A vif / Le goût de l’apocalypse
«Le discrédit jeté sur les institutions démocratiques par les sceptiques, les désespérés et les coléreux est le pire poison. Celui-ci pourrait produire ses effets avant la montée excessive du taux de CO2!» © Wikimedia CC 3.0
Les bilans de fin d’année que l’on lit ici et là ont tous à peu près le même goût. Partout des déceptions, des «affaires», des catastrophes, des menaces, des impasses. Les Européens – car il y a quelques milliards d’habitants qui n’ont pas le même penchant – se noient dans le pessimisme. L’instinct de vie et de combat contre l’adversité reviendra-t-il? C’est notre vœu pour l’an neuf.
L’excellent journaliste Sylvain Besson, pour son dernier article dans Le Temps, s’est plongé dans la collapsologie. Un mot inventé par un scientifique belge pour désigner le prochain effondrement de la civilisation industrielle qu’il prévoit dans une dizaine d’années en raison du réchauffement climatique et de la détérioration générale de l’environnement. Ajoutez à cela l’opacité malfaisante de la finance internationale, les secousses de la mondialisation et la perte de confiance dans la démocratie, et vous aurez le tableau. Un collapsologue digne de ce nom n’entrevoit aucune solution à aucun problème. Le titre du papier est clair: «La mort du progrès nous laisse vides et angoissés».
Cette proclamation est évidemment le meilleur moyen de couper court à tous les processus d’innovation qui pourraient permettre d’aborder rationnellement les réels défis posés par nos modes de production et de consommation. Bon moyen aussi de vider de leur sens tous les efforts politiques que les naïfs jugent souhaitables.
Cette perspective apocalyptique chasse la raison et libère des émotions sur lesquelles il faut se pencher. Le désespoir se noue dans les tripes. Il débouche sur des comportements divers. Le je-m’en-foutisme (puisqu’il n’y a plus rien à faire!), l’individualisme épicurien, le refuge dans des fois religieuses rigides, les échappatoires vénéneuses ou alors la fuite en avant vers des gourous aux slogans simples: rendons le pouvoir au peuple! contrôlons les frontières! faisons cracher les riches! On les entend beaucoup en France ces temps-ci, montant d’un marais de rancœur et d’impuissance. La colère compréhensible à bien des égards reste protéiforme. Elle ne produit aucun discours articulé et bellement formulé comme le firent Mai 68, les grandes luttes ouvrières ou même les polémiques d’extrême-droite d’avant-guerre (elles sentaient mauvais mais avaient du style). Quant aux âmes courageuses – il y en a, même sur les ronds-points français – qui prônent la solidarité face à la détresse, leurs voix parviennent mal à se faire entendre dans le tohu-bohu des rues et des têtes.
Des ripostes à ces dérives du progrès restent possibles, pour autant que se manifestent des volontés individuelles et collectives.
Y aurait-il un plaisir à s’enfoncer dans la noirceur? Y en aurait-il un à bloquer la machine, à casser, à insulter? Un désir enfoui de castagne pour rompre la monotonie des jours? L’Europe a connu la plus longue période de paix de son histoire. Si l’on excepte les guerres à la sortie du colonialisme et à l’éclatement de la Yougoslavie. Quoi qu’on en dise parfois, les menaces d’un conflit militaire généralisé n’ont jamais été aussi faibles. Certes, les dangers d’aujourd’hui sont multiples, à commencer par l’emprise des géants américains sur notre façon de communiquer entre nous et de consommer, par les technologies aussi que répand la Chine pour espionner, surveiller les individus avec un raffinement qui laisserait Orwell pantois. Mais des ripostes à ces dérives du progrès restent possibles, pour autant que se manifestent des volontés individuelles et collectives.
Le progrès, parlons-en. Est-il haïssable? Mort, comme le disent les collapsologues? L’affirmer, c’est insulter les génération pas si anciennes où l’on mourait de maladies alors sans traitements, où de gigantesques famines décimaient des pans entiers de la planète, où la précarité des moyens de transport ratatinait les économies. Tenir ces discours catastrophistes, c’est insulter les chercheurs, les entrepreneurs, les travailleurs qui cherchent des solutions aux casse-tête de l’énergie et de la production agricole, à celles et ceux qui prolongent nos vies, qui tentent de guérir et de soigner les malades. Bien sûr, la médecine doit, elle aussi, s’interroger sur ses dérives savantes et commerciales. Mais regretter le temps où l’on était vieux à cinquante ans, où l’on mourait à soixante, est-ce bien sérieux?
Les pronostiqueurs du désastre universel sont des dépressifs en phase destructive, pour eux-mêmes et ceux qu'ils abreuvent de leurs discours. Il est pour le moins paradoxal qu’ils surgissent en Europe, ce lieu si riche de savoirs, nourrie des Lumières. Cette part du monde où se pratique plus que partout ailleurs une solidarité sociale, certes insuffisante, mais réelle. Allez demander en Asie, en Afrique, en Amérique du sud comment les gens se débrouillent pour leurs retraites et leurs soins de santé!
Les outils politiques existent pour minimiser les risques. A l’échelle de chaque pays et de l’Union européenne. Un pas après l'autre, s'il vous plaît, pas de soupe morbide!
Quelles réponses apporter à ce type de sombres prêches? Face aux théories déclinistes, l’injection volontariste d’optimisme serait inopérante. Mieux vaut calmer le tourbillon émotionnel. Et tenter de remettre les pieds sur terre. En prenant les problèmes un à un. En explorant à la fois leurs conséquences et les moyens d’y remédier. Quelques modeste exemples. Au lieu de culpabiliser les gens qui partent en vacances en avion, introduire les techniques de captation et de récupération utile du CO2 dans les industries – c’est possible! –, organiser la vie quotidienne pour restreindre les aller-retours en voiture, le covoiturage, etc. Bref, passer de la litanie à l'action concrète. Réduire le chômage au temps des robots? Par la formation, on le répète, on ne le fait pas assez et pas toujours à bon escient. Par une valorisation aussi des métiers de soins à la personne. Par un soutien aux projets individuels et collectifs sensés. Freiner le pouvoir de la finance internationale dérégulée qui fait hoqueter l’économie? Les outils politiques existent pour minimiser les risques. A l’échelle de chaque pays et de l’Union européenne. Un pas après l'autre, s'il vous plaît, pas de soupe morbide!
Voilà, le mot s’est glissé dans cette réponse aux collapsologues: politique. Le discrédit jeté sur les institutions démocratiques par les sceptiques, les désespérés et les coléreux est le pire poison. Celui-ci pourrait produire ses effets avant la montée excessive du taux de CO2!
Un mot aussi à l’endroit de Nicolas Hulot, l’ex-ministre, l’écolo sexagénaire désabusé. Il vient d’affirmer que s’il avait à faire encore des enfants, il y réfléchirait à deux fois au vu de l’état de la planète. Suggestion latente aux Européens de moins procréer! Respect à celles et ceux qui en décident ainsi. Mais qu’ils acceptent alors de voir le vide se remplir de populations venues d’autres continents. Pas sûr que cela leur plaise…
Un dernier vœu enfin. Que la célèbre phrase de notre conseiller fédéral sortant, «rire, c’est bon pour la santé», soit enfin… prise au sérieux! Quand les soucis du monde nous assaillent, ce n’est pas une raison de ne pas faire la fête. Que celle-ci soit fraternelle et joyeuse.
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Peu audible d’ailleurs chez lui et chez ses partenaires, guère enthousiastes de cette prétention au leadership. En termes exaltés et alarmistes, le président français en appelle au renforcement massif de la défense européenne. Non sans raisons. Mais pour quoi faire? Affronter la menace de la Russie? Voyons son armée. Elle s’escrime autour de quelques villages dans l’est de l’Ukraine, à quelques kilomètres de chez elle, elle peine à prendre la ville voisine de Karkhiv malgré d’horribles destructions. Elle n’est manifestement pas de taille à s’en prendre aux pays de l’OTAN, ni matériellement ni humainement. Les divers pays européens sont loin d’être démunis de moyens militaires. Même si leur base industrielle a des lacunes. On le sait aussi au Kremlin, où, quoi qu’on en dise, on est réaliste, on n’a pas la folie des grandeurs. Point effectivement à soulever: il est vrai que les Européens feraient bien de se préoccuper davantage de la défense anti-drones et anti-missiles. Ces engins, peu coûteux à produire mais ruineux pour s’en défendre, jouent un rôle-clé dans les conflits d’aujourd’hui. Et les Russes ne sont pas seuls à en disposer. Dans la cybersécurité aussi, il y a aussi de sérieux efforts à faire. Comme en Suisse, où le Département de la Défense confie cette tâche à son entreprise boiteuse Ruag qui s’appuie elle-même sur l’entité issue de Crypto AG, célèbre pour le scandale de ses tricheries. La Confédération a misé en plus sur une société bernois brinquebalante, Xplain, et admet aujourd’hui le désastre. Même des informations confidentielles sur les Conseillers fédéraux ont été balancés dans le «darknet». </span></p> <p><span>Mais nos militaires et leur cheffe ne rêvent que d’acquérir toujours plus d’avions, de blindés et de canons… à acheter aux Etats-Unis bien sûr. Viola Amherd se frotte les mains: une curieuse proposition agite le Parlement. Il s’agit de faire sauter la limite aux dépenses fédérales et de consacrer dix milliards supplémentaire pour l’armée et cinq pour l’Ukraine d’ici à 2030. C’est un groupe inhabituel de femmes parlementaires alémaniques qui est à la besogne. Dont une centriste, Marianne Tinder («Je suis en mesure d'évaluer la gravité de la menace même sans jours de service militaire»), sa collègue de parti entrée au Parlement en décembre dernier («Quand j'entends que l'armée n'a même pas assez de gilets de protection, cela me fait réfléchir»), la socialiste Franziska Roth («Nous ne pouvons pas nous cacher constamment derrière des lignes rouges»). A compter aussi dans ce que le <em>Tagesanzeiger</em> appelle les «dealmakers»: une autre centriste, Andrea Gmür, la socialiste Sarah Wyss, la verte libérale Corina Gredig. Etonnant, ce quarteron féminin, inter-partis, prônant l’urgence des armes.</span></p> <p><span>Bien que le président du PS Cedric Wermuth et la Fédération des sociétés militaires – curieux attelage! – applaudissent l’idée, celle-ci passe mal. Le patron du Centre Gerhard Pfister tousse, les radicaux, derrière Karin Keller-Suter, préoccupés par l’endettement, s’y opposent. Et il se trouvera sans doute des socialistes pour refuser cet emballement. Quant au petit peuple à qui on ne demandera pas son avis, il sait que de telles dépenses supplémentaires entraîneront inévitablement des coupes là où cela lui fait mal. </span></p> <p><span>Il vaut la peine de s’interroger sur les ressorts de cette outrance militariste. Que ce soit dans le mode déclamatoire d’un Macron ou dans les chuchotements du Palais fédéral. La politique sort alors du champ rationnel, de l’analyse froide des réalités, elle entre dans l’escalade des émotions morales, détermine dans le mode binaire, gagner ou perdre la guerre. Or l’histoire récente donne tant d’exemples où les conflits ont fini par des pourparlers. Plus ceux-ci ont tardé, plus se sont inutilement prolongées les souffrances.</span></p> <p><span>Rester fidèles à nos principes? Bien sûr. Mais alors pourquoi ne pas s’activer plutôt au chapitre de la paix? Pourquoi ne pas tirer toutes les ficelles en vue de véritables négociations dans le conflit Ukraine-Russie? Dans son emportement Emmanuel Macron n’a même pas prononcé ces mots. Et en l’occurence helvétique, les chantres féminins du pactole aux armes n’en ont eu aucun dans ce sens. Et le grand raout prévu au Bürgenstock, direz-vous? L’intention est certes louable mais le cadrage est défini par un seul des camps en présence et par les Etats-Unis. Cela en fait un simulacre de négociations. Qui pourrait bien en rajouter une couche à la frénésie belliqueuse. Alors même que le moment approche où les belligérants, plus ou moins épuisés, devront bien se résoudre à cesser le feu et à engager des pourparlers. Plus ils attendront, plus la malheureuse Ukraine sera mal prise. Regrettant que l’accord à bout touchant du tout début de la guerre ait été sabordé.</span></p> <p><span>Quant à l’autre guerre qui nous bouleverse, au Moyen Orient, elle est promise à durer longtemps, très longtemps, sous une forme ou une autre. Totalement dépassée et discréditée, la Suisse ne songe même pas à proposer une négociation, ni sur l’immédiat, ni sur le fond. Peu dit: un autre pays tente discrètement cet effort, non sans expérience. La Norvège.</span></p> <p><span>Mais le Conseil fédéral paraît tenir à réaffirmer son alignement sur la ligne d’Israël. Après avoir concédé une aide réduite, la commission parlementaire des Affaires étrangères propose de supprimer à terme tout soutien à l’UNRWA. 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Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! ', 'content' => '<p><span>Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! Ces trente dernières années, son entreprise, sise à Lausanne, CAB-Productions, a permis à de nombreux cinéastes, locaux et internationaux, de s’exprimer librement. Tournant en Suisse, avec des comédiens, des techniciens d’ici et d’ailleurs. De Francis Reusser à Dominique de Rivaz, d’Alain Tanner à Jean-François Amiguet, de Marcel Schüpbach à Pierre-Yves Borgeaud, de Greg Zlingski à Olivier Assayas, de Benoît Mariage à Claude Chabrol, et tant d’autres. Dernier en date, Roman Polanski. Avec le tournage à Gstaad de <em>The Palace</em>, en coproduction avec l’Italie et la Pologne. </span></p> <p><span>Lié d’amitié avec cette grande figure du cinéma européen, Porchet a tout fait, trois ans durant, pour que ce film se fasse. Contre vents et tempêtes. Face aux campagnes des ultra-féministes qui rabâchent et déforment une histoire vieille de quarante ans, aux Etats-Unis, impliquant une jeune fille qui aujourd’hui est dans les meilleurs termes avec le prétendu coupable. L’offensive «wokiste» a mis Polanski au ban. En Suisse comme en France, aucun soutien public n’a été apporté au film. Une fois terminé, au début de cette année, il a pu être présenté à Venise mais n’a été diffusé que dans quelques rares salles, les distributeurs et les exploitants craignant des manifestations féministes. Il est même totalement proscrit en France. </span></p> <p><span>Pour Jean-Louis Porchet les difficultés du début ont tourné à la descente aux enfers. Faute de rentabiliser les droits d’exploitation, sous le poids des dettes contractées pour boucler le financement du tournage, son entreprise est menacée de faillite. L’accumulation des tracas finit par accabler le solide cueilleur de champignons. </span></p> <p><span>Le dimanche 24 mars, en route vers un ami à Rennaz, il s’arrête près de Cully, fume un cigare, son péché parcimonieux, et laisse flotter ses pensées sur le lac. Il repart et là, sans pouvoir l’expliquer encore, dans un blanc soudain, traverse la chaussée et écrase sa voiture du haut mur de Lavaux. Fracassé, il la voit prendre feu, reste prisonnier. Et attend les secours dans d’horribles douleurs. Les deux jambes et des côtes cassées, de graves brûlures.</span></p> <p><span>Le voilà, cinq semaines plus tard, dans une chambre du CHUV. Avec le sens de l’humour. «Les jours d’avant, je me disais sans cesse que j’allais dans le mur. J’y suis allé pour de bon!» Et toujours pratique: «Je ne sais pas quand et comment je pourrai rentrer chez moi, mes clés ont fondu dans l’incendie…» Puis un sourire malicieux. «Alors que tout le monde dit des horreurs sur le Jeux olympiques de cet été, une infirmière française me disait sa joie que cette fête mondiale ait lieu à Paris!». De quelles doses d’optimisme et de pessimisme avons-nous besoin? «Difficile à dire, lâche l’alité, quand j’ai des douleurs les médecins me demandent de les chiffrer de 1 à 10 et j’hésite. Comme le jour où une copine m’a demandé de chiffrer mon bonheur sur la même échelle!»</span></p> <p><span>Du haut de ses 75 ans et de sa sagesse rieuse retrouvée après le fracas, Porchet ne produira plus de films. «Mais je vais m’intéresser davantage à l’Histoire. Quand on voit ce qu’ont souffert les gens dans le passé, on se dit que le présent n’est pas aussi accablant qu’il y paraît dans le flot des nouvelles anxiogènes. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@rolandoweibel 02.01.2019 | 09h26
«Bravo Monsieur Pilet. C’est simple, clair et faisable. Mais est-ce que les politiciens le savent vraiment? Espérons-le. Vous, en tout cas, continuez à nous fournir de l’espoir avec vos commentaires pertinents!
RW»
@yeppo 06.01.2019 | 16h55
«Magnifique et inspirant! A faire lire à toutes et à tous. Je m'y emploie.»
@PMF 16.01.2019 | 16h31
«ne pensez-vous pas que la démographie galopante dans certains pays met en péril l'existence même de la planète ?. elle est certainement le facteur le plus important. Elle est source de migrations avec un effet dévastateur sur le bétonnage dans les pays d'accueil. citons encore la pollution du parc automobile constitué de vieilles guimbardes qui roulent en toute impunité !. Ce n'est pas en taxant les automobilistes que l'on résoudra le problème du CO2 mais plutôt en limitant drastiquement la natalité. Même sous contrainte !»
@Luc1ole 20.01.2019 | 18h49
«MERCi! Voilà un message à transmettre à notre jeunesse.
Trop long pour qu'il apparaisse sur les réseaux sociaux ?
»