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Analyse

Analyse / Vers une rédemption de Pierre Maudet?

Marc Guéniat

23 mai 2020

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Il y a les oubliés de la crise. Et il y a ceux qui ont su faire oublier leur cas pour réémerger. Pierre Maudet se range assurément dans cette deuxième catégorie. Comme si ses ennuis judiciaires n’existaient plus depuis le début de la pandémie de Covid-19, le Conseiller d’Etat genevois en charge du développement économique (DDE) refait parler de lui sur le terrain politique. Les instruments qu’il a imaginés, principalement en faveur des PME, atteignent 100 millions de francs.




Publié sur Heidi.news le 18 mai 2020


Pourquoi c’est habile. Honni pour ses mensonges répétés et construits, Pierre Maudet a ensuite été raillé en raison du minuscule département qu’il dirige depuis qu’il a été dessaisi de la totalité de ses dicastères régaliens. Mais la taille de son pré-carré, composé de 40 fonctionnaires, ne l’empêche pas d’exister. Demeuré bon communicateur, cette crise lui permet de se placer en véritable ministre de l’économie, en instaurant des mesures complémentaires au dispositif fédéral. Y compris en fédérant des organismes d’ordinaire antagoniques comme l’Asloca et les milieux immobiliers autour d’un soutien au paiement des loyers commerciaux.

Député socialiste et ardent pourfendeur de Pierre Maudet, Thomas Wenger dissèque cette résurrection:

«En tant que ministre de l’économie, il est idéalement placé pour se remettre en selle avec cette crise. Il apparaît à nouveau de manière positive. D’autant qu’en cette période, on met de côté les choses qui fâchent pour se concentrer sur l’essentiel.

Mais il revient de tellement loin…».

Flash-back. En janvier 2019, après six mois de tempête, une nette majorité du Grand Conseil vote une résolution invitant Pierre Maudet à démissionner. Les révélations successives, ses dénégations et son obstination à conserver coûte que coûte son maroquin ont eu raison de la patience des députés, même au sein de son propre parti. Peu auparavant, il a lui-même confessé devant le Ministère public que son comportement était «totalement indigne» de la fonction élective qu’il occupe. Il devient le «paria» du gouvernement, selon la formule assassine employée par Le Temps.

L’épidémie ralentit. Cet épisode constitue en quelque sorte le sommet de la courbe, à partir duquel l’épidémie d’hostilités à son égard diminue progressivement. L’ultime râle populaire survient en juin de la même année, lorsque Pierre Maudet est assuré de toucher une rente à vie. A ce même moment, la RTS calcule que le nombre de ses dossiers traités au Grand Conseil a été divisé par quinze par rapport à la législature précédente. A ce stade, il devient clair que Pierre Maudet ne cèdera pas, dans un canton où la constitution ne prévoit pas de mécanisme pour destituer un conseiller d’Etat.

Toupet sur le budget. La trêve estivale 2019 lui permet de reprendre des forces. En septembre, il a le toupet de rompre la collégialité sur le projet de budget; le mode opératoire dérange, et il égratigne de fait sa colistière Nathalie Fontanet, dont c’est le premier budget, mais il forge une position politique. La droite se souvient alors qu’il est bien son héraut, seul à lutter contre la prolifération des fonctionnaires tandis qu’il fait passer le collège pour un agrégat d’individus ne se mêlant surtout pas des affaires des autres. Pour sa défense, Pierre Maudet se contente d’indiquer, face à Darius Rochebin, qu’il est «bien vivant politiquement».

Unanimité. Les premiers signes de rédemption interviennent deux mois plus tard. En novembre, le Grand Conseil adopte à l’unanimité son projet de loi sur le tourisme. La gauche est séduite par la taxe de séjour qu’elle introduit sur les locations Airbnb, tout comme les hôteliers, qui se plaignent de la concurrence déloyale. Pour Thomas Wenger, il faut distinguer la personne de ses projets, au nom de l’intérêt général.

Thomas Wenger:

«La loi sur le tourisme est bonne. Mon parti refuse d’enterrer une loi parce qu’elle émane de Pierre Maudet. C’est une question de responsabilité».

Tradition. Le mois suivant, il inflige une leçon politique à Anne Emery-Torracinta, qui interdit aux parents de contribuer au financement des marmites de l’Escalade dans les écoles. Rusé, et n’ignorant pas la charge symbolique du 12 décembre et de l’enfant, il sollicite l’Association des artisans boulangers confiseurs de Genève (ABCGE). Dans la presse, il explique: «Quand il s’agit de mettre sur pied d’égalité toutes les écoles primaires du canton, pour perpétuer une tradition locale et défendre les commerces genevois, on trouve les moyens!» Au final, l’opération est sans effet parce que la cheffe du département de l’instruction publique, sentant le vent du boulet, finit par mettre des fonds à disposition. Mais la potion a dû être amère pour celle qui avait défendu la désignation de Pierre Maudet à la présidence du Conseil d’Etat au début de l’affaire du voyage à Abu Dhabi.

En janvier 2020, le vote d’une lex Maudet encadrant les cadeaux aux magistrats, une conséquence directe de son luxueux séjour dans l’émirat, passe presque inaperçu.

Opportunité nommée Covid-19. Puis surgit la crise du coronavirus. Comme souvent, ces situations révèlent les personnalités. Là où d’autres se noient, lui perçoit l’opportunité. Et il imprime son rythme. Le 12 mars, avant même que le Conseil fédéral ne décrète le semi-confinement, il obtient du Grand Conseil la possibilité de prêter jusqu’à 145 millions de francs aux entreprises (une partie devient inutile lorsque Berne adopte un mécanisme analogue au plan national).

Le 19 mars, sous son égide, l’Etat signe un protocole d’accord avec les milieux immobiliers, par lequel les bailleurs «ont accepté d’envisager au cas par cas d’éventuels reports de loyers commerciaux». Cela n’engage à rien mais qu’importe, il occupe le terrain.

19 millions. D’abord anodine, l’idée fait son chemin, pour devenir concrète. Il rassemble au-delà des camps politiques, en incluant les défenseurs des locataires, prend des engagements financiers au nom de l’Etat et communique. Le 12 mai, le Grand Conseil lui octroie à la quasi-unanimité une enveloppe de 19 millions.

Succès inédit. A ce jour, Pierre Maudet a déjà reçu sur son bureau 4160 demandes d’aides de petits entrepreneurs peinant à payer leur loyer, pour un montant provisoire de quatre millions de francs, indique Dejan Nikolic, porte-parole du DDE. Coiffeurs, artisans, restaurateurs et petits commerçants peuvent s’en féliciter: près de 90% des demandes enregistrées ont été soutenues par les propriétaires qui, de ce fait, renoncent à percevoir une partie du loyer. C’est inédit, comme l’est cette crise.

Pierre Maudet ne s’arrête pas là. Le 12 mai toujours, les députés lui concèdent 14 millions d’aides complémentaires au chômage partiel destinées aux petits patrons ainsi que trois millions pour les start-up en difficulté. A cela s’ajoutent des mesures plus modestes et un prêt de plus de 16 millions au Salon de l’auto.

Comment l’intéressé vit-il ce retour aux affaires?

Pierre Maudet:

«Mon sort personnel n’entre pas en ligne de compte. Je fais ce pour quoi j'ai été élu en tant que Conseiller d'Etat; j'agis. C’est une période charnière où l’on peut véritablement démontrer l’importance de la puissance publique. Mon action illustre que ce n’est pas la taille du département qui compte, mais bien la capacité à faire preuve d’agilité, à analyser une situation et à activer des réseaux».

Malgré ces succès, Thomas Wenger n’envisage pas un retour du magistrat:

«Je ne crois pas à une tendance pérenne. Le renouveau de Pierre Maudet est plutôt un épiphénomène lié au Covid-19, qui s’estompera avec le virus. Nous attendons le vaccin avec impatience».

La formule prête à sourire mais elle omet une donnée essentielle: tout indique que la crise économique se prolongera malgré l’existence du vaccin. Et l’on peut faire confiance à Pierre Maudet pour tenter de rester au centre du jeu.

Il esquisse la suite:

«Nous allons sortir de la phase des aides transversales, d’urgence, destinées à toutes et tous, pour cibler les aides en fonction des secteurs et de leurs besoins. Hôtellerie, tourisme, commerce, agriculture et secteur créatif, qui regroupe la culture et l'événementiel, seront prioritaires en termes de nécessité. L’effort devra être plus important, à plus long terme, que celui déployé jusqu’à présent».

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