Histoire / Inverser la mort: l’étrange histoire de la réanimation
Sur cette illustration de l’époque victorienne, un homme est en train d'être réanimé. Authentic-Originals / Alamy Stock Photo
La plupart d’entre nous savent probablement – plus ou moins – comment réanimer l’un de nos semblables. Même si vous n’avez pas suivi de cours de réanimation cardio-pulmonaire (RCP), vous avez probablement vu la technique de nombreuses fois à la télévision ou au cinéma.
Caitjan Gainty, King's College London
Les premiers moments de l’histoire de la réanimation étaient, à bien des égards, dramatiques. Ainsi, le 1er juin 1782, un journal de Philadelphie rapportait la dernière prouesse en matière de réanimation : un enfant de cinq ans avait été ramené à la vie après s’être noyé dans la rivière Delaware.
Le petit Rowland Oliver jouait sur l’un des quais animés qui avaient été construits lorsque l’industrialisation s’était propagée sur les rives du Delaware lorsqu’il est tombé à l’eau. Il a lutté pendant 10 minutes, puis s’est retrouvé inerte. Un ouvrier l’a sorti de l’eau et l’a ramené chez lui.
Bien que l'enfant ait été rendu visiblement sans vie à sa famille, le journal rapportait que ses parents se sont aperçus qu’il était seulement « mort en apparence ». Cela les a galvanisés, et ils sont passés à l’action. Ils « lui ont immédiatement enlevé tous ses vêtements, l’ont giflé » et « l’ont frotté avec des chiffons de laine trempés dans de l’alcool ».
Le médecin, arrivé peu après, a fait la même chose. Ils ont également plongé les pieds du petit Rowland dans de l’eau chaude et lui ont administré un agent émétique (vomitif) par voie orale. Après environ 20 minutes, la vie est revenue dans le corps du petit garçon. Une petite saignée a été pratiquée, pour atténuer d’éventuels effets secondaires, et le jeune Rowland a vite retrouvé sa vivacité habituelle.
Sociétés humanitaires
Ce récit n’était qu’une illustration parmi d’autres des nombreuses histoires de réanimations réussies diffusées dans les journaux par les sociétés humanitaires nouvellement créées à cette époque.
Ces sociétés ont émergé au milieu du XVIIIe siècle à Amsterdam, ville notoirement connue pour ses canaux… dans lesquels un nombre croissant de personnes se noyaient. Leur but était d’éduquer le public sur le fait que la mort – du moins par noyade – n’était pas forcément absolue, et que les passants avaient le pouvoir d’empêcher les noyés apparemment morts de rejoindre réellement l’au-delà.
À Philadelphie, la résurrection du petit Rowland a rendu ces idées crédibles, et a inspiré la société humanitaire locale : celle-ci a installé le long des rivières de la ville des kits contenant des médicaments, des outils et des instructions pour ranimer les noyés.
Les méthodes ont évolué au fil du temps, mais jusqu’au XIXe siècle, les efforts de réanimation consistaient essentiellement à stimuler le corps pour le remettre en mouvement mécaniquement parlant. Les sociétés humanitaires recommandaient souvent de réchauffer la victime de la noyade et de pratiquer une respiration artificielle. Quelle que soit la méthode, le plus important était de redémarrer la machine corporelle.
La stimulation externe – les frottements et les massages pratiqués par les parents du jeune Rowland – était essentielle. De même, la stimulation interne, généralement par l’introduction de rhum ou d’une autre concoction stimulante dans l’estomac, était courante. Mais une autre méthode destinée à exciter l’intérieur du corps était plus étonnante : les sociétés humanitaires proposaient en effet de procéder à une « fumigation au tabac » du côlon des victimes de noyade. Oui, vous avez bien lu : les efforts de réanimation exigeaient de souffler de la fumée de tabac dans l’anus d’un noyé apparemment morte.
Illustration : une femme noyée est réanimée par un lavement à la fumée de tabac. Wellcome Collection, CC BY
Au XXe siècle, d’autres dangers ont émergé, eux aussi potentiellement mortels. Tout comme les noyades se sont multipliées au XVIIIe siècle, en raison de l’utilisation accrue des voies navigables résultant de l’industrialisation, l’avènement de l’électricité généralisée – et des lignes électriques – ainsi que des automobiles notamment, ont ajouté l’électrocution et l’intoxication au gaz aux causes de mort possibles…
Un nouveau lieu de stimulation
Les méthodes de réanimation ont également évolué, les efforts se concentrant de plus sur la stimulation du cœur. Pour cela, il arrivait de manipuler un corps apparemment mort afin de le disposer dans différentes positions. Les compressions thoraciques et les techniques de respiration artificielle sont aussi devenues de plus en plus courantes.
Mais ces modifications de techniques n’ont pas enlevé à la réanimation son caractère « démocratique » : elle pouvait être pratiquée par quasiment n’importe qui. Ses applications restaient cependant spécifiques à certaines circonstances. En effet, la mort apparente ne pouvait résulter que d’un nombre limité de situations…
Les choses ont changé au milieu du XXe siècle. À cette époque, la réanimation a commencé à acquérir une réputation de traitement miraculeux, utilisable pour toutes sortes de « morts ». Les personnes capables de prodiguer ces traitements sont devenues plus spécialisées, et la réanimation s’est bientôt limitée aux professionnels médicaux ou intervenants d’urgence. De nombreuses raisons expliquent ce changement, mais une en particulier a joué un rôle crucial dans cette mutation : la reconnaissance du fait que les accidents chirurgicaux causaient eux aussi des morts apparentes.
Lorsque le chirurgien américain Claude Beck parlait de ses propres tentatives de refonte de la réanimation, au milieu du XXe siècle, il évoquait souvent ce qu’était cette discipline lorsqu’il était encore en formation, à la fin des années 1910.
À l’époque, se souvenait-il, si le cœur d’un patient s’arrêtait sur la table d’opération, les chirurgiens ne pouvaient rien faire d’autre que d’appeler les pompiers et d’attendre qu’ils apportent un « pulmotor », le précurseur des respirateurs artificiels que nous connaissons aujourd’hui. Comme si tout le monde pouvait pratiquer la réanimation, sauf les professionnels médicaux…
Trouvant cela inacceptable, Beck s’est lancé à la recherche d’une méthode de réanimation adaptée aux dangers particuliers de la chirurgie.
Un patient allemand réanimé grâce à un pulmotor. Alpha Stock/Alamy Stock Photo
Les nouvelles techniques que Beck, et d’autres chirurgiens avec lui, ont expérimentées alors reposaient toujours sur la stimulation. Mais elles s’appuyaient quelque chose dont les chirurgiens bénéficiaient plus ou moins exclusivement : l’accès à l’intérieur du corps. L’une de ces nouvelles méthodes consistait à appliquer de l’électricité directement sur le cœur (défibrillation). Une autre consistait à plonger la main dans la poitrine du patient, et à masser manuellement son cœur en était une autre.
Beck considérait ses premiers succès au bloc opératoire comme une promesse que ses techniques pourraient voir leur efficacité encore étendue. En conséquence, il a élargi sa définition de ce qu’était un patient ranimable. Il a ajouté à la catégorie relativement restreinte des personnes « apparemment mortes » toutes celles qui n’étaient pas « absolument et indiscutablement mortes ».
Beck a réalisé plusieurs films témoignant de ses succès. L’un d’eux, The Choir of the Dead (« Le chœur des morts »), montrait les 11 premières personnes que Beck était parvenu à réanimer se tenant debout, maladroitement côte à côte, tandis qu’il leur demandait tour à tour, sur un ton étonnamment jovial : « De quoi êtes-vous mort ? »
Les techniques mises en place dans les espaces médicaux découlaient directement de la réanimation pratiquée ailleurs, elles en constituaient une extension, en quelque sorte. Il est cependant rapidement devenu évident que ces méthodes médicales, privilégiant l’accès à l’intérieur du corps, ne pourraient pas être facilement démocratisables.
Cela ne signifie pas que Beck n’a pas essayé de faire en sorte qu’elles sortent du cercle médical. Il imaginait même un monde où ceux qui étaient formés à ses méthodes transporteraient un scalpel de chirurgien sur eux, toujours prêts à ouvrir une poitrine pour masser un cœur et le faire repartir…
Mais la communauté médicale s’est révoltée, vent debout contre cette idée. Elle était non seulement inquiète de voir émerger des « civils-chirurgiens », mais aussi soucieuse de maintenir son monopole professionnel sur l’intérieur du corps.
Ce n’est qu’avec l’avènement, plusieurs années plus tard, de la méthode, moins choquante, de compression thoracique que l’imprimatur démocratique de la réanimation a été rétabli.
La vision de Beck selon laquelle la mort est généralement réversible a persisté. Elle a atteint son apogée en 1960, lorsque des études médicales déclarèrent que le taux de survie de la réanimation s’établissait à « plus de 70 % ». Des études ultérieures ont corrigé cette conclusion trop optimiste, mais la réputation de la réanimation en tant que traitement largement applicable et extrêmement efficace était déjà établie. Et il semblerait qu’elle persiste encore aujourd’hui, si l’on en croit des rapports récents.
Caitjan Gainty, Senior Lecturer in the History of Science, Technology and Medicine, King's College London
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Ils ont également plongé les pieds du petit Rowland dans de l’eau chaude et lui ont administré un agent émétique (vomitif) par voie orale. Après environ 20 minutes, la vie est revenue dans le corps du petit garçon. Une petite saignée a été pratiquée, pour atténuer d’éventuels effets secondaires, et le jeune Rowland a vite retrouvé sa vivacité habituelle.</p> <h3>Sociétés humanitaires</h3> <p>Ce récit n’était qu’une illustration parmi d’autres des nombreuses histoires de réanimations réussies diffusées dans les journaux par les <a href="https://www.rcpe.ac.uk/sites/default/files/jrcpe_49_2_mccabe.pdf">sociétés humanitaires</a> nouvellement créées à cette époque.</p> <p><a href="https://royalhumanesociety.org.uk/the-society-history-and-archives/history/">Ces sociétés</a> ont émergé au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle à Amsterdam, ville notoirement connue pour ses canaux… dans lesquels un nombre croissant de personnes se noyaient. Leur but était d’éduquer le public sur le fait que la mort – du moins par noyade – n’était pas forcément absolue, et que les passants avaient le pouvoir d’empêcher les noyés apparemment morts de rejoindre réellement l’au-delà.</p> <p>À Philadelphie, la résurrection du petit Rowland a rendu ces idées crédibles, et a inspiré la société humanitaire locale : celle-ci a installé le long des rivières de la ville des kits contenant des médicaments, des outils et des instructions pour ranimer les noyés.</p> <p>Les méthodes ont évolué au fil du temps, mais jusqu’au XIX<sup>e</sup> siècle, les efforts de réanimation consistaient essentiellement à stimuler le corps pour le remettre en mouvement mécaniquement parlant. Les sociétés humanitaires recommandaient souvent de réchauffer la victime de la noyade et de pratiquer une respiration artificielle. Quelle que soit la méthode, le plus important était de redémarrer la machine corporelle.</p> <p>La stimulation externe – les frottements et les massages pratiqués par les parents du jeune Rowland – était essentielle. De même, la stimulation interne, généralement par l’introduction de rhum ou d’une autre concoction stimulante dans l’estomac, était courante. Mais une autre méthode destinée à exciter l’intérieur du corps était plus étonnante : les sociétés humanitaires proposaient en effet de procéder à une <a href="https://www.resuscitationjournal.com/article/S0300-9572(19)30500-3/fulltext">« fumigation au tabac »</a> du côlon des victimes de noyade. 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Tout comme les noyades se sont multipliées au XVIII<sup>e</sup> siècle, en raison de l’utilisation accrue des voies navigables résultant de l’industrialisation, l’avènement de l’électricité généralisée – et des lignes électriques – ainsi que des automobiles notamment, ont ajouté l’électrocution et l’intoxication au gaz aux causes de mort possibles…</p> <h3>Un nouveau lieu de stimulation</h3> <p>Les méthodes de réanimation ont également évolué, les efforts se concentrant de plus sur la stimulation du cœur. Pour cela, il arrivait de manipuler un corps apparemment mort afin de le disposer dans différentes positions. Les compressions thoraciques et les techniques de respiration artificielle sont aussi devenues de plus en plus courantes.</p> <p>Mais ces modifications de techniques n’ont pas enlevé à la réanimation son caractère « démocratique » : elle pouvait être pratiquée par quasiment n’importe qui. Ses applications restaient cependant spécifiques à certaines circonstances. En effet, la mort apparente ne pouvait résulter que d’un nombre limité de situations…</p> <p>Les choses ont changé au milieu du XX<sup>e</sup> siècle. À cette époque, la réanimation a commencé à acquérir une réputation de traitement miraculeux, utilisable pour toutes sortes de « morts ». Les personnes capables de prodiguer ces traitements sont devenues plus spécialisées, et la réanimation s’est bientôt limitée aux professionnels médicaux ou intervenants d’urgence. De nombreuses raisons expliquent ce changement, mais une en particulier a joué un rôle crucial dans cette mutation : la reconnaissance du fait que les accidents chirurgicaux causaient eux aussi des morts apparentes.</p> <p>Lorsque le chirurgien américain <a href="https://www.researchgate.net/publication/271915780_Never_a_Simple_Choice_Claude_S_Beck_and_the_Definitional_Surplus_in_Decision-Making_About_CPR">Claude Beck</a> parlait de ses propres tentatives de refonte de la réanimation, au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, il évoquait souvent ce qu’était cette discipline lorsqu’il était encore en formation, à la fin des années 1910.</p> <p>À l’époque, se souvenait-il, si le cœur d’un patient s’arrêtait sur la table d’opération, les chirurgiens ne pouvaient rien faire d’autre que d’appeler les pompiers et d’attendre qu’ils apportent un « pulmotor », le précurseur des respirateurs artificiels que nous connaissons aujourd’hui. Comme si tout le monde pouvait pratiquer la réanimation, sauf les professionnels médicaux…</p> <p>Trouvant cela inacceptable, Beck s’est lancé à la recherche d’une méthode de réanimation adaptée aux dangers particuliers de la chirurgie.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1690449710_file20211103231wvolka.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="683" height="499" /></p> <h4><em>Un patient allemand réanimé grâce à un pulmotor. Alpha Stock/Alamy Stock Photo</em></h4> <p>Les nouvelles techniques que Beck, et d’autres chirurgiens avec lui, ont expérimentées alors reposaient toujours sur la stimulation. Mais elles s’appuyaient quelque chose dont les chirurgiens bénéficiaient plus ou moins exclusivement : l’accès à l’intérieur du corps. L’une de ces nouvelles méthodes consistait à appliquer de l’électricité directement sur le cœur (défibrillation). Une autre consistait à plonger la main dans la poitrine du patient, et à masser manuellement son cœur en était une autre.</p> <p>Beck considérait ses premiers succès au bloc opératoire comme une promesse que ses techniques pourraient voir leur efficacité encore étendue. En conséquence, il a élargi sa définition de ce qu’était un patient ranimable. Il a ajouté à la catégorie relativement restreinte des personnes « apparemment mortes » toutes celles qui n’étaient pas « absolument et indiscutablement mortes ».</p> <p>Beck a réalisé plusieurs films témoignant de ses succès. L’un d’eux, <em>The Choir of the Dead</em> (« Le chœur des morts »), montrait les 11 premières personnes que Beck était parvenu à réanimer se tenant debout, maladroitement côte à côte, tandis qu’il leur demandait tour à tour, sur un ton étonnamment jovial : « De quoi êtes-vous mort ? »</p> <p>Les techniques mises en place dans les espaces médicaux découlaient directement de la réanimation pratiquée ailleurs, elles en constituaient une extension, en quelque sorte. Il est cependant rapidement devenu évident que ces méthodes médicales, privilégiant l’accès à l’intérieur du corps, ne pourraient pas être facilement démocratisables.</p> <p>Cela ne signifie pas que Beck n’a pas essayé de faire en sorte qu’elles sortent du cercle médical. Il imaginait même un monde où ceux qui étaient formés à ses méthodes transporteraient un scalpel de chirurgien sur eux, toujours prêts à ouvrir une poitrine pour masser un cœur et le faire repartir…</p> <p>Mais la communauté médicale s’est révoltée, vent debout contre cette idée. Elle était non seulement inquiète de voir émerger des « civils-chirurgiens », mais aussi soucieuse de maintenir son monopole professionnel sur l’intérieur du corps.</p> <p>Ce n’est qu’avec l’avènement, plusieurs années plus tard, de la méthode, moins choquante, de compression thoracique que l’imprimatur démocratique de la réanimation a été rétabli.</p> <p>La vision de Beck selon laquelle la mort est généralement réversible a persisté. Elle a atteint son apogée en 1960, lorsque des études médicales déclarèrent que le taux de survie de la réanimation s’établissait à <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/328956">« plus de 70 % »</a>. Des études ultérieures <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/656324">ont corrigé cette conclusion trop optimiste</a>, mais la réputation de la réanimation en tant que traitement largement applicable et extrêmement efficace était déjà établie. Et il semblerait <a href="https://www.bmj.com/company/newsroom/patients-overestimate-the-success-of-cpr/">qu’elle persiste encore aujourd’hui, si l’on en croit des rapports récents</a>.<img src="https://counter.theconversation.com/content/209843/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/caitjan-gainty-1126450">Caitjan Gainty</a>, Senior Lecturer in the History of Science, Technology and Medicine, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/kings-college-london-1196">King's College London</a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. 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Par ce jugement, la CEDH semble vouloir enterrer toute démarche rationnelle appuyée sur des faits pour favoriser des croyances.</p> <p>Accrochées à un mouvement généralisé autour du climat, qui favorise la foi d’une construction sociale de la réalité, à l’instar de la «justice climatique», ces plaignantes semblent avoir banni de leur plaidoyer tout ce qui pourrait résister au contrôle humain de la météo du jour, sans égards aux résultats scientifiques et leurs immenses incertitudes concernant les climats futurs. Les plaignantes ont accusé en substance les autorités suisses de mener une politique climatique aux objectifs et aux mesures insuffisantes, «en violation de leur droit à la vie», arguant de la vulnérabilité des personnes âgées face aux effets des changements en cours, et en particulier aux vagues de chaleur. Ce qui est visé, selon le jugement, serait l’incapacité de la Suisse à fournir une estimation des émissions de gaz à effet de serre futures afin de limiter «le réchauffement climatique» au fameux 1,5°C de l’Accord de Paris, valeur pourtant parfaitement arbitraire et dont les conséquences néfastes restent difficiles à identifier.</p> <p>Mais qu’en est-il vraiment? Que disent les données des études démographiques sur la «violation du droit à la vie» que ce soit sous les climats helvétiques ou mondiaux? Le «réchauffement climatique» met-il réellement en péril le «droit à la vie» des femmes âgées de Suisse?</p> <p>Premier constat, d’après les données de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), l’espérance de vie à la naissance des femmes suisses est passée de 79,3 ans en 1982 à 85,4 ans en 2022, et ce malgré «l’urgence climatique», soit un gain de 56 jours par an depuis 1982. Sur la même période, l’espérance de vie à 65 ans, âge minimal de ces militantes, est passée de 18,4 à 22,5 années. Il ne semble pas que «le climat» ait eu des conséquences fâcheuses sur leur droit à la vie.</p> <p>En recoupant les données de l’OFS et de Météosuisse, on peut observer la nature cyclique du nombre de décès par semaine des personnes de plus de 65 ans en Suisse, de 2010 à 2024 (Figure).</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1713434705_capturedcran2024041812.04.17.png" class="img-responsive img-fluid center " width="784" height="554" /></p> <p>La courbe noire pleine montre que les périodes hivernales restent les plus fatales, toutes causes confondues, pouvant parfois accroître la mortalité de 72% par rapport aux périodes estivales. Bien que les variabilités démographiques soient complexes à appréhender avec précision (comme les «effets moisson» ou les crises sanitaires telles la Covid-19), cette nature cyclique confirme simplement que «le froid tue».</p> <p>Pour s’en convaincre, s’affichent en gris sur la figure et à titre d’exemple, les températures <i>maximales </i>quotidiennes de la station de Neuchâtel montrant de larges amplitudes au cours de l’année. A partir du printemps 2020, la courbe des décès-toutes-causes subit les perturbations du Coronavirus et ses conséquences, rendant hasardeuse toute interprétation de détail. Mais la forte anti-corrélation entre décès et saisonnalité demeure. Nous supportons bien plus aisément les températures non-optimales chaudes que froides. Une étude récente<strong><sup>1</sup></strong> publiée dans <i>The Lancet</i> sur les excès de mortalité dans les villes européennes entre 2000 et 2019, dus cette fois uniquement aux températures non-optimales chaudes ou froides, confirme la tendance générale: entre 65 et 74 ans, le froid tue en Suisse 3 fois plus que le chaud, entre 75 et 84 ans, 6 fois plus, et au-dessus de 85 ans, 7,6 fois davantage. Dans une autre étude du <i>Lancet</i><strong><sup>2</sup></strong> sur les températures non-optimales entre 2000 et 2019 au niveau mondial, le constat est identique: le taux mondial de surmortalité liée au froid a baissé de 0,5% alors que celui lié à la chaleur aurait augmenté de 0,2%, conduisant à une réduction nette du ratio mondial des décès liés aux températures extrêmes. Mais ces pourcentages ne touchent pas le même nombre de personnes, bien plus nombreuses à décéder durant les hivers, ce qui amplifie davantage le bénéfice d’un réchauffement climatique. Ces militantes du climat semblent donc avoir convaincu la CEDH de porter la justice dans un monde fantasmé, où seules les températures excessivement chaudes président à la destinée des femmes, en invitant la Suisse à rejeter la réalité des faits.</p> <p>Pourtant, dans le monde réel, faut-il le rappeler, l’espérance de vie des Suissesses n’a cessé d’augmenter, et ce malgré le «dérèglement climatique», et grâce, pour l’essentiel, aux énergies fossiles. De plus, les décès directement liés aux températures non-optimales s’amenuisent grâce en grande partie à des hivers plus cléments.</p> <p>Dans le monde réel, un pays riche comme la Suisse permet à sa population de s’adapter aisément aux inconforts météorologiques (chauffage ou climatisation, isolations, facilité d’accès aux soins, énergie toujours disponible, etc.). A cela peut s’ajouter une topographie bienveillante durant les étés avec de nombreux lacs et rivières, et une fraicheur montagnarde accessible.</p> <p>Dans le monde réel, la Suisse a diminué de près de 40% ses émissions de CO<sub>2</sub> par habitant depuis 1980 et 91% de sa production électrique est bas-carbone. 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Elles séjournent dans un univers peuplé d’illusions où seules les impressions du sujet construisent son milieu, où les slogans inconsistants balaient les données factuelles, où la Suisse parviendrait par sa «politique climatique» à influencer la régulation des climats de la Terre. Oui, la CEDH a bien approuvé la guerre contre la réalité menée par le climatisme, nouvelle religion de certaines classes aisées des pays les plus riches.</p> <hr /> <h4><sup>1</sup>Masselot et al. (2023) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 7, e-271-281</h4> <h4><sup>2</sup>Zhao et al. (2021) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 5, e415-425</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-cedh-aurait-elle-engage-une-guerre-contre-le-monde-des-realites', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 46, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4878, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Cuba entre famine et abondance', 'subtitle' => 'La situation économique à Cuba est catastrophique. 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On assiste ici à une dangereuse érosion de l'esprit démocratique.</span></p> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La démocratie ne vit pas seulement d'une constitution fondée sur le principe de la majorité, les droits fondamentaux et les droits de l'homme et des règles de procédure équitables ; la démocratie vit aussi du fait que l'esprit de la constitution est déterminant et guide les acteurs politiques. Les principes démocratiques doivent primer sur l'idéologie et le programme des partis. Si cette attitude fondamentale fait défaut, la démocratie risque de devenir lettre morte.</span></p> <h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Mauvais perdants</span></strong></h3> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que cette attitude fondamentale ne soit pas au mieux en Suisse se manifeste de plus en plus souvent, par exemple récemment après le "oui" à la 13e rente AVS. 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Celle-ci est marquée par deux courants profonds : premièrement, une politique économique, fiscale, financière et sociale néolibérale prononcée et, deuxièmement, une radicalisation dans l'éventail des partis de droite avec un effet d'aspiration sur les partis bourgeois. Ces deux phénomènes ont affaibli la conscience de la nécessité du respect de la Constitution et de l'esprit démocratique.</span></p> <h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Néolibéraux et droits de l'Homme</span></strong></h3> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Tout d'abord, le néolibéralisme : il a conduit à un déchaînement du pouvoir économique, avec pour conséquence que l'État démocratique est devenu le serviteur de groupes et de branches et que le lobbying s'est propagé jusque dans les ramifications les plus fines de la politique et de l'administration. 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Car ici aussi, seul compte le fait de s'imposer - avec ou contre la démocratie et la constitution.</span></p> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La démocratie au cas par cas, en fonction de l'idéologie, des intérêts particuliers et des calculs de pouvoir ? Et ce à une époque où il serait plus que jamais nécessaire de défendre les valeurs et les principes démocratiques ? 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Si l’Allemagne et les autres membres de l’alliance nouent bien des partenariats avec des Etats du Pacifique, et conduisent des exercices militaires dans la zone, ce n’est pas à la hauteur de la «menace chinoise».</p> <p>La nature de cette menace? Elle n’est pas directement militaire mais plutôt économique. «Si Pékin était en mesure de bloquer les voies commerciales dans la mer de Chine méridionale, la circulation des marchandises en Europe serait en péril».</p> <p>Autre question qui n’était pas d’actualité il y a 75 ans: la contribution des Etats-Unis. Le <a href="https://www.telegraph.co.uk/opinion/2024/04/03/europe-must-step-up-to-keep-the-us-in-nato/" target="_blank" rel="noopener"><em>Daily Telegraph</em></a> regrette que l’Europe ne fasse aucun effort pour s’assurer que le plus grand contributeur de l’OTAN ne s’en détache pas. L’heure est grave, puisqu’on parle de «passer à la caisse». La menace qui plane sur l’avenir de l’organisation n’est pas seulement la perspective d’une réélection de Donald Trump et de la ligne isolationniste, c’est celle du mécontentement général des Etats-Unis qui «contribuent bien plus à la défense de l’Europe que le continent ne le fait lui-même... On aurait tort de penser que l’aide américaine coule de source.»</p> <p>Les dissensions internes sont toujours un péril sous-estimé, comme le confirme <a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">le mensuel lituanien </a><em><a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">IQ</a>. </em>Au cœur de la discorde, le droit de veto. Ce dernier a rendu «complètement inefficace» l’ONU, constate <em>IQ</em>, car le risque est constant de s’en servir pour exercer pressions ou intrigues diplomatiques. «Démocratie, droit international et Etat de droit forment le socle de l'alliance la plus puissante au monde. Mais un certain nombre d'Etats oublieux de ces valeurs tentent depuis longtemps de placer leur intérêts mercantilistes au-dessus des décisions cruciales de l’OTAN.»</p> <p>Cela revient à poser une question essentielle, dans toute organisation: qu’est-ce qui lie entre eux les Etats membres? Au-delà de la coopération militaire, ce sont des «valeurs», celles mêmes que les pays occidentaux s’emploient à défendre en ce moment en Ukraine. La députée Renaissance Anne Genetet plaide même pour la création d’un centre de l’OTAN chargé de défendre de concert les valeurs occidentales et la «résilience démocratique». 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Chan clear 29.07.2023 | 13h35
«
Il y a toujours un mystère entre le moment ou l’on perd conscience et le retour à la vie, très intéressant votre article et rigolo aussi !»