Culture / À quoi bon fréquenter les musées?
«Nu au bain», par Pierre Bonnard, 1936. © DR
Que vient-on chercher dans une exposition, dans un musée, puisque «tout est sur internet» et le prix du billet d’entrée souvent prohibitif? On paie, de plus en plus souvent, une part de prestige social à étaler dans un dîner, à un rendez-vous amoureux; on fait la queue pendant des heures pour pouvoir instagrammer aussitôt, se montrer, se faire savoir, faire savoir que l’on sait où sont les choses qui en valent la peine. Cette généralisation abusive trouve des racines dans le vécu le plus proche. Je ne me suis pas rendue à l’exposition Basquiat-Schiele à la Fondation Louis Vuitton – parce que je connaissais les Schiele, vus à Vienne – en revanche, mes fils d’actualité sur les réseaux sociaux étaient saturés des mois durant de ces images.
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Nous y étions déjà accoutumés. Julien Le Mauff, historien et enseignant-chercheur en science politique, fait remonter aux attentats du 11 septembre 2001 cet «empire de l’urgence», dans lequel nous vivons donc depuis plus de vingt ans. L’état d’urgence consiste à prendre toutes mesures au nom de la raison d’Etat, et la première est de suspendre l’exercice «normal» du pouvoir. Il y a plus urgent que la démocratie, lorsque l’on parle de terrorisme ou d’une maladie mortelle. Or, dénonce l’auteur, le mot d’urgence est aujourd’hui dévoyé: tout problème sur lequel se penchent nos politiques devient aussitôt une «urgence»: hôpital public, trafic de drogue, harcèlement scolaire... Il met en place une dialectique: dans un état d’urgence, l’exception fait la règle. En citant Carl Schmitt, il rappelle qu’en allemand le mot urgence se traduit aussi par nécessité. La nécessité, l’état d’urgence donc, a aussi accompagné la naissance de l’Etat moderne et de sa souveraineté. 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À Londres, je me suis laissée prendre au jeu: l’idée est moins banale lorsqu’il s’agit d’un événement à l’étranger, plus excitante aussi pour mon Facebook et pour moi. Je voulais voir de mes yeux ce que les British feraient du French artist Pierre Bonnard.
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Oui, cent fois oui.
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Le Café, (1915) Pierre Bonnard © DR
Bonnard visité rétrospectivement apparaît torturé de l’intérieur par ses thèmes de prédilection: la lumière, la couleur, le temps, la photographie. Un peintre de nus et de baignoires, noté-je dans mon calepin en sortant. Non, il n’a pas plus mal vieilli que Picasso, Matisse et consorts. Il a des audaces de cadrages (gros plan sur les visages dans Le Café, 1915) et de dé-cadrage: la Tate Modern, conformément à la volonté du peintre, a retiré le cadre de cinq toiles: on ne voit plus qu’elles.
Bonnard n’est absolument pas le «peintre du Cannet»; il se déplace beaucoup en France, en Normandie, à Paris. Il n’est pas non plus hors du temps. Sans être un reporter de l’histoire, il l’intègre dans son système. En témoignent Un village en ruines près de Ham, 1917, et Quatorze juillet, 1918, peintures de la Grande Guerre.
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Le temps s’arrête bel et bien devant beaucoup de ses compositions. Le Nu au bain (1936) pour la délicatesse du peintre peignant son modèle souffrant; Homme et Femme (1900), superbe affirmation rebelle de leur vie de bohème; La Toilette (1914) qui n’est pas sans rappeler le Nu provençal de Willy Ronis, et Nu à la fenêtre (c. 1922), intimité à mille lieues de l’obscène, irréelle et noble banalité du quotidien rêvé.
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1 Commentaire
@virginia 15.04.2019 | 10h09
«Bel article, merci.»