Chronique / Lettre aux inadaptæs
Slogan écrit à la craie sur un mur parisien, rue de Seine, en 1953 par Guy Debord, qui plus tard, en 1957, sera un des fondateurs de l'International Situationniste. © DR
Avertissement: Ce texte est rédigé en français inclusif et utilise le genre neutre.
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Vous représentez l’image de la boîte. Vous recherchez l’excellence de la boîte. Cette définition pourra être enrichie en fonction de l’évolution générale de la boîte.', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Elle s’appelle S, elle s’est levée tôt comme les gens qui travaillent, elle travaille, elle possède un emploi, elle est encore en période d’essai mais elle travaille. Elle s’appelle S, elle s’est levée tôt pour aller au travail, elle aime arriver un peu en avance au travail pour avoir le temps de prendre un dernier café avant de se mettre à son poste. Elle s’appelle S, elle arrive au travail avec un peu d’avance, pour ne pas se presser dans les vestiaires, ne pas se faire mal au dos, et pour avoir le temps de prendre un dernier café. Elle arrive, son supérieur hiérarchique − on dit «responsable» − la regarde bizarrement lorsqu’elle arrive et lui dit «Bonjour S, tu es en avance» et elle dit «Oui, c’est parce que j’aime bien avoir le temps de prendre un café» et son supérieur hiérarchique − on dit «responsable» − répond «Ah, d’accord» et elle monte aux vestiaires pour se mettre en tenue.</p> <p>Dans l’escalier elle croise une collègue qui n’est pas en avance mais qui commençait une heure plus tôt, elle dit «Salut, ça va?» et la collègue répond «Toujours!», comme à chaque fois, la collègue répond toujours «Toujours!» à la question «Ça va?», comme beaucoup de collègues ici qui répondent toujours «Toujours!». Elles ne disent pas «Bien» ou juste «Oui et toi?», elles ne disent pas non plus «Bof» ou «Pas terrible», elles disent «Toujours!», comme pour signifier qu’il n’y a pas de faille, qu’il n’y aura jamais de faille dans le fait d’aller, on peut compter sur elles pour aller, toujours, la question est presque superflue, finalement, pour ces collègues, puisque ça va toujours.</p> <p>Elle s’appelle S, elle est dans les vestiaires, elle change de chaussures et de tenue, elle laisse ses habits et toutes ses affaires dans le petit casier et elle va vers la salle de pause pour prendre son café, la salle de pause est vraiment minuscule mais c’est la seule pièce par ici qui possède une fenêtre, une seule fenêtre que les collègues qui fument oublient souvent de fermer derrière eux et qui refroidit beaucoup la pièce, mais enfin c’est une fenêtre et c’est tout de même agréable de regarder dehors et de voir le temps qu’il fait et la lumière changer, qui dit le temps qui passe.</p> <p>Elle s’appelle S, elle est arrivée un peu en avance pour avoir le temps de prendre un dernier café avant de se mettre à son poste, mais la porte de la salle de pause est fermée à clef, c’est le patron qui ferme à clef − on dit «directeur» −, il a oublié d’ouvrir ce matin, probablement, et S ne sait pas où est le patron − on dit «directeur» −, elle ne sait pas non plus si elle oserait aller lui demander d’ouvrir la porte de la salle de pause si elle savait où le trouver, donc finalement elle est là, elle est en avance et il n’y a rien à faire et nulle part où s’asseoir par ici, pour attendre, donc elle va se mettre à son poste, ce n’est pas très grave, elle commence sa journée un peu plus tôt que prévu, ce n’est pas très grave.</p> <p>Elle est à son poste, ça y est, mais il n’y a pas encore de client, alors elle prend le spray pour les vitres et le rouleau de papier ménage, elle astique un peu autour d’elle, la plaque de plexiglas qui la sépare des clients, les compartiments de la caisse, le tapis roulant, les touches du lecteur de carte bancaire. Tout est déjà propre, puisqu’elle a tout nettoyé la veille au soir, à la fermeture, juste avant de quitter son poste, mais enfin elle ne peut tout de même pas rester là sans rien faire, alors elle astique à nouveau, pour être sûre, pour le principe, pour ne pas être bêtement inactive.</p> <p>Il y a la caméra de surveillance juste au dessus d’elle, elle sait que la caméra est reliée au bureau du patron − on dit «directeur» − même si elle ne sait pas où se trouve ce bureau, il y a aussi le supérieur hiérarchique − on dit «responsable» − qui vient la voir pour lui dire «Eh dis donc, molo avec le papier ménage, ça pousse pas sur les arbres!», et il lui montre, deux feuilles suffisent, pas la peine d’en prendre trois, il lui dit «Tu vas pas nous couler la boîte, quand même!», et elle rigole gentiment, et elle dit merci, qu’elle a bien compris, deux feuilles pour les prochaines fois, ça marche, pas de problème.</p> <p>Les clients arrivent, ça y est, ça commence, les champs visuel et sonore rapetissent et se resserrent, elle entend les bips et elle voit les codes barres, c’est le plus important, les bips et les codes barres, un pour un, c’est l’équilibre, un code barre = un bip. Un code barre sans bip c’est très mauvais, deux bips pour un seul code barre c’est très mauvais aussi, s’il n’y a pas de bip on l’accusera de voler le magasin et s’il y a deux bips c’est le client qui dira qu’on le vole, alors l’équilibre, l’équilibre à tout prix, un pour un.</p> <p>Dans les mots aussi, l’équilibre, saluer, remercier, souhaiter la bonne journée, un pour un, toujours et avec l’attitude, le sourire et la passion d’être au cœur de la consommation et du plaisir, comme c’est écrit dans son contrat, l’attitude PEPS − Passionnée, Engagée, Professionnelle et Sympa −, exprimer et partager sa passion d’être au cœur de la consommation et du plaisir, elle y pense souvent, elle pense à l’attitude PEPS et à tous les mots dans son contrat et dans les bouches autour d’elle, client, produit, article, bien achalandé, elle se demande si vraiment quelqu’un pense comme ça, si quelqu’un, un jour, quelque part, a lu la définition de l’attitude PEPS et a pensé «Voilà, oui, carrément, c’est tout moi, ça, c’est ça que je veux, putain, transmettre ma passion d’être au cœur de la consommation et du plaisir, voilà ce que je veux faire, bordel, et puis merde si le salaire n’est pas fameux, c’est ma passion après tout, voilà, on n’a qu’une vie, je ne fais pas ça pour l’argent de toute façon...», elle se demande.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1612549326_bb10light.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h4 style="text-align: right;">© Benoit Baudinat</h4> <p>Elle s’appelle S, et elle dit environ 80 fois par jour la phrase «Avez-vous la carte de fidélité?» et en début de journée ça va, mais à partir de 14h les mots sont comme une pâte dans sa bouche, et elle doit se concentrer pour articuler, pour être comprise par le client, car s’il ne comprend pas du premier coup elle devra dire la phrase une fois de plus, et alors peut-être ne parviendrait-elle pas à maintenir tout à fait l’attitude PEPS, peut-être laisserait-t-elle échapper un soupçon d’agacement, de fatigue, un petit morceau de la grosse pâte qui emplit peu à peu sa bouche, et le client pourrait se sentir trahi, blessé, lui qui était simplement venu là pour recevoir un peu de passion, un peu d’engagement, du professionnalisme sympa, pour le plaisir pur et simple d’être au cœur de la consommation.</p> <p>Elle s’appelle S, et entre deux clients elle discute avec ses collègues, c’est à dire qu’elle échange quelques mots avec la personne assise derrière elle, à l’autre caisse, et ensemble elles tentent de se comprendre, d’en apprendre un peu l’une sur l’autre, même si c’est compliqué, entre deux clients, entre deux bips qui correspondent à deux codes barres, d’établir un contact sain et allègre avec une personne. Elle dit par exemple «Avant je travaillais dans la culture, mais bon, autant te dire que maintenant avec tout ce qui se passe, la culture, c’est mort» et la personne derrière elle lui répond «Ah bon, mais les paysans ça marche quand même toujours bien, non?» et puis un client arrive, accueillir, saluer, un bip, un code, la carte de fidélité, remercier, et puis la bonne journée, et puis revenir à la conversation et dire «Ah non, mais moi je voulais dire la culture dans les musées et tout ça...» et puis un nouveau client, l’attitude PEPS, la passion et l’équilibre, un pour un, et puis le rebond «Ah bon, mais tu faisais quoi dans les musées ?», un bip, un code, la bonne journée, elle essaie d’expliquer «Ben, de la médiation, de la communication, de la régie, enfin moi c’est ce que j’aime à la base, voilà...», la bonne journée, fidélité, carte, accueillir et puis la réponse «Ah bah ça après, les goûts et les couleurs...».</p> <p>Elle s’appelle S, elle travaille, elle parle aussi avec les clients, ceux qui veulent parler, ceux qui lui parlent, elle répond, elle s’adapte au registre, un homme lui dit par exemple «Il s’appelait comment le poulet que j’achète, là? Ce serait bien que vous sachiez, c’était un être vivant, quand même...» et la femme qui l’accompagne rigole et dit «oh écoute, chéri, arrête, tu vas le manger de toute façon...», et elle leur sourit, elle exagère même le sourire pour qu’il se voit malgré le masque qu’elle porte, elle a compris que c’était de l’humour, alors elle sourit, même si elle ne trouve pas ça drôle.</p> <p>Elle s’appelle S, elle travaille et elle remercie, un pour un, et les clients lui disent «De rien, ma grande», ou bien «Merci, ma petite», ou alors «Au revoir, jeune fille» et c’est désagréable à chaque fois, elle voudrait leur dire qu’elle s’appelle S, ou Madame, ou rien du tout plutôt que n’importe quoi d’autre, mais elle n’a pas le temps, elle ne peut pas, la bonne journée, l’équilibre, un pour un. Elle dit «Comment voulez-vous régler?» et de temps en temps on lui répond «En nature?», ça arrive, c’est désagréable à chaque fois, elle ne sourit pas, elle dit «Non merci, chèque, carte ou espèces...» et on lui dit «Ah bon, dommage...», ou alors «Oh ça va, c’était pour rigoler...» et c’est désagréable à chaque fois, un pour un.</p> <p>Elle s’appelle S, elle travaille, et pour chaque heure travaillée elle gagne 3 minutes de pause qu’elle cumule comme des points de fidélité et dont elle dispose lorsque son supérieur hiérarchique − on dit «responsable» − passe la voir et lui indique que c’est le moment, elle a par exemple 9 minutes.</p> <p>Elle s’appelle S, elle verrouille sa caisse et se précipite le plus dignement possible aux toilettes, puis en salle de pause, déverrouillée par le patron − on dit «directeur» −, il lui reste 7 minutes, elle a toujours 40 centimes dans sa poche pour la machine à café, la fenêtre est restée ouverte, elle prend son téléphone et filme l’extérieur pendant que son gobelet de café se remplit, chaque fois une minute, elle perd une minute de repos mais ça vaut la peine, c’est important pour elle, elle aime bien ça, les goûts et les couleurs, filmer l’extérieur, une minute chaque jour, la pluie, la neige, le soleil, elle veut le faire, elle n’en parle à personne, un jour quelqu’un la verra faire et il faudra tout expliquer, mais d’ici là elle est seule à savoir, filmer chaque jour, une minute de pause, l’équilibre, c’est important.</p> <p>Elle s’appelle S, il lui reste 5 minutes de pause, et elle sait d’expérience que pour les faire durer, elle doit se maintenir dans l’état mêlé de tension nerveuse et d’ennui qui est le sien lorsqu’elle est à son poste, puisque c’est au travail que le temps s’arrête, et un rien de rêverie, de détente, de méditation suffirait à l’accélérer, furtivement et à tout jamais. Elle se force à demeurer crispée, juste ce qu’il faut, elle trépigne, elle regarde sa montre, tout va bien, les secondes s’écoulent à un rythme normal, tout est sous contrôle.</p> <p>La pause, c’est la pause, la pause légale, et les muscles de son dos, de sa nuque et de ses poignets doivent absolument bénéficier de chaque seconde de cette pause, sans quoi elle aura trop mal d’ici à la fermeture, et pour ça elle doit contraindre son esprit à ne pas se relâcher, à ne pas se détendre, c’est tout le paradoxe, elle le sait d’expérience, pour se reposer elle doit faire exister le temps du repos, mais si elle se repose le temps va bondir, elle n’aura pas le temps, si elle se détend le temps va bondir et elle ne pourra pas détendre les muscles de son dos, de sa nuque et de ses poignets qui ont impérativement besoin de chaque seconde des 4 minutes de pause qu’il lui reste, elle doit donc rester tendue, pour ralentir le temps, tendue pour se détendre, c’est tout le paradoxe, elle le sait, et pourtant le simple fait d’y avoir pensé a suffi pour engloutir le temps, le faire bondir, c’est fini, il lui reste 30 secondes pour refermer la fenêtre et se précipiter le plus dignement possible à son poste, c’est fini, ça recommence.</p> <p>Elle s’appelle S, ça recommence, mais pour les trois prochaines heures c’est différent, pour les trois prochaines heures qui lui permettront de cumuler 9 nouvelles minutes de pause c’est différent car son supérieur hiérarchique − on dit «responsable» − lui demande de s’occuper du facing, au début elle ne savait pas ce que c’était, le premier jour elle n’a pas compris le regard compatissant que lui a lancé sa collègue de derrière lorsqu’on lui a demandé de s’occuper du facing, mais maintenant elle sait, elle connait le facing, elle s’y met, et si elle est assez rigoureuse, si elle s’organise bien, peut-être pourra-t-elle se laisser aller, tout en faisant le facing, à quelques instants de rêverie, un peu de pensée vagabonde, pour voir si le temps peut bondir tandis qu’elle fait du facing.</p> <p>Elle pense au facing, pour ne pas rêver trop loin, ne pas trop s’éloigner du facing, pour facilement y revenir, au réel, elle pense qu’elle dispose les articles − et déjà ses dents grincent à l’énoncé «disposer les articles» −, elle dispose les articles et elle pense que facing est un anglicisme et qu’en français on pourrait dire enfaçage, que ce qu’elle fait c’est disposer les articles pour maximiser leur capacité à se vendre par eux-mêmes, puisque c’est ainsi que fonctionne la vente en libre service, les articles doivent se vendre par eux-mêmes, ils doivent se vendre seuls, une fois en rayon ils sont totalement livrés à eux-mêmes, les articles, ils sont seuls pour se vendre, personne ne viendra dire au client qu’il devrait acheter cet article, que ça ferait plaisir à l’article, qu’il le mérite, non, l’article devra compter sur sa seule force pour se vendre.</p> <p>Elle dispose des boîtes de cassoulet et elle pense que des personnes ont réellement étudié le pouvoir de ces boîtes de cassoulet de se vendre par elles-mêmes, et comment maximiser ce pouvoir, que la boîte de cassoulet est bien plus puissante si elle est disposée en rangée compacte, disons des rangées de trois − on dit «frontale de trois» −, que la main du client qui est une extension de son œil ira davantage vers la boîte de cassoulet si le facing est bien réalisé, s’il n’y a pas de trou dans les rangées, si l’étiquette est bien orientée, si le prix est bien lisible, et l’ensemble de ces paramètres font de la personne qui s’occupe du facing une alliée de la boîte du cassoulet, une complice, une sorte d’entraîneuse qui viendrait cycliquement voir l’article pour le redisposer, le remettre en forme, en conditions maximales de puissance de vente.</p> <p>Elle s’appelle S, elle dispose des grands sacs de croquettes pour chats et chiens, elle fait du facing, c’est à dire qu’elle se met à quatre pattes et projette son bras tout au fond de la rangée pour attraper les grands sacs de croquettes du fond et se râpe les bras et les doigts sur le métal du rayonnage en ramenant les grands sacs tout devant, sur une belle frontale de trois, pour faire face au client, bien dignement, et en ramenant à l’avant les grands sacs de croquettes son œil dérape sur la liste des ingrédients, elle lit «sous-produits animaux», ce qui ne lui semble pas très digne, ce qui ne maximise pas la puissance de l’article, c’est pourquoi la liste d’ingrédients est sur le côté, invisible de face, et à l’avant du sac de croquettes on peut lire «le plein de ressources pour votre animal!» et elle pense qu’elle aussi est une ressource, une ressource humaine.</p> <p>Elle s’appelle S, elle est une ressource humaine, comme le cuivre, la tourbe ou le pétrole, mais humaine, et elle entraîne des boîtes de cassoulet et des sachets de pain de mie à être au maximum de leur puissance, elle cumule des minutes de pause sur sa carte de fidélité, elle se crispe pour avoir le temps de se détendre, elle a l’attitude PEPS, elle rayonne de toute sa passion d’être au cœur de la consommation et du plaisir, elle n’utilise que deux feuilles de papier ménage, elle pense à ses 9 minutes de pause, qui ne sont pas tout à fait 10 minutes, comme les 99 centimes ne sont pas tout à fait le franc, elle veille sur les articles qui ne doivent pas perdre la face pour réussir à se vendre seuls, elle va toujours, toujours, toujours, on peut compter sur elle, elle ne va pas couler la boîte, elle est une ressource inépuisable, elle est une énergie renouvelable, elle chantonne en faisant du facing, elle chantonne l’air de rien, elle dit «j’en ai plein le haricot, j’en ai plein le berlingot, j’en ai plein la soupe miso, j’en ai plein le risotto...» et elle improvise comme ça, rayon après rayon, elle vient de faire trois heures de facing, elle part en pause, très dignement, elle a 9 minutes, la fenêtre est restée ouverte, par la fenêtre elle filme une minute de l’extérieur tandis que son gobelet de café se remplit, c’est important, les goûts et les couleurs, un pour un, elle se crispe pour se détendre, la clef du patron − on dit «directeur» − est restée dans la serrure, il l’a oubliée là, la clef est dans la serrure, elle s’appelle S, elle se détend tout à coup, elle a l’attitude PEPS, pleinement, pour la première fois, elle prend la clef, elle tourne la clef, elle verrouille la porte de l’intérieur, la porte de la salle de pause, elle n’a plus le temps, elle vient de découvrir le temps, elle vient d’entrer dans le temps, ses 9 minutes sont écoulées, son supérieur responsable est de l’autre côté de la porte, il dit «Eh, ta pause est finie!», elle a l’attitude PEPS, elle filme la nuit qui tombe, splendide, un pour un, elle dit «Je ne sortirai pas.»</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1612549391_visuelsuperpuissancebpltbenoitbaudinat.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h4 style="text-align: right;">© Benoit Baudinat</h4>', 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On attend de le voir sur gazon, sur gazon il pourrait bien battre untel, nous verrons bien, nous verrons bien si sur gazon il parvient à garder les pieds sur terre. N’oublions pas les joueuses, elles sont superbes, les joueuses, elles sont superbes, quel dommage que l’affrontement entre les superbes joueuses ne dure que trois sets, trois sets c’est trop court, on en voudrait plus, on en demande encore, sur gazon, sur synthétique, sur terre battue, lorsque l’on assiste à un combat entre deux superbes joueuses, on en voudrait toujours plus mais le comité, la fédération en ont décidé ainsi : trois sets pour les joueuses, cinq sets pour les joueurs, en tennis comme en grammaire, c’est le masculin qui l’emporte. Le vrai joueur, le vrai gagnant, c’est le masculin. </p> <p>C’est la faute d’Yves Coppens.</p> <p>C’est la faute d’Elisabeth Badinter.</p> <p>C’est la faute d’Alain Finkelkraut.</p> <p>C’est la faute de Mona Ozouf.</p> <p>C’est la faute de Sophocle.</p> <p>C’est la faute de Albert Einstein.</p> <p>C’est la faute de la fédération.</p> <p>C’est la faute de l’académie.</p> <p>C’est la faute du langage et de la science, et de l’absence de langage et de science.</p> <p>Le masculin l’emporte. Le masculin, le genre, binaire, un, deux, marcher au pas, c’est politique, ce n’est pas logique, homme petit h, Homme grand H, homme petite bite, grand sexe, sexe fort, sexe faible, troisième sexe.</p> <p>Les pluriels il/elle, les accords, accorder, s’accorder en donnant le la ou bien le le, le masculin l’emporte, tout emporter, sur place ou à emporter.</p> <p>Ils disent «on ne peut plus rien dire», et ils le disent. Le cheval, le lion, le chien, le cochon, le singe, et l’homme. La jument, la lionne, la chienne, la truie, la guenon, et la femme.</p> <p>L’étymologie ne m’aide pas, homo en latin égale humain, homo en grec égale semblable. Le mot femme vient du latin femina, mais homme veut dire homme et femme. Anthropos en grec égale être humain. Homo sapiens, donc homme sage, hommes préhistoriques: il n’y a pas de femmes dans les cavernes. Il n’y a pas de sans genre, pas d’autre genre, il faut faire genre.</p> <p>Mes gènes n’ont pas de genre, mais mes chromosomes XY, XX sont dans des films X. Le pénis est un clitoris, le clitoris est un pénis, ils opèrent, ils opèrent pour faire genre, ils font genre, ils créent le genre. Le mot humanité veut dire homme et femme, mais le mot féminité ne veut pas dire femme et homme. Ils ne veulent pas le dire.</p> <p>Ce n’est pas logique, ce n’est pas scientifique, ce n’est pas mystique, ce n’est pas mythique, c’est politique. Ils ont tué le langage, ils veulent fixer le langage, ils veulent arrêter le torrent du mouvement de la vie qui pour eux est une hémorragie.</p> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1603861243_bbp4.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></h4> <h4>© Benoit Baudinat</h4> <p>Je suis à Cougnac, je suis à Lacave, je suis à Lascaux, je vais dans les grottes, je vais voir les peintures. Ça m’intéresse, les peintures. Il y a des traces de mains sur les parois, on dit «mains négatives», c’est intéressant. Ils ont étudié les mains, ils savent que les mains sont de femmes et d’hommes et d’autres choses encore.</p> <p>Je suis à Lascaux, je suis dans la grotte, la fausse grotte. La grotte est en résine moche, tout est moche, je suis dégoûté. Le guide dit «il y a 100 000 tonnes de béton autour de nous mesdames et messieurs», les gens sont impressionnés, je suis dégoûté. Le guide dit «ici écoutez bien c’est la vallée de l’homme» et personne ne dit rien. Il y a des humains à côté de moi qui hochent la tête et qui écrivent dans leur carnet «vallée de l’homme», et le guide ne dit pas «avez-vous des questions». Si seulement il avait dit «avez-vous des questions», alors là qu’est-ce que je lui aurais mis au guide, j’aurais dit par exemple «et dans ta vallée de l’homme qui est-ce qui porte la culotte?». Ah, dis donc, heureusement qu’il n’a pas dit «avez-vous des questions».</p> <p>Le masculin l’emporte et je me dégonfle, et le guide dit «approchez, si vous voulez bien me suivre» et il dit «la grotte est en polymère et en résine et en béton et en fibre de verre tout a été mesuré au laser c’est précis au 15e de millimètre». C’est impressionnant, ils sont impressionnés, je suis dégoûté.</p> <p>Dans les livres d’histoire je suis dégoûté. L’histoire, c’est comme homme, c’est petit h ou grand H, dans les ouvrages de vulgarisation scientifique, dans la poésie, dans la presse, dans la pub je suis dégoûté, dans la philosophie je suis dégoûté. Les débats, les conférences, les expos, au cinéma, en streaming, à la télé, dans les fils d’actualité et dans les files d’attente, dans les magasins, dans les manuels scolaires de mon fils, les réunions parents-profs, les transports, je suis dégoûté.</p> <p>Je voudrais me débarrasser du genre, parfois, je voudrais le castrer, le genre, lui envoyer mon pied dans les couilles, mais c’est compliqué, n’est-ce pas, c’est compliqué: le dimorphisme, le difformisme, le conformisme, le binarisme, les cinq premières semaines de vie embryonnaire, la testostérone, le gène SRY... il y en a pour tous les genres, et il y en a pour qui le genre, c’est le combat d’une vie, toute la vie, pour être un genre, ou plusieurs genres, ou pas de genre, et gérer ça, toute la vie, c’est compliqué. C’est compliqué comme de demander à un génome de remplir une fiche d’état civil, il s’en fout le génome, mais la mairie, non, et tous les checkpoints de la vie par ici non plus. La vie qui déborde, qui mute, se dissimule ou se révèle, la vie qui fait son <em>coming out</em>, la vie qui se marie, la vie en union libre, la vie qui avorte, toutes les vies de tous les âges et de toutes les vertus, mouvante, insaisissable. Toutes les vies sont des minorités face à la mort, mais ça s’exprime et ça danse et c’est compliqué mais vous voyez, il faut bien laisser vivre, et tout ça c’est comme le langage et la science, c’est beau lorsque ça bouge, beaucoup ou juste un peu, vu de très près ou de l’espace, lorsque ça change, lorsque ça se trompe, que ça découvre, que ça rencontre, congrue, diffère, comprend.</p> <p>Je sors de la grotte, je cligne des yeux, je suis dans la vallée de l’homme, c’est ma faute, je tiens la main de mon fils, j’achète un livre d’Yves Coppens et j’engueule la libraire parce que le livre s’appelle «Le genou de Lucy: l’histoire de l’homme et l’histoire de son histoire». C’est sa faute, c’est ma faute, et c’est la faute du guide qui n’a pas dit «avez-vous des questions?».</p> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1603861153_bbp12.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></h4> <h4>© Benoit Baudinat</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'c-est-la-faute-d-yves-coppens', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 643, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2647, 'homepage_order' => (int) 2887, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => 'Chronique', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 12141, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 7688, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Ne travaillez jamais.jpg', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 80844, 'md5' => '32d31eaab33c91f312835ee38f847adf', 'width' => (int) 474, 'height' => (int) 258, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'Slogan écrit à la craie sur un mur parisien, rue de Seine, en 1953 par Guy Debord, qui plus tard, en 1957, sera un des fondateurs de l'International Situationniste.', 'author' => '', 'copyright' => '© DR', 'path' => '1607622823_netravaillezjamais.jpg', 'embed' => null, 'profile' => 'default', '_joinData' => object(Cake\ORM\Entity) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Attachments' } ] $audios = [] $comments = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 3372, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Excellent texte rendu illisible par une démarche volontariste inhumaine.', 'post_id' => (int) 2719, 'user_id' => (int) 6547, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 3377, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Rien à voir avec l’écriture inclusive, mais l’emploi du “tu” m’a fait arrêter dès la première ligne la lecture de ce texte qui s’abaisse au niveau de Migroop et des vendeurs de téléphones mobiles.', 'post_id' => (int) 2719, 'user_id' => (int) 1479, 'user' => object(App\Model\Entity\User) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Comments' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) { 'id' => (int) 3379, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'status' => 'ACCEPTED', 'comment' => 'Malgré l'avertissement, le contenu disparait sous la forme qui fait mal aux yeux - ce n'est pas du français! 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Radio Plancton pense, pour sa part, qu’il est toujours positif de s’extirper de sa zone de confort, même si c’est pénible, même si le cerveau est a priori réticent à se heurter ainsi contre une architecture sauvageonne et expérimentale. Il n’y a pas, dans cette chronique, de « démarche volontariste inhumaine » (faut-il le dire avec emphase, en jouant du Wagner ?). Il s’y trouve une recherche individuelle, linguistique et poétique de solutions pour un auteur que la grammaire française, dans sa forme actuelle et toujours-déjà temporaire, ne satisfait pas (et que l’on peut malaxer, tordre, éprouver sans craindre le sacrilège puisque c’est ainsi que, depuis toujours et sans la validation de qui que ce soit, la langue et la poésie se font). Rien n’est satisfaisant, tout est problématique. Radio Plancton le sait bien et n’ambitionne pas de réformer l’Académie, ni de « convaincre ». 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Tu es probablement trentenaire, peut-être quadra, peut-être davantage. Al est possible que tu aies fait de nombreux jobs (servaire en intérim dans des mariages, vendaire de charcuterie ou de vêtements, louaire de pédalos, enquêtaire téléphonique, ouvraire au théâtre, prof de quelque chose, chargæ de projet ou de communication, livraire, médiataire, régissaire, chroniquaire), al est possible également que tu ne comptes aucune ou peu d’expériences professionnelles à ton actif.
Si tu as déjà été salariæ, ça n’a jamais duré très longtemps. Des contrats courts, non renouvelés, un burn out, un salaire trop bas qui te pousse à partir.
Actuellement, tu es peut-être sans emploi, ou bien alors tu occupes un poste précaire qui, pour une raison ou une autre, t’angoisse terriblement — tu ne sais pas ce qui t’angoisse le plus: garder ce job, ou bien le perdre.
Tu as, tu as déjà eu, ou tu auras un jour recours à des altérateurs de conscience. Tu n’es pas nécessairement intoxiquæ à quoi que ce soit, tu n’es pas nécessairement dépendanx d’une substance. Tu n’es pas nécessairement une épave. Néanmoins tu es réceptix à l’alcool, aux médicaments, à une drogue ou une autre. Al semblerait que tout ce qui possède le pouvoir de modifier temporairement le prisme au travers duquel tu fais l’expérience du monde t’intéresse. Tu en as peur également, c’est entendu, car tu redoutes les pertes de contrôle et tu détestes l’idée d’être malade (abîmæ, empoisonnæ, diminuæ, mouranx), mais tu constates malgré tout que les instants où tu expérimentes l’ivresse, quelle qu’elle soit, sont finalement des temps où tu te reposes.
(où tu laisses à terre ce sac de pierres chaudes que tu portes d’ordinaire)
Si tu es sans emploi, tu en cherches. Tu cherches beaucoup. Tes diplômes te semblent n’avoir aucune valeur.
Si tu as étudié les arts, ou quoi ce soit en lien avec l’univers de la culture, tu penses probablement: «on me l’avait bien dit, que ça ne valait rien.»
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Tu penses souvent au «système», à la «société», au «marché», enfin à un de ces machins parfaitement extérieur à toi, tout à fait insaisissable, et qui sont les mots fantômes de ton umwelt1 : ils te hantent, mais tu sais bien qu’ils n’existent pas — et que s’ils existent, ils ne sont pas responsables de ce qui t’arrive, ou ne t’arrive pas.
Al y a deux parties de toi qui n’existent plus. Probablement. La première, c’est celle qui a longtemps nourri de grands espoirs de réussite. La partie de toi qui se rêvait rock star, poètæ génialx, irrésistible, industriæl, faisaire de films, peintræ, donnaire d’amour. An human follement bial, une entité romantique, un paradoxe, solitaire et mondan, charismatique et irrévérencieuz, sociable et rebelle, milliardaire par accident, généreuz et désintéressæ, fêtarx en bonne santé. La seconde, c’est celle qui a longtemps pensé que, comme Guy Debord l’écrivait sur les murs, tu ne travaillerais jamais. C’était le toi alter, le toi Jerry Rubin (pré-Yuppie), le toi de carnaval, le toi de copyleft, pieds nus, poilu, béat, innocent, qui se voulait pacifiquement en lutte.
© Benoit Baudinat
Donc, tu ne trouves pas de travail. Probablement. Le «marché», et ce n’est pas la moindre de ses félonies, t’adresse une fin de non recevoir. Après t’avoir limæ de bas en haut, des chevilles jusqu’aux pépins, après t’avoir si bien démontré qu’il fallait renoncer à ces deux parties de toi-même (naïves, inconsistantes, honteusement adolescentes), après s’être assuré que tu étais irrémédiablement dans le besoin de t’insérer en lui, tout à fait convaincux de la nécessité de gagner ta vie (et déterminæ à ignorer tous les signaux d’alertes, tous les mauvais pressentiments relatifs à cette formule), le «marché» a détourné le regard et repris ses activités, sans t’attendre, ne t’ayant jamais attendux, toujours-déjà repu des milliards d’âmes besognant en son ventre, sans poste à pourvoir.
Al t’arrive encore d’échafauder des plans de rebonds formidables, des échappées belles, des reconversions salutaires. Juste avant de t’endormir, sous Alprazolam probablement, une grande idée te fait sursauter et tu penses: «al faut que je l’écrive, pour ne pas l’oublier!» Quelquefois, tu l’écris, cette grande idée. Ce sont des nuits rares, où tu t’endors paisible et fierx. Au matin, la grande idée est là, dans le carnet ou dans le téléphone, sur un mouchoir ou le paquet de somnifères, heureusement tu as fait l’effort de l’écrire. Elle est à portée de regard, à portée d’action, dans quelques instants tu vas la lire et t’en emparer, c’est un moment épique, c’est grandiose, tu entends les trompettes. Tu lis:
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Je suis candidax
Penser au surimi
Le saxophone de la civilisation.»
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Tu attends probablement une chute à cette chronique, un conseil, une résolution, quelque chose qui te récompenserait. Mais tu connais déjà, pour l’avoir rencontrée mille fois, la seule réponse disponible, ici comme ailleurs:
Après avoir étudié attentivement tous les éléments de votre dossier, nous sommes au regret de vous informer que notre choix s’est porté sur d’autres candidats dont le profil correspond davantage à ce que nous recherchons.
NB: Cette version est une transcription avec utilisation expérimentale du genre neutre du texte Lettre aux inadapté·es, initialement écrit en français inclusif avec point médian. L’auteur s’est notamment appuyé sur les travaux de linguistique d’Alpheratz et sur les relectures et conseils de Sana Jaafar et Géraldine Polès.
1 : «l'Umwelt désigne l’environnement sensoriel propre à une espèce ou un individu, mieux rendu en français par l'expression de "monde propre".» (https://fr.wikipedia.org/wiki/Umwelt)
© Benoit Baudinat
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L’auteur s’est notamment appuyé sur les travaux de linguistique d’<a href="https://www.alpheratz.fr/">Alpheratz</a> et sur les relectures et conseils de Sana Jaafar et Géraldine Polès.</p> <hr /> <h4><sup>1</sup> : «l'<strong><em>Umwelt</em></strong> désigne l’environnement sensoriel propre à une espèce ou un individu, mieux rendu en français par l'expression de "monde propre".» (https://fr.wikipedia.org/wiki/Umwelt)</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1607622940_visuellettreauxinadaptsbaudinat2.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h4 style="text-align: right;">© Benoit Baudinat</h4>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'lettre-aux-inadaptaes', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 610, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2716, 'homepage_order' => (int) 2956, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => 'Chronique', 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 12141, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 4 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 5 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 6 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 7 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 8 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 9 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 10 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'Benoit Baudinat', 'description' => 'Avertissement: Ce texte est rédigé en français inclusif et utilise le genre neutre. 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Tu en as peur également, c’est entendu, car tu redoutes les pertes de contrôle et tu détestes l’idée d’être malade (abîmæ, empoisonnæ, diminuæ, mouranx), mais tu constates malgré tout que les instants où tu expérimentes l’ivresse, quelle qu’elle soit, sont finalement des temps où <em>tu te reposes</em>.</p> <p>(où tu laisses à terre ce sac de pierres chaudes que tu portes d’ordinaire)</p> <p>Si tu es sans emploi, tu en cherches. Tu cherches beaucoup. 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Le «marché», et ce n’est pas la moindre de ses félonies, t’adresse une fin de non recevoir. Après t’avoir limæ de bas en haut, des chevilles jusqu’aux pépins, après t’avoir si bien démontré qu’il fallait renoncer à ces deux parties de toi-même (naïves, inconsistantes, honteusement adolescentes), après s’être assuré que tu étais irrémédiablement dans le besoin de <em>t’insérer en lui</em>, tout à fait convaincux de la nécessité de <em>gagner ta vie</em> (et déterminæ à ignorer tous les signaux d’alertes, tous les mauvais pressentiments relatifs à cette formule), le «marché» a détourné le regard et repris ses activités, sans t’attendre, ne t’ayant jamais attendux, toujours-déjà repu des milliards d’âmes besognant en son ventre, sans poste à pourvoir.</p> <p>Al t’arrive encore d’échafauder des plans de rebonds formidables, des échappées belles, des reconversions salutaires. 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As-tu surestimé ta capacité à déployer le contenu de la synthèse, à en extraire une vision plus détaillée, peut-être que l’idée est si puissante que ton cerveau mal réveillé ne peut pas la saisir immédiatement?</p> <p>Tu t’imagines encore un peu herboriste, youtubaire, luthierx, rédactaire de contenu, jardinierx, gardian d’immeuble, jouaire e-sport, musician de session, éducataire spécialisæ, publicitaire, bénévole sur un navire de la Sea Sheperd, secrétaire médical, assistanx de quelqu’an.</p> <p>Mais la plupart du temps, tu voudrais juste un travail, n’importe lequel. Tu as renoncé à tes exigences — tu ne dis même plus «ambitions».</p> <p>Tu voudrais un travail «pour voir». Essayer, encore une fois ou une bonne fois pour toutes, de faire rentrer ta carcasse dans le moule du temps fragmenté, donner tes heures à une cause qui ne soit pas la tienne, utiliser une boite mail générique ([email protected], [email protected], [email protected]), atteindre des objectifs dont tu te fous éperdument, prendre des pauses, poser des congés, revenir de vacances.</p> <p>Tu aspires probablement à un peu de stabilité, un peu de simplicité, tu voudrais pouvoir répondre mécaniquement et sans sueurs froides aux questions récurrentes du type «Que faîtes-vous dans la vie?»</p> <p>Tu es probablement sujex à des angoisses de mort intermittentes, mais al t’arrive également de penser, comme le chantait George Brassens, qu’une fois morx tu n’auras plus jamais mal aux dents, et ça te soulage vaguement.</p> <p>Tu es partagæ, entre l’espoir pisseux de vivre vial, de couler un troisième âge peinarx sous opiacés, de bénéficier d’une biotech ou d’un cacheton miracle contre le cancer, et la sourde crainte de claquer trop jeune et subitement, anonyme cadavre au rayon crise cardiaque de la morgue fétide d’une ville de province — le sac de viande tendu de toxines, de métaux lourds, de perturbations endocriniennes, les ongles épais, le poil rêche et le cœur jaune.</p> <p>S’al a pu t’arriver de te montrer cynique, tu abhorres au fond cette posture.</p> <p>Tu ne veux pas pleurnicher, tu ne veux pas te victimiser. Tu penses probablement que tu as de nombreuses raisons de te considérer comme chanceuz.</p> <p>Tu attends probablement une chute à cette chronique, un conseil, une résolution, quelque chose qui te <em>récompenserait</em>. Mais tu connais déjà, pour l’avoir rencontrée mille fois, la seule réponse disponible, ici comme ailleurs:</p> <p><em>Après avoir étudié attentivement tous les éléments de votre dossier, nous sommes au regret de vous informer que notre choix s’est porté sur d’autres candidats dont le profil correspond davantage à ce que nous recherchons.</em></p> <hr /> <p>NB: Cette version est une transcription avec utilisation expérimentale du genre neutre du texte <em>Lettre aux inadapté·es</em>, initialement écrit en français inclusif avec point médian. 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Elle dit par exemple «Avant je travaillais dans la culture, mais bon, autant te dire que maintenant avec tout ce qui se passe, la culture, c’est mort» et la personne derrière elle lui répond «Ah bon, mais les paysans ça marche quand même toujours bien, non?» et puis un client arrive, accueillir, saluer, un bip, un code, la carte de fidélité, remercier, et puis la bonne journée, et puis revenir à la conversation et dire «Ah non, mais moi je voulais dire la culture dans les musées et tout ça...» et puis un nouveau client, l’attitude PEPS, la passion et l’équilibre, un pour un, et puis le rebond «Ah bon, mais tu faisais quoi dans les musées ?», un bip, un code, la bonne journée, elle essaie d’expliquer «Ben, de la médiation, de la communication, de la régie, enfin moi c’est ce que j’aime à la base, voilà...», la bonne journée, fidélité, carte, accueillir et puis la réponse «Ah bah ça après, les goûts et les couleurs...».</p> <p>Elle s’appelle S, elle travaille, elle parle aussi avec les clients, ceux qui veulent parler, ceux qui lui parlent, elle répond, elle s’adapte au registre, un homme lui dit par exemple «Il s’appelait comment le poulet que j’achète, là? Ce serait bien que vous sachiez, c’était un être vivant, quand même...» et la femme qui l’accompagne rigole et dit «oh écoute, chéri, arrête, tu vas le manger de toute façon...», et elle leur sourit, elle exagère même le sourire pour qu’il se voit malgré le masque qu’elle porte, elle a compris que c’était de l’humour, alors elle sourit, même si elle ne trouve pas ça drôle.</p> <p>Elle s’appelle S, elle travaille et elle remercie, un pour un, et les clients lui disent «De rien, ma grande», ou bien «Merci, ma petite», ou alors «Au revoir, jeune fille» et c’est désagréable à chaque fois, elle voudrait leur dire qu’elle s’appelle S, ou Madame, ou rien du tout plutôt que n’importe quoi d’autre, mais elle n’a pas le temps, elle ne peut pas, la bonne journée, l’équilibre, un pour un. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
11 Commentaires
@Logonaute 12.12.2020 | 12h01
«Excellent texte rendu illisible par une démarche volontariste inhumaine.»
@peclet 13.12.2020 | 09h08
«Rien à voir avec l’écriture inclusive, mais l’emploi du “tu” m’a fait arrêter dès la première ligne la lecture de ce texte qui s’abaisse au niveau de Migroop et des vendeurs de téléphones mobiles.»
@Marta Z. 13.12.2020 | 09h15
«Malgré l'avertissement, le contenu disparait sous la forme qui fait mal aux yeux - ce n'est pas du français! C'est plus que pénible, il faut traduire en cours de lecture pour essayer de comprendre le message... Pitié!
»
@Rachel M 13.12.2020 | 15h46
«MERCI pour ce très beau texte et MERCI d'oser le genre neutre!»
@RadioPlancton 13.12.2020 | 17h34
«Un grand merci aux personnes qui prennent le temps de s’exprimer ici et sur la page Facebook de BPLT. Radio Plancton pense, pour sa part, qu’il est toujours positif de s’extirper de sa zone de confort, même si c’est pénible, même si le cerveau est a priori réticent à se heurter ainsi contre une architecture sauvageonne et expérimentale.
Il n’y a pas, dans cette chronique, de « démarche volontariste inhumaine » (faut-il le dire avec emphase, en jouant du Wagner ?). Il s’y trouve une recherche individuelle, linguistique et poétique de solutions pour un auteur que la grammaire française, dans sa forme actuelle et toujours-déjà temporaire, ne satisfait pas (et que l’on peut malaxer, tordre, éprouver sans craindre le sacrilège puisque c’est ainsi que, depuis toujours et sans la validation de qui que ce soit, la langue et la poésie se font).
Rien n’est satisfaisant, tout est problématique. Radio Plancton le sait bien et n’ambitionne pas de réformer l’Académie, ni de « convaincre ». Seulement de proposer des formes, d’éprouver les limites (comme le ferait un enfant taquin), d’explorer ce grand domaine que l’on nomme liberté.
Bien à vous !»
@Logonaute 13.12.2020 | 18h19
«@Radio Plancton
Je comprends et conçois très bien la volonté expérimentale, tout en déplorant (car ce n’est pas la première fois que cet exercice en souffre, ici comme ailleurs) qu’elle succombe au piège de la forme au détriment du fond - au demeurant excellent, comme je l’ai déjà mentionné. Et c’est dommage que les questions essentielles soulevées par ce fond ne soient pas accessibles à tous ceux qui arrêtent leur lecture pour des raisons de forme, fût-elle taquine. (là, c’est le Cosma du Grand Blond qui vient à l’esprit, plutôt que Wagner).
Je suis comme vous atterré par la (dé)considération que l’activité de création continue de susciter même chez les plus « avertis », surtout en ces temps troubles et obscurs et je pense que cela mérite d’être entendu sans migraine, comme dirait notre ami Morier-Genoud.
»
@Lagom 14.12.2020 | 09h24
«Le meilleur moyen de faire sombrer une langue est d'éloigner son oral de son écrit ! Se distinguer suppose faire mieux et en mieux non pas faire "n'importe quoi"»
@Elizabeth 14.12.2020 | 21h54
«Ouais, ben c'est pas génial. Amusez-vous tant que vous voudrez avec l'écriture inclusive, mais ne comptez pas sur les lecteurs - et lectrices, puisqu'il faut vous mettre les points sur les i - pour vous suivre plus loin qu'un paragraphe, tant ce sabir est indigeste et désagréable. En ce qui me concerne, je suis "au regret de vous informer que (mon) choix s’est porté (et se portera) sur d’autres (journalistes) dont le profil correspond davantage à ce que je recherche".»
@LEFV024 20.12.2020 | 15h16
«Moi, j'ai bien aimé ce texte original et drôle!»
@Gio 26.12.2020 | 10h14
«J’ai lu ce texte avec intérêt tout en gardant la distance de sécurité pour éviter la contamination. L’exercice est réussi, certes, mais j’ose espérer qu’il restera unique. C’est tout de même horrible cette impression de dématérialisation du corps, de se sentir transformée en ectoplasme. Je suis une lectrice , pas « al lectaire » , j’ai besoin de ressentir les mots et leurs différences et je déteste l’idée d’un électrocardiogramme plat.
»
@Djeypee 02.04.2021 | 18h46
«Bel essai. Tant la forme que le fond soulèvent des questions.
Le fond d'abord: ouverture à une véritable compréhension du statut de "chômaire" ou poésie légère et psychologisante "sur" cette population ? George Orwell, même s'il écrit "sur" le monde ouvrier et les ravages du chômage (dans "La route du quai de Wigan"), permet de comprendre les choses sans fioritures dans une écriture puissante qui peut être qualifiée de poétique, parce qu'aux prises avec les conditions de vie. Plus proche de nous, Angélique Eggenschwiler écrit parfois des perles sur l'absurdité et le désespoir qui ont une grande force de révélation.
Il me manque dans ce texte le tragique de l'existence, c'est à dire la chair. On en reste à l'étalage un brin romantique d'états d'âmes dans un chapelet de jolies formules. Donc, pardon d'être un peu dur, mais c'est un exercice de style autour du chômage.
Pour la forme, je me suis demandé comment lire ce texte à haute voix ? Certains mots sont plus faciles et ce sont des trouvailles qu'il faudrait mettre en vigueur maintenant, comme ceux qui finissaient en "eur/eure" et qui donnent "aire": pour ceux-ci la prononciation consonne avec la trace écrite. Les "ae" sont rigolos, mais comme ils rappellent le féminin latin, ils ne sont pas assez neutres. Mais pourquoi pas ? Quant aux "x" finaux et autres "Al y a" ou "bial", "vial", je doute un peu plus. Par exemple "Il y a" est une formule dont on sait qu'elle est neutre: à la fois historiquement et aussi dans notre "mémoire commune" ou notre "inconscient collectif" (je ne sais pas comment dire autrement). Un peu comme "il pleut", "il fait froid", "il fait chaud". Pourquoi la changer juste pour la forme ? (D'autant que suivant l'accent, c'est déjà la prononciation effective !!) Une personne non-binaire, ou ni cisgenre, ou ni blanche se sent-elle offensée parce que l'on dit "il pleut ?" En voulant dire "al pleut" ne fait-on pas juste comme la tant critiquée Académie Française le fait parfois ? Le pédantisme n'est pas l'apanage du "mâle blanc quinquagénaire (et plus)".
Cela dit, je pense que l'effort d'écriture inclusive est très intéressant, mais je crois que ce qui est déterminant, c'est l'expression orale de la langue: les mots nouveaux jaillissent dans l'oralité d'abord (le verlan, par exemple), puis sont écrits ensuite. Le problème avec l'oralité, c'est qu'elle va au plus court et laisse tomber les subtilités: Andrea Marcolongo l'a bien montré pour le grec ("La langue géniale, 9 raison pour aimer le grec", Les Belles Lettres, 2018, trad. Béatrice Robert-Boissier). Donc, il (ou al) faut continuer à dire que la langue porte en elle les traces d'une domination masculine et qu'il faut la travailler pour qu'elle soit plus juste. Et voir ce que ça donne. Ou bien ?
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