Actuel / Enfants du don de sperme: l’heure du choix
Une image tirée du livre de Serge Tisseron, «Le mystère des graines à bébé»: le célèbre spécialiste des secrets de famille l'a écrit pour encourager à la parole les parents concernés par la procréation médicalement assistée. © DR
En 2001, la Suisse abolissait l’anonymat du don. Dix-huit ans plus tard, les premiers adultes nés sous le nouveau régime peuvent connaître l’identité de leur père génétique. Vont-ils se ruer sur l'info? L’expérience à l’étranger montre que les femmes sont plus curieuses que les hommes. Et que seulement une minorité de personnes issues d’IAD cherche à connaître ses origines. Même sans anonymat, la culture du silence a la vie longue.
Le 1er janvier 2001, dans les centres de procréation médicalement assistée de Suisse, prenait effet une petite révolution culturelle: le sperme utilisé pour les inséminations artificielles avec donneur (IAD) cessait d’être anonyme. L’identité desdits donneurs a, dès lors, été consignée à l’Office fédéral de l’état civil: à disposition des enfants issus de ces dons, une fois devenus majeurs.
Dix-huit ans ont passé depuis ce changement législatif: cet automne – soit neuf mois à dater du 1er janvier 2019 – les premiers de ces enfants fêteront leur majorité. Par décision récente du Conseil Fédéral, ils vont pouvoir obtenir les informations sur leur donneur sans même se déplacer: par la poste, sur simple demande. Ils pourront également demander à le rencontrer, mais ce dernier n’est pas tenu d’accepter.
Sur le plan des mentalités, le pas franchi est considérable: il y a trente ans encore, familles et médecins adhéraient avec la meilleure conscience du monde à l’idéologie du «ni vu ni connu», tout droit issue de la tradition bourgeoise (l’enfant n’est pas tout à fait de Monsieur? On va faire comme si, d’ailleurs c’est l’amour qui compte): non seulement le sperme était anonyme, mais en plus, il était recommandé de garder le secret sur les circonstances de la conception. Aujourd’hui, connaître ses origines est reconnu comme un droit humain fondamental et de nombreux pays, notamment en Europe du Nord, ont aboli l’anonymat du don.
C’est le tour de la Suisse, où 200 à 250 personnes issues d’IAD naissent chaque année. Que vont-elles faire de leur droit à savoir? Sont-elles seulement conscientes de l’avoir? Si elles l’exercent, ce sera pour chercher quoi exactement? Et que peuvent espérer celles nées avant 2001?
Si on ne peut rien prédire, on peut chercher des réponses dans l’expérience des autres pays et auprès des professionnels concernés.
Qui cherche à savoir et pourquoi?
L’étude la plus récente sur le comportement des enfants du don est californienne. Elle fait le bilan après dix ans d’un programme «identité ouverte» à la Sperm Bank of California. (Comprenez: aux Etat-Unis, le don est, à choix, anonyme ou non. Dans un «open identity program», donneurs et futurs parents choisissent la transparence.)
Parmi les personnes interrogées qui connaissent les modalités de leur conception, 40% ont demandé des informations sur leur donneur durant ces dix ans. Les plus âgées ayant 27 ans, on peut imaginer que d’autres viendront gonfler la statistique dans les années à venir.
Les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes parmi les demandeurs. Et les enfants de femme seule deux fois plus nombreux que ceux de couples, hétéro ou homosexuel. Presque tous (94%) avaient un donneur prêt à les rencontrer et la majorité (75%) se sont dit intéressés par une rencontre. Mais, la plupart du temps (81%), sans attente particulière: on veut surtout voir à quoi il ressemble, on cherche les caractéristiques héritées pour compléter le puzzle de l’image de soi.
Même si le taux de demandes d’informations varie (de 10 à 40%) selon les études, ces résultats confirment les observations faites dans d’autres pays. Notamment sur ce point: les adultes issus d’IAD ne cherchent pas des pères de substitution, ils ne fantasment pas sur le «tout génétique». Contrairement à ce que prétendent les avocats du maintien de l’anonymat, très nombreux en France notamment.
La tentation du secret
Une donnée frappe dans l’étude californienne: même lorsqu’ils se tournent volontairement vers un programme à «identité ouverte», un certain nombre de parents – surtout (35%) parmi les couples hétérosexuels où le «ni vu ni connu» est plus vraisemblable – omettent de révéler à l’enfant les modalités de sa conception. Autrement dit: ce dernier a le droit et les moyens de savoir, mais il ignore qu’il y a quelque chose à savoir. Chez ses parents, la tentation du secret a été la plus forte. Elle explique aussi en partie l’apparent manque de curiosité des enfants issus d’IAD dans d’autres études.
Cette tentation du secret, les professionnels la connaissent bien. Laure de Jonkheere, conseillère en santé sexuelle, accompagne des couples au Centre de procréation médicalement assistée (CPMA) de Lausanne:
«La plupart des parents ont l’intention de raconter à leur enfant son histoire mais une fois qu’il est là, pris dans leur parentalité, certains n’y arrivent pas. Ils renvoient au lendemain, ne trouvant pas le bon moment pour parler. Ils craignent de compliquer la relation.»
A ces hésitations, les psychologues opposent les mêmes puissants arguments qui ont, il y a quelques années déjà, transformé les mentalités face à l’adoption: les pires complications, c’est le secret qui les engendre. Car il finit par transpirer, ou éclater dans des circonstances particulièrement mal venues. Apprendre que vous n’êtes pas l’enfant génétique de votre père au hasard d’un test biologique, par un voisin bavard ou par une mère en instance de séparation, c’est violent. Le silence sur les circonstances de la conception est assimilable à un secret de famille, c’est pourquoi son plus célèbre spécialiste français, Serge Tisseron, a signé un livre pour enfants conçus comme un support à la transparence (référence en bas de page).
Aux hésitations des parents s’ajoute la sensibilité des enfants à leurs fragilités: derrière une IAD, il y a la stérilité d’un homme. «Certains enfants n’oseront pas poser de questions par loyauté envers leur père s’ils sentent que cela le touche», ajoute Laure de Jonkheere. Parfois on leur a dit la vérité, mais un peu trop vite et sans vraiment laisser la porte ouverte aux questions…
Sortir de la culture du «ni vu ni connu» ne se fera pas du jour au lendemain et la PMA n’a pas fini de mesurer les enjeux psychosociaux de ses pratiques. C’est sur cette dimension que travaille Fertiforum. La commission mise en place par la Société suisse de médecine de la reproduction applaudit bien sûr la levée de l’anonymat, mais s’inquiète de la procédure simplifiée: recevoir les informations sur son donneur tout seul à la maison, ça peut être très déstabilisant selon les circonstances. «Imaginez le cas où la personne veut rencontrer son donneur, qui refuse, dit Laure de Jonkheere, également membre de la commission. C’est rare selon ce que démontrent certaines études, mais cela arrive et c’est une situation psychologiquement délicate.» Y compris pour le donneur. Aux protagonistes de ces romans familiaux post-modernes, Fertiforum propose informations et accompagnement.
Et les enfants d’IAD nés avant 2001?
Il est donc établi que l’anonymat du don viole les droits fondamentaux de la personne. C’est pourquoi la nouvelle loi sur la procréation médicalement assistée contient un ingrédient rare, l’effet rétroactif. Autrement dit: les personnes nées avant 2001 disposent, elles aussi, d’une base légale pour demander les informations sur leur donneur. Mais gare à trop d’enthousiasme: leurs chances de les obtenir sont fragiles…
La loi renvoie en effet ces personnes au «médecin qui a appliqué une méthode de procréation médicalement assistée.» Lequel se retrouve piégé dans une situation hautement inconfortable: il a promis l’anonymat au donneur, mais en tenant sa promesse, il viole un droit humain fondamental.
Mais d’abord: les centres de PMA ont-ils seulement conservé ces données? La réponse varie. Au CHUV – le seul centre romand concerné par ces IAD «historiques» –, il y a eu un avant et un après 1992. «Jusqu’à cette date, explique Jeanne-Pascale Simon, cheffe adjointe de l’unité des affaires juridiques, la pratique était, pour garantir l’anonymat, de détruire les données personnelles et de ne garder que les informations médicales.» Aucun espoir donc pour les personnes nées avant 1992.
Puis, le vent a commencé à tourner: «Cette levée de l’anonymat, on l’a vue venir…» Le CHUV a donc commencé à demander aux donneurs si, au cas où, il pouvaient envisager de renoncer à l’anonymat. «Nous avons toujours imaginé qu’ils conserveraient le choix.» Là, il va falloir leur annoncer que, si demande il y a, l’information sera donnée, qu’ils le veuillent ou non.
«C’est une situation très délicate. Nous allons appliquer la loi de la manière la plus éthique possible, en assurant un soutien aux uns comme aux autres», conclut Jeanne-Pascale Simon.
La juriste est également soucieuse de ne pas susciter de «faux espoirs» chez les adultes en quête de leur père biologique: «Retrouver des gens qui étaient étudiants ou apprentis à l’époque ne sera pas facile. Or, nous ne donnerons pas de nom avant de nous être assurés qu’il s’agit bien de la bonne personne et pas d’un homonyme.»
Suspense en perspective sur fond de quête d’identité. Avec, on l’espère, un happy end au bout de l’aventure.
Serge Tisseron, Aurélie Gillerey, Le mystère des graines à bébé, 2014, Edition Poche, 44 p.
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Laure de Jonkheere, conseillère en santé sexuelle, accompagne des couples au Centre de procréation médicalement assistée (CPMA) de Lausanne: <em><br></em></p><blockquote><p><em><strong>«La plupart des parents ont l’intention de raconter à leur enfant son histoire mais une fois qu’il est là, pris dans leur parentalité, certains n’y arrivent pas. Ils renvoient au lendemain, ne trouvant pas le bon moment pour parler. Ils craignent de compliquer la relation.» </strong></em></p></blockquote><p>A ces hésitations, les psychologues opposent les mêmes puissants arguments qui ont, il y a quelques années déjà, transformé les mentalités face à l’adoption: les pires complications, c’est le secret qui les engendre. Car il finit par transpirer, ou éclater dans des circonstances particulièrement mal venues. Apprendre que vous n’êtes pas l’enfant génétique de votre père au hasard d’un test biologique, par un voisin bavard ou par une mère en instance de séparation, c’est violent. 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La commission mise en place par la Société suisse de médecine de la reproduction applaudit bien sûr la levée de l’anonymat, mais s’inquiète de la procédure simplifiée: recevoir les informations sur son donneur tout seul à la maison, ça peut être très déstabilisant selon les circonstances. «Imaginez le cas où la personne veut rencontrer son donneur, qui refuse, dit Laure de Jonkheere, également membre de la commission. C’est rare selon ce que démontrent certaines études, mais cela arrive et c’est une situation psychologiquement délicate.» Y compris pour le donneur. 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Contrairement à ce que prétendent les avocats du maintien de l’anonymat, très nombreux en France notamment. </p><h3>La tentation du secret </h3><p>Une donnée frappe dans l’étude californienne: même lorsqu’ils se tournent volontairement vers un programme à «identité ouverte», un certain nombre de parents – surtout (35%) parmi les couples hétérosexuels où le «ni vu ni connu» est plus vraisemblable – omettent de révéler à l’enfant les modalités de sa conception. Autrement dit: ce dernier a le droit et les moyens de savoir, mais il ignore qu’il y a quelque chose à savoir. Chez ses parents, la tentation du secret a été la plus forte. Elle explique aussi en partie l’apparent manque de curiosité des enfants issus d’IAD dans d’autres études. </p><p>Cette tentation du secret, les professionnels la connaissent bien. Laure de Jonkheere, conseillère en santé sexuelle, accompagne des couples au Centre de procréation médicalement assistée (CPMA) de Lausanne: <em><br></em></p><blockquote><p><em><strong>«La plupart des parents ont l’intention de raconter à leur enfant son histoire mais une fois qu’il est là, pris dans leur parentalité, certains n’y arrivent pas. Ils renvoient au lendemain, ne trouvant pas le bon moment pour parler. Ils craignent de compliquer la relation.» </strong></em></p></blockquote><p>A ces hésitations, les psychologues opposent les mêmes puissants arguments qui ont, il y a quelques années déjà, transformé les mentalités face à l’adoption: les pires complications, c’est le secret qui les engendre. Car il finit par transpirer, ou éclater dans des circonstances particulièrement mal venues. Apprendre que vous n’êtes pas l’enfant génétique de votre père au hasard d’un test biologique, par un voisin bavard ou par une mère en instance de séparation, c’est violent. Le silence sur les circonstances de la conception est assimilable à un secret de famille, c’est pourquoi son plus célèbre spécialiste français, Serge Tisseron, a signé un livre pour enfants conçus comme un support à la transparence (référence en bas de page). </p><p>Aux hésitations des parents s’ajoute la sensibilité des enfants à leurs fragilités: derrière une IAD, il y a la stérilité d’un homme. «Certains enfants n’oseront pas poser de questions par loyauté envers leur père s’ils sentent que cela le touche», ajoute Laure de Jonkheere. Parfois on leur a dit la vérité, mais un peu trop vite et sans vraiment laisser la porte ouverte aux questions…</p><p>Sortir de la culture du «ni vu ni connu» ne se fera pas du jour au lendemain et la PMA n’a pas fini de mesurer les enjeux psychosociaux de ses pratiques. C’est sur cette dimension que travaille Fertiforum. La commission mise en place par la Société suisse de médecine de la reproduction applaudit bien sûr la levée de l’anonymat, mais s’inquiète de la procédure simplifiée: recevoir les informations sur son donneur tout seul à la maison, ça peut être très déstabilisant selon les circonstances. «Imaginez le cas où la personne veut rencontrer son donneur, qui refuse, dit Laure de Jonkheere, également membre de la commission. C’est rare selon ce que démontrent certaines études, mais cela arrive et c’est une situation psychologiquement délicate.» Y compris pour le donneur. Aux protagonistes de ces romans familiaux post-modernes, <a href="http://www.sgrm.org/wb/pages/de/fertiforum-kommission/flyer-info.php?lang=DE" style="font-size: 1.6rem;">Fertiforum</a> propose informations et accompagnement. <br></p><p><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w500/1551803709_img_4929.jpg" alt=""><br></p><h3>Et les enfants d’IAD nés avant 2001? </h3><p>Il est donc établi que l’anonymat du don viole les droits fondamentaux de la personne. C’est pourquoi la nouvelle loi sur la procréation médicalement assistée contient un ingrédient rare, l’effet rétroactif. Autrement dit: les personnes nées avant 2001 disposent, elles aussi, d’une base légale pour demander les informations sur leur donneur. Mais gare à trop d’enthousiasme: leurs chances de les obtenir sont fragiles… </p><p>La loi renvoie en effet ces personnes au «médecin qui a appliqué une méthode de procréation médicalement assistée.» Lequel se retrouve piégé dans une situation hautement inconfortable: il a promis l’anonymat au donneur, mais en tenant sa promesse, il viole un droit humain fondamental. </p><p>Mais d’abord: les centres de PMA ont-ils seulement conservé ces données? La réponse varie. Au CHUV – le seul centre romand concerné par ces IAD «historiques» –, il y a eu un avant et un après 1992. «Jusqu’à cette date, explique Jeanne-Pascale Simon, cheffe adjointe de l’unité des affaires juridiques, la pratique était, pour garantir l’anonymat, de détruire les données personnelles et de ne garder que les informations médicales.» Aucun espoir donc pour les personnes nées avant 1992. </p><p>Puis, le vent a commencé à tourner: «Cette levée de l’anonymat, on l’a vue venir…» Le CHUV a donc commencé à demander aux donneurs si, au cas où, il pouvaient envisager de renoncer à l’anonymat. «Nous avons toujours imaginé qu’ils conserveraient le choix.» Là, il va falloir leur annoncer que, si demande il y a, l’information sera donnée, qu’ils le veuillent ou non. <em><strong><br></strong></em></p><blockquote><p><em><strong>«C’est une situation très délicate. 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Nous vivons «une nouvelle forme de féminicide social».</p> <h3>Effacement du féminin</h3> <p>Le moment historique est délicat. Aux Etats-Unis, en Europe, le droit à l’avortement recule au lieu de continuer sa progression. Les partis d’extrême droite, au premier rang desquels l’UDC helvétique, s’érigent bruyamment en sauveurs du peuple contre la «folie woke» et promettent un retour à l’ordre familial hétérosexuel. Vu de loin, le fameux «<em>backlash</em>» ressemble bel et bien à un retour de bâton du camp réactionnaire contre le camp progressiste.</p> <p>La réalité est bien plus complexe. Le camp progressiste est divisé. Un anti-wokisme de gauche émerge et s’affirme. Comme celui de la sociologue française Nathalie Heinich: dans un livre fraîchement publié, elle s’inquiète de voir les justes causes défendues avec des moyens qui virent au totalitarisme, et qui finissent par se retourner contre elles. De la même manière, une minorité de féministes, de plus en plus décidées à se faire entendre, tire la sonnette d’alarme dans son propre camp. Oui, le statut des femmes régresse, disent-elles. Mais ses ennemis les plus dangereux ne sont pas ceux qui défendent ouvertement les valeurs du patriarcat. Ce sont ceux qui, sous la bannière arc-en-ciel du respect de l’individu, promeuvent un effacement du féminin en tant que tel. </p> <p>Au cœur du débat: la notion de «genre» qui se substitue à celle de «sexe» et selon laquelle on est homme ou femme dans sa tête, indépendamment de sa biologie. En clair: une femme, pourvu qu’elle se ressente comme telle, peut être une personne dotée d’un pénis et un homme peut avoir un utérus lui permettant d’enfanter. Cette conception gagne du terrain à grande vitesse, elle est déjà entrée dans la loi de nombreux pays, dont la Suisse: depuis l’an dernier, le Code civil helvétique permet en effet à toute personne dès 16 ans de changer de sexe sur simple déclaration. En France, le Planning familial, promoteur enthousiaste de la notion de genre, a banni le mot «femme» de ses communications: «Par respect pour les personnes trans» – entendez, ici, pour les femmes dotées d’un pénis – «femme» a été remplacé par «personne à vulve» ou «personne menstruée».</p> <p>Ces évolutions sont nées d’un souci louable: épargner aux personnes trans d’humiliantes démarches pour prouver le bien-fondé de leur demande de reconnaissance. Contrairement à l’extrême droite, les féministes dissidentes considèrent cette reconnaissance comme parfaitement légitime. Mais elles disent: les droits des trans sont en train de progresser au détriment des droits des femmes. Comme ça, nous ne sommes pas d’accord.</p> <p>Car il y a bel et bien une réalité du corps et le corps des femmes est le fondement même de leur oppression historique: «<em>Si ce corps est effacé</em>, précise Marie-Jo Bonnet, <em>si on nie qu’une femme soit une personne née biologiquement femme, avec des seins, des ovaires, un utérus et des menstrues, on supprime toute raison de se solidariser entre femmes pour combattre le patriarcat</em>.» On permet aussi, par exemple, à des personnes dotées d’organes sexuels masculins d’accéder aux vestiaires ou aux prisons pour femmes. On favorise surtout une autre dérive, moins médiatisée mais de plus en plus documentée: la pression exercée sur les lesbiennes par des femmes trans non opérées pour les pousser à accepter un rapport sexuel avec pénétration. Dans <a href="https://www.bbc.com/news/uk-england-57853385" target="_blank" rel="noopener">une enquête très fouillée</a> sur le sujet réalisée en 2021, la BBC décrit une scène de drague faite d’intimidations, de manipulations et de chantage à l’accusation d’homophobie. On pense irrésistiblement au débat sur le consentement et le viol.</p> <p>En somme: en oblitérant la réalité du corps, on permet au masculin, sorti par la porte, de revenir par la fenêtre. Il est là, le vrai <em>backlash</em>, plaide encore Marie-Jo Bonnet. Car il n’y a pas de symétrie dans le rapport de force qui se joue: une personne née femme qui s’inscrit, après sa transition, à une compétition de natation pour hommes ou dans un sauna gay ne sera pas perçue comme une menace. Sans surprise, de tels cas de figure sont d’ailleurs absents du débat. Ce sont bel et bien les femmes qui, sous couvert de progressisme, font les frais de la déconstruction des genres.</p> <h3>«2023, année de la TERF»</h3> <p>Mari-Jo Bonnet n’a plus 20 ans. Ni Margrith Von Felten, 78 ans, pionnière du féminisme à Bâle, qui a récemment repris du service pour combattre une nouvelle loi sur l’égalité prévoyant de supprimer les catégories «homme» et «femme». C’est la fin de la lutte pour l’égalité, dit l’ancienne conseillère nationale, puisque «juridiquement, on ne peut pas combattre ce qui n’est pas nommé, à savoir l’inégalité hommes/femmes.»</p> <p>Faut-il en conclure à un conflit de générations entre jeunes et vieilles féministes? Le courant majoritaire aime à le faire croire, tout comme il renvoie constamment les critiques du genre au camp de l’extrême droite. En réalité, il n’en est rien. Les féministes dissidentes, qui se reconnaissent volontiers dans le courant dit radical (RadFem), sont souvent jeunes. C’est le cas notamment de celles qui s’expriment dans le podcast français «Rebelles du genre» (disponible sur la plupart des plateformes audio et sur YouTube): elles ont entre 20 et 30 ans, et elles racontent comment elles sont devenues «critiques du genre», souvent après avoir vécu de l’intérieur le militantisme LGBT, parfois après un début de transition.</p> <p>Un choses frappe dans leurs récits, c’est la violence dont ils font état au sein des certains milieux militants: dans les manifestations, sur les réseaux, intimidations, affrontements et insultes sont monnaie courante. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MUkSzq7tYlg&t=26s" target="_blank" rel="noopener">L’épisode 8</a> du podcast donne la parole à une des plus célèbres RadFem françaises, Dora Moutot, 34 ans.</p> <p>Fondatrice en 2018 du compte Instagram <i>t’asjoui?</i> dédié à la jouissance féminine, elle est passée du statut d’influenceuse adulée à objet d’une violente campagne de harcèlement, pour n’avoir pas dévié de sa définition de la femme comme «un être humain femelle adulte». 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En avril naissait une alliance d’organisations à dominante hispanophone, l’Internationale des femmes féministes, qui affiche son opposition à la prostitution, à la gestation pour autrui ainsi qu’à la «croyance en l’identité de genre»: «<em>Redéfinir le sens donné au mot  "femme" est le nouveau visage de la misogynie</em>», affirme <a href="https://internacionalfeminista.info/fr/le-feminisme-n-est-pas-un-populisme-francais/" target="_blank" rel="noopener">son manifeste</a>.</p> <p>Dans l’actualité printanière, il y a aussi l’anglophone <a href="https://www.standingforwomen.com" target="_blank" rel="noopener">Standing for women</a>, qui promeut «les droits des femmes basés sur le sexe». Elle organise des événements «de libre parole» dans des parcs et lieux publics sous la bannière «Let women speak». Après diverses villes en Australie et au Royaume Uni, elle sera en juin à Vienne (le 10) et Genève (le 11).</p> <p>Standing for women a proclamé 2023 «année de la TERF». Manière crâne d’opérer un retournement de stigmate. TERF est en effet un acronyme anglais hautement infamant, surgi il y a quelques années au sein de la communauté LGBTQIA+ pour étiqueter les féministes radicales (Radical Feminists) comme trans-exclusives (Trans Exclusionary). A noter que comme on l’a vu, il est très facile d’être une TERF: il suffit de penser qu’une femme est une personne adulte dotée d’un utérus. </p> <p>La plus célèbre des TERFS est la britannique J.K.Rowling; une femme de gauche, insoupçonnable d’intolérance, que le succès n’a jamais distrait de son engagement sans faille aux côtés des femmes précarisées et victimes de violence. L’auteure de Harry Potter subit, elle aussi, depuis 2019, une brutale campagne de dénigrement. 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Récemment, une association canadienne de personnes concernées par la dysphorie de genre – «Gender Dysphoria Alliance Canada» – est tout de même sortie du bois avec <a href="https://web.archive.org/web/20210724122022/https:/www.gdalliancecanada.com/post/trans-men-fight-back" target="_blank" rel="noopener">un manifeste</a> intitulé «Les hommes trans contre-attaquent» («<em>Trans Men Fight Back</em>».) Et qui affirme: une petite minorité de personnes ont pris le contrôle du «narratif trans». Elles ne sont pas représentatives.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1684754419_9782415005665.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="303" /></p> <h4>«Quand les filles deviennent des garçons», Marie-Jo Bonnet et Nicole Athea, Editions Odile Jacob, 224 pages.</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1684754549_9782226485793j.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="307" /></p> <h4>«Le wokisme serait-il un totalitarisme?», Nathalie Heinich, Editions Albin Michel, 198 pages.</h4>', 'content_edition' => '«Quand j’étais enfant, je rêvais moi aussi de changer de sexe», raconte Marie-Jo Bonnet, co-fondatrice des Gouines rouges dans les années 1970. 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Tandis que des spectateurs agacés levaient les yeux au ciel en lâchant des remarques peu amènes, CIB est restée à l’écoute, bienveillante, concentrée, sans donner le moindre signe d’impatience. A l’issue de la soirée, on avait l’impression d’avoir compris quelque chose d’important sur la célèbre chroniqueuse, actrice et dramaturge genevoise: elle a beau dire un tas de gros mots, elle est parfaitement dénuée de méchanceté ou de désir de nuire. Face aux accusations de racisme et de transphobie dont elle a fait l’objet l’an dernier (en cause, deux chroniques vidéo publiées sur le site du <i>Temps</i>), il y avait de quoi réagir comme elle l’a fait: par une stupéfaction totale, qui n’est toujours pas retombée.</p> <p><i>Poussières du Sahara</i> réunit des chroniques déjà publiées dans <i>Heidi.news</i> et d’autres, inédites. Les textes ne sont pas datés mais une bonne partie relatent la vie en temps de pandémie. Encore le Covid? D’abord on a un mouvement de recul. Puis on constate que, en véritable auteure, CIB transcende son sujet: ce dont elle nous parle, c’est de la pandémie comme métaphore. De ce moment civilisationnel où nous aurons assisté au rétrécissement de nos vies. Où, en sursautant devant un baiser de cinéma, nous aurons mesuré le basculement de notre rapport à la réalité. Où l’angoisse de la contagion et l’impérialisme algorithmique auront fusionné pour alimenter notre paranoïa, notre méfiance de l’autre et notre tentation d’abdiquer face à l’horizon d’une société de surveillance. C’est drôle, c’est grinçant, c’est restitué avec une précision microscopique. Même si la chroniqueuse-entomologiste donne souvent l’impression d’avoir fumé la moquette avant de se mettre au clavier...</p> <p>J’écris pour consoler les gens, dit CIB. Son truc d’écrivaine, c’est de se mettre du côté des fragilisés en en faisant des tonnes. Quand, assaillie par l’angoisse de la contagion, elle part dans un délire paranoïaque d’«hydro-alcoolique anonyme» et se met à siffler sa bouteille de désinfectant, elle nous fait mourir de rire. Mais elle traduit aussi parfaitement cette atmosphère d’épaisse anxiété, sans cesse alimentée par de nouveaux sujets de panique, qui met nos psychismes à rude épreuve. Quand elle se complait dans l’évocation de son double menton, de ses acouphènes et de sa condition de femme «vieille, moche, amère et seule» qui n’arrive même plus à ouvrir sa bouteille de San Pellegrino, on se dit qu’elle en rajoute beaucoup. Mais c’est par empathie pour les plus largués, les plus impuissants, ceux vers qui son attention semble naturellement tournée.</p> <p>Il y a aussi de la colère dans <i>Poussières du Sahara</i>, une colère tantôt sombre, tantôt jubilatoire. L’auteure nous fait bien rigoler en gambergeant sur un futur dystopique où la police des déchets sèmera la terreur et où le citoyen fautif, détecté grâce à son ADN, sera condamné à bouffer ses ordures en place publique. Mais c’est pour mieux dire son indignation face à l’incohérence d’une attitude qu’elle observe jusque chez le plus zélé des écoresponsables: d’un côté, il l’«emmerde pour trois épluchures de carottes», de l’autre il participe sans broncher à l’escalade techno-consommatoire en courant s’acheter le dernier modèle de smartphone. Celui même qui écoutera ses conversations téléphoniques pour ensuite lui enfiler des pubs sur mesure. CIB nous raconte ça à propos de son fils cadet. Mais en le désignant, elle dit son désarroi face à toute une génération, qui semble délibérément aspirer à un racornissement de son libre arbitre. Ça, elle n’en revient pas. «Je suis dépassée», dit-elle.</p> <p>Mais c’est contre les médias que sa colère est la plus vive. On va dire: normal, elle est amère, son divorce avec <i>Le Temps</i> a été douloureux. N’empêche: nous avons tous vécu ce moment de perplexité en constatant que, du jour au lendemain, la catastrophe sanitaire, après avoir éclipsé un temps la catastrophe climatique, avait disparu de nos radars pour faire place à la catastrophe humanitaire de la guerre en Ukraine. Et que dans tout ça, plus personne ne parlait des migrants en Méditerranée, qui continuent pourtant allègrement à se noyer dans l’indifférence générale.</p> <p>Il y a quelque chose de pourri dans cette «surenchère de mots terribles» dit CIB, dans ce régime médiatique qui semble fonctionner par rouleaux compresseurs successifs. Quelque chose qui alimente notre désarroi, notre culpabilité et notre sentiment d’impuissance. Comment faire autrement? La question n’est pas simple. Claude-Inga Barbey n’a pas la réponse. Elle en appelle seulement à la désobéissance avec un humour féroce, une imagination sans entraves et un talent littéraire considérable.</p> <p>Ils ne sont pas légion les auteurs capables de consacrer cinq pages au non-événement absolu qu’est l’attente d’un train sur un quai de gare. Il est vrai que cette chronique-là s’achève sur un coup de théâtre mélodramatique: l’homicide involontaire d’un pigeon en situation de handicap. L’auteure, effondrée, avoue avoir jeté sur les rails un mégot que le volatile a pris pour un morceau de pain. «<i>Fumer tue</i>. C’est donc vrai. (…) Le danger n’est pas toujours là où on l’attend.»</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1663786330_couvpoussiresdusaharahd1re1scaled523x99999.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="233" height="394" /></h4> <h4>«Poussières du Sahara», Claude-Inga Barbey, Editions Favre, 189 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'claude-inga-barbey-la-pandemie-comme-metaphore', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 658, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 13, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 3605, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'La fluidité de genre, concept néo-libéral', 'subtitle' => 'Eric Marty, auteur de «Le sexe des modernes», s’est fait brutalement censurer par des activistes trans à l’Uni Bastions à Genève à la mi-mai. 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C’était la deuxième fois en trois semaines que l’Université de Genève vivait un tel épisode de censure, après le coup de force qui a silencié, fin avril, Caroline Eliacheff et Céline Masson, auteures de <em>La fabrique de l’enfant trans genre</em> (<a href="https://bonpourlatete.com/actuel/un-vendredi-soir-a-geneve-et-ceci-pourrait-ne-pas-etre-un-article" target="_blank" rel="noopener">BPLT du 6 mai</a>).</p> <p>Le livre d’Eric Marty est une somme de plus de 500 pages, qui retrace l’histoire de la notion de genre, ce «dernier grand message idéologique de l’Occident au reste du monde.» Ceux qui voudraient se faire une idée de son contenu sans nécessairement investir le temps d’une lecture complète peuvent utilement écouter l’interview accordée par l’auteur à l’émission <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/signes-des-temps/gender-studies-la-premiere-grande-enquete-philosophique-sur-l-origine-des-etudes-de-genre-et-leurs-consequences-aujourd-hui-7520974" target="_blank" rel="noopener"><i>Signes des temps</i></a> sur France Culture lors de la sortie du livre.</p> <p>Voici ce que j’ai retiré de l’écoute de cette interview:</p> <p><strong>1.</strong> La papesse de la notion de genre est l’Américaine Judith Butler. C’est elle qui, dans la deuxième moitié du XXème siècle, a imposé l’idée que le sexe auquel nous croyons appartenir naturellement est en fait socialement et culturellement construit. Et qui lui substitue la notion de genre, affranchi de la biologie. Mais si Judith Butler est l’auteure de référence des «gender studies», il est communément admis qu’elle s’est inspirée des penseurs de la «French theory», et notamment de Michel Foucault et Jacques Derrida. L’origine de la notion de genre serait en fait européenne. <span>Eric Marty n’en est pas convaincu. Après avoir vaillamment re-parcouru les cathédrales d’opacité que sont les ouvrages de ces différents auteurs, il observe que la pensée butlérienne dérive très loin de celle de ses supposés inspirateurs. Et que, pour faire court, la fluidité de genre est au bout du compte un truc très américain: «Une idéologie du self-making», de la construction de soi à la carte en quelque sorte, «en parfaite harmonie avec le système néo-libéral.» </span><span></span><span></span></p> <p><strong>2.</strong> Marty s’interroge sur le phénomène de la transition. Il est porteur, relève-t-il, d’une contradiction fondamentale: s’il faut passer par la prise d’hormones et la chirurgie pour devenir ce que l’on est vraiment, c’est donc qu’il y a un «vrai sexe», une réalité physiologique de l’identité sexuée. Ce qui contredit la notion de genre comme pure construction sociale et culturelle. «La transition surconstruit le genre», dit-il, elle réintroduit la binarité tout en la condamnant. Bien sûr, toutes les démarches trans ne s’inscrivent pas dans la binarité et bien des gens choisissent aujourd’hui de ne pas se faire opérer. Sur ce point, Eric Marty en dit plus dans <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/07/16/la-notion-de-genre-est-amenee-a-se-substituer-a-celle-de-sexe_6088394_3451060.html" target="_blank" rel="noopener">une interview accordée au <em>Monde</em></a> en juillet dernier. Le phénomène des personnes qui veulent «déserter leur genre», très nombreuses aujourd’hui chez les jeunes, prend deux formes, admet-il. La première est «une demande de norme et même une réhabilitation du genre comme essence ("Je suis une fille dans un corps de garçon")». La seconde est plus complexe et s’incarne par exemple dans le «trans entre-deux non-opéré». 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Imaginait-il, en publiant son livre, qu’il serait un jour bousculé, aspergé d’eau et empêché de parler, à l’Uni Bastions à Genève, capitale de la paix? <span>En tous cas, il conclut son interview à France Culture en disant sa préoccupation: encore une fois, les premières victimes de ces dérives sont les femmes. La «gynophobie», vous connaissez? C’est «la haine de la femme née femme». </span></p> <p>Bon, ce sera pour une autre fois. 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Un phénomène mondial, qui menace également la Suisse, affirme-t-il.</p> <p>François Brutsch n’est pas exactement un conservateur crispé dans la défense de la famille traditionnelle. C’est un pionnier du combat pour les droits des homosexuels, co-fondateur de Pink Cross, l’association nationale des gays en Suisse. Il a donc dû braver les soupçons de traîtrise à la cause LGBT pour annoncer fin août, dans l’article sus-mentionné, qu’il avait signé «<a href="https://www.amqg.ch/l-appel" target="_blank" rel="noopener">L’appel au respect du principe de précaution</a>» lancé par l’AMQG, (Association pour une approche mesurée des questionnements de genre chez les jeunes), récemment créée à Genève par des parents concernés. Leur thèse: la médicalisation précoce des troubles de l’identité de genre fait aujourd’hui scientifiquement débat, il semble que ses effets délétères aient été sous-estimés. <a href="https://www.rts.ch/info/monde/12295658-la-suede-freine-sur-la-question-du-changement-de-sexe-des-mineurs.html" target="_blank" rel="noopener">Des pays pionniers comme la Suède</a> remettent leurs pratiques en question, écoutons ce signal d’alarme! Parmi les quelque 250 signataires de la pétition, on trouve deux autre militants gays historiques − Jean-Pierre Sigrist et Pierre Biner.</p> <p>Plus largement, dans son article, François Brutsch éclaire l’enjeu idéologique sous-jacent à ce débat: le succès fulgurant d’une «idéologie trans» qui considère le genre comme une pure affaire de perception individuelle et va jusqu’à nier la réalité objective du sexe biologique. «Pour moi, il s’agit d’un dévoiement des études genre, précise l’auteur dans un échange par Skype depuis Londres où il vit depuis 20 ans. Je suis sidéré de voir la vitesse à laquelle cette vision s’est répandue, y compris dans les milieux institutionnels.» Dans plusieurs pays, la notion d’autodéclaration sexuelle est déjà entrée dans la loi.</p> <p>Ce qu’il faut savoir, c’est que l’idéologie de genre suscite aussi des divisions dans ces mêmes milieux progressistes qui l’ont vue naître: «Chez les féministes comme chez les gays, des gens se battent pour défendre l’idée que le sexe est une donnée biologique objective», précise le Genevois. Ainsi, François Brutsch a rejoint la dissidence gay de la LGB Alliance, née en Grande Bretagne et présente dans divers pays, du Brésil à l’Australie («A quand la Suisse?»). Côté féministe aussi, la dissidence est d’abord anglophone. Mais la <a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=KtYUy-3ahIw&list=PLWdSdWv0R1DtnBbAlbmAmY_IgB_uxe9SJ" target="_blank" rel="noopener">Déclaration pour les droits des femmes fondés sur le sexe</a> (acronyme anglophone: WHRC) dispose depuis avril 2021 d’une plateforme en français.</p> <p>Tous ces mouvements sont à mille lieues de la transphobie ordinaire: ils reconnaissent pleinement la souffrance vécue par les personnes trans et applaudissent les progrès survenus dans la reconnaissance de leur droits. Ils n’en dénoncent pas moins une médicalisation outrancière et prématurée qui menace la santé des enfants. Et sous laquelle, paradoxalement, ils lisent une forme d’homophobie qui ne dit pas son nom…</p> <h3><strong>Retour de balancier</strong></h3> <p>Mais n’allons pas trop vite. Pour comprendre l’inquiétude qui s’exprime aujourd’hui concernant la santé des adolescents, il faut revenir en arrière de quelques décennies. Les personnes trans ont derrière elles une longue histoire de souffrances, d’ostracisation et d’humiliations qui n’a trouvé une reconnaissance qu’avec le 20<sup>e </sup>siècle déclinant. S’est alors développée une prise en charge médicale dédiée, toute entière concentrée sur l’allègement de ces souffrances. Ainsi, selon les recommandations de l’Association mondiale des professionnels de la santé transgenre (WPATH), il ne s’agit plus de mettre longuement à l’épreuve les personnes qui veulent entreprendre une transition, mais d’«accompagner» leur demande sans la juger, avec effet immédiat si nécessaire. D’autre part, alors que par le passé on ne traitait que des adultes, il est aujourd’hui communément admis que plus la médication commence tôt, meilleurs sont les résultats. C’est ainsi qu’en Suisse, des mineurs se voient prescrire des bloqueurs de puberté, avant une prise d’hormones de l’autre sexe − affectant la voix, la masse musculaire, la pilosité − qui peut commencer à 14 ans ou même avant. Aucune limite d’âge inférieure n’est légalement prévue, pour la chirurgie non plus, pourvu que l’enfant ait sa «capacité de discernement». De même, l’accord des parents n'est pas exigé par la loi, même s'il est recherché par les professionnels consciencieux.</p> <p>C’est dans ce contexte que l’on assiste, depuis une dizaine d’années, à deux phénomènes impressionnants: le premier, c’est l’explosion du nombre d’adolescentes qui veulent devenir des garçons. L’augmentation des personnes en questionnement de genre − plus 1500% en dix ans en Suède − est générale, mais la flambée particulièrement massive chez les filles de 13-17 ans. Alors que jusqu’ici, les trans étaient en majorité des hommes (adultes) devenus femmes, la nouvelle population des personnes en transition est composée à 70% de filles.</p> <p>Le second phénomène est celui des détransitionneurs, majoritairement des détransitionneuses. A savoir des personnes qui, à un moment plus ou moins précoce de leur chemin entre un sexe et l’autre, regrettent leur décision et souhaitent revenir en arrière*. La plus célèbre est <a href="https://bonpourlatete.com/ailleurs/la-sage-de-keira-bell-repentie-du-changement-de-sexe-secoue-la-grande-gretagne" target="_blank" rel="noopener">Keira Bell, </a>cette jeune Britannique qui s’est retournée contre la clinique qui lui a − beaucoup trop facilement, juge-t-elle aujourd’hui − administré des hormones à 16 ans. Jusqu’ici, les détransitionneuses étaient toutes anglophones. Depuis peu, elles font aussi entendre leur voix en français, grâce notamment à l’association belge <a href="https://post-trans.com" target="_blank" rel="noopener">Post Trans.</a></p> <p>Mises ensemble, ces données alimentent une hypothèse aussi inquiétante que plausible: tout à son zèle de se racheter du martyre infligé historiquement aux personnes transgenre, la médecine, la société en général, feraient preuve d’une fatale imprudence vis-à-vis d’une frange de jeunes en augmentation, victimes collatérales de la nouvelle posture thérapeutique dite trans-affirmative: des ados en plein bouleversement identitaire, qui se sentent mal dans leur corps, luttent contre les pensées suicidaires et se persuadent, portées par la vague trans-euphorique qui a gagné les réseaux sociaux, que tout ira mieux si elles changent de sexe. Mais qui se trompent.</p> <h3><strong>A l’écoute des détransitionneuses</strong></h3> <h4><iframe frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/E1HMEpTM_x0" title="YouTube video player" width="560"></iframe><br />Le témoignage d'Elie, à 39:38.</h4> <p>Il vaut la peine d’écouter les détransitionneuses, elles nous aident à comprendre beaucoup de choses sur ce sujet délicat et complexe. Elie, la cofondatrice belge de Post Trans, livrait récemment un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=E1HMEpTM_x0&t=3109s" target="_blank" rel="noopener">témoignage</a> (à la 39<sup>e </sup>minute de la vidéo) impressionnant de lucidité dans le premier webinaire français sur la question. Sa souffrance d’adolescente trop grande et pas assez féminine était profonde, raconte-t-elle, tout comme sa conviction que l’approche médicale était l’unique réponse à y apporter. Lorsqu’elle s’est heurtée à un psychiatre qui a refusé d’entrer en matière, elle a simplement trouvé, via une association trans, un médecin qui lui a prescrit des hormones sans discuter. Le travail des professionnels de la santé face à ces jeunes en crise n’est pas simple, admet Elie. L’enjeu, c’est de «sortir de l’idée que la transition est la solution unique à la dysphorie de genre.» C’est bien de dysphorie dont elle souffrait, mais la réponse n’était pas dans les hormones et la mastectomie. C’était de s’autoriser à vivre comme une femme masculine, conclut-elle de sa voix posée, qui restera celle d’un garçon.</p> <p>Via le site Post Trans créé avec sa compagne Nele, Elie diffuse une <a href="https://files.cargocollective.com/c523136/01_Post-Trans_Booklet_FR.pdf" target="_blank" rel="noopener">brochure</a> d’information très bien faite, également disponible en français, où d’autres détransitionneuses se racontent. Elles reprochent au corps médical de ne pas s’être suffisamment intéressé aux causes de leur mal-être. «J’aurais aimé qu’on me pose des questions sur mes traumatismes», «J’aurais aimé que quelqu’un travaille sérieusement avec moi sur les raisons pour lesquelles je me sentais seule et isolée», «J’aurais désespérément souhaité que mes problèmes de traumatisme et de santé mentale soient examinés»…</p> <p>Un autre leitmotif traverse ces témoignages, tous anonymes et pour cause: la crainte de dévoiler son identité par peur des réactions de la communauté trans. Le sentiment, au moment où les doutes surgissent, de trahir le groupe qui avait offert refuge, écoute et réconfort. «Lorsque j’ai détransitionné, j’ai eu l’impression de perdre ma religion», dit l’une d’elles. «Les gens me disent constamment que je suis transphobe», déplore une autre. «Dans la sphère LBGT, le sujet "détransition" est tabou», confirme Elie.</p> <p>Dans le documentaire qui, en Suède, a alerté l’opinion et incité les professionnels à plus de prudence (l’hôpital Karolinska a notamment cessé de prescrire des bloqueurs de puberté avant 16 ans), d’autres détransitionneurs racontent la honte et le déni («On ne veut pas en parler», «On prend sur nous», «On désire tellement que tout soit facile et que tout le monde soit heureux après»). Le film s’intitule <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3lMa8ph_Xrs" target="_blank" rel="noopener"><em>Transtrain, </em></a>le train de la transition, pour traduire cette impression largement partagée: il fait bon monter dans cet engin plein de promesses, mais une fois qu’il est lancé, il ne s’arrête pas pour vous laisser descendre, il faut sauter. La seule détransitionneuse qui se soit à ce jour exprimée publiquement en Suisse, la quadragénaire Samantha K, parle carrément de «chaîne de montage» dans son témoignage à la <a href="https://www.nzz.ch/gesellschaft/die-frau-die-kein-mann-mehr-sein-will-ein-transmann-bereut-ld.1599401" target="_blank" rel="noopener"><em>NZZ. </em></a>Elle déplore la trop grande connivence entre médecins spécialisés et transactivistes. Elle dénonce un «transdogmatisme» intimidant.</p> <p>Les enthousiastes de l’approche dite trans-affirmative considèrent les détransitionneuses comme un épiphénomène trop minoritaire pour être pris en compte (ce qui, bien sûr, ajoute à leur désarroi): les personnes qui regrettent leur décision ne sont que 1%, répètent-ils.</p> <p>Richard Montoro du centre d’orientation sexuelle Mc Gill à Montréal avance le chiffre de 2% à 5%. Le psychanalyste français Serge Hefez, pourtant plutôt trans-enthousiaste, cite, dans <a href="https://www.elle.fr/Love-Sexe/Psycho/Serge-Hefez-La-transidentite-n-est-pas-un-caprice-d-enfant-gate-3874791" target="_blank" rel="noopener">une interview à </a><em><a href="https://www.elle.fr/Love-Sexe/Psycho/Serge-Hefez-La-transidentite-n-est-pas-un-caprice-d-enfant-gate-3874791" target="_blank" rel="noopener">Elle</a>,</em><a href="https://www.elle.fr/Love-Sexe/Psycho/Serge-Hefez-La-transidentite-n-est-pas-un-caprice-d-enfant-gate-3874791"><em></em></a><em> </em>des études canadiennes selon lesquelles «20% des jeunes qui se font opérer deviennent des "regretteurs"». Mais les voix les plus autorisées tranchent: la vérité est qu’on n’en sait rien, aucune étude ne permet à ce jour d’articuler un chiffre. James Caspian, un psychologue britannique défenseur de la cause des jeunes trans, alerté sur des épisodes inquiétants, a voulu entamer une recherche. L’Université de Bath Spa a refusé son projet, politiquement trop incorrect. Caspain a porté l’affaire devant la justice.</p> <p>Ce qu’on comprend en attendant des données scientifiques solides sur la question, c’est qu’une bonne partie de ces victimes collatérales du trans-enthousiasme échappe aux statistiques. En attendant la fameuse enquête, l’AMQG cite un indice intéressant: sur le réseau social <a href="https://www.reddit.com/r/detrans/" target="_blank" rel="noopener">Reddit, le groupe «Detrans»</a> compte 22 000 membres, contre 15 000 il y a un an.</p> <h3><strong>Et en Suisse?</strong></h3> <p>Aux Etats-Unis, des détransitionneurs ont raconté avoir obtenu un diagnostic de dysphorie de genre puis des hormones, d’un seul clic, sur internet. La Suisse ne tombe certainement pas dans de tels excès. Est-elle pour autant à l’abri de l’erreur médicale redoutée par François Brutsch? Le discours général, y compris dans les associations qui accompagnent les jeunes en questionnement**, est celui de la prudence et d’une prise en charge scrupuleuse et individualisée. Les parents membres de l’AMQG dénoncent, eux, un décalage massif entre ce discours et une réalité nettement plus expéditive, empreinte d’une périlleuse trans-euphorie. Un exemple en apparence anodin, mais révélateur: celui de l’école qui organise la transition sociale d’une élève sans en avertir les parents. L’association cite deux cas genevois, concernant des filles de 11 et 16 ans.</p> <p>Au CHUV à Lausanne, Mathilde Morisod, responsable de la consultation «Dysphorie de genre» pour enfants et adolescents, affirme au contraire l’importance d’associer les parents − «au moins un des deux» − à la démarche de prise en charge. Sa consultation fait face, comme ailleurs, à une forte augmentation des cas – 17 nouvelles demandes, dont plus des trois quarts féminines, entre janvier et juin 2021 contre 8 en 2020, 17 en 2019, 5 en 2018. Mathilde Morisod n’exclut pas un phénomène de contagion sociale et dit repérer assez rapidement les ados mal dans leur peau qui croient à tort avoir trouvé LA réponse à leur inconfort.</p> <p>Mais aussi: «Il y a de la souffrance, une souffrance parfois insupportable», chez ces jeunes patients, rappelle-t-elle. Pour certains, il n’y a pas de doutes quant à la présence d’une dysphorie de genre qui mérite d’être prise en charge médicalement. Et c’est «un travail d’équilibriste» que de déterminer, face à des mômes en plein remaniement identitaire, si la bonne réponse est celle de la transition médicalisée ou s’il faut chercher ailleurs. En tous cas, la pédopsychiatre lausannoise se dit «très consciente de l’irréversibilité des traitements» de transition et ne manque pas d’en avertir ses jeunes patients.</p> <p>Mais puisqu’«on marche sur des œufs», comme elle le dit elle-même, puisque le risque de se tromper met les professionnels scrupuleux en état de «stress éthique» (l’expression est d’un médecin suédois dans <em>Transtrain</em>), pourquoi ne pas mettre en place des garde-fous élémentaires, comme l’interdiction des hormones avant 16 ans?</p> <p>Au nom de l’approche «sur mesure» et de l’extrême variabilité des cliniques, Mathilde Morisod rechigne à toute restriction par catégorie d’âge. Tout comme Friedrich Stiefel, qui dirige, dans le même hôpital vaudois, le service de psychiatrie de liaison dont dépend la consultation «Dysphorie de genre» adulte. De plus, rappelle ce dernier, «le droit de disposer de son propre corps est reconnu à des enfants dans d’autres circonstances: un mineur atteint de leucémie par exemple, peut, indépendamment de ses parents, refuser un traitement, à condition qu’il possède le discernement. Une ado enceinte peut obtenir un avortement.» Certes, la capacité de discernement requise «peut parfois être très difficile à définir», n’empêche: prévoir un traitement d’exception pour les enfants en questionnement de genre serait problématique, selon ces spécialistes. Dans l’affaire Keira Bell, la Cour d’appel britannique vient d’ailleurs de trancher contre une interdiction des bloqueurs avant 16 ans et pour une décision laissée aux médecins. Mais comment dès lors se prémunir contre les dérives trans-affirmatives? Pour les deux psychiatres lausannois, un élément essentiel pour une approche « prudentielle » est de garantir la présence d’un professionnel du psychisme qui parvienne à explorer avec son patient les raisons profondes de sa demande.</p> <p>Problème: actuellement déjà, n’importe quel médecin, pressé, ignorant des enjeux ou excessivement trans-euphorique, peut signer une ordonnance pour des hormones. Et l’idée de l’investigation psychiatrique comme porte d’entrée à l’indication de transition est combattue par les transactivistes. Au sein même de l’Association mondiale des professionnels de la santé transgenre (WPATH), il est question de faire l’économie de cette investigation. Absurde, avertit Friedrich Stiefel: «Certes, la dysphorie de genre n’est pas en soi un diagnostic psychiatrique. C’est une condition humaine douloureuse. Mais justement: le psychiatre de liaison est formé pour accompagner précisément l’effet des transformations physiques sur le psychisme et pour évaluer le rapport coût/bénéfice d’un traitement à l’aune de la souffrance humaine.»</p> <p>En somme, le mouvement trans-affirmatif le plus radical, en faisant de l’autodéclaration la pierre angulaire de son accompagnement, part du présupposé vertigineux qu’on ne peut pas se tromper sur soi-même ni se mentir à soi-même. Difficile à avaler pour les spécialistes du psychisme. Dans <a href="https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2020/revue-medicale-suisse-709/role-du-psychiatre-psychotherapeute-dans-la-prise-en-charge-de-la-dysphorie-de-genre" target="_blank" rel="noopener">un article </a>paru l’an dernier dans la Revue Médicale suisse, dix psychiatres du CHUV et des HUG, dont leur deux sus-cités, plaidaient pour l’importance du rôle du psychiatre-psychothérapeute dans la prise en charge des personnes en questionnement de genre. Ils disaient la nécessité de déconstruire, chez certains, des attentes irréalistes proches de la «pensée magique». Ils pointaient le «risque de banalisation de la dysphorie de genre» et celui de l’«erreur médicale» en cas de mauvais diagnostic.</p> <p>Ce qu’on comprend à demi-mots en parlant avec ces spécialistes, c’est que le milieu médical est divisé sur cette question ultra-délicate. Et plus ou moins sensible au risque de créer «des filles à barbe», selon la formule-choc d’Anne Waehre, médecin à l’hôpital d’Oslo.</p> <p>Comment se prémunir contre ce risque? Mathilde Morisod verrait volontiers la Suisse adopter des «recommandations de bonne pratique nationales». Friedrich Stiefel propose de «déléguer la pose d’indications à des centres spécialisés.» Je traduis: si on veut s’assurer contre l’erreur médicale, les mailles du filet gagneraient à être resserrées, notamment en se dotant d’un guide de conduite plus restrictif que celui du WPATH. Quant à la demande faite aux professionnels dans l’appel de l’AMQG, à savoir d'agir avec prudence et de justifier au cas par cas que le rapport coût-bénéfices soit favorable au jeune patient, les deux psychiatres ne peuvent qu’être d’accord avec cette proposition et considèrent d’ailleurs qu’elle correspond à leur pratique usuelle.</p> <p>L’attitude «prudentielle» a-t-elles des chances de gagner en Suisse? Dans l’ignorance des rapports de force sous-jacents, on ne peut que l’espérer. Pour l’heure, le CHUV annonce en primeur qu’il est en train de mettre sur pied une consultation interdisciplinaire dédiée: elle permettra aux personnes transgenres d’être prises en charge simultanément par différents spécialistes dont des psychiatres, pédopsychiatres, des endocrinologues, des pédiatres ou des généralistes d’Unisanté. Et aussi d’être suivies par des chirurgiens, des dermatologues, des gynécologues ou des ORL qui se rencontreront régulièrement autour d’un même ou d’une même patiente.</p> <h3><strong>Mais pourquoi cette flambée de filles ? </strong></h3> <p>La question la plus intrigante reste entière: pourquoi, dans la foule des adolescents qui veulent changer de sexe, l’écrasante majorité sont des filles? Aucune étude n’a à ce jour apporté une réponse mais on voit bien que cette dernière est à chercher du côté de la sociologie autant que de la médecine. Là encore, les détransitionneuses fournissent de précieuses clés de compréhension. Des clés pas très rassurantes, il faut le dire.</p> <p>Elie explique qu’elle s’est sentie seule comme adolescente car elle ne correspondait pas aux stéréotypes de la féminité. Que ce qui lui a manqué, ce sont simplement des amies, une communauté, qui la rassurent sur ce qu’elle a toujours été: une femme, masculine, lesbienne, «et c’est ok». Faute de les trouver, elle a rejoint la communauté trans et s’est persuadée que pour une femme masculine, la seule issue est devenir un homme.</p> <p>C’est ce qui fait dire aux dissidents du mouvement LGBT que l’insistance à promouvoir la transition cache une homophobie intériorisée. Malgré les discours sur la fluidité, le sous-texte est brutal: mieux vaut changer de sexe que de vivre son homosexualité. «A la limite, résume François Brutsch, la transition peut être considérée comme la thérapie de conversion ultime.» C’est aussi la thèse de cinq médecins qui ont quitté le Gender Identity Development Service de Londres, mal à l’aise avec cette constatation: trop de jeunes homosexuels demandent à changer de sexe pour échapper aux souffrances de l’homophobie. Ces médecins ont raconté dans les médias britanniques qu’un mauvais gag circulait dans la clinique: «Bientôt, il ne restera plus de gays…» Le lien entre souffrance homophobe et désir de changer de sexe serait confirmé par une étude de l’Université de l’Arizona, citée dans <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/2019/05/transgenre-sexe-detransitionneurs-transition-identite-genre-orientation/" target="_blank" rel="noopener">une longue enquête de Radio Canada .</a> </p> <p>Mais cela n’éclaircit pas encore le mystère: si, pour un certain nombre d’ados contemporains, la transition est une manière d’esquiver leur homosexualité, que signifie cette surreprésentation de filles? Cela veut-il dire qu’il est plus difficile, pour une adolescente, en 2021, de se découvrir lesbienne que pour un garçon de se découvrir gay? On voit mal d’autre conclusion plausible. Tout se passe comme si, en quelques décennies, s’était produite une inversion de tendance: pour les filles, il est plus difficile aujourd’hui d’être un garçon manqué tandis que pour les garçons, il est devenu plus facile d’être féminin. </p> <p>«Sur Instagram, avec les images de filles super belles, féminines, sexy, tu te dis qu’il n’y a pas d’autre voie […] Ça a déclenché chez moi […] une anxiété intolérable, et, de l’autre côté, je ne voulais pas être lesbienne», raconte une détransitionneuse citée dans l’enquête de Radio Canada. On a beau se féliciter des avancées de la condition féminine, il est difficile, en regardant les cours d’écoles et les réseaux sociaux, d’échapper à ce constat: les stéréotypes de genre pèsent aujourd’hui plus lourd sur les filles qu’il y a 40 ans. Elie, trop masculine pour être heureuse, trop seule dans la cour au milieu de ses copines super moulées et maquillées, a grandi à Bruxelles, dans la deuxième décennie du vingt-et-unième siècle.</p> <p>A côté de l'homosexualité douloureusement vécue, une autre thématique est très présente dans les témoignages des détransitionneuses: celle de l'abus sexuel et de l'insoutenable statut de proie. «J’ai fait une transition pour échapper à ma réalité de femme et de survivante de violences…», lit-on encore dans la brochure diffusée par Post Trans. Elie et Nele y invitent leurs lectrices à «se réconcilier avec [leur] sexe biologique». Tout indique que, pour diverses funestes raisons, la flambée des adolescentes en questionnement de genre est l’indice d’un mouvement contraire. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les femmes.</p> <hr /> <p>*Lorsque la transition hormonale ou chirugicale n’est pas entamée, on parle de «désisteurs» et «désisteuses».</p> <p>** J’ai eu, pour préparer ce texte, un échange avec une répondante de la Fondation Agnodice, spécialisée dans l’accompagnement d’enfants et d’adolescents en questionnement de genre. Elle a exigé, pour être citée, de relire, non pas seulement ses citations, mais la totalité de cet article. Ce n’est pas acceptable dans une optique d’indépendance journalistique. J’ai donc renoncé à la citer.</p> <h2>Parus récemment sur le sujet</h2> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1632920467_product_9782072950926_195x320.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="217" height="317" /><br />Claude Habib, <em>La question trans</em>. Gallimard, Le Débat, 2021.</h4> <h4><em><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1632920552_9780861540495_9_1_1.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="215" height="344" /><br />Helen Joyce, Trans</em>, Onlyword Publications<br />En cours de traduction en français. <a href="https://tradfem.wordpress.com/2021/09/18/preface-dun-livre-choc-en-cours-de-traduction/" target="_blank" rel="noopener">La préface est déjà disponible</a> via le collectif de traduction féministe TRADFEM</h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1632920715_7e27a34e19aaed768624ce1cb2278e12538374dd_364_front_228x364.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="206" height="330" /><br />Serge Hefez, <em>Transitions. Réinventer le genre</em>. Calmann-Levy, 2020</h4> <p> </p> <p> </p>', 'content_edition' => '«Aujourd’hui le risque est que dans 20 ans le Conseil Fédéral se tordra les mains en excuses et constituera un fond d’indemnisation pour avoir poussé des jeunes à voir leur vie bouleversée par des soins inadéquats… » Quel est donc ce scandale médical, si peu annoncé et néanmoins redouté par François Brutsch sur son blog Un Swissroll? Ce qui alarme ce haut fonctionnaire socialiste genevois à la retraite, c’est la trop grande facilité avec laquelle des enfants et adolescents en questionnement de genre se voient aujourd’hui prescrire des traitements de transition aux effets partiellement ou complètement irréversibles – bloqueurs de puberté, hormones de l’autre sexe, chirurgie. Un phénomène mondial, qui menace également la Suisse, affirme-t-il. François Brutsch n’est pas exactement un conservateur crispé dans la défense de la famille traditionnelle. C’est un pionnier du combat pour les droits des homosexuels, co-fondateur de Pink Cross, l’association nationale des gays en Suisse. Il a donc dû braver les soupçons de traîtrise à la cause LGBT pour annoncer fin août, dans l’article sus-mentionné, qu’il avait signé «L’appel au respect du principe de précaution» lancé par l’AMQG, (Association pour une approche mesurée des questionnements de genre chez les jeunes), récemment créée à Genève par des parents concernés. Leur thèse: la médicalisation précoce des troubles de l’identité de genre fait aujourd’hui scientifiquement débat, il semble que ses effets délétères aient été sous-estimés. Des pays pionniers comme la Suède remettent leurs pratiques en question, écoutons ce signal d’alarme! 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