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Culture

Culture / Dora Maar, sorcière et chasseresse d’images

Marie Céhère

1 juillet 2019

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À l’entrée de l’exposition, un extrait du film Quai des Orfèvres d’Henri-Georges Clouzot donne le ton. On y voit Suzy Delair se faire photographier dans des poses glamour par Simone Renant, qui tient le rôle de Dora Monnier, une photographe de mode libre et émancipée, librement inspirée d’une véritable artiste et amie du réalisateur, Dora Maar. Celle-ci est donc, d’abord, cet archétype mythique: la femme libre et artiste des années 1930. Ses photographies et portraits de jeunesse, dont deux tableaux réalisés par Marianne Clouzot, montrent un visage atypique, d’une beauté étrange: Dora Maar a le profil grec, de grands yeux sombres, les cheveux coupés courts, et une aura de magie autour des épaules (en témoignent trois tirages sépia intitulés Vous revoilà mon amour, 1927, où elle figure avec une tête de squelette).

C’est au visage et à la beauté des autres femmes que Dora Maar, née Henriette Theodora Markovitch, en 1907, se consacre au début de sa carrière. Dans son atelier de la rue d’Astorg à Paris, elle est photographe de mode. Elle publie dans la plupart des revues en vogue au début du siècle. Ses portraits en studio sont appliqués, minutieux, servis par des éclairages subtils, et recèlent toujours une petite part de bizarrerie. Un style Dora Maar, même dans ses publicités pour des fers à friser et des marques de shampoing, est né et s’affirme. Pour preuve Les Années vous guettent (1934), portrait du visage renversant de Nusch Eluard avec une toile d’araignée en surimpression, projet de publicité pour une crème anti-rides: une véritable vanité à vocation mercantile. En excellente portraitiste, elle documente sa fréquentation des cercles artistes de l’entre-deux guerres: Jean-Louis Barrault, Jean Cocteau, Leonor Fini, Marie-Laure de Noailles, Georges Hugnet...

Le glissement vers le surréalisme, que l’on devinait déjà, bien que de manière anachronique, se fait tout naturellement. Elle connaît et maîtrise le montage photographique, pratique le collage, la transgression des thèmes, le renversement du sérieux qu’impose la photo commerciale. Parmi ses œuvres iconiques à tendance inquiétantes: Mannequin avec une grande étoile à la place de la tête, 29 rue d’Astorg, Portrait d’Ubu, ...

Le grand public la connait pour sa relation tumultueuse et féconde avec Picasso, qu’elle rencontre en 1936. Le peintre est subjugué par son allure, son assurance, son univers et son savoir-faire. Mais Dora Maar n’est pas – pas seulement – une muse. Rare femme du cercle d’André Breton à être reconnue pour son talent, c’est aussi elle qui enseigne à Picasso la technique du cliché-verre, qu’il utilise pour quelques uns de ses nombreux portraits de l’artiste. «Dora mortelle et bonne, constante et belle» «Dora enfant poète et femme» écrit Paul Eluard.

Les hommes ne lui dictent pas non plus ses engagements politiques. Auprès du groupe Octobre des frères Prévert, puis très à gauche, comme en témoignent ses clichés de rue, pris à Barcelone, Londres et Paris, qui montrent certes, déjà, la misère et la grandeur des «petites gens», comme le feront plus tard les photographes humanistes, mais aussi, sans trucages, l’équilibre précaire et si peu rationnel du monde. Dora Maar semble toujours marcher sur un fil, entre rêve et réalité. Pour composer la plupart de ses collages, elle se sert d’ailleurs de «chutes», ou d’éléments de sa propre production: ici une paire de jambes (Sans titre, 1935), là un jeune garçon des rues de Barcelone (Le Simulateur, 1935). Un engagement politique, mais en premier lieu, et profondément artistique. Dora Maar ne cherche pas à coller à un mouvement, à s’intégrer à un courant: Dora Maar est, pense, produit, agit.

L’exposition du Centre Pompidou est la première rétrospective de son travail. Exhaustive (près de 430 œuvres et documents), studieuse (empruntés à 80 collections et collections privées), elle pèche cependant par manque de magie. Il faut chercher celle-ci dans les détails, dans les marges. Les portraits tendres de Picasso; les éclairs d’inventivité (et de modernité), et ses travaux tardifs, des natures mortes austères sous l’Occupation aux paysages du Lubéron évoquant les miniatures de Victor Hugo, puis son retour à la photographie expérimentale, dans les années 1980, alors qu’elle vit recluse et en mystique. Dora Maar est une étoile filante dans le vingtième siècle et commence seulement à briller de nouveau.


Dora Maar, au Centre Pompidou (Paris IVe) jusqu’au 29 juillet 2019. L’exposition sera accueillie en 2019-2020 par le J. Paul Getty Museum de Los Angeles et par la Tate Modern à Londres.

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