Chronique / Le roman de la peinture
Aragon, Henri Matisse, roman, édition originale, 1971 (à droite, portrait d’Aragon, fusain) © Coll. RA
Ce devait être l’un des événements-phares de l’automne et de l’hiver parisien, l’exposition «Matisse, comme un roman» au Centre Georges Pompidou. Une rétrospective réunissant quelque deux-cent-trente œuvres de l’artiste de Cimiez à l’occasion des cent-cinquante ans de sa naissance. Las, la Covid en a décidé autrement. Reste le roman, justement. L’ouvrage consacré par Aragon au peintre prodigieux de La Danse et de la série Jazz et qui sert de prétexte à l’exposition. Ce livre inclassable, Henri Matisse, roman, qui m’accompagne depuis sa parution en 1971, réédité il y a quelques années dans la collection Quarto.
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J’écrivais déjà pour la presse. Je collaborais alors à l’hebdomadaire romand «La Vie protestante» et je m’étais rendu à Grignan pour interviewer Philippe Jaccottet. C’était au temps des «Chants d’en bas» et de «A travers un verger». J’ai retrouvé cet entretien qui, bien que près d’un demi-siècle se soit écoulé, n’a rien perdu de sa force d’évidence. Jaccottet y est tout entier, en pleine lumière. Je vous en livre ici quelques extraits en hommage à celui qui vient de nous quitter. Manière aussi de mettre un point final à l’aventure de ces chroniques commencée avec la création de Bon pour la tête et dont c’est ici la dernière. ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p><i>Avec Roud et Rilke, vous avez rencontré deux écrivains qui vous ont passablement marqué. 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Cela beaucoup plus nettement que l’œuvre de Roud, qui n’a jamais joué un rôle quant à ma façon d’écrire.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1615490024_jaccottetroud.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="517" height="624" /></p> <h4 style="text-align: center;">Philippe Jaccottet, <i>Gustave Roud</i>, Seghers Editeur coll. «Poètes d’aujourd’hui», 1968 © Coll. part. </h4> <p><i>Ce qui me paraît constituer l’un des thèmes majeurs de votre œuvre poétique, au demeurant fort abondante, c’est «l’effacement magique de tout obstacle» présent dans </i>A travers un verger <i>et plus encore la quête de l’issue, «Peut-être y a-t-il une espèce d’issue.» </i></p> <p><i>– </i>Oui, «l’effacement magique de tout obstacle» est bien l’un des thèmes majeurs, dont j’ai pris conscience peut-être simplement en regardant les paysages à notre arrivée ici, à Grignan. J’y ai été émerveillé par la lumière d’une façon tout à fait inattendue et féconde pour ce que j’ai écrit. Essayant de comprendre d’où venait cette émotion et cette exaltation que j’éprouvais devant certains paysages, je me suis aperçu que parfois, à certains moments, la lumière semblait absorber par exemple les montagnes. Et si j’étais émerveillé, logiquement il n’y avait aucune raison de l’être plus par cela que par autre chose, mais j’avais là une image, une métaphore, précisément de cet effacement des obstacles. Tentation que l’on a toujours si l’on est hanté par la mort, l’obstacle majeur. Eh bien, devant de tels paysages, on est porté à s’imaginer que même celui-ci pourra être franchi par une tension plus grande du regard ou par un détachement du monde. Donc l’issue, dont vous parlez, pourrait être, à certains moments, cela. Je crois que beaucoup de textes, en particulier les proses décrivant des paysages et les poèmes, correspondent à des moments où cette sorte de passage devient possible. </p> <p>Pourtant, je me demande toujours, et c’est là tout le débat de ces livres, si ce n’est pas une illusion de l’esprit. Et naturellement, plus les années passent, plus les obstacles deviennent, au contraire, réels. Et il devient difficile de se laisser aller à cette sorte de rêve, d’illusion ou d’espoir. C’est pourquoi les derniers livres, <i>Chants d’en bas </i>et <i>A travers un verger, </i>à cause d’expériences personnelles, se trouvent être les plus sombres: c’est vraiment la victoire passagère, la prédominance du mur auquel on se heurte, et à partir duquel il semble qu’il n’y ait plus d’issue. 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Mais devant certaines épreuves de la vie, on a soudain l’impression de ne plus avoir le droit de se livrer à ce travail d’exaltation, que c’est presque une sorte de scandale de décrire des amandiers en fleurs dans un monde tel que le nôtre, dans une vie telle que celle-ci. D’où la réaction de la seconde partie. Et d’abord peut-être l’impossibilité de terminer ce texte. </p> <p><i>Justement, vous avez écrit dans </i>L’Effraie, <i>au sujet de la beauté:«Je sais maintenant que je ne possède rien, pas même ce bel or qui est feuille pourrie.» La beauté, pour vous, est donc toujours problématique? </i></p> <p>– Oui, parce que je suis constamment sensible au fait qu’elle soit périssable, et je crois que c’est le nœud de tout. D’ailleurs tout cela est d’une banalité épouvantable, mais enfin c’est la banalité qui est à la source de presque toute la poésie lyrique. Mais depuis que je suis ici, car c’est un poème ancien que vous citez, où s’exprime tout de même la mélancolie de la jeunesse ou de l’adolescence, les choses sont devenues plus concrètes, plus chargées de substance, et la beauté a pris dans mon expérience une place beaucoup plus substantielle qu’auparavant. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1615489964_jaccottetleffraie.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="527" height="743" /></p> <h4 style="text-align: center;">Philippe Jaccottet, <i>L’Effraie et autres poésies</i>, édition originale, 1953 © Coll. part. </h4> <p><i>Quelle place?</i></p> <p>– C’est quelque chose qui n’est peut-être pas précisément définissable, mais disons tout de même que c’est une présence constante, comme les blessures, les douleurs ou les difficultés quotidiennes de la vie, et qui s’y oppose constamment. Au fond, une sorte d’aide, un signe qui vous est fait, et dont on ne peut pas ne pas tenir compte. Je continue à éprouver fortement cela comme pouvant ne pas être dépourvu de sens, même s’il est permis de penser, à certains moments, que tout cela n’est qu’un mirage. Foncièrement, je ne le crois pas. C’est pourquoi je continue à écrire.</p> <p><i>L’autre versant de votre œuvre, c’est la traduction. Quels sont les auteurs que vous avez eu le plus de plaisir à traduire? – </i>Robert Musil en particulier. Avec <i>L’Homme sans qualité</i>, c’était vraiment la découverte d’un univers totalement inconnu, comme faire un voyage dans un pays étranger. Et j’ai passé trois ans sans jamais m’ennuyer sur ce livre. J’ai traduit un peu Rilke, avec peut-être un peu moins de plaisir, mesurant tellement l’insuffisance de ma traduction que cela en devenait agaçant. <i>L’Odyssée,</i> à cause d’une certaine fraîcheur dans la redécouverte de ce texte. Et puis, il y a d’autres choses, <i>Hypérion </i>de Hölderlin. La traduction avançant bien, j’avais l’impression de rendre quelque chose, et ce n’était pas d’une difficulté excessive.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1615655006_palzieuxgrignan.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Palézieux, <i>Paysage à Grignan</i>, eau-forte, 1963 <b>© </b>Musée Jenisch Vevey - Cabinet cantonal des estampes</h4> <p><i>En 1953, vous vous êtes installé à Grignan. Pourquoi Grignan? Un exil? </i></p> <p>– Non, Grignan, c’est vraiment un hasard. Ma femme et moi nous cherchions un endroit pour vivre, à la campagne de préférence, Paris ne nous paraissant plus possible étant donné les conditions matérielles que nous avions à ce moment-là qui étaient vraiment le strict minimum. Il y avait aussi je pense le besoin, pas même conscient, de mettre une certaine distance – exil c’est beaucoup dire – entre le monde littéraire parisien et moi. 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Durant toute sa vie, il n’a jamais cessé de fréquenter les ateliers. Comme plus tard Guillaume Apollinaire, grand admirateur de Picasso, qui fit beaucoup pour la reconnaissance du cubisme, Baudelaire s’employa avec une égale passion à imposer les peintres de son temps, Delacroix, Courbet, Manet. Et de se faire à travers eux le chantre d’une nouvelle manière de voir, d’une nouvelle façon d’appréhender ce qu’il appelle «l’héroïsme de la vie moderne.»', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Baudelaire a vingt-quatre ans quand il donne son premier <i>Salon.</i> C’est-à-dire le compte rendu détaillé de la grande exposition annuelle des artistes choisis par l’Académie – c’est en réaction à cette sélection officielle que verra le jour par la suite, comme on le sait, le Salon des Indépendants et bien d’autres encore. Depuis Diderot, à l’origine de l’exercice et qui en a fait un véritable genre littéraire, nombreux sont les écrivains à publier leurs <i>Salons</i>: Stendhal en fait paraître trois, consacrés aux expositions de 1822, 1824 et 1827, Gauthier, que Baudelaire admire, en publie neuf, s’étendant de 1833 à 1842. Rien d’étonnant dès lors que le jeune littérateur s’y essaie à son tour. Son <i>Salon de 1845</i> sera suivi de ceux de 1846 et de 1859. A quoi on peut ajouter trois textes traitant de la section beaux-arts de l’Exposition universelle de 1855. </p> <p>Pour Baudelaire, c’est l’occasion d’exposer ses vues esthétiques tout en défendant les artistes qu’il révère. A commencer par Eugène Delacroix qu’il a découvert très tôt, à dix-sept ans. Déambulant dans la galerie des Batailles du château de Versailles, une œuvre retint plus particulièrement son attention, la <i>Bataille de Taillebourg</i>. 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En réaction, Fantin-Latour peignit son fameux <i>Hommage à Delacroix</i> où l’on reconnaît, entourant un portrait du peintre inspiré d’un cliché de Nadar, Champfleury, Whistler, Manet, Fantin-Latour lui-même ainsi bien sûr que Baudelaire. Mais ce n’est pas le seul tableau dans lequel figure le poète.</p> <h3>Combien nous sommes grands et poétiques dans nos cravates et nos bottines vernies</h3> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1614423571_fantinlatourhommagedelacroix.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Fantin-Latour, <i>Hommage à Delacroix</i> (1864). Baudelaire est assis au premier rang à droite © DR</h4> <p>Il est également représenté dans l’immense toile de Gustave Courbet, <i>L’Atelier du peintre</i> (1855). 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On a beaucoup glosé sur ce que répondit Baudelaire en 1865 à une lettre du peintre alors attaqué de toute part – deux ans auparavant, son<i> Déjeuner sur l’herbe</i>, exposé à la requête de Napoléon III parmi les «refusés», a choqué tout comme son <i>Olympia </i>(voir ci-dessus). «Vous n’êtes, lui écrit alors Baudelaire, que le premier dans la décrépitude de votre art.» Dans cette réflexion, on peut naturellement voir – en apparence – une condamnation de l’art de l’époque dominé par Manet. Mais c’est méconnaître Baudelaire, grand admirateur notamment des eaux-fortes de l’artiste qu’il compare à Goya. Il faut plutôt comprendre la remarque dans toute son ironie. Avec à l’esprit les critiques des bienpensants, de tous les philistins pour qui le progrès consonne nécessairement avec décadence et l’art qui s’y réfère avec décrépitude. En ce sens-là, Manet est bien le plus grand artiste de son temps.</p> <p>Le peintre et le poète se sont connus très tôt. Tous deux partagent alors un même goût pour le dandysme et le fameux habit noir. C’est dans ce véritable uniforme de la modernité complété d’un haut de forme que le peintre a représenté son ami aux côtés de Théophile Gautier, dédicataire des <i>Fleurs du Mal</i>, dans son tableau <i>La Musique aux Tuileries</i> (1862). Il existe également une eau-forte qui reprend cette même silhouette du poète. L’un des plus beaux portraits de femme peint par Manet témoigne également de cette amitié. Il s’agit de l’opulente toile, qui n’a rien à envier à Velasquez, figurant la «lionne» du poète, Jeanne Duval, peinte en 1862 et intitulée <i>La Maîtresse de Baudelaire</i>. 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Ils sont quatre du monde des Lettres arrivés de Paris. Les plus perspicaces ont reconnu Madame Colette, la grande Colette, qui vient de publier «La Chatte et Duo». Elle est en compagnie de Claude Farrère, l’auteur aujourd’hui quelque peu oublié de «La bataille», élu la veille à l’Académie Française. Il y a aussi le dramaturge Pierre Wolff et puis cet homme avec un béret basque sur la tête, mégot aux lèvres, qui arbore une manche vide: Blaise Cendrars, le poète des «Pâques à New York». Tous quatre sont dépêchés par leurs journaux respectifs à bord du Normandie pour sa croisière inaugurale. ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>L’entre-deux-guerres fut, on le sait, une période particulièrement faste pour la presse. Spécialement pour les grands titres nationaux. Dans les années 1930, un journal comme <i>Paris-Soir </i>tire jusqu’à 1 million d’exemplaires – 1,8 million en 1939! Souvent, il y a plusieurs éditions quotidiennes et entre les journaux, la lutte est vive, sinon féroce. Ce qui ne va pas parfois sans dérapage ni bidonnage – on parlerait aujourd’hui de <i>fake news</i>. Comme ce 10 mai 1927, lorsque le vénérable quotidien <i>La Presse</i> croit pouvoir annoncer avant tous ses concurrents: «Nungesser et Coli ont réussi. Les émouvantes étapes du grand raid. A 5 heures arrivée à New York.» </p> <p>Toujours en une du journal, on lit: «Lorsque l’avion de Nungesser apparut au-dessus de la rade de New York, le commandant Foullois, chef de l’aviation maritime de chasse, s’était porté à son devant avec une escadrille et, dès que l’avion fut en vue, les sirènes des bateaux mugirent et les bâtiments hissèrent le pavillon.» La vérité est que Nungesser et Coli n’ont jamais atteint New York, disparaissant corps et biens. Aujourd’hui, on estime que les deux hommes sont bel et bien parvenus à traverser l’Atlantique, atteignant Saint-Pierre-et-Miquelon où ils auraient tenté d’amerrir. En vain. L’annonce, quelques jours plus tard, de leur disparition, causa une intense émotion. Entraînant par contre-coup la désaffection du public à l’égard du journal fondé par Emile de Girardin, qui jamais ne s’en releva.</p> <p>Toujours dans l’intention de prendre l’avantage sur leurs concurrents, les grands journaux se disputent les meilleures plumes du moment. Et de solliciter tout naturellement les écrivains et écrivaines en vogue. L’un des plus populaires est Pierre Benoit. Le romancier à succès de <i>L’Atlantide </i>et de <i>La Châtelaine du Liban</i> – le premier titre publié par le Livre de poche à son lancement en 1953, on ne le sait pas toujours ou on l’a oublié, est <i>Koenigsmark</i>. Voilà qui dit bien l’aura entourant alors son auteur. Durant l’entre-deux-guerres, Pierre Benoit partage son temps entre l’écriture de son roman annuel et les grands reportages aux quatre coins de la planète, notamment pour <i>L’intransigeant</i>. <i>L’Intran</i>, comme on disait familièrement, le grand quotidien de droite du soir. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1613215880_parissoir29mai1935gallica.jpeg" class="img-responsive img-fluid center " width="501" height="766" /></p> <h4 style="text-align: center;">Annonce des reportages de Claude Farrère et Blaise Cendrars, <i>Paris-Soir</i>, 29 mai 1935 © Gallica</h4> <p>Pour les principaux représentants de la scène littéraire, écrire pour la presse est une source appréciable de revenus. Ainsi Saint-Exupéry raconte-t-il pour <i>L’Intran </i>son raid manqué Paris-Saigon en décembre 1935. Après dix-neuf heures de vol, l’aviateur-écrivain s’était écrasé dans le désert libyen. Son récit, «Le vol brisé. Prison de sable», paraît en janvier suivant; il constituera les cinq premiers chapitres de <i>Terre des Hommes</i>. Une année plus tard, Jean Prouvost, le patron de <i>Paris-Soir,</i> lui propose quatre-vingt mille francs pour dix articles consacrés à la guerre civile espagnole. </p> <p>Les moyens dont dispose la presse de l’époque sont souvent considérables. Les directeurs de journaux mettent à disposition de leurs reporteurs-vedettes argent, voitures et chauffeurs – cela a bien changé! Rien d’étonnant dès lors que pour un événement aussi important que le voyage inaugural du paquebot <i>Normandie</i> les journaux se mobilisent. Il faut dire que le nouveau fleuron des <i>French Lines</i> conjugue tous les superlatifs. Il est, répète-t-on à satiété, le plus gros, le plus moderne et le plus fastueux de tous les navires construits à son époque. Son appareil propulsif est du dernier cri et, pour sa décoration intérieure, qui en fait une véritable vitrine du luxe français, les meilleurs représentants de ce qu’on appellera l’<i>Art déco </i>ont été requis, les Subes, Lalique, Leleu, Patout.</p> <p>C’est le tout jeune directeur de la rédaction de <i>Paris-Soir – </i>il a 28 ans – un certain Pierre Lazareff, futur patron de <i>Cinq colonnes à la une,</i> alors déjà amateur de coups fumants, qui a eu l’idée d’envoyer Farrère et Cendrars sur le <i>Normandie</i>. Les deux hommes se complètent à merveille. Ancien capitaine de corvette – il a notamment servi en Extrême-Orient avant la Grande Guerre – Farrère racontera la traversée en écrivain de la mer depuis les <i>spardecks</i> et la passerelle, tandis que Cendrars, le bourlingueur, sera avec l’équipage. Aux côtés des mécaniciens, dans les entrailles du navire. </p> <h3>La capitale flottante ne bouge pas plus que Paris ou Londres ne vibrent</h3> <p>Colette a déjà une longue pratique du journalisme. Durant toute sa carrière elle rédigera plus d’un millier d’articles sur la mode, le théâtre, le tourisme, l’amour, que sais-je encore? Et collaborera à une centaine de titres, dont <i>Le Journal</i> où elle écrit depuis 1933. C’est donc tout naturellement elle qui couvrira la croisière inaugurale du<i> Normandie. </i>«Ce paquebot, note-t-elle dans son premier article, qui n’est que succulence, crème fraîche, fruits fermes, pain croustillant et quelle table!» Car bien évidemment Colette, on n’est pas bourguignonne pour rien, se délecte en connaisseuse de la cuisine du bord. Mais tout autant du spectacle de la mer. «Juste au-dessous de mes hublots, écrit-elle au lendemain de l’appareillage, se gonfle, s’abaisse, harmonieuse, respire sans fin une longue bête onctueuse d’un gris vert, emplumée d’écume. Tout le reste de l’horizon n’est que brume tiède, traînante, qui lèche et calme la mer.» </p> <p>Farrère, lui, c’est en technicien qu’il jauge des qualités nautiques du nouveau-né. «Le sillage s’étale en poupe jusqu’à perte de vue, plat comme une immense route très blanche. 30 nœuds et même davantage. Ni tangage, ni roulis. La capitale flottante ne bouge pas plus que Paris ou que Londres ne vibrent, nul ne l’ignore, à tous les passages trop brutaux des cars, des autobus, des camions et autres supervéhicules trop négligemment suspendus.» Comme beaucoup d’autres personnalités conviées à ce premier voyage, l’écrivain suit grâce à la TSF la crise ministérielle qui vient d’éclater à Paris. Tandis que le <i>Normandie</i> se rapproche de son but et s’apprête à conquérir le ruban bleu récompensant la traversée la plus rapide, le cabinet Flandrin a été renversé. «Hier, formidable éclat de rire d’un bout à l’autre des huit ponts de la* <i>Normandie, </i>écrit Farrère.<i></i>La TSF s’est fort gracieusement moquée de nous tous, tant que nous sommes, sans la moindre malice d’ailleurs en annonçant que le maréchal Pétain était ministre de la Marine!» </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1613215936_coletteborddunormandie.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="536" height="554" /></p> <h4 style="text-align: center;">Colette (au milieu) à bord du <i>Normandie</i> © Coll. part. </h4> <p>Et Blaise Cendrars, me demanderez-vous? Sitôt embarqué, il s’est enfoncé dans le ventre du navire. Chacun de ses articles sera un hymne à la technique, aux machines et aux hommes qui les servent. «Poussant une lourde porte où je faillis être renversé par un courant d’air, je débouchai dans la salle des dynamos bruissante, ronflante et toute remplie d’un rythme continu, qui est le seul témoignage de la Force invisible, car nulle part on ne voit tourner une roue ni travailler une bielle (…) Quand j’arrive sur la passerelle, le balcon de fer bien astiqué qui domine la centrale électrique et qui est le poste de commande de toute cette machinerie automatique, l’humble correspondant de <i>Paris-Soir</i> que je suis est reçu fraternellement et, oserais-je le dire, avec gratitude, par les officiers mécaniciens.» C’est à peine si durant les jours suivant, l’écrivain quittera leur compagnie. </p> <p>Le 4 juin, à l’arrivée à New York, Cendrars rejoint tout de même ses collègues sur le pont pour assister à la «marche triomphale» du <i>Normandie</i>. «Jamais plus nous ne reverrons cela, jamais plus nous ne l’oublierons», écrit Colette. «New York, note de son côté Cendrars, est la ville la plus jeune, la plus moderne, la plus enthousiaste, mais aussi la plus généreuse du monde. L’accueil délirant que le port de New York a fait à la <i>Normandie </i>défilant devant les gratte-ciel de Manhattan est allé droit au cœur de tous les Français qui étaient à bord.» L’écrivain peut alors rejoindre les mécaniciens pour les remercier: «Je trouvais tout le monde à son poste, l’équipage au grand complet, comme toujours calme et veillant à la manœuvre. Ils ignoraient comment New York recevait leur bateau. Ils n’avaient rien vu, rien entendu, mais chaque homme avait le sourire.»</p> <hr /> <h4>*Nos trois auteurs parlent de la <i>Normandie</i> alors que l’usage veut plutôt que l’on écrive le <i>Normandie.</i></h4> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1613215779_aborddunormandie.jpeg" class="img-responsive img-fluid left " width="272" height="386" /></h4> <h4>Cendrars, Colette, Farrère, Wolff, <i>A bord du Normandie. 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Tout au long de sa vie, Louis Aragon (1897-1982) n’a cessé de fréquenter les peintres. Son initiation à l’art moderne a commencé très tôt. Au contact de Reverdy et d’Apollinaire, tous deux amis de Picasso. A peine Aragon est-il démobilisé, au sortir de la Grande Guerre, que c’est au peintre des Demoiselles d’Avignon qu’il rend visite. Son premier recueil de poésie, Feu de joie (1920) a pour frontispice un dessin du Malaguène, une petite nature morte cubiste. Et bien plus tard, en 1953, lors de la mort de Staline, c’est encore à Picasso, lui aussi membre du Parti communiste, qu’Aragon demande un portrait en hommage au «Petit père des peuple». Dessin qui paraît en première page de l’hebdomadaire littéraire du PCF que l’écrivain dirige alors, Les Lettres françaises. Au grand dam des camarades, furieux de cette figuration d’un Staline jeune. En complète opposition avec l’imagerie de bronze en vigueur de la propagande soviétique. Aragon est contraint de s’excuser.
Autre artiste avec lequel l’écrivain s’est lié durant ses années surréalistes, André Masson (1896-1987). Leur amitié survivra à toutes les tempêtes, y compris lorsque Aragon rompra avec Breton. Plusieurs des ouvrages du poète seront illustrés par Masson, notamment son Elégie à Pablo Neruda (1966). C’est aussi durant ces mêmes années de l’entre-deux guerres qu’il commence à écrire sur l’art et les peintres qu’il aime. Et bien après encore, quasi jusqu’à sa mort. Pas toujours à bon escient, à dire vrai.
Henri Matisse, La Danse I, huile sur toile, 1909, MOMA.
S’il ne cesse pas d’admirer Miró, Matisse – je vais y venir – Chagall et naturellement Picasso, tous peintres amis dont les œuvres ornent les murs de l’appartement de la rue de Varenne, à Paris, Aragon, pour des raisons politiques, prend aussi la défense d’artistes tel qu’André Fougeron (1913-1998) et Boris Taslitzky (1911-2005). On est alors en pleine Guerre froide. Et le PCF fait sien la doctrine soviétique en matière artistique, rejetant le «formalisme bourgeois» au nom du réalisme socialiste. Et de mettre en avant ces deux peintres d’origine modeste, adhérents du parti et qui ont combattu durant la Résistance. On ne sait si Aragon qui travaille alors au roman Les Communistes – j’en ai parlé ici même dans une chronique en juin dernier – s’est pincé le nez ou fait tirer les oreilles pour les défendre.
Quoi qu’il en soit, c’est lui qui en janvier 1951 présente l’exposition de Fougeron, Au pays des mines, à la galerie Bernheim-Jeune, à Paris, que le Parti communiste a louée pour l’occasion. Ce qui n’empêche nullement le même Aragon, quelques mois plus tard, en octobre, dans Les Lettres françaises, de rendre un vibrant hommage à Picasso pour son 70e anniversaire! Le grand écart n’a jamais fait peur à l’écrivain.
L'aboutissement et le sommet de la peinture française
La première rencontre entre Louis Aragon et Henri Matisse a lieu au début de la Seconde Guerre mondiale. En décembre 1940, l’écrivain et son épouse, la romancière Elsa Triolet, gagnent la zone libre et s’installent à Nice. Henri Matisse (1869-1954) y vit depuis 1938; il s’est établi sur les hauteurs, à Cimiez, à l’hôtel Regina qui domine la baie des Anges. Le peintre est alors dans la plénitude de sa création. Son art tend de plus en plus à l’essentiel: dessins, qui sont autant de variations à partir d’un seul trait, série des Intérieurs, fruits de ses séjours à Vence dans l’arrière-pays varois – Intérieur rouge, nature morte sur table bleue; Intérieur jaune et bleu – dont la simplification extrême annonce l’ultime féérie colorée, celle des papiers découpés. Les fameux Nus bleus, réduits à quelques grandes masses, ainsi que les immenses compositions Polynésie, la mer (1946) ou encore La Tristesse du roi (1952).
Il y a longtemps qu’Aragon rêve de rencontrer Matisse qu’il admire depuis toujours, dont l’œuvre représente à ses yeux «l’aboutissement et le sommet» de la peinture française.«J’irais volontiers le voir, confie-t-il à un ami peu avant son arrivée à Nice. Je ne le connais pas, mais dans cette extraordinairement triste époque, j’ai envie de voir les gens dont les pensées sont en couleur.» C’est à la toute fin de 1941 qu’Aragon se rend chez Matisse à Cimiez. Visite qui n’est que la première et qui sera suivie de beaucoup d’autres jusqu’à la disparition de l’artiste en 1954. Durant les jours précédents, Aragon a entrepris d’écrire «Matisse ou la grandeur». Signé du pseudonyme Blaise d’Ambérieux, le texte paraît au début de l’année suivante dans le premier numéro de la célèbre revue clandestine de Pierre Seghers, Poésie 42.
Pour l’écrivain, évoquer la peinture de Matisse, ce n’est en effet pas seulement parler d’art. C’est encore et peut-être d’abord faire acte de résistance. Dans les dessins du maître de Cimiez,«où le trait, écrit-il, est un chant, la ligne une danse (…) se résument à l’heure la plus sombre de notre histoire, la pureté, l’essence de la sensibilité française, cette victoire de l’esprit qui ne dépend ni du nombre d’avions ni de la rapidité des chars.» L’année suivante, en 1943, chez Fabiani, à Paris, paraît un album de dessins de l’artiste intitulé Thèmes et variations. Il s’ouvre par un important texte d’Aragon, «Matisse en France».
Au fil de leurs rencontres, les deux hommes sont devenus très proches et une véritable collaboration s’est instaurée entre eux. Ainsi Matisse réalise-t-il une série de portraits à l’encre de chine ou au fusain du romancier, trente-quatre très exactement, celui-ci devenant l’un de ses modèles à l’instar de Marguerite, la fille de l’artiste. Parmi les nombreux textes consacrés par Aragon au peintre de Cimiez, on peut mentionner encore «Apologie du luxe» publié en 1946 dans la fameuse collection «Trésors de la peinture française» d’Albert Skira – la chance a voulu que je puisse en acquérir un exemplaire il y a quelques années chez un bouquiniste. Aragon y rapporte l’une de ses visites au peintre.«Au mur, note-t-il, il y a des tableaux qui sont plus que jamais beaux, et jeunes, et frais, lumineux et gais, plus gais que jamais, plus confiants que jamais dans la lumière et la vie…’’Je me défends’’, dit admirablement Matisse.»
Aragon, Apologie du luxe, Editions d’art Albert Skira, 1946 © Coll. RA
Je l'ai appelé roman sans doute afin qu'on me le pardonne
«Apologie du luxe» est l’un des textes, avec celui que j’ai mentionné précédemment et bien d’autres encore, repris désormais dans Henri Matisse, roman. Je dis repris et non réunis. Car l’ouvrage en deux volumes qu’Aragon publie en 1971 – je me le fis offrir par mes parents – est bien autre chose qu’un simple recueil de textes épars. Ne serait-ce parce que ceux-ci sont complétés de multiples ajouts, de précisions, de notes marginales, de post-scriptum. De toutes les variations aragoniennes auxquelles l’écrivain nous a habitués en matière de commentaires, d’avant et après-dire, dont s’accompagnent l’édition de ses livres à partir, mettons, de La mise à mort (1963) et de Blanche ou l’oubli (1967).
Je parlais plus haut d’ouvrage inclassable. Le mot n’est pas trop fort. Sa publication n’ira d’ailleurs pas sans difficulté. Il y faudra trois années, l’auteur s’employant quasi jusqu’au dernier moment à le transformer, sinon à le bouleverser.«Ce livre, écrit-il en commençant, ne ressemble à rien qu’à son propre désordre (…) Il n’arrive pas à prendre sens. Forme moins encore. Il égare ses pas, revient sur ses propres traces » Et plus loin:«Ce livre est comme il est. Je n’y puis rien. Peut-être parce que l’homme s’est tu, que je n’en puis entendre la voix, qu’il a cessé d’être présence, pour devenir question.»
En dépit ou plutôt à cause de sa forme singulière, Henri Matisse, roman est un hommage à nul autre pareil à l’un des plus magnifiques artistes du XXe siècle.«Je l’ai appelé roman, écrit encore Aragon, sans doute afin qu’on me le pardonne.»
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Peut-être parce que l’homme s’est tu, que je n’en puis entendre la voix, qu’il a cessé d’être présence, pour devenir question.» </p> <p>En dépit ou plutôt à cause de sa forme singulière, <i>Henri Matisse, roman</i> est un hommage à nul autre pareil à l’un des plus magnifiques artistes du XXe siècle.«Je l’ai appelé <i>roman</i>, écrit encore Aragon, sans doute afin qu’on me le pardonne.»</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1611836585_aragonhenrimatisseroman.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="233" height="346" /></p> <h4>Louis Aragon, <em>Henri Matisse, roman</em>, Gallimard, Quarto, 1998.</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'le-roman-de-la-peinture', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 703, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2787, 'homepage_order' => (int) 3027, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => 'Chronique', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 72, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 3229, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Le sismographe de la vie artistique', 'subtitle' => '«Le Bœuf sur le toit. 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J’y ai été émerveillé par la lumière d’une façon tout à fait inattendue et féconde pour ce que j’ai écrit. Essayant de comprendre d’où venait cette émotion et cette exaltation que j’éprouvais devant certains paysages, je me suis aperçu que parfois, à certains moments, la lumière semblait absorber par exemple les montagnes. Et si j’étais émerveillé, logiquement il n’y avait aucune raison de l’être plus par cela que par autre chose, mais j’avais là une image, une métaphore, précisément de cet effacement des obstacles. Tentation que l’on a toujours si l’on est hanté par la mort, l’obstacle majeur. Eh bien, devant de tels paysages, on est porté à s’imaginer que même celui-ci pourra être franchi par une tension plus grande du regard ou par un détachement du monde. Donc l’issue, dont vous parlez, pourrait être, à certains moments, cela. 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Durant toute sa vie, il n’a jamais cessé de fréquenter les ateliers. Comme plus tard Guillaume Apollinaire, grand admirateur de Picasso, qui fit beaucoup pour la reconnaissance du cubisme, Baudelaire s’employa avec une égale passion à imposer les peintres de son temps, Delacroix, Courbet, Manet. Et de se faire à travers eux le chantre d’une nouvelle manière de voir, d’une nouvelle façon d’appréhender ce qu’il appelle «l’héroïsme de la vie moderne.»', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Baudelaire a vingt-quatre ans quand il donne son premier <i>Salon.</i> C’est-à-dire le compte rendu détaillé de la grande exposition annuelle des artistes choisis par l’Académie – c’est en réaction à cette sélection officielle que verra le jour par la suite, comme on le sait, le Salon des Indépendants et bien d’autres encore. Depuis Diderot, à l’origine de l’exercice et qui en a fait un véritable genre littéraire, nombreux sont les écrivains à publier leurs <i>Salons</i>: Stendhal en fait paraître trois, consacrés aux expositions de 1822, 1824 et 1827, Gauthier, que Baudelaire admire, en publie neuf, s’étendant de 1833 à 1842. Rien d’étonnant dès lors que le jeune littérateur s’y essaie à son tour. Son <i>Salon de 1845</i> sera suivi de ceux de 1846 et de 1859. A quoi on peut ajouter trois textes traitant de la section beaux-arts de l’Exposition universelle de 1855. </p> <p>Pour Baudelaire, c’est l’occasion d’exposer ses vues esthétiques tout en défendant les artistes qu’il révère. A commencer par Eugène Delacroix qu’il a découvert très tôt, à dix-sept ans. Déambulant dans la galerie des Batailles du château de Versailles, une œuvre retint plus particulièrement son attention, la <i>Bataille de Taillebourg</i>. 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On a beaucoup glosé sur ce que répondit Baudelaire en 1865 à une lettre du peintre alors attaqué de toute part – deux ans auparavant, son<i> Déjeuner sur l’herbe</i>, exposé à la requête de Napoléon III parmi les «refusés», a choqué tout comme son <i>Olympia </i>(voir ci-dessus). «Vous n’êtes, lui écrit alors Baudelaire, que le premier dans la décrépitude de votre art.» Dans cette réflexion, on peut naturellement voir – en apparence – une condamnation de l’art de l’époque dominé par Manet. Mais c’est méconnaître Baudelaire, grand admirateur notamment des eaux-fortes de l’artiste qu’il compare à Goya. Il faut plutôt comprendre la remarque dans toute son ironie. Avec à l’esprit les critiques des bienpensants, de tous les philistins pour qui le progrès consonne nécessairement avec décadence et l’art qui s’y réfère avec décrépitude. En ce sens-là, Manet est bien le plus grand artiste de son temps.</p> <p>Le peintre et le poète se sont connus très tôt. Tous deux partagent alors un même goût pour le dandysme et le fameux habit noir. C’est dans ce véritable uniforme de la modernité complété d’un haut de forme que le peintre a représenté son ami aux côtés de Théophile Gautier, dédicataire des <i>Fleurs du Mal</i>, dans son tableau <i>La Musique aux Tuileries</i> (1862). Il existe également une eau-forte qui reprend cette même silhouette du poète. L’un des plus beaux portraits de femme peint par Manet témoigne également de cette amitié. Il s’agit de l’opulente toile, qui n’a rien à envier à Velasquez, figurant la «lionne» du poète, Jeanne Duval, peinte en 1862 et intitulée <i>La Maîtresse de Baudelaire</i>. 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Souvent, il y a plusieurs éditions quotidiennes et entre les journaux, la lutte est vive, sinon féroce. Ce qui ne va pas parfois sans dérapage ni bidonnage – on parlerait aujourd’hui de <i>fake news</i>. Comme ce 10 mai 1927, lorsque le vénérable quotidien <i>La Presse</i> croit pouvoir annoncer avant tous ses concurrents: «Nungesser et Coli ont réussi. Les émouvantes étapes du grand raid. A 5 heures arrivée à New York.» </p> <p>Toujours en une du journal, on lit: «Lorsque l’avion de Nungesser apparut au-dessus de la rade de New York, le commandant Foullois, chef de l’aviation maritime de chasse, s’était porté à son devant avec une escadrille et, dès que l’avion fut en vue, les sirènes des bateaux mugirent et les bâtiments hissèrent le pavillon.» La vérité est que Nungesser et Coli n’ont jamais atteint New York, disparaissant corps et biens. Aujourd’hui, on estime que les deux hommes sont bel et bien parvenus à traverser l’Atlantique, atteignant Saint-Pierre-et-Miquelon où ils auraient tenté d’amerrir. En vain. L’annonce, quelques jours plus tard, de leur disparition, causa une intense émotion. Entraînant par contre-coup la désaffection du public à l’égard du journal fondé par Emile de Girardin, qui jamais ne s’en releva.</p> <p>Toujours dans l’intention de prendre l’avantage sur leurs concurrents, les grands journaux se disputent les meilleures plumes du moment. Et de solliciter tout naturellement les écrivains et écrivaines en vogue. L’un des plus populaires est Pierre Benoit. Le romancier à succès de <i>L’Atlantide </i>et de <i>La Châtelaine du Liban</i> – le premier titre publié par le Livre de poche à son lancement en 1953, on ne le sait pas toujours ou on l’a oublié, est <i>Koenigsmark</i>. Voilà qui dit bien l’aura entourant alors son auteur. 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Son appareil propulsif est du dernier cri et, pour sa décoration intérieure, qui en fait une véritable vitrine du luxe français, les meilleurs représentants de ce qu’on appellera l’<i>Art déco </i>ont été requis, les Subes, Lalique, Leleu, Patout.</p> <p>C’est le tout jeune directeur de la rédaction de <i>Paris-Soir – </i>il a 28 ans – un certain Pierre Lazareff, futur patron de <i>Cinq colonnes à la une,</i> alors déjà amateur de coups fumants, qui a eu l’idée d’envoyer Farrère et Cendrars sur le <i>Normandie</i>. Les deux hommes se complètent à merveille. Ancien capitaine de corvette – il a notamment servi en Extrême-Orient avant la Grande Guerre – Farrère racontera la traversée en écrivain de la mer depuis les <i>spardecks</i> et la passerelle, tandis que Cendrars, le bourlingueur, sera avec l’équipage. Aux côtés des mécaniciens, dans les entrailles du navire. </p> <h3>La capitale flottante ne bouge pas plus que Paris ou Londres ne vibrent</h3> <p>Colette a déjà une longue pratique du journalisme. Durant toute sa carrière elle rédigera plus d’un millier d’articles sur la mode, le théâtre, le tourisme, l’amour, que sais-je encore? Et collaborera à une centaine de titres, dont <i>Le Journal</i> où elle écrit depuis 1933. C’est donc tout naturellement elle qui couvrira la croisière inaugurale du<i> Normandie. </i>«Ce paquebot, note-t-elle dans son premier article, qui n’est que succulence, crème fraîche, fruits fermes, pain croustillant et quelle table!» Car bien évidemment Colette, on n’est pas bourguignonne pour rien, se délecte en connaisseuse de la cuisine du bord. 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Tandis que le <i>Normandie</i> se rapproche de son but et s’apprête à conquérir le ruban bleu récompensant la traversée la plus rapide, le cabinet Flandrin a été renversé. «Hier, formidable éclat de rire d’un bout à l’autre des huit ponts de la* <i>Normandie, </i>écrit Farrère.<i></i>La TSF s’est fort gracieusement moquée de nous tous, tant que nous sommes, sans la moindre malice d’ailleurs en annonçant que le maréchal Pétain était ministre de la Marine!» </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1613215936_coletteborddunormandie.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="536" height="554" /></p> <h4 style="text-align: center;">Colette (au milieu) à bord du <i>Normandie</i> © Coll. part. </h4> <p>Et Blaise Cendrars, me demanderez-vous? Sitôt embarqué, il s’est enfoncé dans le ventre du navire. Chacun de ses articles sera un hymne à la technique, aux machines et aux hommes qui les servent. «Poussant une lourde porte où je faillis être renversé par un courant d’air, je débouchai dans la salle des dynamos bruissante, ronflante et toute remplie d’un rythme continu, qui est le seul témoignage de la Force invisible, car nulle part on ne voit tourner une roue ni travailler une bielle (…) Quand j’arrive sur la passerelle, le balcon de fer bien astiqué qui domine la centrale électrique et qui est le poste de commande de toute cette machinerie automatique, l’humble correspondant de <i>Paris-Soir</i> que je suis est reçu fraternellement et, oserais-je le dire, avec gratitude, par les officiers mécaniciens.» C’est à peine si durant les jours suivant, l’écrivain quittera leur compagnie. </p> <p>Le 4 juin, à l’arrivée à New York, Cendrars rejoint tout de même ses collègues sur le pont pour assister à la «marche triomphale» du <i>Normandie</i>. «Jamais plus nous ne reverrons cela, jamais plus nous ne l’oublierons», écrit Colette. «New York, note de son côté Cendrars, est la ville la plus jeune, la plus moderne, la plus enthousiaste, mais aussi la plus généreuse du monde. 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