Culture / Une soirée particulière avec l’écrivain Grégoire Delacourt
Publicitaire, Grégoire Delacourt a publié son premier roman en 2011, à l'âge de cinquante ans. Il a, à ce jour, publié dix romans. © DR
Et si l’on parlait d’un livre en racontant une soirée passée avec son auteur? On m’a proposé de mener un entretien public avec l’écrivain Grégoire Delacourt, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre, «L’Enfant réparé». L’ouvrage est bouleversant, la soirée le fut tout autant.
Après avoir écrit neuf romans qui «racontaient la vérité mais pas la réalité», selon les dires de l’auteur, Grégoire Delacourt s’est mis à nu dans son petit dixième. Avec L’Enfant réparé, la main tremblante, il écrit un récit vrai et réel. Ce récit, c’est son histoire. L’histoire de ses blessures réparées et pourtant encore douloureuses. D’où lui vient-il, ce besoin de se raconter? Le succès, il l’a connu depuis L’Ecrivain de la famille (2011) jusqu’à Un jour viendra couleur d’orange (2020), en passant par la phénoménale Liste de mes envies (2012).
Ce qu’il cherche, ce n’est plus à s’affirmer en tant qu’écrivain. Il en est désormais un. Il veut poser sur le papier la douleur qui l’a rongé lui, pour rendre hommage publiquement à sa mère et pour s’unir à tous ceux qui sont meurtris du même mal que lui via le témoignage. Pas de roman avec L’Enfant réparé, mais bien le récit vrai d’une vie bien réelle. Faudrait-il en dire davantage sur le livre en lui-même? Peut-être. Mais laissez-vous transpercer dans la lecture, laissez-vous pleurer, laissez-vous réparer de vos cassures avec un enfant réparé.
Avant la rencontre
11 octobre 2021. Le livre est sorti depuis deux semaines à peine. Je l’ai lu, j’y ai séché mes larmes, je l’ai analysé, trituré, annoté, quasiment détruit. Mes questions sont prêtes, ma tenue aussi, enfin presque. La cravate me paraît de circonstance. J’hésite. C’est la présidente de l’Alliance Française de Fribourg, Monique Rey, qui m’a gentiment proposé d’animer cette soirée avec Delacourt. Je connais le public de ces soirées: aussi distingué qu’exigeant.
Après avoir transpiré, déchiré mes pantalons au fessier, essayé deux chemises et trois cravates, cinq coiffures en ne sachant plus que faire de tout le gel que j’avais étalé dans mes cheveux pour avoir l’air élégant, je me rends, de plus en plus stressé, à la salle de conférence.
J’arrive. Je m’attends à trouver une salle libre où réviser mon questionnaire. Mais non, l’écrivain est déjà là. Il aurait pu se reposer dans sa chambre d’hôtel après son voyage mais il a préféré accompagner la présidente pour régler les derniers détails techniques de la salle.
La rencontre
Je m’attendais aussi à approcher un écrivain triste et austère, en tout cas discret, mais non, point du tout. C’est un surexcité que je vois là. Un joyeux enfant de soixante-et-un ans qui rit, tournoie, et me raconte des blagues. Lui, le même qui m’a battu dans l’âme avec Mon Père (2019), en racontant la monstruosité d’un enfant violé par un prêtre. Le même qui dit de lui-même dans son dernier livre qu’il était comme «un corps de Giacometti», «de travers, tordu, vrillé», en somme, dit-il, comme «une souffrance qui marche».
Je n’y crois pas mes yeux. Et l’homme n’arrête pas d’amuser la galerie. Au fur et à mesure que les spectateurs arrivent, il les accueille, comme un clown, en les amusant. En tout cas, il se montre bienveillant avec ceux qui souhaitent lui parler avant la conférence. Je l’observe, il rit avec les joyeux, il s’entretient plus gravement avec ceux qui arrivent avec un poids sur le cœur.
Une chose est certaine: le bonhomme m’intrigue. L’entretien n’a pas le temps de commencer que déjà Grégoire Delacourt gesticule et fait des mimiques comiques au public pendant que la président le présente. Et moi, qui en toute innocence essaie de déplacer ses affaires du bureau de la discussion à une chaise au coin de la salle, je me fais surprendre par un cri de l’écrivain: «Eh! Non, mais ça va pas! Le gars veut jeter mes affaires à la poubelle!» Pris de panique, je ne sais plus où me mettre. Et l’homme va récupérer ses affaires; il me lance un regard complice et rit avec le public.
Première question improvisée, après la scène de comédie qui venait de se dérouler sous nos yeux: «D’où vous viennent vos talents de comique?» «Je fais le pitre pour ne pas pleurer, me répond-il, pour échapper au tragique.» Le ton est lancé. Je pose mes questions, il me prend au sérieux, joue le jeu, met tout le monde à l’aise, moi, le public, et lui-même. Malgré tout, certaines questions le tendent. Je lui parle de son père, et de ses rapports difficiles avec lui. Je lui parle de sa mère, qu’il a détestée dans son enfance avant de l’adorer.
Je lui parle de lui, de son intimité. J’ai l’impression d’aller trop loin. Il s’émeut. Mais que faire? Il raconte son histoire, et son histoire est douloureuse. Il raconte la mélancolie de sa jeunesse, l’ivresse, les chutes, les ruptures, les égarements. Je suis moi-même ému. Le public a les yeux rougis: chacun peut se retrouver dans l’universalité d’une souffrance. Le particulier qui parle à l’universel. Le silence habite ses réponses. Le silence remplit l’entretien. Il est difficile à supporter, mais beau.
La fin de la rencontre approche, et je lui sors trois objets que j’avais cachés dans une valise. Les deux premiers, un paquet de cigarettes et une bouteille de vin, remettent la légèreté dans l’ambiance. L’auteur rit en racontant ses années clope et pinard, le public s’amuse. Et puis vient le dernier objet: une photo du premier pas sur la Lune en 1969. Grégoire Delacourt se laisse submerger par l’émotion. Il aligne quelques mots pour expliquer au public ce que signifie cette photo pour lui, puis il éclate en sanglots, le public avec, et me remercie.
«21 juillet 1969, j’ai neuf ans. L’excitation a vite raison de nos ensommeillements: sur la télévision en noir et blanc, une image floue, des voix américaines et françaises se chevauchent, une émotion incroyable, quelque chose d’immense que nous ne mesurons pas. Au-dessus de nos têtes, un type s’apprête à marcher sur la Lune. J’entends nos cris de joie, nos bravos de gamins lorsqu’il y pose enfin le pied, et tous nous nous précipitons dehors pour essayer de voir la Lune, apercevoir le bonhomme. Cette nuit-là, pour la première fois de ma jeune vie, lui dis-je, j’avais été un enfant comme les autres, un enfant parmi les autres, avec le même rire qu’eux, le même émerveillement, et puis on nous avait demandé de rejoindre les dortoirs et ça avait été tout.»
Après la rencontre
L’entretien s’achève. L’auteur dédicace son livre. Il s’attarde encore avec des personnes qui veulent lui parler, qui en ont besoin. Nous partons au restaurant avec Grégoire Delacourt et la présidente de l’Alliance Française qui nous invite. Une bonne fondue fribourgeoise au menu. Et nous voilà face à un homme aussi jovial qu’avant l’entretien. Drôle avec les serveuses, agréable. Il nous pose des questions, il s’intéresse à nous. «Assez parlé de moi, vous qu’est-ce qui vous passionne dans la vie.» La soirée s’est conclue dans le tutoiement, les confidences et j’oserais dire l’amitié. Une rencontre marquante, à l’image du livre. C’était ma soirée particulière avec Grégoire Delacourt et son Enfant réparé.
«L’Enfant réparé», Grégoire Delacourt, Editions Grasset, 229 pages.
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Dans la tourmente de l’entre-deux guerres, connaissant la pauvreté et le racisme, mais aussi les fêtes de la diaspora arménienne dans le café de son père, les danses, les chants, et les premiers pas sur les planches. «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=jSqkbJxF-Mo" target="_blank" rel="noopener">Les deux guitares</a>», chant tzigane, nous ramène à cette époque.</p> <p>Place ensuite au jeune homme, qui rêve de gloire, et qui collectionne les petits boulots. Fatigué d’imiter Trenet et de chanter les bruits de fond des cabarets, il se bat «à corps perdu, assoiffé, obstiné» pour chanter lui aussi l’amour, pour écrire les grands textes qui feront pleurer la France et le monde. Il construit sa vie, avec un mariage, une enfant, une tournée au Québec, et puis déconstruit tout. Il se sépare même de celle dont il est l’homme à tout faire, j’ai nommé «la Môme». 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Le film est bien décevant sous certains aspects, il comporte bien des problèmes tant au niveau du jeu que de la réalisation. <i>Et pourtant, pourtant…</i> ce film a du cœur.</p> <p>Aussi, être grincheux face à cette équipe de jeunes qui aiment sincèrement Aznavour et qui se sont donnés de la peine pour réaliser ce film, ce serait jouer les scribouillards qui critiquent tout sans avoir jamais rien fait par soi. La critique aurait eu de quoi se déchaîner si le film et son équipe étaient prétentieux. <i>Et pourtant, pourtant…</i> il n’en est rien. Etre grincheux, c’eût été encore faire le jeu de ces critiques qui s’en prenaient à Aznavour lui-même en écrivant, pour l’un d'eux cité dans le film, «comment peut-on laisser un infirme chanter?», avant de venir présenter ses excuses à un Aznavour bonhomme qui n’en tient pas rigueur et qui offre même une coupe de champagne à son détracteur.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> disons ce qu’il y a à dire. 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Aznavour me rejoint dans ma <a href="https://leregardlibre.com/musique/la-dimension-chretienne-de-loeuvre-daznavour/" target="_blank" rel="noopener">vie spirituelle</a>, dans ma vie sexuelle – ou du moins telle que je la <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-un-chanteur-du-sexe/" target="_blank" rel="noopener">phantasme</a> – et surtout dans ma vie de <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-chante-les-loosers/" target="_blank" rel="noopener"><i>loser</i></a>. Aznavour chante les <i>losers</i>. Aznavour est un <i>loser</i>. J’en suis un aussi. <i>Et pourtant, pourtant…</i> le <i>loser</i> n’est pas celui qui a tout raté, loin de là. 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2 Commentaires
@Jonas Follonier 11.11.2021 | 15h56
«Cet article m'a embué la vision! Magnifique, cher Loris.»
@LorisSalvatoreMusumeci 21.11.2021 | 08h36
«Merci ! »