Des habitants de Budapest écoutent la radio dans une cave, durant l'insurrection d'octobre 1956. © Fortepan / Gyula Nagy
Les entraves à la liberté de la presse se multiplient en Hongrie depuis 2010, sous l'impulsion du Premier ministre Orbán. Radio Free Europe projette de réouvrir son antenne hongroise pour y remédier, au moment où la percée inattendue de l'opposition aux récentes élections municipales redonne un peu d'espoir aux médias non affiliés au pouvoir. Tout un symbole, rien qu'un symbole?
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Ainsi l’organisation MyGoPen avait infirmé les rumeurs de tricherie lors de l’élection présidentielle.</p> <p>Troisième stratégie, le «<em>prebunking</em>». On connaissait le «<em>debunking</em>», qui désigne le fait de démontrer la fausseté d’une information ou d’un contenu et de le corriger. Les progrès de l’intelligence artificielle permettent désormais d’anticiper. Il s’agit de sensibiliser les citoyens notamment au danger des «<em>deep fakes</em>», ces fausses vidéos plus vraies que nature qui peuvent mettre en scène des célébrités ou des politiques et leur faire tenir n’importe quels propos.</p> <p>Audrey Tang, la ministre des Affaires numériques de Taiwan, a expliqué en vidéo, en créant un <em>deep fake</em> d’elle-même, combien la manœuvre était facile. 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Début septembre, la nouvelle a été reçue comme une gifle par les autorités hongroises. Radio Free Europe, la légendaire radio américaine qui émettait dans le Bloc de l’Est durant la Guerre froide, projette de réouvrir son antenne hongroise depuis Prague. «Szabadság Rádiót» avait cessé ses activités dans le pays en 1993, considérant sa mission accomplie.
Ennemis publics, pressions et fake news
Depuis 2010, pourtant, l’obsession du Premier ministre Viktor Orbán pour le contrôle de l’information a fait faire un bond dans le passé aux médias magyars. Le classement de Reporters Sans Frontières pour la liberté de la presse place la Hongrie en 87ème position sur 180 pays1, entre la Sierra Leone et Israël, et prend acte chaque année depuis 10 ans de la détérioration de la situation. Les rapports s’entassent pour dénoncer une conjoncture qui n’avait pas été observée depuis l’époque soviétique. RSF, Transparency International, la Commission Européenne ... depuis fin 2018, associations et institutions officielles s’alarment du danger que représente la concentration, au sein de la fondation KESMA, de 500 médias (presse écrite, radio, télévision, numérique) afin de «veiller à la préservation des valeurs nationales de la Hongrie.» Dirigée par Gabor Liszkay, proche du pouvoir, la fondation plaide pour le pluralisme et l’équilibre dans les médias: «le discours traditionnel, conservateur, chrétien a été marginalisé; la pensée libérale progressiste est devenue un canon, et ces champions de la tolérance sont fondamentalement intolérants.»
Les médias d’opposition sont quant à eux privés de revenus publicitaires. Si les journalistes hongrois ne déplorent aucune menace physique à leur encontre, les conséquences de cette asphyxie économique sont souvent immédiates et irrémédiables. En 2016, le principal quotidien socialiste, Népszabadság («Liberté du peuple») a cessé de paraître du jour au lendemain. D’autres canaux, comme l’hebdomadaire Magyar Narancs, Klubrádió ou index.hu survivent comme ils peuvent. Il leur est difficile de trouver des partenaires commerciaux, des prestataires, et même des abonnés: les lecteurs du journal indépendant Magyar Hang («La voix hongroise», imprimé à Bratislava faute d’un imprimeur hongrois courageux) cherchent par exemple à s’assurer que le gouvernement ne sera pas informé de leurs lectures. Un climat général de méfiance s’est installé. Les autorités ont établi des listes de journalistes considérés comme «ennemis publics», filtrent les accréditations au Parlement, et envoient chaque jour une feuille de route à la télévision publique, parfois même des sujets clé en main, le plus souvent des faits divers impliquant des migrants.
Mieux encore. En toute discrétion, début 2019, Viktor Orbán et ses proches collaborateurs ont lancé à Londres une agence de presse internationale, V4 Agency, destinée à concurrencer l’AFP ou Reuters sur le plan international, et l’agence hongroise MTI dans le pays. Le but est toujours le même: faire entendre la voix conservatrice qui prévaut dans les pays du groupe de Visegrád. Financée par des oligarques hongrois et le cabinet de communication responsable des campagnes diffamatoires contre George Soros, V4 Agency constitue, comme le relève Le Monde, «le premier site payant de «fake news»»
«Tout se joue d’abord dans la tête des gens. Ils s’arrêtent au discours officiel, alors ils vivent dans un monde parallèle», expliquent des opposants hongrois rencontrés sur place.
«Passez-moi d'abord sur le corps»
«Ici, à Budapest, vous pouvez vous promener sans risque, même la nuit, ce n’est pas comme chez vous», s’entendent dire systématiquement, dans les hôtels, les visiteurs français.
Effectivement, ce n’est pas «comme chez nous.» Dans la capitale, se procurer un journal étranger est quasiment mission impossible. Beaucoup de kiosques sont désaffectés ou transformés en boutiques de gâteaux, de fleurs, de bonsaï...En dehors des journaux acquis au pouvoir, on trouve en grand nombre des magazines consacrés aux faits divers, à la pêche, des publications érotiques ou des revues prétendument historiques, qui ressemblent davantage à des catalogues de matériel militaire. A la gare de Nyugati, la presse américaine est cachée dans le dos du kiosquier, dont l’expression, lorsqu’on la lui réclame, pourrait être traduite par «passez-moi d’abord sur le corps»...
Kiosque fleuri, Oktogon, dans le centre de Budapest. © Bernard Lebrun
Le maire de Budapest fraichement élu à la surprise générale le 13 octobre dernier, Gergely Karácsony, et son parti, Dialogue pour la Hongrie, sont pleins de bonnes intentions pour remédier à la situation. La création de médias publics libres fait partie des priorités: l’argent public ne doit pas alimenter la propagande du gouvernement, affirme leur programme électoral.
Éva Vámos, rédactrice en chef du Journal Francophone de Budapest et présidente de l’Union internationale de la presse francophone en Hongrie se dit optimiste. «Plusieurs projets sont à l’étude. Au moins un nouveau quotidien va être créé.»
Un vent nouveau souffle sur la capitale hongroise, et le camp de l’opposition semble accueillir avec bienveillance le retour de Radio Free Europe, un projet qui va dans le même sens que le changement amorcé par la victoire de Karácsony.
Actuellement présente dans 21 pays (principalement du Caucase et des Balkans), Radio Free Europe est un organisme privé, dont le financement dépend du Congrès américain. C’est là que les choses se compliquent un peu. L’ambassadeur américain en Hongrie, David Cornstein, un entrepreneur de 81 ans, proche du Président Trump et nommé par ce dernier en juin 2018, ne voit pas la chose d’un bon oeil. Il tente déjà d’influencer la future ligne éditoriale de la radio, veut s’assurer que l’antenne ne donnera pas une image «négative» de la Hongrie et que l’on n’y pratiquera pas le journalisme d’investigation.
A l’évidence, Radio Free Europe n’est pas une panacée2. Il serait préférable de laisser les Hongrois, journalistes et citoyens, se débrouiller seuls. Mais les symboles et les mots ont leur importance, au-delà de la reconquête des libertés fondamentales. Sauf révolution, le lancement est prévu pour mai 2020.
1A titre comparatif, la Suisse est classée 6ème, la France 32ème en 2019.
2Au début de l’année, l’antenne de Radio Free Europe au Tadjikistan a été accusée de non objectivité à l’égard de la politique du Président Emomalii Rahmon.
A lire aussi, en direct de Hongrie:
Budapest bascule à gauche - Marie Céhère
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