de liberté, toujours à questionner et jamais achevée est bien loin de ce qui met en branle les sonneurs de cloches et leurs acolytes, tribuns racoleurs de l'UDC et autres amis autoproclamés de la liberté.»


@Marilyn 04.02.2022 | 11h14

«Super texte»


@Ph.L. 05.02.2022 | 12h01

«Le propos est bien torché, La Boétie toujours aussi visionnaire, bien sûr! Mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec le commentaire de "Latombe" (prénom "muet comme"?) qui raille un peu légèrement, à mon sens, les "sonneurs de cloches et autres acolytes" : j'ai beau être syndicaliste aujourd'hui, mon grand-père était tout de même sur la prairie du Grütli en 1940 à écouter le Général debout devant tous et au milieu des drapeaux rouges à croix blanche qui flottaient au vent des glaciers - et il s'agissait bien de liberté. Aimer son pays et le vouloir indépendant, c'est aussi mon combat.»


@Logonaute 08.02.2022 | 14h33

«Il y a une autre liberté, qui s'acquiert très chèrement et longuement: c'est celle d'un jour pouvoir penser par soi-même.
Quand on lit les platitudes servies par le prêt-à-(bien)penser ambiant sur les "tribuns racoleurs" et les catégorisations hâtives de toute personne qui se pose (parfois maladroitement) des questions légitimes, on mesure le chemin qui reste à parcourir jusqu'à l'indépendance d'esprit.»


@Maze 09.02.2022 | 18h07

«Quand ils parlent de nos libertés, beaucoup de gens ont tendance à confondre celles qui relèvent de droits fondamentaux de celles qui sont des privilèges. Si l'on m'oblige à me faire vacciner, alors on me prive de ma liberté car disposer de son propre corps est un droit fondamental. Si l'on m'oblige à réduire ma vitesse sur la route, à attacher ma ceinture, ou à réduire le bruit émis par mon véhicule, on limite un privilège qui m'a été apporté par la société moderne. Cette distinction entre droit fondamental et privilège me semble indispensable pour différencier quelles politiques restrictives sont liberticides ou non. Encore faut-il s'accorder sur ce que sont les droits fondamentaux. »


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